Appel au rassemblement des intellectuels algériens pour le retour à la paix civile
« Les massacres que la population civile subit en Algérie sont accablants. Ils obstruent l’avenir en enfermant la population dans la logique atroce de la loi du talion avec ses surenchères et hypothèquent lourdement la nécessaire construction de l’esprit de tolérance, d’acceptation de la pluralité de pensée et de l’alternance politique. Le défi aujourd’hui, en Algérie, le seul qui mérite d’être relevé, c’est l’arrêt immédiat des massacres et la conquête de la paix civile. Les intellectuels sont, au premier chef, concernés par ce défi. Les intellectuels algériens n’ont pas, depuis l’indépendance, su (ou pu) représenter une force. Cela est dû à des raisons objectives inhérentes au système politique qui a prévalu et les a marginalisés quand il ne parvenait pas à les instrumentaliser en exploitant leur désir de faire accéder l’Algérie à un monde nouveau. Il est temps pour nous tous d’apprendre à nous regarder, à nous reconnaître tels que nous sommes et à nous accepter les uns les autres. Le bilan du désastre nous enjoint, sans doute plus qu’auparavant, d’assumer notre responsabilité spécifique. Il nous incombe d’en administrer la preuve par la défense univoque du droit à la vie et par la reconnaissance des droits élémentaires de la personne humaine. Ces droits ne sauraient être sacrifiés aux choix politiques ou idéologiques de chacun. Il est temps pour nous tous, d’affirmer, face à tous les pouvoirs que les algériens ont droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de leur personne , conformément à l’article 3 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme. Ce droit est soustrait, comme principe absolu, à toute forme de choix ou d’appartenance politique qui n’a vocation à s’appliquer qu’une fois assuré le droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sûreté. Si le jeu politique et les enjeux de prise de pouvoir cultivent le cynisme, faisant chaque jour reculer les frontières de l’horreur, il est grand temps de partir de la société et d’exiger qu’il soit mis fin aux assassinats d’où qu’ils viennent et quelles qu’en soient les victimes. Il est temps de rappeler au pouvoir en place et aux candidats au pouvoir qu’ils sont tous comptables, faute de paix civile, des massacres quotidiens. Le gouvernement et l’armée, les groupes islamistes armés et leurs commanditaires politiques, les partis politiques, les organisations syndicales ou associatives doivent tous savoir que leurs actes seront évalués, par nous, à l’aune de cet impératif : la cessation des tueries et le retour à la paix civile« .
Cet « Appel » fruit d’un compromis rédactionnel difficile avec Nadjat Khadda (nos points de vue respectifs étant fort éloignés) est repris dans son intégralité par le quotidien La Tribune le 15 août 1995 avec le sur-titre « Après un long et inquiétant silence, les intellectuels algériens réagissent collectivement face à la dégradation de la situation sécuritaire et au blocage politique ». La liste des « premiers signataires » est reprise partiellement : Nadjat Khadda, El Hadi Chalabi, Tassadit Yacine, Mohammed Harbi, Khaoula Taleb Ibrahimi, Lahouari Addi, Daho Djerbal, Saoudi Abdelaziz, Khaled Satour, Nassima Boughrara, Rachid Yafsah, Noureddine Saadi, Dalila Morsly, Ahmed Mahiou, Mohamed Ghalem, Djamel Grid, Fatiha Lacheraf, Yahia Djaafri, Meriem Kandsi, Rachid Aït Sidhoum, Nadir Boumaza, Chadli Daoud, Mourad Bourboune, Abdelmalek Sayad, Ahmed Garadi, Yacine Soltani, Amar Amadi, Abdelkrim Kadri, Ahmed Aïssi, Abderrahmane Arab, Omar Derras, Malika Abdelaziz, Aïcha Touati, Ali Habib, Fatima-Zohra Sebaâ, Rabaf Sebaâ, Saliha Benabdelmoumen, Nafissa Bedaïria…
Le 16 août 1995, Abdelkrim Ghezali revient sur le sujet et titre « Dans leur appel au rassemblement pour la paix civile – Les intellectuels assument leurs responsabilités et exigent l’arrêt de l’effusion de sang » : « …Cet appel qui jaillit de la raison et du cœur , jeté à la face de tous les responsables directs ou indirects du chaos qui menace le pays, est digne, malgré son retard, d’être la charte de tous les Algériens. Les pouvoirs publics et l’opposition doivent l’écouter tant que les chances d’un compromis, d’un consensus et d’une solution sont possibles… ».