– FAUT-IL COMMENTER LA NOUVELLE FORMULE CONSTITUTIONNELLE ? –

Tebboune emzaouar                            Tebboune est un fantoche

Djabouh el ‘askar                                    Il est désigné par les militaires

Makanach echar’iya                               Il n’y a pas de légitimité

 Echaâb etharar                                       Le peuple s’est libéré                                           

Houa elli ikarrar                                      La décision lui appartient

  Dawla madaniya                                     État civil

    (Projet de Constitution proposé par le Hirak)

L’invitation à commenter le train de dispositions constitutionnelles lancée par les maîtres du pouvoir retient l’attention pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’opération fait partie des procédés de corruption de la Constitution, destinée, comme toujours, à masquer des entreprises de consolidation de pouvoir.

Ensuite, celle-ci est attestée par la mission confiée à des juristes dont la fidélité aux commanditaires dépasse, et de loin, les présomptions d’éthique qu’on leur décerne. La notion d’expert doit être examinée à partir de la distinction entre l’homme de sciences indépendant et le spécialiste qui appartient à l’ordre gouvernant à qui il sert de conseiller. Nous sommes en présence d’un personnel d’exécution qui véhicule les choix du pouvoir avec d’autres méthodes en faisant valoir ses titres et pratiques notamment universitaires.

Enfin, la révision de la Constitution, conduite en parallèle avec un terrorisme policier et judiciaire, s’inscrit en droit fil d’une confrontation toujours en cours malgré les contraintes sanitaires. Elle oppose un mouvement populaire [qui revendique la souveraineté du peuple comme source du pouvoir dont il codifie l’exercice, le contrôle et la transmission] et des militaires qui se sont appropriés l’État.

Les lectures de la Constitution faites par les militaires avec le concours de compétences fidèles n’est pas une nouveauté. Si la conjonction des deux épouse les secousses politiques consignées par l’histoire constitutionnelle, elle prend une dimension d’une autre ampleur en 1992. En effet, l’alliance des compétences juridiques à des forces militaires s’est traduite en crimes contre l’humanité et les milliers de victimes attendent toujours que leur soit rendue justice du recours aux institutions comme moyens d’extermination. Dès lors, l’appel à commentaire lancé des hauteurs d’El Mouradia et qualifié sournoisement de contribution « enrichissante » n’a qu’un but : conforter le pouvoir dans sa continuité. Loin de la diversion des commentaires techniques sur tel ou tel aspect utilisé en leurre sur l’étendue ou les limites respectives des institutions, de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice ou de la consécration des droits de l’homme et des libertés publiques, nous nous limiterons à constater comment cette révision constitutionnelle ne révise en rien l’essentiel : le rôle de l’armée dirigée par un aréopage de généraux majorés. On le fera en prenant le contrepied des « propositions expertes », c’est-à-dire en tenant compte du coup de force de janvier 1992 et de l’empreinte imprimée au despotisme constitutionnel. En effet, les experts missionnés ont reconduit la légitimation des crimes issus de janvier 1992 avec comme règle cardinale le bâillonnement du peuple et la banalisation du suffrage censitaire par l’embargo sur les libertés consubstantielles au droit de vote. La garde à vue infligée à ce dernier se traduit en contraintes multiformes accompagnant les farces électorales. De ce cortège de violences, les institutions affichées sont impropres à rendre compte car la démarche du constitutionnaliste et ses choix conceptuels mettent en scène un pouvoir qui en cache un autre. Retenue comme seule source de pouvoir dans la Constitution, la souveraineté attribuée au peuple disparaît aussitôt de la pratique politique. L’émergence effective du peuple souverain seule source de pouvoir est un évènement en gestation lié à l’éveil de conscience nationale.

La révision constitutionnelle en cours densifie les réponses opposées à cette gestation. D’où les annonces destinées à enjoliver les contours d’un pouvoir qui se sait en déconfiture : adossé à « la construction d’une nouvelle république », voire à « une nouvelle Algérie » et à « la refondation des libertés », le projet relève de la décision imposée qui s’aménage quelques issues de nature à masquer l’entreprise de mystification. Il s’agit principalement de démobiliser, pour le soumettre, un mouvement populaire d’une puissance et d’une portée considérables. En effet, ses retombées politiques et institutionnelles sont déjà comptabilisées par l’histoire.

La clarification des enjeux constitutionnels relève de trois séries de remarques.

*Celles qui rappellent que la révision constitutionnelle est l’ultime étape des procédés par lesquels juristes et politologues de l’état-major veulent persuader de l’aggiornamento que connaîtrait un pouvoir immuable.

*Elles interrogent, ensuite, la problématique de la souveraineté.

*Enfin, il faut aborder les conséquences sur la légalité.

– QUELQUES RAPPELS SUR LE CHEMINEMENT
DU SUBTERFUGE CONSTITUTIONNEL –

En premier lieu, les fissures occasionnées à la muraille derrière laquelle les hauts gradés de l’armée se livraient à la décomposition du pays ne sont pas le fait des juristes dont on sonne le rappel, et qui ont leur part de complicité. L’escroquerie constitutionnelle et ses dimensions politiques ont abrité le régime en refoulant sinon en réfutant l’inaptitude du chef de l’État à occuper, depuis 2013, la fonction présidentielle. Le voile jeté sur la nature réelle des institutions et leur détournement au profit des puissances régnantes allait de pair avec la complaisance admise et protégée sur le fonctionnement des sommets de l’État. Le discours politico juridique y veillait. Ni les juristes du sérail qui peuplaient le Conseil Constitutionnel et son environnement, pas plus que ceux des différentes structures de l’État, ne se sont départis de cette « discipline » traduite en soutien inconditionnel et en justification de légitimité en toutes circonstances. En légitimant la figure impotente de l’État, la part dominante du droit se légitime de concert avec l’État de la rapine.

Par sa puissance, sa constante détermination, le mouvement populaire, ce Hirak aux couleurs de la diversité sociale et politique, fait voler en éclats les ententes installées en corps constitués, protégés comme tels par le glaive judiciaire. Les contradictions entre clans, fruit des querelles à but hégémonique, fracturent un pouvoir en bout de course et débouchent sur une « démission-déposition » de celui qui voulait mourir le sceptre à la main.

Ainsi résumées, ces péripéties de la vie politique font ressortir un schéma à répétition bien rodé par les crises successives depuis l’indépendance : pour mieux « lifter » la constitution, il faut commencer sur une période plus ou moins longue par sa violation, au point de la réduire à l’inexistence.

En deuxième lieu, une partie de la caste militaire défait ses adversaires en actionnant les services de sécurité selon les nombreuses configurations offertes par une police politique omniprésente. Les opérations ultérieures sont confiées à une justice docile, domestiquée par la force des habitudes, ainsi qu’aux services pénitentiaires civils et militaires. Nous sommes face à une vaste démonstration des institutions et de leur fonctionnement réel : la soumission aux détenteurs de la force et à leur brutalité. Ces formes de décomposition ont déroulé leurs effets durant des mois même si la mise en scène n’est pas absente. Ce qui parfois relevait de la rumeur, de la supputation apparaît soudain au grand jour : sont, de la sorte, exposés les privilèges de domination où la corruption des institutions n’épargne aucun espace de la vie et des biens publics. Le nombre de militaires [le général Mediène en tête] et de politiques défaits et emprisonnés, « jugés » ou en attente de l’être, selon les objectifs déclarés quelquefois, plus ou moins masqués souvent, au gré de leurs vainqueurs du moment, montrent en quoi se limite la gestion politique : tenir le peuple en laisse et régner selon le code interne du haut commandement, actionnant tantôt le levier de la déchéance tantôt celui de l’ascension ou de la réhabilitation. Le partage des moyens de pouvoir s’accompagne de l’affectation des ressources économiques et financières correspondantes et des moyens d’intervention pour leur appropriation.

Le Hirak a mis en lumière l’accaparement des sources de puissance publique à des fins prédatrices et la disponibilité des appareils de l’État au profit d’entreprises criminelles. Il en ressort ces appels répétés au changement d’un système de gouvernement où le banditisme absorbe les structures censées obéir aux besoins de l’intérêt général. Le passage qualitatif à un « État civil » débarrassant l’État du carcan dans lequel l’enferment les militaires résume à la fois les termes d’un programme politique et les principes généraux d’organisation constitutionnelle.

En troisième lieu, l’aboutissement du 12 décembre 2019 et l’élection de Abdelmadjid Tebboune comme président de la République est une réponse musclée adressée aux revendications populaires.

En cela, fidèle aux pratiques électorales de toujours, l’élection de l’ancien ministre de l’Habitat et ex- éphémère- Premier ministre de Bouteflika, est le résultat d’une suite ininterrompue d’escroqueries politiques, masquées avec plus ou moins de bonheur, par la mise en œuvre d’un dispositif intellectuel d’embrigadement du droit.

Cet ensemble combiné du droit et de la politique orienté par les chefs de l’armée et les services de sécurité sera finalement imposé comme un enchaînement logique et nécessaire au remplacement de Abdelaziz Bouteflika. Toutefois, des commentateurs avisés ne manqueront pas de souligner comment le projet de cinquième mandat de Bouteflika est mis au point selon la technique de la doublure. Cela n’échappera pas non plus aux milliers de manifestants qui rejettent non pas les élections mais les procédés de leur encadrement et leurs conséquences, c’est-à-dire le statu-quo.

Le chantage à la représentation de l’État via une figure responsable à l’intérieur et face aux institutions internationales n’est que l’un des éléments affichés de la fraude à l’élection présidentielle. Celle-ci revêt la vitalité protectrice derrière laquelle le régime militaire s’est toujours abrité. Pour mieux maîtriser son pouvoir, ce dernier avait toujours refusé de s’afficher, préférant détenir les leviers dans l’ombre. Pressés d’y retourner après s’être longuement exposés, les chefs militaires montrent à quel point la survie de leur système de direction n’est viable qu’au travers d’une orchestration politique : l’élection présidentielle et ses suites. Le stratagème permet de disposer de l’État réel en avançant derrière l’État de façade.

L’élection du 12 décembre 2019 a été préparée selon un référentiel à la Constitution qui, en toute logique, n’avait plus de sens dès lors que Bouteflika a été « destitué » sur ordre des militaires sous la poussée de manifestations populaires. Les militaires, qui ont par la voix de leur chef d’état-major instruit le Conseil Constitutionnel dans l’application de l’article 102, entendaient installer le pays sous la direction de l’intérim présidentiel et de ses procédures. Soutenus par le savoir des juristes mobilisés à cet effet, les militaires devenaient des supporters zélés d’un juridisme pointilleux, confectionné à leur mesure, parce que protecteur, sur la nécessité de respecter, « pour la continuité de l’État », des règles constitutionnelles obsolètes.

La mascarade juridique au service d’objectifs politiques à répétition, relevant de l’ubuesque, n’est pas une nouveauté. Par sa constance revendicative, le Hirak demeurait un écueil de taille car il ne se limitait pas à la lecture de l’article 102, devenu sans objet, il appelait au changement du système politique : les slogans bi-hebdomadaires rythmaient la fin du pouvoir militaire sur l’État et le passage par une transition débouchant sur l’évacuation de l’armée comme moteur de la vie politique. Dès lors, l’état-major optait pour la neutralisation du mouvement populaire en procédant à un semblant de sa reconnaissance. Tantôt courtisé, en vain, par les discours d’un chef d’état-major converti à un constitutionnalisme calibré à sa volonté, tantôt réprimé à coups de menaces et d’emprisonnements, le Hirak refuse l’interprétation que veut imposer l’armée, et selon laquelle le départ de Bouteflika met fin au système politique. Il faut donc passer à des élections présidentielles avec une période d’intérim confié au président du Conseil de la nation. Pour le mouvement populaire, l’engouement endossé soudainement pour le respect des dispositions constitutionnelles caduques n’est que la perpétuation du régime sans Bouteflika. Dès lors, le passage par un « panel de la médiation et du dialogue » permettrait d’arriver à une hybridation Hirak – armée.

Telle fut la mission confiée à un dignitaire du régime, ancien président de l’assemblée populaire nationale, vivant entre Paris et Alger et qui attendait l’occasion de refaire surface. Chargé de convaincre l’opinion qu’il est la preuve vivante du changement de régime, Karim Younes s’efforcera de présider une instance dite du« dialogue national », faisant la démonstration qu’il n’est ni autonome par rapport aux militaires qui l’ont désigné, ni une figure digne d’inspirer confiance

Contrairement à ce que suggère le concept, renfermant des diversités d’opinions, le panel constitué selon les vieilles habitudes policières du régime est le résultat d’une sélection mise au point par les services secrets. Ces derniers essayent d’en forcer la crédibilité par toutes les ruses possibles : tout d’abord en recrutant des « hirakistes » de bonne tonalité ; ensuite en faisant appel à un « comité de sages » dont la plupart sont des survivances du chadlisme ou des lendemains du coup d’État de 1992. On y trouve Abdelaziz Khellaf, directeur général en 2012 pour la banque arabe de développement en Afrique (BADEA) à Marrakech, ancien ministre délégué aux Affaires Étrangères chargé de la Coopération et des Affaires Maghrébines en 1992 dans le gouvernement Abdesselam, après avoir été ministre du Commerce (1980-1986), puis des Finances (1986-1989) et secrétaire général de la présidence de la République (1991-1992). En font partie également trois anciens ministres de la jeunesse et des sports, le dramaturge Slimane Benaissa, des professeurs d’université dont Ahmed Laraba à qui sera confiée, suite logique, la présidence du comité de révision de la Constitution, l’ancien président du Conseil Constitutionnel de 1995 à 2002, Saïd Bouchair qui exercera ses talents après 2002 comme coordonnateur de « la commission politique nationale de surveillance des élections législatives ». Notons, enfin, la présence d’une figure qui a traversé le monde associatif, syndical et politique depuis les années 1970, Mustapha Boudina, milicien de choc des années 1990, dénoncé comme usurpateur de la qualité de condamné à mort durant la guerre de libération nationale et néanmoins président de l’association du même nom, démasqué et chassé du Hirak en mai 2019.

Le « panel de la médiation et du dialogue » s’adjoint le concours de deux taupes capables de se définir comme « hirakistes » tout en mettant leurs compétences de juristes/constitutionnalistes au service d’une interprétation toute indiquée de la constitution en faveur d’élections maîtrisées.

Fatiha Benabou, après avoir siégé aux côtés de représentants du monde politique et associatif discutant des voies et moyens d’une transition, se transforme en conseillère es élections.

Amar Belhimer, autrement outillé par sa longue traversée des diverses contrées médiatiques, expert en retournement de lignes éditoriales et goûtant à toutes les subtilités dont celle du professorat de droit public, siège comme président de la commission politique du panel.

Agissant en faveur d’une élection présidentielle assurant longévité et protection à l’aréopage militaire, Fatiha Benabou et Amar Belhimer multiplient les déclarations publiques et exposent chacun à sa manière leur souci de l’intérêt national.

En président de la commission politique du panel, l’ancien journaliste se porte garant, sans autre forme de procès, du « comité des sages » comme instance morale du panel « avec des visions, des conseils et des orientations de par sa composante qui symbolise une rupture totale avec le système ». La période intérimaire faisant du président du Conseil de la nation un président tenu de se retirer au bout du temps constitutionnellement imparti, s’est poursuivie au-delà. Les élections, qui devaient avoir lieu selon le calendrier des militaires relayé par le panel du dialogue et ses « sages » le 4 juillet, ne pouvaient pas se dérouler. Le mandat du président intérimaire arrivant à expiration, le recours à l’article 102 ressuscité et ses conséquences, bouée de sauvetage de l’état-major, démontrent à nouveau leur caducité. Les manifestations retentissent de la demande, fondée, de démission du président intérimaire ; elles appellent à un réel dialogue sur le passage vers un changement politique et une nouvelle Constitution. Rien n’y fait : les militaires par la voix du chef d’état-major ordonnent au Conseil Constitutionnel de proroger le mandat du président intérimaire et de prolonger l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau président.

La décision imposée en violation de toutes les règles du bon sens est relayée par « l’analyse », le « commentaire » et les justifications : le président de la commission politique du panel de la médiation, Ammar Belhimer, déclare le 18 août 2019 : « l’exigence du départ du Chef de l’État par intérim est contraire à la Constitution. C’est une doléance illogique et dont les retombées seront néfastes puisqu’elle entraînera le pays dans un dangereux vide institutionnel. La résolution du Conseil constitutionnel est claire, elle est conforme à la Constitution… ».

Dans un entretien à TSA, Fatiha Benabou apporte un éclairage en soutien aux chefs de l’armée en soulignant les dangers du vide institutionnel : « Si les Algériens ne veulent pas d’un pouvoir militaire, ils doivent aller voter pour avoir un président civil. La loi électorale a changé et il ne reste qu’à mettre en place un climat propice pour l’élection d’un nouveau président avant d’aller vers la révision de la Constitution… Le texte de loi c’est la moitié de la réussite. Le reste appartient au peuple qui doit se mobiliser pour défendre son choix… Je suis une juriste et non une femme politique pour garantir l’aspect pratique. Je ne mens pas car j’ai une crédibilité scientifique » (Entretien reproduit par le site TSA, 14/9/2019). La spécialiste a beau mettre sa « crédibilité scientifique » en jeu, la réalité lui renvoie un démenti à la mesure de sa prétention. En effet, la loi électorale est à rapporter à cet organisme dénommé « autorité nationale indépendante des élections ».

À y regarder de près, cette « autorité » draine une dénomination équivoque qui signifie le contraire de ce que l’on veut lui faire porter puisque étant dite « indépendante des élections », elle n’aurait aucun lien avec celles-ci alors qu’elle est censée en superviser le déroulement. Composée de 50 membres, elle est présidée par un ancien ministre de la Justice de Bouteflika, Mohamed Charfi. Elle est doublement dépendante : à la fois dans le choix de ses membres, œuvre des services de renseignement intérieurs, et dans le choix de son président « plébiscité à main levée » (d’après l’APS). Dans une vidéo où il rend hommage à l’ancien chef d’état-major, décédé, Mohamed Charfi déclare le 23 décembre 2019 « Gaid-Salah m’avait personnellement demandé de prendre cette charge importante ».

La chronologie des évènements depuis les premières manifestations le 22 février 2019 montre comment les militaires n’ont cessé de poursuivre qu’un objectif : le sauvetage du système en utilisant toutes les ressources en leur pouvoir après avoir tenté d’instrumentaliser le Hirak. L’utilisation qu’ils font de la Constitution montre à quel point ils s’estiment en être les maîtres absolus. L’ignorant délibérément quand elle était formellement en vigueur, ils tentent par tous les moyens d’en faire un texte vivant dont ils exigent le respect alors qu’elle a perdu toute pertinence.

Le recours à l’intérim présidentiel, puis aux élections aura nécessité, pour les militaires, un personnel politique adéquat, de nature à mener les missions à leur terme. Dès lors, la chaîne d’organismes installés pourvus en « compétences » politiques et de membres de « la société civile » a été l’œuvre des services de renseignement. L’une de leurs activités principales consiste dans la mise au point et à jour des biographies du personnel appelé à répondre, dans l’obéissance, aux projets construits par les militaires et pour eux. Nul doute que les biographies en question sont enrichies de tous les incidents de parcours éventuels qui finissent par être constitués en dossiers persuasifs. C’est ainsi que les pressions sur les noms pressentis ou mis à contribution ne manquent pas, si d’aventure il y avait des réticences. Compte tenu de l’expérience accumulée en la matière sur des dizaines d’années, ce type de sollicitations est plutôt vécu comme des opportunités de carrière et comme un avantage consolidant les liens de proximité avec les puissants.

Les élections présidentielles mises au point selon cet enchaînement de pratiques policières ne méritent nullement d’être retenues comme telles car, du début à la fin des opérations, rien n’échappe au contrôle des militaires qui, à terme, auront désigné le président de leur choix.

À côté du personnel affranchi des organismes politiques ad-hoc, des plumes d’universitaires apportent un soutien sous forme de réflexions médiatiques. Cependant ils ont du mal à se dégager des liens complices avec l’armée qu’ils défendent contre un peuple accusé de la mettre en danger. Ce faisant, ils renversent la source et les charges de la violence. Ces liens complices abrités derrière la présomption de contributions désintéressées ne sont rien d’autre que des manifestations d’allégeance. À cet égard, deux exemples retiennent l’attention : les deux sociologues cités ci-dessous, qui se portent au secours de l’armée et de « sa » Constitution, nagent au beau milieu de conflits d’intérêts. Tous les deux sont associés au ministère de la culture l’un par son épouse, ex ministre passée députée du FLN après une démission tapageuse aux relents de scandale financier, l’autre par sa fille, ministre de la Culture du 31 mars au 24 août 2019 au titre d’un « renouvellement du monde politique », remarquable surtout par l’ironie impitoyable qu’il inspire.

Pour l’un comme pour l’autre, la mainmise de l’armée sur les opérations électorales ne mérite même pas de figurer comme hypothèse d’étude. Dans « Le déni » (Le Quotidien d’Oran, 31 janvier 2020, repris dans Mediapart le 1er mars 2020) Djamel Labidi écrit : « Comment affirmer que la légitimité vient des élections, tout en refusant, dans le même temps, qu’elles se tiennent. C’était là une erreur stratégique. On ne refuse pas des élections, sous quelque justification que ce soit. Un peuple a toujours intérêt à des élections, à la démocratie…De consensuel, le mouvement [le Hirak] s’était au fur et à mesure rétréci, au fur et à mesure du développement des clivages et notamment l’apparition de mots d’ordre contre l’armée et sa direction, malgré la position républicaine de celles-ci et leur accompagnement du Hirak… Abdelmadjid Tebboune est désormais élu président de la République algérienne… le pas qui vient d’être fait est probablement un progrès essentiel aussi bien pour aujourd’hui que pour l’avenir. Il a permis pour aujourd’hui de commencer à sortir de la crise politique actuelle en lui donnant une issue constitutionnelle, et il établit du même coup, pour demain, cela comme règle : celle de résoudre en tout moment et en tout lieu, dans notre pays, les conflits politiques sur la base de la légalité constitutionnelle… ».

Abdelmadjid Merdaci écrit (Le Soir d’Algérie, 26 mai 2019, « Marche de l’histoire et histoires de marches : À l’ombre de l’unanimisme populiste » ) : « Le vice-ministre de la Défense, chef d’état-major de l’ANP a, de manière récurrente, donné des garanties publiques sur la régularité et la transparence du scrutin dont les conditions doivent et peuvent faire l’objet de concertations…les porte -paroles autoproclamés du « peuple » ont en commun de disqualifier…l’arbitrage pacifique et démocratique du scrutin et d’interdire aux Algériens la libre expression de leurs choix… Toute démarche hors du cadre de l’actuel constitution est une invite à l’inconnu… ». Il est vrai que Abdelmadjid Merdaci en sait long sur « l’arbitrage pacifique et démocratique ». Sa « science » lui est probablement inspirée par la longueur de la chaîne des électeurs, dont il était pour satisfaire à ses obligations électorales lors du scrutin présidentiel militaro-policier du 16 novembre 1995. 

– LA PROBLÉMATIQUE DE LA SOUVERAINETÉ :
QUID DU DÉTENTEUR ? –

Les envolées comptabilisées en populisme sur la nature du peuple et relevées sous la plume des sociologues précités ne sont pas mises en rapport avec leur penchant au constitutionnalisme. La correspondance entre l’invocation de la Constitution et de son respect dans le cas de figure électoral qu’ils défendent et le peuple encensé par la même Constitution ne leur semble pas suffisamment contradictoire pour mériter réflexion. Le peuple inerte du texte dit fondamental disparaît derrière l’attribution d’une souveraineté déclarée mais aussitôt usurpée. Ainsi peut-on rejeter le peuple car il ne correspond à rien et se réclamer de la Constitution qui, du moins formellement, tire sa légitimité du peuple dont elle fait le siège de la souveraineté. Derrière l’exercice cynique de ce type d’acrobatie intellectuelle, se dessinent en réalité au moins deux figures du peuple :

*celle du peuple invisible, qui se laisse déposséder de ses titres, et qui disparaît, écrasé sous le poids despotique du bénéficiaire réel de la souveraineté.

*celle du peuple en éveil, vivant, et qui proclame sa volonté d’être le souverain effectif, mettant fin à l’usurpation.

Dans le premier cas, le peuple, cloîtré dans le régime de la minorité, correspond fort bien à l’idée et aux formes fallacieuses de transcendance constitutionnelle.

Dans le second, la correspondance entre le peuple et la constitution dévoile la supercherie et prononce son rejet. Le peuple réclame son dû : l’exercice de tous ses droits constitutionnels, souverainement, sans tuteur.

Si les interrogations n’ont guère manqué sur le secret de la longévité de ce système à ossature militaire, épisodiquement masquée, la production intellectuelle prompte à s’engouffrer dans les espaces de soutien protecteur ne relève pas des cas fortuits. Et si, dans un tel exercice, juristes et politologues occupent, par affinité, les premières loges, les renforts de compétences issues de sciences voisines savent aussi répondre à la demande. L’élargissement de la base protectrice s’accompagne d’une certaine séduction propre à entraîner l’adhésion qui, par delà le champ universitaire, gomme la nature réelle du système de pouvoir. Protecteur et dispensateur de privilèges, ce dernier s’est façonné des protections derrière des fonctions politiques de contrôle social et de légitimation.

Le retour à la Constitution est la panacée administrée dès que le pouvoir politique est secoué dans ses fondations. Diagnostic et remède se succèdent selon l’usage et sous les auspices des guérisseurs du Palais. Consacré solennellement depuis la constitution de 1963 comme détenteur de la souveraineté, le peuple est, dans les faits, emmuré derrière les formules grandiloquentes. Le citoyen est absorbé par l’électeur réduit à une carte justificative conditionnant le droit aux services ordinaires d’une bureaucratie chez qui la vénalité tient lieu de compétence.

Dans sa totalité, dans sa diversité, le peuple ne vote ni ne s’exprime, il s’exécute selon les impératifs dictés par sa tutelle, l’armée, siège réel de la souveraineté.

À la suite des évènements de 1988, la constitution de 1989 redessine le cadre politique et lui donne les apparences d’un pluralisme semé de chausse-trapes pour permettre au régime de durer. Le multipartisme du décret, par reconnaissance administrative, est accompagné d’un pluralisme de la presse où prennent place des continuités « décentralisées ». Le leurre, manifeste dès le départ dans la mesure où tout est ordonné d’en haut, est supervisé par les services de renseignement. Il apparaît dans toute sa dimension lors des élections législatives de décembre 1991, condamnées le 11 janvier 1992 par l’interdiction du second tour et par un déchaînement de violences organisées et perpétrées par le commandement militaire et les services secrets. Le peuple qui croyait pouvoir se donner des représentants de son choix s’est heurté à la sauvagerie militariste dont les conséquences traumatiques sur la société n’ont toujours pas été évaluées. Massacres de populations, enlèvements, tortures, disparitions sont le fait d’organismes militaires et sécuritaires d’État, de forces spéciales, d’escadrons de la mort et de milices civiles militarisées.

À partir de 1992, le regard que le juriste peut porter sur la Constitution a franchi un cap incontournable. On aura assisté à cette monstruosité où le Conseil constitutionnel, organiquement et en chacun de ses membres, a défait la Constitution sur les ordres d’une poignée de généraux. La souveraineté ayant chancelé durant quelques jours au profit du peuple, ce dernier doit définitivement se pénétrer de cette vérité : la plénitude de souveraineté revient à l’armée, en l’occurrence à ses chefs. Ici s’enracine l’expression Rab Dzayar (le Dieu de l’Algérie) attribuée au général chef des services secrets, Mohamed Mediène. Par ricochet, l’expression s’étend à tous les hauts gradés du commandement.

La Constitution ne peut plus être commentée en ignorant la dimension que lui imprime l’armée et l’efficience qui lui est mesurée. Avec la Constitution, les généraux se sont accaparés la République en lui façonnant un contenu en accord avec leur interprétation du pouvoir et son exercice. Confortés par le Conseil constitutionnel et ses membres, individuellement, les militaires, maîtres de l’État, sont également épaulés par les juristes universitaires qui mettent l’académisme au service des Rbouba’t Dzayar (les Dieux de l’Algérie).

L’attelage Ahmed Laraba (président) – Walid Laggoun (rapporteur), désigné par A. Tebboune à la tête d’un comité de révision constitutionnelle, fait partie des juristes de renom qui accompagnent, comme experts, le régime depuis les bouleversements sanglants qu’il a imprimés aux institutions. L’aisance dans le maniement des concepts appuyée sur des bases théoriques consolidées par des années d’enseignement à cheval entre la Faculté de droit d’Alger et l’École nationale d’administration (ENA) en font des juristes à la compétence reconnue. Elle le sera doublement car, à la compétence technique, s’ajoute le choix politique de la mettre à disposition d’une cause, celle de l’État et de la République issue du coup de force du 11 janvier 1992. Alors que les arrestations arbitraires se multiplient et que l’internement administratif renoue avec les pratiques de l’État colonial (camps d’internement dans le sud), derrière une « Association algérienne de droit constitutionnel » fantomatique, la Faculté de Droit d’Alger organise sa « 1ère Journée d’Étude sur le Thème : La Crise Constitutionnelle ? ». La présentation est l’œuvre du secrétaire général de l’association, Walid Laggoun : « C’est dans les périodes de crise que les constitutions révèlent le mieux leur capacité, réelle ou virtuelle à proposer les solutions à partir des principes juridiques qu’elles prévoient. La Constitution algérienne du 23 février 1989 n’échappe pas à cette règle. Si, face à la crise de l’été 1991 elle a pu dérouler ses effets sans soulever de grandes objections au plan juridique, même si un état de siège fut décrété, [ici, est passé sous silence l’assaut donné par la gendarmerie et l’armée sur les places des Martyrs et du 1er- Mai pour en déloger les manifestants dans les rangs desquels furent dénombrés des dizaines de morts] l’argumentaire développé aujourd’hui concernant la démission du président de la république, la dissolution de l’assemblée et surtout l’interprétation de l’article 84 de la constitution, faite par le conseil constitutionnel, n’a pas toujours emporté l’adhésion. Les nouvelles institutions mises en place (Haut comité d’état, conseil consultatif), celles maintenues en l’état (le gouvernement, le conseil constitutionnel et…) leurs rapports, ont conduit selon les approches, à considérer qu’elles n’étaient que les modalités institutionnelles d’un « coup d’état » ; soit qu’elles prolongeaient la constitution en mettant en évidence ses lacunes.

La journée d’étude organisée par l’AADC ne vise pas à légitimer sous le couvert d’une parole savante telle ou telle thèse.

Cette rencontre se propose d’être le cadre d’une réflexion sur les différentes lectures de la constitution, sur leurs présupposés et leurs implications.

L’AADC compte ainsi, et sous cette forme, apporter sa contribution à l’enrichissement de la culture juridique, condition qui, si elle n’est pas suffisante, reste nécessaire au développement d’une culture démocratique (Alger, le 27 février 1992) ».

Le 4 juin 1992, la « seconde journée d’étude » sera moins elliptique en retenant « l’état de nécessité et la pratique algérienne ». Ici le recours à la force par nécessité est entérinée comme fait justificatif à une menace sur l’ordre public. Sa confrontation avec les libertés publiques difficile à évacuer contribue à banaliser l’effondrement des libertés publiques « par nécessité » : « …D’emblée, il convient de souligner fortement que cet intitulé n’emporte aucunement prise de position. L’utilisation « état de nécessité » a été préférée à celle d’état de crise, par exemple en raison de son timbre juridique, de son incontestable consécration comme catégorie du droit constitutionnel qui prend en charge les différentes hypothèses de crise sans pour autant être la justification a priori et définitive des pratiques qui en sont faites, notamment en Algérie… » .

Derrière les précautions de style (pas de prise de position, pas de légitimation de telle ou telle thèse derrière la parole savante), les animateurs de ces deux journées d’étude mettent en place un dispositif destiné à un prétendu éclairage juridique alors que le pays est en ébullition. Comment ces juristes arrivent-ils à libérer la réflexion du poids ressenti, y compris dans les enceintes universitaires, de l’armée et des différents services de sécurité. Les actes criminels échappent aux réflexions complices. La technique utilisée lors de ces journées abritées par la Faculté de droit consistait à désamorcer habilement l’assaut des militaires contre les institutions et à banaliser les crimes perpétrés en insinuant le doute tout en applaudissant le coup d’État. En réalité, ces journées de « réflexion » ont été un aveu. Tandis qu’une partie de la société est pourchassée, la réflexion bien-pensante fait sa jonction avec les militaires : l’alliance, manifeste, reproduit, y compris par la parole savante, le fait accompli.

Quelques années plus tard, Walid Laggoun et Ahmed Laraba conseillant l’État sur les dérives du suffrage universel confirmeront cette alliance en mettant la parole du savant au service d’une perception policière de la souveraineté : « On se rappelle…qu’après l’agrément d’un et même de plusieurs partis-ACP [association à caractère politique] en violation pourtant explicite de la Constitution de 1989 et de la loi relative aux associations à caractère politique, alors en vigueur, et après que tous les sondages avaient donné ces ACP minoritaires et aient rassuré sur la possibilité de les contenir et de les gérer d’autant plus que les élections locales du 12 juin 1990 avaient fortement contribué à ce sentiment, on avait décidé d’organiser des élections législatives pluralistes le 26. 12. 1991. C’était compter sans les électeurs et leur imprévisibilité et sans la mobilisation de certains militants de certaines ACP qui rendait l’orientation des résultats sinon impossible, du moins trop risquée. Si en effet le FIS n’a pas dépassé en chiffres absolus, les pourcentages que les différentes prévisions lui accordaient, la désaffection de l’électorat et le fort imprévu taux d’abstention que pourtant on s’était efforcé d’éviter en tendant de mettre les électeurs devant les termes de l’alternative qui s’offrait à eux et qui a donné lieu à des formules mémorables, ont donné une autre dimension à ces taux et transformé ces premières élections législatives pluralistes en cataclysme qui a mis en émoi les institutions les faisant réagir dans l’urgence. C’est donc dans l’extrême urgence, alors même que les résultats du premier tour avaient été proclamés par le Conseil constitutionnel et publié au Journal Officiel… , qu’une parade aboutissant à l’annulation des élections et une rupture de légalité constitutionnelle avec laquelle l’Algérie ne renouera que cinq années plus tard, est mise en œuvre. La nécessité de prémunir le suffrage universel contre ses emballements devenait incontournable… ». Cet extrait est tiré du « Projet de rapport, Sous-Comité – Implications juridiques et institutionnelles de la réforme de l’État » ( mai 2001, p.40-41, souligné par nous) faisant partie d’un vaste projet confié par A. Bouteflika au « Comité de la réforme des structures et des missions de l’État », sous la direction de Missoum Sbih. Ledit « Comité » est organisé en cinq « sous-comités » y compris celui qui est cité ci-dessus : « consultation, régulation et contrôle », « collectivités territoriales et administration locale », « administrations centrales », « établissements publics et organismes gérant un service public », dont les travaux n’ont pas été publiés.

C’est dire que le président et le rapporteur du comité d’experts chargé de la révision de la Constitution ne sont pas nés de la dernière connivence. Au demeurant, leurs liens « pédagogiques » avec l’institut des hautes études de sécurité nationale garantissent leur fiabilité quant aux orientations imprimées aux institutions et à leur continuité depuis 1992.

L’institut des hautes études de sécurité nationale, créé en 2017, sous la tutelle du ministère de la défense, est sous le contrôle du conseiller auprès du président de la République en charge de la coordination des services de sécurité. Dès lors, ce sera le général Abdelaziz Medjahed qui supervise « l’orientation et le bon fonctionnement de l’institut ». Ancien commandant du secteur opérationnel de Bouira (SOB), il avait sous ses ordres le colonel Said Chengriha, actuel chef d’état-major général de l’ANP. Tous deux sont responsables des exécutions sommaires perpétrées dans la région de Lakhdaria en 1993-1994 (in Habib Souaïdia, La sale guerre, Paris, La Découverte 2001, 203 pages. P. 98 et suivantes).

La ligne de force non explicite, refoulée dans le non-dit chez les experts comme chez la plupart des commentateurs, imprimée à la Constitution depuis 1992, est la mise en garde contre toute implication de l’armée et de son rôle supra-constitutionnel. L’artifice du peuple souverain ne doit pas être soumis à l’examen pour en montrer la fiction et ses prolongements en politique. En détentrice du pouvoir souverain, l’armée ne figure pas ainsi dans la Constitution parce qu’elle est au-dessus de celle-ci. Le préambule est à la fois un rappel en ce sens et une mise en garde à ne pas transgresser. Elle impose une conception politiquement protégée de sa souveraineté par ses propres forces. Elle s’empare de toutes les légitimités, se faisant « digne héritière de l’armée de libération nationale » et soumettant l’État et la République. En entérinant le postulat brouillé selon lequel la souveraineté revient à l’armée, la Constitution renferme une mise en garde héritée des « acquis » des violences imposées en 1992, contre le renouvellement d’une tentative de remise en cause de l’ordre constitutionnel tel que les chefs de l’armée conçoivent ce dernier. Toute tentative de renversement du siège de la souveraineté par voie d’élection est tenue comme atteinte au monopole politique de l’armée. Ce paragraphe du préambule de la Constitution, reconduit, est sans équivoque d’autant plus qu’il inclue une référence appuyée au « terrorisme » : « Digne héritière de l’Armée de Libération Nationale, l’Armée Nationale Populaire assume ses missions constitutionnelles avec un engagement exemplaire ainsi qu’une disponibilité héroïque au sacrifice, chaque fois que le devoir national le requiert. Le peuple algérien nourrit une fierté et une reconnaissance légitimes à l’endroit de son Armée Nationale Populaire, pour la préservation du pays contre toute menace extérieure, et pour sa contribution essentielle à la protection des citoyens, des institutions et des biens, contre le fléau du terrorisme, ce qui contribue au renforcement de la cohésion nationale et à la consécration de l’esprit de solidarité entre le peuple et son armée… ».

Dans l’article 34 proposé par le comité de révision, les auteurs renvoient à « la sécurité » et à ce qu’elle implique : « Aucune restriction aux droits, aux libertés et garanties ne peut intervenir que par voie législative et pour des motifs liés au maintien de l’ordre public, de la sécurité, ainsi qu’à ceux nécessaires à la sauvegarde d’autres droits et libertés protégés par la Constitution ». Auparavant, l’alinéa 1 de cet article jette un doute sur l’opposabilité de la Constitution : « Les dispositions constitutionnelles ayant trait aux droits fondamentaux, aux libertés publiques et aux garanties s’imposent à l’ensemble des pouvoirs et institutions publiques ». L’alinéa 1 de l’article 34 revêt une double signification :

En premier lieu, une telle précision jette le doute sur la force et l’efficience de la Constitution dans son ensemble, dans la mesure où, telle quelle, elle ne suffit pas à s’imposer aux acteurs de l’État.

En second lieu, introduite exclusivement dans la partie portant sur les droits fondamentaux, les libertés publiques et les garanties, cela emporte une conséquence : là où cette précision imposant les règles constitutionnelles n’est pas explicite, l’ensemble des pouvoirs et institutions publics ont toute liberté d’action et de manœuvres.

On comprend pourquoi l’armée ne supporte pas que naisse une légitimité qui lui échappe. C’est ce qui explique la place octroyée au Hirak et ajoutée dans le préambule par les experts. Cette « reconnaissance » est en réalité une tentative d’absorption du mouvement populaire par l’armée ou si l’on veut, une étreinte mortelle. Le transfert de légitimité est constitutionnellement acquis par la célébration du mouvement du 22 février 2019. Rajouté par les experts, le paragraphe 8 du préambule de la Constitution est ainsi rédigé : « Le peuple soucieux de traduire dans cette Constitution ses aspirations à des mutations sociales profondes pour l’édification d’une Algérie nouvelle telles qu’exprimées pacifiquement depuis le mouvement populaire du 22 février 2019, opéré en totale cohésion avec son Armée Nationale Populaire,… »

– LES CONSÉQUENCES SUR LA LÉGALITÉ –

On retrouve l’armée dans le corps de la Constitution uniquement quand elle est appréhendée comme elle devrait exclusivement l’être, c’est-à-dire comme l’ensemble des forces de défense nationale en tant que telles. En réalité ces dispositions, accessoires, font écran vis-à-vis de son rôle d’usurpatrice de la souveraineté et à l’égard de ses irruptions politiques.

Parmi les nouveautés des experts, l’armée ne se limite plus à la défense du territoire et de la nation : elle devient une force d’intervention extérieure. Pour apprécier à leur juste portée ces nouvelles missions vers l’extérieur, il faut les mettre en rapport avec la régression de la politique étrangère et des concessions à la souveraineté entamées dans les années 1980 et aggravées depuis les années des massacres de population jusqu’à l’intervention militaire française au Mali. Cela nécessite une autre réflexion. Cependant, la disponibilité constitutionnellement acquise de l’ANP au profit de puissances impérialistes renvoie au déficit de légitimité nationale. En effet, une armée dont les chefs se disputent la répartition des richesses nationales et le partage des marchés, y compris ceux qui appartiennent aux dotations en matériel de défense, de l’équipement et de l’approvisionnement des troupes, serait-elle en mesure de répondre efficacement à la protection du territoire et de la nation ?

Décomposée au plan national par le poids néfaste de son aréopage sur les institutions, la légitimité de l’armée et de ses comparses civils requiert soutien et réconfort auprès des puissances extérieures, dont la France, en échange de son implication supplétive en Afrique. Dans un entretien avec Salima Tlemçani (El Watan, 4 juin 2020), Ahmed Laraba endosse la responsabilité de l’engrenage supplétif de l’ANP, mettant bout à bout celle-ci et la légalité « …Pourquoi autant de polémique, alors que ce sont des mesures qui protègent notre armée qui agira dans la légalité… ».

Le renvoi de l’armée à la légalité représente la question clé et ne répond nullement à l’évidence dont se prévaut l’auteur de la nouvelle mouture constitutionnelle. Le sujet est tellement vaste qu’il englobe le rapport au droit de l’armée face à toutes les institutions. Il met au devant de la scène l’armée parce qu’elle est la source de toutes les pathologies juridiques. C’est pour cela que le commentaire sur la révision constitutionnelle est frappé de suspicion légitime. En effet, il s’avère inutile de commenter des dispositions constitutionnelles qui ne correspondent aucunement à la réalité des pouvoirs, à leurs prérogatives et au fonctionnement inscrits dans le texte. Il faut toujours se rappeler la fragilité de ce dernier dans ses confrontations avec la brutalité des détenteurs de la puissance militaire.

La variété des commentaires techniques, écartant un examen sérieux sur le sort de la Constitution face à l’armée et à la problématique de la souveraineté, alimente la crédibilité de l’entreprise de légitimation en cours. Domestiquant l’espace médiatique, l’entreprise de légitimation organisée est en mesure d’exercer une puissante attraction sur des échanges d’opinion détournés de leur objet de départ.

Tout commentaire technique sur les différents pouvoirs n’aurait servi qu’à entretenir l’illusion sur un échafaudage qui est défait dès que l’on s’intéresse de près au fonctionnement de chaque institution en la mettant devant les phases déterminantes, celles de son rapport face à des hauts gradés de l’armée.

Disserter sur la nature du régime présidentiel ou parlementaire, du présidentialisme algérien, ne fait qu’introduire des catégories du constitutionnalisme théorique ne répondant à aucune pertinence en terme de résonance « locale ». L’irruption de l’armée en tous domaines rend les spéculations courantes inopérantes. Le bénéfice de spéculations éventuelles sur le contenu de la Constitution ira en définitive à l’armée qui, expulsée du champ de la réflexion, engrange à son profit une perception fausse, étriquée, frappée d’une autocensure de pratique courante. C’est ce qui permet aux forces du commandement militaire de régner sur un ensemble institutionnel de façade. Derrière les apparences institutionnelles constitutionnalisées règne une armée absente de la Constitution mais détenant les clés de tout le système.

Agissant en souverain, le militaire décompose et anéantit toute institution. La puissance par laquelle il s’impose dans le domaine institutionnel est dictée par sa rapacité sur le plan économique. Les richesses nationales, à commencer par les hydrocarbures et les terres agricoles, sont l’objet de privilèges d’attribution que les seigneurs de l’armée se partagent et font fructifier selon leurs intérêts, ceux de leur famille ou de leur clientèle. Maîtres tout puissants qui à tout moment peuvent actionner des moyens de coercition, les dizaines de généraux régnants se considèrent à bon droit titulaires de privilèges que leur confère la souveraineté. Le militaire détruit le mécanisme institutionnel, substituant sa loi aux règles présumées du droit. En effet, le privilège s’accompagne de l’immunité garantie par l’entente et la solidarité des chefs. La référence aux lois et règlements est réduite à une source de projectiles éventuels dans laquelle ils puisent pour neutraliser la témérité de civils imprudents ou la concurrence agressive de compagnons d’armes outrepassant les normes internes.

Si l’armée s’arroge le pouvoir de choisir le chef de l’État et d’en faire un président de la République, elle détient, a fortiori, celui de pourvoir aux nominations qui comptent dans l’ossature de l’État. Gouvernement, ministères, Conseil constitutionnel, Cour suprême, cours et tribunaux, Conseil d’État, Cour des comptes, services de police et services secrets, n’échappent ni à ses préférences ni à son veto.

Dès lors que l’armée désigne le président de la République, la Constitution doit faire l’objet d’une autre lecture, hors texte. On peut donc soutenir que la disposition fondamentale de la Constitution qui fait défaut au texte serait celle-ci : le président de la République est choisi au sein d’un collège comprenant les membres de l’état-major de l’ANP, les directeurs du renseignement et les chefs des régions militaires qui veille au bon déroulement de son élection.

En se choisissant un président de la République, l’armée a donc un droit de regard sur tous les pouvoirs de sa fonction. La cohérence de l’ensemble commande donc que l’armée veille à la docilité des députés, des sénateurs, ainsi qu’à celle des partis politiques, des franges de la « société civile » mobilisables, des associations… Les droits et libertés feraient également l’objet des correctifs en coordination avec l’ensemble. En définitive, la Constitution dans le texte sert à masquer la Constitution qui fonctionne dans les faits, celle du bon-vouloir des généraux de l’état-major et de leurs suites. À cette Constitution, il faut un peuple/objet qui s’accorde au tout. Ce commentaire peu orthodoxe renvoie à notre préoccupation de départ : faut-il commenter la nouvelle formule constitutionnelle ?
Sans renvoi à la Constitution de fait, le commentaire ne sert à rien d’autre qu’à contribuer à faire croire à la pertinence d’un échafaudage sans fondations. Ce serait conforter le jeu politique dans ses dimensions mensongères et contribuer à sa permanence.

La fin du règne de A. Bouteflika a déchiré le voile sur un système bâti sur l’appropriation des structures de l’État en parallèle avec l’appropriation des richesses nationales. Il faut une force pénétrée de son extrême puissance pour réaliser une telle confiscation. Le pillage de l’économie et des finances, protégé par une privatisation de la justice, atteste de l’imbrication entre la force armée et les compétences chargées en théorie de veiller au bon fonctionnement des services publics. Comment expliquer autrement qu’un Tayeb Louh puisse faire du ministère de la justice son bien propre ? Le cas est extensible aux autres ministères et à leurs structures subalternes.

Les éléments d’information qui nous parviennent sur la confrontation des juridictions avec le droit témoignent des difficultés à saisir les formes et la matérialité d’un ordre juridique volatile. Schématisé dans le texte, il s’évanouit derrière les contraintes d’un ordre extra-juridique. Si la justice est pourvu en magistrats, elle reste orpheline de juges. En effet, au juge qui devrait dire le droit, soucieux d’en juguler les pathologies, attentif aux souffrances et demandes sociales, se substitue le magistrat effacé derrière le devoir d’obéissance à des puissances qui rendent virtuel le rapport à la loi, selon le modèle de la virtualité constitutionnelle. Le juge n’existe pas car les liens qui le rattachent à la loi passent par une interprétation préalable ouvragée ailleurs, en dehors de la hiérarchie des juridictions. Maillon de la chaîne des donneurs d’ordre, le magistrat est prisonnier des impératifs de carrière. À force de pression, il se déleste de sa conscience et finit par partager le réflexe du policier, cet autre lui même qui veille sur son avenir. Le juge peut ainsi se soustraire à la loi, la contredire, l’ignorer ou la violer en accord avec les ajustements commandés par l’ordre dominant.

À cet égard, le troc auquel se sont prêtés les experts en remplaçant le Conseil constitutionnel par la Cour constitutionnelle ne fera pas de celle-ci un juge constitutionnel : la magie des titres et des qualifications sans renvoi au titulaire réel de la souveraineté ne suffira pas à inventer un organe juridictionnel capable de dire le droit sinon celui de ses maîtres. Cette Cour constitutionnelle restera un lieu de consécration au même titre que d’autres structures institutionnelles où se fidélise une clientèle de juristes. Elle ne sera nullement un espace de nature à inspirer et produire un quelconque diagnostic du droit. Au même titre que les magistrats des autres juridictions, le juge constitutionnel sera un conseiller suffisamment discipliné pour savoir comment préserver l’ordre extra juridique et le substituer à un ordre juridique sans consistance procédurale.

Le circuit des illégitimités, des généraux de l’état-major aux juristes experts, évacue le dispositif normatif en faisant accréditer un ordre juridique introuvable. L’examen de la légitimation mutuelle entre militaires et juristes est soustrait aux confrontations avec des opinions dissidentes que des méthodes extra académiques obligent souvent au silence. En effet, l’université a toujours vécu avec un cordon préventif qui ferme l’accès de la recherche aux investigations sur le rôle politique de l’armée et ses conséquences sur l’ordre juridique. Cette censure accentue l’opacité qui entoure la double usurpation de légitimité : celle des experts et celle des militaires. Le savant est consacré par un académisme protégé, les généraux de l’état-major sont soustraits à l’ordre juridique par des juristes qui font croire à l’effectivité de ce dernier en fabriquant des faux constitutionnels. Cette perception du rapport de l’armée à la Constitution est largement dédaignée par les juristes probablement à cause de ses nombreuses implications. Mohamed Boussoumah a été l’un des rares à s’en approcher, précautionneusement et trop allusivement, dans sa prudente « parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 à 1998 ». L’ouvrage, publié par l’OPU (Alger, 2005, 456 pages) méritait une forme plus attrayante que celle d’un modeste cahier rappelant la grisaille de cours polycopiés.

Les élections présidentielles du 12 décembre 2019 ont obéi à l’urgence et à la nécessité pour protéger et tenter d’affermir un système chancelant. Les procédures recensées montrent qu’elles obéissent toutes à cette fin. L’année 2019 a retenti de ce cri du peuple récupérant sa souveraineté en refusant d’être ce consentant/absent d’un constitutionnalisme militarisé. Derrière la dénonciation des « Bandes » -« ‘Issabat » au pouvoir, le mouvement populaire a révélé le circuit des illégitimités dont le dispositif normatif est évacué au profit d’une captation généralisée de tous les centres de décision politique. Les experts es Constitution ont été appelés pour colmater les avaries. Partie prenante d’un système, ils ne peuvent que s’employer à le sauver, se persuadant, en tentant de le faire croire, qu’ils sont les accoucheurs de cette nouvelle république dont rêve le Hirak.

Une autre disposition introduite par les experts, l’article 24 est ainsi libellé : « Les pouvoirs publics sont tenus en toutes circonstances de respecter et de faire respecter la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques, et de veiller à ce que la législation ainsi que la réglementation garantissent la transparence et ne contiennent pas des dispositions de nature à favoriser la corruption ».

Ce texte qui pourrait être lu comme une réponse relayant un des slogans du mouvement populaire sur les dénonciations de la corruption est un travail d’orfèvre. Il retient l’attention pour plusieurs raisons. Il suggère qu’il est pris acte de l’étendue de la corruption et s’offre de la combattre en constitutionnalisant la prévention qu’il jumelle avec la pratique de la bonne gouvernance. Sous les apparences d’une concession au mouvement populaire, cette disposition est un aveu sur l’imbrication gouvernants/corruption et gouvernance/arbitraire.

L’essence de la Constitution ne suffisait pas à faire des pouvoirs publics des autorités légiférant contre la corruption et l’arbitraire gouvernant. Il fallait une disposition particulière. En outre, dire que les pouvoirs publics doivent respecter et faire respecter la bonne gouvernance est une formulation renvoyant au vœu pieux de respect des lois. Plus généralement, il s’agit de se conformer à l’ordre juridique présumé à partir de la Constitution. Arriver à ce stade, c’est tout simplement reconnaître que la Constitution n’a aucune chance de correspondre à l’ordre juridique qu’elle met en place, d’autant plus que la source de l’arbitraire gouvernant et de la corruption détient le pouvoir suprême qui modèle l’ossature des pouvoirs publics.

Soustraite aux obligations de l’article 24 puisqu’elle commande à la Constitution, l’armée la recompose à partir de ses immunités. En effet, le cercle de la corruption déroule ses effets des lieux de commandement, de la défense et de l’administration militaire vers l’administration générale, les finances publiques et l’économie. Cet article n’est qu’un filet protecteur renvoyant éventuellement ses implications sur le personnel de conception et d’exécution désigné par les militaires.

De notre interrogation de départ, il ressort qu’un pouvoir illégitime dont témoigne l’arbitraire procédural imposé par étapes, usurpe les représentations et les fonctions (exécutive, législative, judiciaire) au profit d’une caste de généraux. Il entend se perpétuer par le recours à une diversion constitutionnelle derrière la symbolique que véhiculerait la référence au droit. Si on doit la commenter, la Constitution orientera le regard vers les pouvoirs masqués de l’absent : l’aréopage militaire. Absent du texte, il s’empare de sa réception sur le terrain et en façonne les pouvoirs à ses convenances. Confisquant les attributs de la souveraineté et les libertés nécessaires à son expression, l’aréopage militaire bride le suffrage universel, brandissant la menace terroriste assortie de la mise en garde sécuritaire.

Nul ne saurait ignorer à quel point l’armée a pesé sur l’orientation politique et sociale du pays, élargissant progressivement ses privilèges économiques et sociaux répartis à l’intérieur de ses hiérarchies. Parallèlement, le bastion de ses immunités ignore, avec l’arrogance des puissants, toutes les frontières de la loi et de la morale. L’aréopage militaire qui comprend les officiers généraux de l’état-major, des chefs de régions militaires et des différents services du renseignement et de la police politique et militaire, se concilie officiers supérieurs et officiers du rang, quand il ne les tient pas en respect, sous étroite surveillance. Quant à la troupe, on imagine mal qu’elle ait son mot à dire, ligotée par les liens de subordination et d’obéissance. Les généraux, maîtres d’un pouvoir usurpé, jouissent de l’intérieur de l’armée d’une double protection : celle de l’esprit de corps et celle de l’appartenance sociale à un corps dont les privilèges ne plafonnent pas uniquement chez les généraux du règne. Tous les officiers généraux, comme les officiers supérieurs et les officiers du rang, bénéficient, par ricochets, de privilèges à hauteur de leur place dans la hiérarchie. Les avantages matériels et les immunités diverses que procure l’appartenance sociale ont jusque là cimenté la cohésion de l’armée, profitable au haut commandement. Le résultat se chiffre en de multiples régressions, bloquant toute dynamique de progrès social, économique et culturel.

Le sursaut patriotique venu du Hirak exprime pacifiquement la restitution du pouvoir souverain au peuple en mettant l’État sous le contrôle des lois civiles. Telle est la base d’un pacte social renvoyant l’armée à son rôle de défense du territoire et de l’indépendance nationale. Conscient d’avoir été dépossédé de cette dernière, le peuple en réclame la restitution à travers des images qui, au-delà de leur part de naïveté, expriment la prise de conscience historique saccagée durablement par des falsifications de l’histoire de la guerre de libération et de ses acquis. La variété et la pertinence des slogans traduisent, dans la rue, les têtes de chapitre de la Constitution légitime expurgée des procédés arbitraires. Les manifestations populaires font l’objet d’un dénigrement orchestré par les services de sécurité pourchassant et kidnappant les figures charismatiques influentes du Hirak. Revendiquant un État civil, le mouvement populaire civilise constitutionnellement le pouvoir et l’armée, leur conférant une dignité les arrachant à une caste hiérarchisée selon la loi des prédations économiques et sociales.

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En déchirant le voile derrière lequel s’est construit l’arbitraire usurpateur du pouvoir souverain, le Hirak aura diffusé la nécessité de la distinction entre façade constitutionnelle et réalité politique et extra constitutionnelle. L’impératif fondamental se résume dans la soumission de l’armée et de tous les services secrets et de police au contrôle du peuple souverain et à ses lois. Ainsi, le peuple dans sa diversité sociale ouvre la voie à la gestion du pouvoir par le droit. La Constitution sera alors en mesure d’accueillir des commentaires d’une autre envergure : celle qui donne leur sens au contrôle du pouvoir et des garanties contre ses abus.