-LE SORT DES DROITS DE L’HOMME AU M’ZAB – L’INCENDIAIRE ET LE POMPIER PYROMANE

 « Guerre d’usure », « apartheid », « tribunaux d’inquisition », « immigration forcée » (avec ici une erreur du traducteur ou de l’auteur du texte car il s’agirait logiquement d’« émigration » ), « épuration ethnique » : la lettre adressée par Kameleddine Fekhar au secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon « et à tous les présidents des États démocratiques », (Tabrat.info, 3 juillet 2015)ne suscite pas seulement de la perplexité et de l’indignation. Elle appelle en réponse une dénonciation claire à la mesure des propos mensongers dont elle est truffée, assortis de faux en matière historique, de sollicitations abusives de notions et d’une lecture de la violence qui, sous prétexte de dénoncer les agissements du pouvoir ne fait que la nourrir en étant son prolongement. En ce sens, le langage politique clamant la fin et l’extermination du « peuple mozabite » n’est que la reproduction des procédés d’un régime que l’on prétend mettre au banc des accusés. Ainsi lui sont fournis les matériaux pour se maintenir en accusateur, faiseur d’ordre et garant d’avenir.

Le vocabulaire utilisé pour décrire la situation au M’zab est en soi porteur d’une violence infinie dans la mesure où il entretient le recours aux affrontements et à leur poursuite, cultivant le propos du propagandiste soucieux avant tout des objectifs de partition territoriale et de décomposition nationale. La terminologie utilisée est un tout grossier qui rappelle la méthode de l’incendiaire amassant son combustible et mettant en scène son autre lui-même, dont il est l’émanation, le pompier pyromane travesti en homme politique, militaire, policier ou gendarme, sous couvert de l’autorité de l’État. Par le jeu généralisé des manipulations et des impostures, les droits de l’homme et les libertés publiques, le droit à la vie et à la sûreté sont versés dans l’entretien du brasier. Face à une société politiquement infantilisée, les protagonistes demeurent à l’abri de toute interpellation organisée.

Nous reprendrons successivement les principaux passages de la lettre en cause pour en extraire le contenu et le faux dont il est fait usage au regard des réalités politiques, juridiques et sociologiques dans une Algérie saisie au sein d’un monde sollicité comme juge universel.

1) Soulignons d’abord en guise de préliminaire cette adresse infligée au bon sens politique sur le plan mondial lorsqu’on lit « À monsieur Ban Ki-Moon Le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et à tous les présidents des États démocratiques ». Depuis 1991 et la guerre faite à l’Irak, l’ONU est devenue une machine de démantèlement des nations sous la poigne des empires américano-européens. Toujours prêts à évaluer l’état des libertés et des droits de l’homme chez les peuples, nations et États catalogués sous forme de proie, ils inscrivent en face de leur tableau de chasse leur savoir-faire en matière de massacres, tortures, assassinats et s’octroient le modèle démocratique auquel les États qui se plient à leurs injonctions ne cessent de se référer en le célébrant. Tout comme ces intellectuels qui y puisent la source de leur reconnaissance et de leur consécration. Tout comme ces hommes politiques qui se sentent en devenir sous couvert de conclaves annonciateurs de tragédies masquées par la phraséologie sur les droits humains et portées par les promesses de soutiens annonciateurs d’une protection future. Ainsi en est-il de Kameleddine Fekhar qui se prosterne devant « des États démocratiques » dont il serait judicieux de faire l’inventaire et le bilan à partir de leurs propres lois et pratiques politiques. Là où est né l’État de droit, que l’on ne manque jamais d’encenser, sous prétexte de terrorisme à l’évidence bienvenu, on institutionnalise l’impunité policière, la légitimation de la torture et les assassinats préventifs. Mais peu importe, puisque la qualification du couple État de droit-démocratie est authentifiée par des chefs autoproclamés qui en appellent à leur puissance protectrice.

2) Le M’zab et le peuple « At M’zab » ne fait pas partie d’un ensemble national et territorial algérien, il est l’objet d’une colonisation. C’est ce qui ressort des conclusions délivrées par la lettre aux instances onusiennes et démocratiques : « At M’zab le peuple autochtone amazighe ethniquement et culturellement habite depuis la nuit des temps dans le territoire du M’zab riche en pétrole et en gaz…At M’zab, un  peuple pacifique, tolérant et épris de travail, a vécu dignement et en paix dans les territoires de ses ancêtres jusqu’en 1962 la date de la prise de pouvoir en Algérie fraîchement indépendante par un régime dictatorial policier qui a comme ligne politique l’idéologie raciste et fasciste de « nationalisme arabe »… Depuis cette date, 1962, la minorité Mozabite subit les crimes de l’apartheid et de l’épuration ethnique, sans relâche et inlassablement par le pouvoir algérien en place en raison de leur identité Mozabite, Amazighe Ibadite « non arabe et non sunnite ». En violation des lois nationales et des conventions et pactes internationaux et sans aucun respect aux normes morales ni aux valeurs d’un État moderne et démocratique, qui obligent et imposent le respect des droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales… Le début a commencé par la spoliation de leurs terrains de différentes manières et sous différents prétextes. Dans un second temps le pouvoir algérien a transféré des milliers d’arabes nomades et autres dans les terrains mozabites confisqués dans un but d’épuration ethnique par dilution de la minorité Mozabite dans la majorité démographique arabe » : la sacralisation de la pureté ethnique, fondement de l’action politique ainsi exprimée, appelle les références voisines de pureté de la race, de la religion et l’appropriation de l’espace territorial. Une telle appropriation est opposée à toute autre présence considérée comme une pénétration envahissante. L’illégitimité d’une telle pénétration commande de chasser l’envahisseur. Autrement dit, c’est une formulation adaptée de la fameuse théorie de l’espace vital sous forme non pas d’extension mais de barrière à ne pas franchir opposée aux non mozabites, arabes, nomades. Cette approche consacre donc le droit exclusif de premier occupant par rapport à d’autres nationaux et établit le règne du droit préférentiel pour les Mozabites au M’zab. Le droit préférentiel posé comme principe de base engendre des droits fondés sur la discrimination en toute matière : habitat, soins, travail, scolarisation, périmètre de circulation mettant en cause notamment les libertés d’aller et de venir. Cela suppose que le M’zab ne fait pas partie de l’ensemble territorial et national. La démarche s’inscrit nettement dans des perspectives sécessionnistes revendiquant la souveraineté sur les richesses (pétrole et gaz) de la région en offrant aux puissances impériales des appuis sur le « minoritarisme » ethnico – confessionnel.

Le raccourci historique faisant de « At M’zab un peuple pacifique, tolérant et épris de travail [qui] a vécu dignement et en paix jusqu’en 1962… » laisse supposer que le M’zab n’a pas été partie prenante des luttes anticolonialistes et réduit  la présence française à une cohabitation pacifique. Ce qui non seulement est faux mais fournit des arguments au pompier pyromane. Cette dérive provocatrice propre à engendrer des violences criminelles fait de la xénophobie la valeur la mieux partagée du M’zab. Cela conduit au déchaînement de tous les extrêmes sur la base de mensonges appelant à l’affrontement alors que les besoins de la région se comptabilisent en devoir d’apaisement et de fraternité.

Le regard sur l’Algérie de 1962 amarrée sans nuance au régime tel qu’il s’est peu à peu fortifié depuis, manque pour le moins de crédibilité, ignorant le processus historique ayant conduit aux qualifications qui sont la marque du régime aujourd’hui. Cela laisse penser que le M’zab est extérieur aux innombrables secousses ayant marqué l’histoire politique nationale. En outre, présenter en les opposant arabes sunnites et mozabites ibadhites en attribuant respectivement les tares aux uns et les qualités aux autres, selon l’exercice type de l’ethnologie coloniale, s’apparente à cette perversité propre à cultiver l’ignorance, l’archaïsme et les falsifications de tous ordres. Or, la dictature de l’oligarchie militaire est la résultante de toutes les composantes régionales et ethniques. Le pouvoir y a puisé sa vigueur en recrutant ses généraux, ses tortionnaires, ses affairistes, ses policiers, ses gendarmes, ses ministres et députés, ses innombrables conseillers, en tous points du territoire, Est-Ouest-Nord-Sud.

Quant à « l’idéologie raciste et fasciste de nationalisme arabe depuis 1962 », elle révèle chez son auteur un sens de l’opportunisme espérant par la formule qui fait jonction avec les bases idéologiques de l’interventionnisme militaire à l’œuvre au Maghreb et au Proche Orient, de se tailler des maîtres à la mesure de ses rêves d’allégeance.

3) La violence à laquelle se réfère Fekhar de manière exclusive sur le M’zab est une donnée constante exercée sur tous les Algériens avec des hauts et des bas sur l’ensemble du territoire. Nous pouvons parler de turn-over de l’horreur, spécificité d’un régime qui ne conçoit l’État que comme appareil de sa propre durée au gré de ses intérêts. Dans toutes les régions, les Algériens ont vécu/subi et continuent à subir la violence multiforme. Soumis au régime du non-droit, des violences constitutionnelles et judiciaires, ils ne s’en accommodent que par le jeu des clientèles et de l’usure quotidienne.

À elles seules les années quatre-vingt- dix et leur cortège d’exécutions, massacres, tortures, disparitions, faisant environ deux cent mille victimes sous l’empire d’une impunité pénalement protégée, qualifient largement le rapport de l’État à la violence à l’égard de sa population sur tout le territoire et pose cruellement la question du rapport à la nation. Ces faits dévastateurs ne cessent d’interpeller toutes les politiques juridiques et les consciences soigneusement tapies au fond du labyrinthe de corps n’ayant de constitués que leur vénalité. Cette histoire récente soigneusement bannie de tout enseignement est superbement ignorée par Fekhar. Elle en révèle la vanité infinie dans la mesure où l’arbitraire et sa dénonciation sont circonscrits au périmètre mozabite.

Les événements qui endeuillent le M’zab tout au long des années deux-mille, s’ils n’échappent pas à une spécificité de traitement, ne s’insèrent pas moins dans un dispositif qui fait de l’État et de ses forces de répression, y compris judiciaires, les instigateurs d’un processus qui vise à la déstabilisation par une diversion criminelle tendant à l’absorption de tous les déficits dont l’État est porteur, à commencer par le déficit de légitimité.

Profiter d’un tel contexte pour ériger la communauté ibadhite de la vallée du M’zab en minorité ethnique, religieuse et culturelle, avec des prétentions territoriales exclusives, voire de souveraineté, en appelant à des instances internationales dont on connaît le jeu méthodiquement orchestré par les puissances impériales dans la reconfiguration géopolitique du monde, procède de la collusion criminelle avec toutes les violences internes et externes.

4) À de multiples reprises, nous avons soutenu – et nous continuerons à le faire – les Algériens ibadhites poursuivis et condamnés injustement en violation des règles élémentaires de protection des droits et libertés. En ce sens, nous soutenons Kameleddine Fekhar dans la défense de ses droits et libertés  face au traitement d’une justice policière aussi incendiaire que ses propos mensongers, outranciers, qui mettent au cœur de sa stratégie la xénophobie et le délitement national. Les soutiens répétés apportés dans le passé à Kameleddine Fekhar, tout comme aujourd’hui, n’expriment rien d’autre que le refus de l’arbitraire et la résistance à l’oppression dont est victime le peuple algérien en toutes ses parties et en tous points du territoire. La démarche sécessionniste est condamnable et doit être combattue. D’où la nécessité de dénoncer et d’isoler politiquement Fekhar. En ce sens nous nous solidarisons avec tous ceux qui s’inscrivent dans cette urgente nécessité. Produit du régime, dont il sait adapter les techniques de propagande mensongère et provocatrice, il peut aussi en être la victime. Tel Hichem Abboud, transfuge de la sécurité militaire, qui en appelle à une mobilisation internationale pour la libération de Kameleddine Fekhar. Notable fortuné, ce dernier peut ériger privativement une mosquée en cénacle où il diffuse à quelques dizaines de fidèles ce qu’il considère comme ses « idées politiques ». Le clientélisme en est le premier véhicule rassembleur. Le culte du chef coiffé de l’archaïsme ambiant suffit à lui assurer fidélité, crédulité et violence réparatrice, activant les réflexes d’autodéfense chez une minorité menacée. Les fidèles enregistrent sous la foi de l’ignorance, une lecture de la constitution et de la justice tour à tour sacralisées en compagnie de la loi. Elles sont brandies selon la solennité en usage chez les thuriféraires du tyran pour dénoncer les violations spécifiques dont elles font l’objet en direction des Ibadhites, du peuple mozabite. Devançant l’émergence d’une citoyenneté toujours problématique, Fekhar développe la fracture citoyenne dans toutes ses dimensions en laissant croire que constitution et lois sont respectées ailleurs en Algérie, à l’exception du M’zab.

L’appel au droit préférentiel d’occupation du sol et ses conséquences économiques fait l’objet d’une « expérimentation » depuis plus d’une année, avec les événements de 2013-2014. Entretenant le climat de violence, l’idée de droit préférentiel a scellé le compartimentage des espaces à Ghardaïa, traçant d’insolites et révoltantes frontières dans l’ensemble urbain. Les forains arabes qui étaient installés sur la place du célèbre souk n’ont plus droit de cité, chassés  sous la menace de l’incendie de leurs biens et de l’agression physique. Ils se sont dispersés dans des quartiers accueillants de Thenia, Aïn Lobo, Hadj Messaoud… Les chauffeurs de taxi de la ville ne desservent plus que les quartiers où ils s’estiment en sécurité. Ils refusent de s’aventurer vers La Cité, El Korti, Souk Lahtab, Chaâbat Ennichen. Chaque communauté revendique le regroupement sur ses espaces, entraînant ipso facto la répression sur tout contrevenant. Depuis deux ans environ, Ghardaïa est une ville aux quartiers ethniquement « territorialisés » en appartenances respectives, opposées et belliqueuses. Le pouvoir y trouve son compte en tentant d’apparaître comme le détenteur du maintien d’un ordre synonyme de décomposition nationale. L’incendiaire aura conforté le pyromane dans sa mission de pompier.

Kameleddine Fekhar se présente comme un dirigeant de l’organisation des droits de l’homme au M’zab, conduisant avec d’autres le bureau de Ghardaïa. Les envolées auxquelles se livrent des porte-parole des droits de l’homme (Salah Debbouze, Fatiha Rahmouni) prêtent main forte aux tentatives de décomposition nationale, confondant délibérément la défense des droits et libertés avec les entreprises sécessionnistes accrochées à des empires dont les crimes ne cessent de s’accumuler sous la protection d’un droit international taillé à la mesure de leur puissance. En Algérie, toutes les organisations des droits de l’homme, décomposées par l’effet de leur propre action sur elles-mêmes, ont depuis longtemps montré qu’elles n’ont que peu de lien avec le souci de défense des droits élémentaires des Algériens : atomisées en chefferies coiffées de leaders professionnalisés dans l’instrumentalisation des droits, ils confondent ceux-ci avec la prospérité financière de leur cabinet jumelée à une notoriété cotée en affaires au sein d’instances idouanes. Elles se sont condamnées à osciller, en compagnie des fausses oppositions politiques, en s’accommodant de l’arbitraire quotidien. Au mieux, se contentent-elles d’en gérer la comptabilité. De telles organisations apportent leur savoir nourricier à la fois au pouvoir auxquelles elles sont affiliées et à des formes d’opposition qui en assurent le renouvellement.

Depuis une quinzaine d’années la vallée du M’zab est érigée en laboratoire de décomposition de la conscience nationale, succédant en droite ligne aux années de guerre civile. Le terrain des confrontations soigneusement miné pour être peuplé de faiseurs d’ordre, de provocateurs tenus en laisse et d’oppositions chancelantes sans prise sur la société reste la marque déterminante du maître des lieux, l’État des oligarques. Il devient patent que ce dernier ne saurait vivre sans ces fortifications régénératrices. Le recours aux puissances extérieures ne constitue ni une menace, ni une gêne. Il est la marque banalisée du succès stratégique d’un régime qui sait se créer son contre-pouvoir.