ANNEXES À NAQD
SOURCE ET ENJEU DE POUVOIR

NAQD a suscité des échanges du fait de la gestion Djerbal-Harbi : l’un assumant la direction au grand jour, l’autre une fonction patrimoniale comme gardien d’un ordre intellectuel conforme à ses penchants politiciens. Les courriers retenus ici permettent de reconstituer, au moins en partie, le climat et les orientations dominantes.

NB : les précisions, portant notamment sur les noms propres, entre crochets, sont de notre initiative.

NAQD ALGER le 13 septembre 1998 –[Daho Djerbal]

Chers amis, (Lemnaouer [Merrouche], Mohammed [Harbi], Hocine[Zehouane], El Hadi [Chalabi], Zoubir [Arous], Nacer[Djabi], Boussad [Ouadi])

Extraits  

Comme vous le savez, le numéro 11 vient de sortir et, comme vous l’avez constaté, il constitue sur le plan technique ce que l’on pourrait qualifier de ratage. Je tiens tout de suite à dire que cela constitue pour moi une énorme déception qui pèse sur mes épaules d’un poids aussi lourd que les reproches qui m’avaient été adressés quant au contenu de la lettre de la rédaction du numéro 10.

J’ai pris le temps de laisser passer le premier choc pour m’exprimer aussi objectivement que possible et sans état d’âme sur les facteurs qui ont fait que ce numéro n’ait pas été aussi bien maîtrisé que les précédents.

Au lieu de poursuivre dans le sens de l’amélioration de la forme et du contenu comme cela a été le cas de la plupart des numéros, ce numéro 11 semble sonner comme un coup de semonce sinon le glas d’une gestion amateuriste et désuète. Il atteste encore une fois que nous ne pouvons plus (matériellement) poursuivre notre expérience éditoriale dans les formes et avec les moyens (humains) sur lesquels nous nous sommes appuyés jusque là.

Une maîtrise technique aléatoire

Vous vous souvenez qu’après le départ de notre première collaboratrice (Christine), il a été difficile de trouver un maquettiste et un spécialiste de la mise en page. Nous avions pu sortir malgré tout les numéros 6 et 7 avec une petite boîte de laquelle Boussad et moi avions pu tirer le maximum, en particulier une nouvelle maquette pour un format plus réduit.

Cette boîte qui a fermé sans prévenir a emporté avec elle l’expérience accumulée ainsi que les personnels de maîtrise. Nous avons dû, pour le numéro 8/9 revenir à la case départ et compter sur l’amicale collaboration (à distance) de Christine.

Pour le numéro 10, il nous a fallu presque en venir au conflit avec une petite boîte de prestation de service en reprographie et maquette (Ecosystem) avant de trouver un excellent technicien travaillant pour le compte de Casbah Édition. Les textes étaient déjà saisis et corrigés (en arabe comme en français) par des personnes rémunérées et supervisées avant le « bon à tirer » par Nacer [Djabi] et Zoubir [Arous]. Il faut rappeler que les textes en arabe étaient tirés sur papier en lettres d’imprimerie et qu’il a fallu malgré cela 3 passages des correcteurs pour les expurger des fautes de saisie. L’autre chance c’est d’avoir bénéficié de l’assistance de l’excellent maquettiste Teffahi qui nous a offert la couverture.

Pour le numéro 11, tout à nouveau était à refaire : le maquettiste Malik a dû quitter Casbah Édition pour des raisons de santé. Il est parti pour l’étranger sans laisser d’adresse. Teffahi a quitté la boîte où il travaillait et je n’avais plus son contact. Boussad aussi a dû partir pour des raisons professionnelles et familiales.

J’ai donc pensé que le mieux était de confier le travail de mise en page (arabe-français) à la boîte de Oustani (Image) car j’avais l’avantage de l’unité de lieu et de l’unité du process (maquette-mise en page-jaquette-flashage-impression). Pour moi c’était plus pratique du fait que je n’avais pas à sillonner Alger de bout en bout en comptant uniquement sur les transports privés (taxis et autres mini-bus).

Pour la correction j’ai confié le travail à Dalila [Iamarène-Djerbal], pour le français, et par une prof d’arabe (voisine de pallier) (sic) pour la partie arabe. Il faut rappeler qu’après la lettre de mai où je faisais le point du numéro, d’autres papiers me sont parvenus par fax et par courrier qu’il a fallu intégrer à la dernière minute pour certains.

Entre temps, les délais que nous nous étions fixés, à savoir sortir le numéro en juin, n’étaient plus tenables. Les membres de la rédaction sur lesquelles (sic) je pouvais m’appuyer ont été toutes défaillantes (sic) à un titre ou à un autre et j’ai dû quasiment donner le « bon à tirer » avant que les imprimeries ne ferment pour les congés d’été.

En ce sens j’assume en grande partie la sortie de ce numéro où la mise en page comme l’orthographe (pour la partie arabe surtout) ont été ratées.

Une masse de travail allant en grandissant

Je ne voudrais pas trop m’étendre sur cet aspect de la gestion de la revue pour ne pas trop donner l’impression de me trouver des justifications quant aux défaillances constatées. Je me contenterai de vous joindre en annexe un organigramme des tâches que j’ai à accomplir parfois sans aucune assistance technique ou autre si ce n’est parfois des paroles encourageantes de certains membres de la rédaction. Je comprends mieux avec le recul les reproches qui m’ont été faits quant aux prises de décision sans consensus préalable. Il se trouve cependant que, malgré ma bonne volonté et du fait de circonstances tout à fait exceptionnelles, je me suis trouvé à assumer les deux rôles sans mandat impératif explicite. Les choses auraient été peut-être plus claires pour tout le monde si nos moyens et nos énergies avaient été mieux mobilisés pour la réussite de l’entreprise NAQD. Je viens de recevoir un courrier de notre ami Abdou Filaly El Ansary ; l’excellente revue Prologues qu’il dirige repose sur un rédacteur en chef, un comité de rédaction, un responsable à l’administration et un secrétariat de rédaction. Nous ne pouvons prétendre atteindre les performances techniques d’une revue soutenue par une Fondation, elle-même financée par les pétro-dollars, mais tentons au moins de nous maintenir en vie et de justifier le renom dont nous pouvons malgré tout nous prévaloir.

Mesures prises en attendant la tenue d’une conférence de la rédaction

Comme annoncé dans les précédents bilans et rapports, j’ai pris sur moi de lancer plusieurs initiatives :

Louer pour un an, un local au centre ville destiné à recevoir le secrétariat, le matériel et le stock de revues. Deux raisons à cela :

Mon domicile croule sous le poids des archives et autres effets liés à la gestion de la revue. Zoubir [Arous], acculé par l’endettement et désireux de mettre en location sa cave m’a demandé de déménager les stocks de la revue.

Nous disposons de moyens financiers qui nous permettent pour quelques temps encore de faire face aux dépenses prévues par la location d’un local et à la sortie d’1 numéro et 1/2 de NAQD par an.

Recruter à mi-temps deux personnes pour prendre en charge les tâches contenues aux points 3 et 5 du document en annexe [il s’agit du traitement de courrier, du suivi du fichier des abonnés, de la distribution, du Mailing et de la diffusion, de la gestion des stocks et moyens généraux]…

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RAPPORT GÉNÉRAL SUR LA GESTION DE LA REVUE NAQD DU N°10 AU N°11  DÉCEMBRE 1998 (EXTRAITS)

Le recours aux virements à partir du compte devises ou à partir du compte BNA (banque nationale d’Algérie) tient au fait que nous nous sommes trouvés à plusieurs reprises à court de liquidités. Il a fallu en effet faire face aux diverses dépenses dues à la sortie du numéro 11 ainsi qu’aux dépenses d’installation et de transfert des stocks vers le nouveau local.

On peut observer à ce niveau que notre compte devises nous a apporté pour l’année 1997/1998 un concours salutaire s’élevant à 828 000 DA (660 000 DA pour le compte BNA + 168 000 DA pour la caisse).

Par ailleurs, nous avons obtenu de l’USIS (Service culturel de l’ambassade américaine) [souligné par moi] une aide à la traduction s’élevant à 57 800 DA pour le numéro 12 en cours de réalisation.

Selon les relevés, les dépenses globales s’élèvent à 613 291,37 DA.

Créances

23 000. 00 DA Hamdi Cherif

10 000. 00 DA Arous

15 000. 00 FF Ouadi

Les sommes prêtées à Arous (février 1998) et Hamdi Cherif (juillet 1998) proviennent de la caisse. Celles avancées à Ouadi Boussad (1997) proviennent de notre compte devises.

Une partie des fonds disponibles dans notre compte du Crédit Lyonnais proviennent (sic) de virements effectués au cours de l’année 1997/1998 dont :

Virements CIMADE :

Le 10/3/1997 : 34 017. 00 FF.

Le 22/12/1997 : 25 514. 00 FF.

Virement CNL : Le 22/4/1998 : 10 000.00 FF.

Une autre partie provenant des payements en devises opérés par les abonnés reste indéterminée du fait de l’absence d’un listing des chèques reçus par El Hadi pour le compte de NAQD. Cette situation peut s’avérer dommageable au cas où nous ne serions pas en mesure d’identifier les personnes ou institutions qui ont demandé à être abonnées ou qui ont renouvelé leur abonnement directement auprès de notre adresse lyonnaise. En conséquence, nous avons reconduit la plupart des abonnements effectués par des particuliers ou par des institutions étrangères sans être assurés qu’ils ou elles ont effectivement opéré leur versement. [Ce souci de l’exactitude des relevés divers, prétexte à une charge perfide dont Daho Djerbal est coutumier, se retrouve également lors de l’échange de courriers de juin 2000 à la suite de l’entretien qu’il a donné à El Watan. Nous reproduisons ces documents plus loin. Disons que le directeur de NAQD est non seulement tenu au courant par les institutions en question mais que les listings sur l’état des abonnements quand il y avait lieu, étaient communiqués régulièrement].

Solde d’exploitation 

En attendant l’apurement définitif des stocks et l’établissement d’une comptabilité professionnelle de tous les actes de gestion de la revue, il apparaît que le solde d’exploitation dégagé pour l’année 1997/1998 est positif. Il faudrait cependant tenir compte des dons, aides et concours divers qui nous ont permis de renouveler le capital initial, de disposer d’un bureau et de chaises (Don de la Fondation Boudiaf) [souligné par moi] et de fonds en dinars autant qu’il nous a été nécessaire. Comme pour le bilan précédent, la faiblesse des recettes est en grande partie due à la régression du nombre des abonnés tant algériens qu’étrangers…

Il faut inciter les membres de la rédaction de NAQD à poursuivre l’effort quant à la promotion du titre et à la recherche de nouvelles sources d’aide matérielle et de financement…

La gestion très artisanale de NAQD a laissé depuis l’été dernier place à une ébauche de stabilisation de la gestion.

La revue qui est maintenant connue en Algérie, au Maghreb, dans le monde arabe et en occident doit se doter de structures permanentes de gestion. Il lui faudra un local pour y installer son matériel et suivre ses stocks. Ce local servira de lieu de rencontre et de réunion pour les membres de la rédaction. Ce sera aussi un lieu d’accueil pour tous ceux qui désirent s’informer sur les activités de la revue ou pour ceux qui voudraient contribuer à sa permanence dans le champ de la pensée critique.

Un personnel occasionnel pourra être employé à quart-temps ou à mi-temps pour libérer les membres de la rédaction de tâches fastidieuses et leur permettre de mieux se concentrer sur les activités éditoriales et le développement des projets.

L’idéal serait bien sûr de disposer d’une P.A.O. servie par un professionnel. Une activité de prestation de service pour les universitaires et autres chercheurs pourrait nous aider à atteindre un objectif d’auto-financement des charges d’exploitation de la revue.

Sur toutes ces questions votre avis est indispensable.

Daho Djerbal

Décembre 1998.

 

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NAQD 9 janvier 1999

À El Hadi Chalabi

De la Rédaction de NAQD

Cher El Hadi,

Suite à ton message téléphonique du jeudi 6 janvier, je me permets de te faire suivre ci-joint copie du message remis à Hocine Zehouane et à sa famille le jour de l’enterrement [il s’agit de celui de Ahmed Zehouane] auquel nous avons assisté Hafid [Hamdi Cherif] et moi en notre nom ainsi qu’à celui de la revue NAQD.

Un autre message a été adressé à la presse que tu pourras lire dans l’édition d’aujourd’hui le samedi 9 janvier 1999 dans Liberté et El Watan.

Par ailleurs, je viens de vous transmettre par l’intermédiaire de Hafid le rapport annuel portant sur le bilan financier de la Revue. Il sera suivi dans les prochains jours d’un rapport moral. Il serait bon que tu fasses suivre le document à notre ami Khaled Satour.

Daho Djerbal.

Remarques : bilan financier et rapport moral figurent en extraits dans le document précédent. Ce qu’il faut retenir de cette correspondance c’est la réinsertion de Khaled Satour comme membre de la rédaction à qui on « communique les informations sur NAQD ». La dernière phrase du courrier de Daho Djerbal est en rapport direct avec les échanges ayant suivi la lettre de la rédaction du numéro 10 et des arguments avancés pour priver le sus-nommé de toute information sur la revue. Mais l’échange ne se fait pas directement : étant l’auteur du document et des propos mettant en cause les méthodes de Daho Djerbal, ce dernier s’en remet à mes soins pour tenir informé celui qui redevient « notre ami Khaled Satour ».

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DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES [DFAE SUISSE]

P.279.62-7-FPY                                                                         Berne, le 11 janvier 2000

NAQD

Revue d’études et de critique sociale                                                                                            Monsieur Daho Djerbal, Directeur                                                                                          B.P.63bis                                                                                                                                                  16033 Ben Aknoun-Alger                                                                                          Algérie

Copie par fax : 00 213 2 91 32 25

Revue d’études et de critique sociale – NAQD 

Demande de contribution au DFAE au titre du budget « Proche-Orient-Dimension humaine »

Monsieur le Directeur,

Vous vous êtes adressé à notre Ambassadeur à Alger, M. A. von Graffenried, pour présenter la revue NAQD et les difficultés qu’elle connaît en raison de l’augmentation de charges et autres frais (cf. vos lettres des 23.2 et 18.4.1999), et pour solliciter un soutien financier. Vous présentez notamment l’évolution du taux de couverture « prix de revient/prix de vente ».

Vous indiquez que NAQD constitue une entreprise intellectuelle indépendante fondée en 1991 par un groupe d’universitaires et d’intellectuels algériens, visant à répondre à un besoin pressant d’informations et d’analyses poussées et critiques. Vous soulignez le rayonnement de votre revue, tant en Algérie que dans les autres pays du Maghreb notamment.

La contribution demandée viserait à aider à l’équipement et à la couverture des frais d’édition, ainsi qu’à moyen terme et dans la mesure du possible, à diffuser des informations utiles aux chercheurs algériens notamment (centre de documentation, internet).

Nous avons relevé l’importance de votre projet et son intérêt, aussi bien en Algérie que dans la région entière. Il s’agit d’une activité qui va dans le sens de la politique suisse en faveur des droits de l’homme et de la paix, en particulier ses efforts au Proche-Orient pour la « dimension humaine » (compréhension inter-culturelle et promotion des droits de l’homme).

Pour cette raison, nous avons le plaisir de vous informer de notre décision d’octroyer immédiatement à la revue NAQD la somme de 25′ 000 CHF (vingt-cinq mille francs suisses) destinée au projet précité, pour la période octobre 1999 à septembre 2000.

Les dispositions générales ci-jointes de notre Direction en matière de contributions à des actions volontaires en faveur du respect des droits de l’homme et du droit international font partie intégrante de la présente décision. Nous attirons en  particulier votre attention sur les points 4 à 6 de ces dispositions générales, qui portent sur vos responsabilités et sur le contrôle de l’affectation des fonds alloués. Nous vous saurions gré, suivant les dispositions du point 5, de nous fournir au plus tard au 30 novembre 2000, un décompte relatif aux dépenses entreprises dans le cadre de ce projet.

En outre, nous vous prions de bien vouloir adresser à notre Ambassade, au fur et à mesure de leur parution, 3 exemplaires de chacun des numéros de votre revue bénéficiant de notre contribution.

Cette contribution sera versée sur le compte bancaire de la revue NAQD que vous nous avez indiqué :

BNA – Banque Nationale d’Algérie

              Ché Guevara – n° …….

Alger

Nous vous remercions, le moment venu, d’accuser réception de ce versement de 25’000 CHF (il se peut que pour des raisons techniques, le versement soit fait en deux virements successifs). Pour tout renseignement complémentaire, nous vous prions de vous mettre en rapport avec notre Ambassade à Alger ou avec notre collaborateur M. Pierre-Yves Fux (té…  fax… e-mail…).

Nous vous prions de croire, Monsieur le Directeur, à l’expression de notre parfaite considération.

                                                                    DIVISION POLITIQUE IV
 
                                               Politique des droits de l’homme et politique humanitaire

Heidi Tagliavini

Annexe : Dispositions générales (non communiquées).

REMARQUES:

1) Cette initiative du directeur de NAQD et sa traduction concrète n’a jamais fait l’objet de quelque consultation, discussion ou débat, que ce soit : ni en comité de rédaction, ni en dehors. Cependant, Mohammed Harbi était certainement au courant de toute la « transaction ». Sa présence en 2001 lors d’un simulacre cérémoniel sur le dixième anniversaire de la fondation de la revue, au milieu d’autorités consulaires suisses, le prouve a posteriori.

2) Comme en témoigne le document ci-dessus, un directeur de revue de tendance avant-gardiste se prévaut, auprès d’une ambassade étrangère, de son indépendance vis-à-vis des autorités algériennes auprès desquelles il ne demande ni n’accepte de subsides, semble-t-il. Cependant, le souci d’indépendance qui pourrait être traduit en une soif de libertés est curieusement formulé en allégeance à l’égard d’une puissance extérieure. Celle-ci enregistre la demande comme une marque de soutien à une politique d’ « œuvres humanitaires », promotionnelles des « droits de l’homme » et récompense le quémandeur en le soumettant aux exigences de « contrôle » et de « suivi ».

Ainsi, est-il plus conforme, selon cette démarche, de demander aide et assistance à des puissances étrangères sans que cela ne puisse être catalogué comme manifestation de soumission, au lieu de lutter pour mettre en place un circuit exigeant des services publics algériens, du gouvernement et de l’État, un système de subventions obéissant au soutien, dans la neutralité, des activités culturelles, y compris l’édition de revues.

En fait, cette pratique de l’allégeance à partir de sollicitations d’aides multiformes s’est généralisée à partir de 1990-1991. Pratiquée par les éditeurs d’une manière globale, elle marquera la vie des partis politiques, des médias et celle de nombreuses associations qui font l’actualité dans la presse dite « libre et indépendante » .

La vie politique s’externalise et n’a plus rien à voir avec les lieux où se prennent et se vivent toutes les décisions et leurs répercussions à tous les niveaux. Ces constatations devenues quotidiennes constituent un objet d’étude digne d’un numéro de revue. On y réfléchirait alors sur les publications de Naqd sur l’État, la nation et les fausses constructions historiques savamment masquées à coups d’hégémonies intellectuelles traduisant des formes de protectorat. Ce serait à celles-ci que l’Algérie devrait alors l’introduction, l’extension et la protection des droits et libertés au nom desquels elles interpellent les organes d’État algérien sous les applaudissements d’élites qui n’ont plus de national que leur délabrement.

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En janvier et février 2001, un échange de correspondances a lieu entre Djamel Guerid (membre de la rédaction de NAQD, décédé en septembre 2013, et le directeur, Daho Djerbal). Ces échanges sont reproduits intégralement ci-dessous.

 

Oran, le 27 janvier 2001

 

Djamel GUERID

Membre de la Rédaction

de la Revue NAQD

Oran

 

À M. Dahou DJERBAL

Directeur de la Rédaction

de la Revue NAQD

Alger

Cher collègue

J’ai l’honneur de te rappeler et de porter à ta connaissance ce qui suit :

1- Au milieu de l’année 1998, nous avons tenu une séance de travail en compagnie de notre ami Arous Zoubir au domicile de ce dernier. Au cours de cette réunion :

– nous avons fait le constat de l’essoufflement de Naqd et nous avons réfléchi au meilleur moyen d’en assurer la relance. Sur ma proposition, nous avons adopté le principe de l’organisation d’un séminaire international destiné à procéder, pour une fois, au bilan critique des théories et des pratiques de développement. Nous avions convenu de l’objectif du séminaire (faire connaître notre revue à une échelle plus grande et aussi nous permettre à nous, intellectuels algériens, de sortir de la « quarantaine » non déclarée dans laquelle nous étions relégués du fait de la situation de notre pays), de sa date (le dernier trimestre de l’année 1999) et prévu la publication de ses actes dans un numéro spécial de Naqd. Sur ta proposition, nous avons décidé de confier la préparation scientifique du séminaire à Arous et Guérid et la préparation logistique (la recherche de sponsor surtout) à Djerbal. À la rentrée 1998-1999, et après m’être consulté au téléphone avec Arous, je t’envoie le texte de présentation du séminaire (rédigé en langue arabe comme tu l’avais souhaité). Plus de deux ans après, nous sommes toujours sans nouvelle et du texte et du projet lui-même et toujours dans l’attente d’une explication.

– Nous avons convenu du principe d’une réunion du Comité de rédaction de Naqd pour le mois d’octobre 1998 pour faire le point et pour réfléchir à de nouvelles perspectives pour notre Revue. Je ne comprends toujours pas pourquoi cette réunion n’eut pas lieu et pourquoi aucune autre réunion ne s’est tenue à ce jour.

2- Le non fonctionnement du Comité de rédaction n’a pas manqué de produire ses effets. Mon appréciation personnelle est que Naqd (en particulier dans ses deux derniers numéros) [il s’agirait probablement des numéros 12 et 13 portant sur les thèmes « Dominations et dépendances » et « Sciences savoirs et société »] semble avoir pris ses distances par rapport à la ligne de départ telle que définie dans le premier numéro. À l’analyse critique de réalités sociales en mouvement dans nos sociétés (ce qui constituait l’originalité de notre revue) s’est substituée la recherche de signatures prestigieuses et l’académisme. Je suis convaincu que dans cette voie Naqd ne peut être que doublement perdante : d’abord parce qu’elle ne peut « tenir la route » face à des revues franchement académiques et disposant de beaucoup de moyens et ensuite parce qu’elle laisse échapper ce qui fait sa spécificité et sa différence.

N’ayant été associé à aucune discussion sur la marche et le devenir de Naqd et ne me reconnaissant pas dans ce qu’elle est devenue aujourd’hui, je te demande de ne plus faire figurer mon nom en tant que membre du Comité de rédaction.

Tout en restant disponible pour expliciter ma position devant le Comité de Rédaction si, par bonheur, il arrivait enfin à se réunir, je te prie de recevoir mes salutations.

Djamel GUERID

Remarque : cette réunion à trois n’a fait l’objet d’aucune communication que ce soit dans sa préparation, son déroulement comme des objectifs qui en ont résulté (thème retenu pour un  séminaire international, sa « préparation scientifique » et « logistique »). Le texte de « présentation du séminaire » n’a pas non plus été diffusé. Compte tenu des rapports parcellaires obéissant à une hiérarchie privilégiant certains contacts à l’exclusion d’autres, selon les calculs ainsi normés, il est à peu près certain que les deux ou trois membres de la rédaction ayant reçu tout ou partie de ces informations sont ceux qui relèvent du statut d’ « historiques » (Mohammed Harbi, Lemnaouar Merrouche et Hocine Zehouane). Le présent document suivi des autres échanges ne m’ont été communiqués par Daho Djerbal qu’une fois que le conflit avec  Guerid ait atteint le point de non-retour. Notons que Arous, partie prenante au projet de « séminaire international » , ne s’est manifesté d’aucune façon. Enfin, il faut souligner que cet épisode témoigne des formes et méthodes de direction de la revue, comme nous l’avons largement explicité dans la deuxième partie de notre analyse, « Intellectuels en comité (s) ».

 

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Alger, le 31 janvier 2001

À Djamel Guerid

Membre de la Rédaction de NAQD

Cher Djamel,

Je dois d’abord te dire que ta lettre du 27 janvier 2001 m’a profondément blessé et j’ai dû reporter de quelques jours d’y apporter une réponse tant ma douleur fut vive.

Le fait même de t’adresser à moi, ton ami, comme à un responsable administratif avec une entête « de untel à M. untel directeur de… » et de commencer par « cher collègue » m’a semblé absolument irréel.

Je ne sais si, au moment où tu écrivais, tu t’es souvenu des années de lutte syndicale commune et de celles qui suivirent dans une tentative tout aussi commune de trouver une voie à la lutte politique et à celle des idées ; de toutes ces rencontres que nous avons eues, y compris dans ton domicile avec nos amis défunts et ceux qui ont choisi l’exil ; et enfin de ces dix dernières années de l’aventure de NAQD où tu as été, à ta façon, partie prenante de tout ce qui s’est fait. Plus de trente ans au total.

Je ne peux même pas dire peu importe maintenant qu’il devient si facile de se démettre de tout et de se replier sur soi, de voguer selon son humeur et parfois selon ses intérêts.

Pour en revenir à ton propos, je voudrais y apporter les réponses qui suivent :

1 Il est un fait que depuis 1998, un sérieux problème s’est posé à NAQD quant à la définition d’une nouvelle ligne et quant au renforcement de son comité de rédaction. À plusieurs reprises, durant l’année 1999-2000, la tenue d’une réunion plénière s’est offerte avec l’annonce de la venue d’un ou deux de nos amis résidant à l’étranger, mais à chaque fois leur séjour en Algérie a été reporté ou écourté pour des raisons impératives.

Depuis, plusieurs réunions se sont tenues à Alger comme à Paris avec à chaque fois un nombre restreint de membres du comité. À chacune de ces réunions, des décisions ont été prises et je me suis fait un devoir de les communiquer le plus fidèlement possible aux autres membres de la rédaction. À chacun de mes séjours à Oran, je t’ai tenu informé dans le plus petit détail.

Parmi les décisions qui avaient été prises, il y avait celle de maintenir la revue en activité en se fixant pour objectif minimum et provisoire la parution d’au moins un numéro par an.

Il y avait aussi celle d’une implication plus grande des membres de la rédaction dans la confection des numéros pour éviter une dérive marquée par la sensibilité d’un seul des membres du comité (entendre celle du directeur). Depuis, Hafid [Hamdi Cherif] a pris en charge et a mené à terme le numéro sur Science, savoirs et société ; Mohammed [Harbi] a pris en charge le numéro sur Historiographie critique et moi-même celui sur Désordre urbain. À chaque fois, l’argumentaire des numéros a été communiqué à tous les membres de la rédaction et un débat sur l’objectif et le contenu du numéro a accompagné le travail de réalisation.

Parmi les autres décisions, il y a eu effectivement celle de tenir un séminaire international pour établir un bilan critique des théories et pratiques de développement de l’Algérie. L’argumentaire a été transmis et même discuté à Alger et Paris. Des observations ont été faites verbalement et il aurait été sûrement plus judicieux que cela se fit par écrit. Mais il en a été de même pour tous nos précédents projets. Moi même, je tenais à organiser une rencontre des revues de la pensée critique contemporaine mais, les avis de quelques membres du comité en ont décidé autrement malgré l’engagement d’un grand nombre de revues du Maghreb, du Machrek et d’Europe d’y participer et une forte possibilité de financement.

Il me semble, comme tu l’as si bien indiqué qu’il vous revenait, à toi ainsi qu’à Zoubir [Arous], de faire avancer le projet et de vous assurer de la participation des économistes critiques auxquels vous pensiez. Mohammed [Harbi] a même avancé des noms pour un numéro spécial de la revue consacré à ce thème. Il me revenait toujours comme tu l’as indiqué, d’assurer des financements et je l’aurais fait (je pense encore pouvoir le faire) dès que j’aurai l’argumentaire amendé et au moins quelques noms à aligner. Je vous renvoie donc la question : pourquoi ne pas avoir fait avancer le projet (préparation scientifique) ?

2 Je ne pense pas que les deux derniers numéros de NAQD aient pris des distances par rapport à la ligne que nous avions définie avec Saïd [Chikhi] et tous les autres membres de la rédaction et que chacun peut à loisir retrouver dans le générique du numéro 1. En plus, comme je l’ai déjà dit, les projets d’argumentaire sont transmis à chacun des membres et tous discutés. L’argumentaire final et la recherche des auteurs engage tous les membres de la rédaction. Nous nous sommes toujours maintenus dans l’analyse critique des situations et non dans l’académisme que tu nous reproches. Si nous avons des signatures prestigieuses, c’est parce que c’était NAQD et maintenant NAQD est une référence de la pensée critique au Maghreb et même dans le monde arabe. NAQD n’est ni Insaniyate [ revue du CRASC auquel Djamel Guerid a appartenu comme président du Conseil scientifique jusqu’en 1998], ni Prologues (toutes deux financées par de puissantes institutions) et les nombreux courriers, les demandes d’abonnement et de réabonnement, les articles de presse en témoignent.

Pour terminer, je te rappelle cher Djamel, que NAQD reste ouverte, comme elle l’a été depuis son premier numéro, à tes contributions en espérant que ta critique la fera avancer dans la bonne voie et l’éloignera de l’académisme que tu lui reproches.

J’attends la venue de Lemnaouer [Merrouche] (avril-mai) et de Mohammed [Harbi] (mi-février et avril-mai) pour qu’enfin on puisse tenir une réunion plénière en demandant à El Hadi et à tous ceux qui restent debout face à l’adversité d’être des nôtres.

Avec mes amitiés sincères

Daho Djerbal

Remarque : cette réponse fait partie des pratiques éclairant la nature réelle des rapports à l’intérieur de NAQD. Si des échanges ont eu lieu sur des argumentaires c’est toujours en petit comité à deux ou trois : il n’y a jamais eu de communication préalable avec les informations adéquates en accompagnement de quelque projet que ce soit. Il ne pouvait donc pas y avoir de discussions sur tel ou tel argumentaire.

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Oran le 5 février 2001

Mon cher Dahou

J’ai été désolé d’apprendre que ma lettre a eu sur toi l’effet que tu as dit. Il est évident que tel n’était pas l’objectif, précisément pour les raisons que tu rappelles et que je prends tout à fait à mon compte. Il se trouve qu’il n’est jamais bon de mélanger les genres. Moi, je me suis adressé au directeur de la Revue et tu es bien ce directeur. Dès lors, tu ne peux pas être directeur, fonctionner comme directeur et refuser d’être interpellé en tant que directeur. Et dans ma lettre au directeur je n’ai rien fait d’autres que rappeler des faits vérifiables et en tirer l’enseignement qui m’a semblé s’imposer.

Pour mon humble personne.

1 – Il est un fait que malgré l’accord conclu et l’engagement pris, le colloque projeté n’a pas eu lieu. Et sans aucune explication.

2 – Il est un fait que, contrairement à ce qui avait été convenu, le Comité de rédaction de Naqd n’a pas été appelé à se réunir.

D’autre part, Naqd m’a semblé avoir changé. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose ; je dis seulement que le Naqd nouveau ne me convient pas. On peut me traiter comme on voudra : conservateur ou provincial (ou les deux à la fois pour faire plus lourd et plus mal), mais je reste attaché à l’ancienne formule car, de mon point de vue personnel, elle seule pouvait faire la différence.

Je réitère donc ma demande de ne plus faire partie du Comité de Rédaction.

Tu as évoqué un chapitre qui, pour moi, est le plus important, celui de nos relations amicales. Je ne peux te cacher que je l’ai lu ce rappel avec nostalgie et aussi avec amertume. La nostalgie, je n’ai pas besoin de développer. L’amertume lorsque je me suis rappelé l’affaire du CRASC, lorsque leurs amis pagsistes de toutes les régions d’Algérie et de l’étranger se sont mobilisés pour les soutenir comme s’il obéissait [sic] à une directive centrale et lorsque mon ami à moi, Dahou, se cantonnait dans une neutralité toute diplomatique. Te rappelles-tu l’argument qui (à tes yeux) la justifiait : la présence au sein de notre minuscule groupe d’un collègue avec lequel tu étais politiquement en désaccord.

Ta lettre, mon cher Dahou pose beaucoup de problèmes sérieux et je n’ai pas l’intention de les discuter ici. Je veux néanmoins attirer ton attention sur deux points. Le premier est que ce que tu dis de tes rapports avec des amis de France me conforte dans ma décision. Le deuxième est que je regrette que tu n’aies pas été en mesure de résister à une « pique » inutilement méchante et surtout injuste. Tu dis qu’il « devient si facile de se démettre de tout (…) et voguer (…) parfois selon ses intérêts ». J’ai l’immodestie de croire, mon cher Dahou, que s’il existe quelqu’un qui a fonctionné absolument sans calcul, sans arrière-pensée et je dirais même avec naïveté et même angélisme, c’est bien moi. Et tu le sais bien. Quelqu’un d’intéressé et de calculateur ne partirait pas maintenant de Naqd alors qu’elle a acquis de l’audience. Mais en souvenir du bon vieux temps que tu as eu la gentillesse de rappeler, je vais me mettre à me convaincre que cette « pique » n’était pas pour moi. J’ai cependant, besoin de ton aide pour comprendre pourquoi c’est sur une lettre qui s’adresse à moi qu’elle s’est glissée.

Avec mes cordiales salutations.

Djamel GUERID

Remarques générales sur l’échange de lettres entre Djamel Guerid et Daho Djerbal : le conflit dont témoignent les courriers successifs est resté confiné entre Guerid et Djerbal. Ce dernier a réussi à le cantonner dans la dimension personnelle comme en témoignent les références à un passé d’amitiés zigzagantes. Les documents reproduits ici ne m’ont été communiqués et à ma demande, qu’après l’annonce de la démission de Djamel Guerid. Les motifs réels ayant conduit à rejeter le projet de séminaire Guerid-Arous ne sont pas explicités. En effet, ce projet commun aux deux membres de la rédaction n’a été élevé en conflit que par Djamel Guerid. Où est passé le co-auteur Zoubir Arous?  Les glissements de ce dernier vers l’univers militaro-policier sont en fait les vraies causes ayant conduit Mohammed Harbi à s’opposer à la tenue du séminaire. Aux yeux de ce dernier, qui ne se cachait plus pour le dénoncer, la présence de Zoubir Arous était devenue ouvertement préjudiciable pour l’image de la revue. En définitive, il faut retenir que tout s’est passé entre Mohammed Harbi et Daho Djerbal, ce dernier se chargeant de mettre un terme à une  entreprise avalisée au départ en petit comité et mise à mort selon le même procédé.

La lettre de Daho Djerbal servant à expliquer ses positions et accompagnant celle de Djamel Guerid permet de mesurer l’opportunisme ambiant, marque des comportements des uns et des autres selon les inclinations du moment. Ainsi, les rapports entre Mohammed Harbi et Daho Djerbal s’étant distendus avec le temps, le premier nommé récupérera Djamel Guerid lors de la tenue du colloque d’El Watan sur « les printemps arabes » en septembre 2012.

Alger, le 29 mars 2001

Cher El Hadi,

Voilà comme tu me l’as demandé la copie de la lettre [celle du 5 février 2001] de Djamel. Je te laisse le soin de juger de la nature des arguments mais je voudrais juste rappeler un point :

Dans sa lettre, Djamel avance que l’argument que j’avais donné pour ne pas me solidariser avec son groupe dans l’affaire qui l’opposait au CRASC était la présence de quelqu’un avec qui je n’étais pas d’accord politiquement. Il s’agit probablement de Abdelkrim El Aïdi que tu connais bien.

Si tel était mon argument, à ses yeux, (car pour moi les raisons étaient tout autres et je les expliciterai dans une prochaine correspondance aux membres de la rédaction), je trouve maintenant a posteriori qu’il est amplement justifié. Dans la lettre des « intellectuels nationaux » destinée à vous clouer au pilori toi, Mohammed [Harbi] et tous les signataires algériens de l’appel pour une enquête sur la violence en Algérie, on retrouve subitement réconcilié avec les CRACSistes notre cher Abdelkrim [El Aïdi].

Je peux être un mauvais directeur de revue mais il me reste encore un peu de jugement quant aux qualités de ceux dont j’ai fait mes amis.

À bientôt de te lire sinon de te voir à Alger.

Daho Djerbal.

Remarques : 1) Pendant les années 1970-1980, Djamel Guerid s’est toujours tenu à l’écart voire en opposition face au groupe d’enseignants de sciences sociales, dominés par une forte présence de militants du PAGS (parti de l’avant-garde socialiste, héritier du parti communiste algérien (PCA) et comprenant des membres de l’ORP (organisation de la résistance populaire) opposée au coup de force du 19 juin 1965. Les militants (PAGS) de l’institut des sciences sociales d’Oran se voulant héritiers de cette tendance comptaient en leur sein les Remaoun, [Hassan et Noria Benghabrit], Abdelkrim El Aïdi, feu M’Hamed Djellid, Malika Ghenim -Benkahla, Mohand Mancer, Mohamed Ghalem, Mohamed El Korso (plus sympathisant que militant) et, pendant un temps, quelques « compagnons de route » dont Lahouari Addi, Benamar Mediene, Mohamed Moulfi, etc…

Djamel Guerid voguait au sein de milieux réputés « gauchistes », désignés comme tels par leurs rivaux et néanmoins collègues. Il se tenait en particulier en dehors de l’Unité de recherches en anthropologie sociale et culturelle (URASC) qui deviendra le CRASC. Ce n’est que lors de cette mutation que Djamel Guerid a répondu aux sollicitations de Noria Remaoun-Benghabrit (laquelle succèdera à Nadhir Maarouf) pour prendre en charge la présidence du Conseil scientifique du CRASC. Dès que l’équipe autour des Remaoun s’est renforcée, des différends apparaissent autour des méthodes de direction et des orientations en matière de recherche sans compter le recours aux procédés de fidélisation et de clientélisme. Cela ne s’est pas déroulé uniquement sur la base d’une solidarité partisane (PAGS ou ex PAGS). Celle-ci s’est largement nourrie des ressources d’une puissance clanique constituée autour des Remaoun et des solidarités les unissant aux familles et fractions  tributaires les unes des autres : des Ghenim, Zerhouni, Bekhechi, Brixi, Kharoua… tous liées par le tissu matrimonial (ennasb). En sociologue averti, Djamel Guerid n’ignorait rien de cette réalité oranaise fortement imprégnée de népotisme, qui traversait non seulement la cité, mais la région (Nedroma, Tlemcen, Maghnia, Mostaganem…) et distillait sa puissance sur l’université, le monde politique et syndical sans oublier celui des affaires. C’est par opportunisme et souci de reconnaissance qu’il acceptera la présidence du Conseil scientifique du CRASC en croyant qu’il n’en serait jamais éjecté. Le conflit au sein du CRASC s’est traduit en alliance de circonstance entre Abdelkrim El Aïdi et Djamel Guerid.

2) Dans cet univers sans concession, qui fait plier toutes les catégories institutionnelles du droit et de la politique, frappant de non-sens pouvoir et opposition en y puisant sa puissance, Daho Djerbal exploite contre son ancien ami Djamel Guerid la coexistence, ubuesque quelques années auparavant, de ce dernier avec l’ex pagsiste. Mais Guerid a bien compris que le directeur de NAQD ne voulait pas « se mettre mal » avec les maîtres du CRASC. La signature par Abdelkrim El Aïdi de la pétition des « intellectuels nationaux » est instrumentalisée en ma direction pour obtenir un soutien. Daho Djerbal n’a ni dénoncé l’initiative des « intellectuels nationaux » ni pris ses distances par rapport à ses signataires, particulièrement ceux qui détenaient le pouvoir au sein du CRASC. Leur collaboration n’a fait que se développer depuis, avec des articles élogieux parus dans Insaniyat (revue du CRASC) sur les numéros de NAQD des années 2000.

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Le 8 avril 2002, El Watan publie en page 5 un « Entretien avec Daho Djerbal (directeur de la revue Naqd). Cela a donné lieu à une mise au point auprès du journal, qui n’y donnera pas suite, ainsi qu’à un échange de lettres entre le directeur de la revue et moi-même.

La mise au point à El Watan

Lyon, le 10 avril 2002, par e-mail

Monsieur le directeur d’ El Watan,

Lors d’un  entretien publié par El Watan du 8 avril, le directeur de Naqd a cru opportun de développer ès qualités des opinions qui risqueraient d’être attribuées, dans le silence et la confusion, à l’ensemble de la rédaction de la revue.

Aussi, je tiens à porter à la connaissance de vos lecteurs la mise au point suivante : je ne saurai être associé, de quelque façon que ce soit, ni dans l’initiative prise, ni dans le contenu de l’analyse présentée par Daho Djerbal.

E.H. Chalabi, membre de la rédaction de Naqd.

Une copie de ce courrier a été envoyée à Mohammed Harbi qui répond en ces termes :

Paris, le 2-05-02

Cher ami,

J’ai reçu ton communiqué à El Watan. Je ne trouve pas l’initiative heureuse. Tu ne peux interdire à un journal de présenter un interviewé comme il l’entend ni faire endosser le texte du chapeau de l’interview à Dahou sans même l’avoir entendu. J’aurai mieux compris que tu adresses à El Watan un texte, en ton nom propre, et non en tant que membre de la rédaction, pour t’en démarquer, s’il y a lieu. Ne nous trompons pas de combat.

Amicalement, M. Harbi.

Remarque : cette réponse constitue un morceau choisi de l’honnêteté intellectuelle dont son auteur est souvent drapé. En somme, il est tout à fait normal que le journal comme le directeur de Naqd puissent agir comme ils l’entendent sans tenir compte du point de vue et du respect des opinions d’autres membres de la rédaction. Une mise au point en ce sens serait pratiquement une atteinte au journal et à l’interviewé : l’un et l’autre présentent l’interview et l’interviewé comme ils le veulent, sans restriction eu égard aux autres parties. Une quelconque manifestation de désaccord et de dénonciation des procédés est jugée malvenue. Tout au plus devrai-je solliciter la publication d’un texte qui ne serait même pas conçu comme une réponse aux propos déjà publiés mais un simple point de vue sans mention de la qualité de membre de la rédaction de Naqd, car cela porterait atteinte à l’image de la revue et en ce cas, « on se tromperait de combat ». Et à condition, bien sûr, que le quotidien en question accepte en toute liberté de donner suite à ma demande. Avec cette conception de la liberté d’opinion-d’expression, dans la presse, celle-ci peut toujours continuer à jouer son rôle de « presse libre et indépendante » tout en muselant les opinions indésirables. La lettre/réponse de Mohammed Harbi montre qu’il est en 2002 embrigadé dans des rapports intéressés avec El Watan. La collaboration de plus en plus fructueuse s’envole vers une entente donnant libre cours à la célébration de congratulations mutuelles.

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L’interview de Daho Djerbal à El Watan du 8 avril 2002 a, bien évidemment donné lieu à un échange de lettres entre le directeur de Naqd et moi-même.

Alger, 1er juin 2002

Cher El Hadi,

Il est inutile, je pense, de te dire à quel point tes rappels à l’ordre et tes mises au point m’affectent quand ils portent sur des griefs complètement infondés. Comme tout un chacun, il m’arrive de prendre des positions, faire des déclarations ou donner des interviews : c’est généralement en ma qualité d’universitaire ou d’historien. Il peut arriver qu’à l’occasion d’interviews (comme cela a été le cas du papier d’El Watan) le journaliste rappelle de sa propre initiative que je dirige la revue Naqd. Personne, hormis toi-même, n’y a lu une implication de la revue ou des membres de la rédaction dans ce qui n’engage que ma propre personne. Si El Watan  n’a pas cru bon faire paraître la mise au point [il s’agit de la mienne, reproduite ci-dessus], c’est que j’avais dit clairement à Fayçal Metaoui [interviewer], et dès le début de l’enregistrement, que je parlais en mon nom seul et non au nom de Naqd. Cela j’aurai pu te le dire moi-même si tu me l’avais demandé autrement que par une copie pour information.

Ce qui me désole aussi c’est qu’en dehors de ces périodiques rebuffades, et malgré les nombreux rappels épistolaires, je ne reçois rien de l’état de notre compte que tu as bien voulu héberger. Je ne sais pas, par exemple, qui de nos abonnés à l’étranger a renouvelé son abonnement et pour quelle somme. Je ne sais pas non plus, sinon par les lettres que je reçois des expéditeurs, quelles sont les sommes virées par telle ou telle institution. Quelles sont les ventes réalisées dans les librairies de Lyon et sa région et quelles sont les ventes réalisées à l’occasion de conférences, séminaires ou autres manifestations comme les salons du livre ou des revues.

J’ai besoin de faire périodiquement le point de nos comptes et d’établir des bilans pour pouvoir continuer à gérer la revue, opérer des transferts, honorer nos engagements au près des abonnés et couvrir nos charges. Si cette besogne te semble trop pénible ou indigne de ton rang, je crois qu’il vaut mieux régler cette question en acceptant qu’un autre membre de la rédaction la prenne en charge. J’aimerais tant que tu puisses te rappeler à la présence de Naqd par des actes plus positifs comme celui de piloter un de ses numéros. Tu pourras alors faire la démonstration de ta qualité de membre de la rédaction comme l’ont fait d’autres membres ; tu développerais, à ta manière, une pensée critique dans le domaine du droit ou des pratiques juridiques en Algérie. Depuis le numéro 3, cet aspect des luttes est resté inexploré en dehors de quelques publications dont ton ouvrage sur l’État et le droit. Mais peut-être comptes-tu le faire dans un autre cadre, ce qui par ailleurs est ton droit le plus légitime. Quant à moi, je continuerai à explorer toutes les possibilités d’un travail critique soutenu et durable pour ma propre société.

Je te demande pour terminer de bien vouloir me faire parvenir un état de nos comptes et une liste des personnes qui ont adressé leurs chèques à ton adresse afin de mettre à jour nos fichiers.

Avec mes amitiés renouvelées,

Daho Djerbal

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Lyon, le 3 juin 2002.

Réponse à Daho Djerbal

Tu devrais revoir ta technique de victimisation qui devient une stratégie  de réponse modèle chaque fois qu’il y a un litige, notamment entre nous. D’abord, tu proclames combien tu es affecté, blessé. Au passage, ton comportement vis-à-vis des autres n’est porteur d’aucune atteinte ou blessure. Ensuite, tu en viens à l’objet même du différend. Enfin, tu glisses sur des à cotés où pêle-mêle, tu te permets tout.

Voyons l’objet du différend : tu accordes un entretien à El Watan où le directeur de Naqd apparaît ès qualité. Il ne fait aucun doute que, sans précision publique, pour le lecteur, de la mention restrictive (propos n’engageant que leur auteur), les opinions développées sont reçues comme celles de toute la rédaction. C’est tellement vrai que tu rappelles de toi-même que tu as tenu à le préciser pour le journaliste « dès le début de l’enregistrement » (c’est ton texte).

Dans ces conditions, il y a un défaut à la cuirasse que l’on s’explique mal :

Ou bien tu tiens à préciser qu’il s’agit de propos qui n’engagent que toi et une telle précision est impérativement portée à la connaissance des lecteurs en même temps que la ou les qualités de l’interviewé. Si le journaliste passe outre et néglige de porter la mention préalable, il y a pour le moins un manquement aux conditions de départ de l’entretien et préjudice au détriment de l’interviewé.

Ou bien la mention « à titre personnel » n’est faite que dans la confidence comme tu le soutiens si bien. Elle se serait alors limitée entre toi et le journaliste. Accessoirement, elle aurait, occasionnellement, été étendue à ceux qui se seraient posés des questions et parmi lesquels tu aurais souhaité me ranger en soutenant que je n’avais qu’à te « demander », dans la confidentialité, au nom de qui tu soutenais les positions en cause et tu m’aurais rassuré, entre nous, sur tes intentions.

En somme, des propos publics tenus ès qualité par le directeur de Naqd deviennent des propos qui, à titre purement confidentiel, en circuit fermé, n’engagent que leur auteur. Pour couronner cette argumentation de poids, la confidentialité devient un fondement sur la base duquel El Watan, manifestement avec ton accord, refuse de publier ma mise au point.

Pour un directeur de publication, il faudrait que tu potasses sérieusement la notion de public ainsi que toutes ses implications, en particulier dans l’exemple qui nous préoccupe.

Hormis ces quelques précisions élémentaires, je dois te rappeler que je n’ai nul besoin, pour défendre des questions de principe où je suis en cause, d’aligner mon comportement sur les réactions ou l’absence de réactions d’autres membres de la rédaction. Si tu étais de bonne foi, tu aurais pris en charge, de toi-même, l’exigence de correction qui s’imposait auprès du journal et du journaliste.

Quant au fond, si je tenais beaucoup à me démarquer de tes propos c’est parce que nous n’avons pas la même lecture de la crise qui ensanglante le pays depuis une dizaine d’années. Nous n’avons pas non plus la même lecture du rapport au pouvoir. Restés ensemble pour ne pas faire éclater un projet auquel nous tenons, solution boiteuse due aux circonstances, certes, mais qui ne pouvait durer éternellement, il fallait respecter dans les interventions publiques, l’opinion/les opinions différentes quand bien même devaient-elles supporter un voisinage dans Naqd. Je passe sur les propos que tu as tenu oralement partout en toutes occasions où tu parlais au nom de la revue. Mais pour ce qui est de l’écrit, par principe, et dans la mesure où j’en ai connaissance, je suis dans mon droit de te rappeler, non pas à « l’ordre », comme tu le dis si bien mais au devoir de respect à l’égard de mes propres positions.

J’en viens à la deuxième partie de ta lettre qui confirme un autre de tes travers, celui du mélange des genres dans une démarche quelque peu infantile. Tu te laisses aller jusqu’à la bassesse pour sous-entendre que je fais de la rétention sur les comptes, sur les listes d’abonnés… J’envoie une liste d’abonnés -qui par ailleurs se font de plus en plus rares – quand je suis en possession d’une vraie liste et non pas de trois ou quatre noms. En même temps, tu affirmes recevoir directement des informations sur les abonnements et leur montant. Alors ? …

Au demeurant, en matière d’informations et depuis que tu détiens le monopole de la revue je dois dire que je suis gâté pour tout ce qui concerne la marche de cette dernière. Ta technique, là aussi, a fait ses preuves : tu fais ce que tu veux, comme tu l’entends et, le cas échéant, selon ton bon plaisir, les opportunités que tu définis, tu annonces le fait accompli. Ceux qui te connaissent bien ont compris d’ailleurs, après le décès de Saïd [Chikhi] et ta prise en charge de Naqd -dois-je te rappeler dans quelles conditions – que tu allais accaparer la revue [ces conditions sont détaillées dans la deuxième partie de Vie et mort d’un projet – Naqd source et enjeu de pouvoir – Intellectuels en comité (s)]. Cela n’est plus du domaine des supputations. C’est devenu un fait.

Enfin, j’examine, pour terminer, le dernier point qui consiste en un numéro que tu affectionnes beaucoup : ton souci d’autolégitimation et d’autosatisfaction en embrigadant le « travail critique » quand ce n’est pas la « pensée audacieuse » (même si en la circonstance tu m’as épargné cette variante), usant d’un possessif exclusiviste qui, pour avoir fait fortune pendant un temps, n’a pas moins illustré le délabrement intellectuel de ses utilisateurs. Ce que tu appelles « ma » « société » (c’est-à-dire la tienne) est, comme tu le sais si bien, pensée depuis une dizaine d’années entre l’extraterritorialité des chancelleries et la vitrine mondaine des officines algéroises, l’hôtel El Djezaïr. C’est sans doute ta parenté avec ces univers qui t’inocule cette arrogance au point où tu t’adresses à moi comme si j’étais salarié de l’une de tes entreprises. Tu te crois habilité à décerner la qualité de membre de la revue et de l’ôter, dans un va et vient de circulaires en ajustant ton képi. Au risque de te chagriner, je dois te rappeler que je suis partie prenante à un projet, celui de Naqd. Que ce projet est malade depuis des années. Les circonstances l’ont voulu ainsi, sans minimiser en quoi que ce soit, d’ailleurs, ma responsabilité. Mais ce projet est toujours le mien pour l’avenir, en espérant, et je ferai tout pour qu’il en soit ainsi, le remettre sur ses pieds. Si je me suis engagé dans ce projet c’est sur des principes, alors que tu m’étais totalement inconnu. Puisque tu remues la nostalgie du numéro 3 de Naqd, il a été lancé, dans la confiance, avec Saïd. Si tu essayais de comprendre pourquoi je n’ai pas dirigé d’autres numéros de la revue, tu es fixé depuis longtemps mais tu fais mine de ne rien savoir. Il faut un minimum de convergence sur de nombreux points dont les moindres ne sont pas les combats d’idées et de principe. En dehors de cette précision qui a son intérêt, il me semble que je suis maître de ma recherche dont je garde l’initiative de la publication. Il n’y a jamais eu de contrat d’exclusivité entre nous.

Avec l’assurance que, dans ma conception des rapports en société, la bassesse et l’amitié ne sauraient faire bon ménage, sauf à relever d’un cas de figure universellement connu : le poignard dans le dos.

El Hadi Chalabi.

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Cette interview de Daho Djerbal à El Watan a également produit sur Khaled Satour un effet vivifiant irriguant des rapports prétendument clos en un « divorce par consentement mutuel ». Ce sursaut s’est traduit par les deux courriers suivants :

e-mail de Khaled Satour à Daho Djerbal, le 9 avril 2002 : sujet : observations

À Daho Djerbal,

J’ai un peu relu ces derniers temps le livre que vous avez publié en hommage à Saïd Chikhi. Il y a beaucoup à dire de cette initiative, fort louable à son principe mais aussi à redire de son contenu. pour être bref, je n’aborderai que deux points :

-Le premier concerne le procédé qui consiste à constamment valoriser ton propre rôle dans Naqd, en dénigrant à l’occasion les autres. Tu l’avais déjà fait dans ton éditorial du n° 10, tu remets ça dans le livre. Par exemple, était-il nécessaire de publier des passages de la correspondance personnelle de Chikhi tels que celui-ci : « C’est vraiment inadmissible que les collègues ne t’aident pas. À croire qu’ils se suffisent avec les noms portés sur la revue ». Veux-tu laisser entendre (en instrumentalisant à titre posthume la parole de Chikhi) qu’il y avait des opportunistes qui utilisaient leur appartenance à Naqd à des fins personnelles ? Si c’est le cas, il serait juste d’actualiser le débat et de se demander à qui profite aujourd’hui la promotion de Naqd dans les colonnes de la presse « indépendante » d’Alger et dans les célébrations diplomatiques.

-Le second point concerne la relation faite dans les pages 124 et 125 de l’engagement de Saïd Chikhi dans un « Forum démocratique algérien » en 1989. À ma connaissance, le forum ébauché par Saïd, avec Touati [Guy], Benchikh [Madjid], toi et moi, fut une initiative non-aboutie. Nous travaillions à la mise au point de la plate-forme lorsque le Forum démocratique algérien s’est constitué, en dehors de notre participation, sous la présidence de Moncef Benouaniche, dans la mouvance « démocratique » du RCD et du PAGS. Puis, en juillet 1990, Aït Ahmed a créé son Forum démocratique autonome, auquel Chikhi, Benchikh et Touati ont adhéré, au détriment de notre propre projet.

Me basant sur ces faits, je ne vois pas quelle peut être cette « plate-forme à laquelle Saïd Chikhi et quelques universitaires indépendants avaient apporté leur contribution » (p.124) dont tu cites des extraits et que tu dates du 18 mars 1991. Il ne peut s’agir de celle du forum Benouaniche, puisque Chikhi n’en a pas fait partie. et ce n’est pas celle du forum Aït Ahmed, dont il serait d’ailleurs erroné d’attribuer l’initiative à Chikhi. Le seul Forum dont Chikhi a été l’initiateur est le nôtre qui fut mort-né à l’été 1990.

Tu ajoutes à la confusion en passant sous silence l’adhésion de Chikhi au Forum d’Aït Ahmed, tout en désapprouvant « beaucoup des universitaires et intellectuels indépendants qui avaient accompagné Saïd Chikhi [et qui ] ont fini par rejoindre les staffs des partis politiques et transformer le FDA en appendice de tel ou tel rassemblement ou tel ou tel front ». À supposer que cette désapprobation soit légitime, elle est susceptible d’une double lecture contradictoire : explicitement, elle épargne Chikhi mais, implicitement, elle s’applique à son engagement avec Aït Ahmed.

Salutations

Khaled Satour

Remarque : les observations de Khaled Satour ont comme source les actes du colloque sur Saïd Chikhi (tenu les 9 et 10 mars 1999 à l’Institut de Sociologie d’Alger), Mouvement social et modernité. L’ouvrage, publié en 2001, est coédité par Naqd sous la double direction de Mohamed Benguerna et Daho Djerbal.

Réponse de Daho Djerbal

e-mail De : « Naqd » <naqd@wissal.dz> À : Satour

Cher Khaled,

Je vois que tu restes très attentif et vigilant quant aux publications de NAQD… une fois sorties. Je te remercie pour les remarques et précisions ayant trait aux faits concernant l’itinéraire de Saïd, ses positions et autres initiatives. Quant aux autres remarques très personnelles et inamicales, je prendrai le temps d’y répondre quant au fond n’ayant actuellement absolument pas le temps matériel de le faire.

Il faut poursuivre le débat critique mais, de grâce, évitons les incriminations et autres attaques sournoises. Nous avons suffisamment à faire pour nous perdre dans de tels marécages nauséabonds.

Daho

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Dans la troisième partie, Naqd source et enjeu de pouvoir -Naqd face à la guerre civile et ses suites- et sous le titre lectures d’une guerre et silences complices nous avons mentionné un article de Mohammed Harbi visant Mohamed Boudiaf, alors détenu à Tsabit (Adrar) et la réaction de ce dernier dans Où va l’Algérie ? Voici l’intégralité de cet éditorial de Mohammed Harbi, tiré de Révolution Africaine, [dont il était devenu le directeur, succédant à Jacques Vergès] numéro 29, du 17 août 1963.

DON QUICHOTTE EN ALGÉRIE

Il y a quelques jours, les forces de sécurité appréhendaient une trentaine de personnes qui avaient gagné le maquis pour préparer la lutte armée contre le pouvoir.

Parmi eux figuraient des citoyens étrangers venus en Algérie enseigner l’art de l’insurrection. Cette initiative de « boy-scouts de la politique » appelle des commentaires.

Tout d’abord, elle n’aurait jamais vu le jour si elle n’avait pas reçu le patronage d’Algériens qui à l’occasion de cette aventure se sont affirmés incapables d’embrasser le processus historique dans sa complexité et ses discordances intérieures.

Elle met aussi en relief le désarroi de certaines fractions de la bourgeoisie cosmopolite, leur caractère a-national. Aucun Algérien sérieux et lié de manière ombilical aux problèmes de son pays n’aurait accepté d’entreprendre une telle équipée. Car, au moment même où les contradictions avec les représentants des privilégiés et les tenants du libéralisme bourgeois apparaissent au grand jour, l’opposition au pouvoir au nom de la révolution constitue manifestement une manœuvre de diversion tendant à discréditer l’idée même du socialisme.

Penser que l’on peut mettre en mouvement le peuple algérien en confiant ses destinées à des hommes qui n’ont pas assumé son expérience et qui ne peuvent même pas le comprendre, c’est douter de sa maturité et le croire encore colonisable.

Dans les conditions qui sont aujourd’hui celles de l’Algérie, l’appel aux concours extérieurs débouche inexorablement sur l’intervention impérialiste dans nos affaires intérieures et l’affermissement des bases du néocolonialisme.

L’utilisation de cette aventure don quichottesque par des réseaux de renseignements sionistes est incontestable.

Il est certain que la politique arabe de l’Algérie, sa volonté de retrouver sa personnalité provoque l’hostilité de certains milieux de gauche. Souvenons-nous des manœuvres de la presse étrangère qui ont suivi les déclarations du Président Ben Bella après sa libération. Ces réactions, qui ont étonné les non avertis, sont en fait une conséquence d’un désaccord fondamental sur le problème d’Israël.

Mais nos positions cohérentes dans le domaine de la politique arabe et sur les problèmes d’Israël ne doivent créer chez nous aucune confusion. Il faut apprendre, conformément à nos principes révolutionnaires, à faire la distinction entre le « sionisme » et l’Israélite » et interdire toute altération du sens de notre combat. Les fabricants d’amalgames sont aussi les ennemis de la démocratie et du socialisme. Les déclarations du Président Ben Bella sur ce point ont toujours été claires.

Mohamed Harbi