MOHAMED BABA-NADJAR KIDNAPPÉ PAR L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE…

Le 3 juin 2008, le procès de Mohammed Baba-Nadjar devait s’ouvrir de nouveau, (ou l’injustice se poursuivre) à Ghardaïa, après que la Cour suprême ait cassé le premier jugement, le 23 décembre 2007.

Justice pour Mohamed Baba-Nadjar, proclame la banderole tendue d’un bout à l’autre de la rue grouillante du marché de Ghardaïa. La ville semble avoir fait de Mohamed un symbole, le sien, de lutte contre l’arbitraire.
Dès huit heures une foule de jeunes Ghardaouis, d’hommes d’âge mûr, d’amis et de militants du FFS de Ghardaïa et des cités voisines, s’agglutine, paisiblement, en face du siège de la cour de Ghardaïa.

La topographie des lieux, leur disposition architecturale, renseigne toujours, sans risque d’erreur, sur la conception de l’autorité et du pouvoir dans un système donné. La cour de Ghardaïa frappe, d’abord, par sa disposition, encastrée entre le bâtiment de la wilaya, pour ne pas dire dans ce dernier, et le siège du secteur militaire. Derrière les murs, se profile le poids de la puissance, de la forteresse, qui incrimine, déjà, en l’infériorisant, la justice dans sa simple dénomination. Ce qui ressort, à travers le choc calculé de ce rappel à l’ordre des choses, c’est l’image de cette justice bien en mains, entre l’administration locale et les autorités militaires. L’agencement architectural est aussi une proclamation fixant le degré de considération et de confiance devant régner entre les autorités militaro-administratives et les citoyens.

Justice bien gardée ou justice kidnappée, soustraite aux interpellations légitimes dont elle pourrait faire l’objet ? L’enfermement de la justice, écrasée dans une mitoyenneté calculée, lourde de sens, se projette sur le procès attendu. Averti par ses services de l’attroupement qui s’amplifie, le wali envoie d’abord son service de presse, caméra au poing, afin de saisir sur le vif le portrait de ces dizaines de Mozabites qui osent braver l’administration dans son encadrement naturel de la justice et manifester leur solidarité avec un des leurs, injustement condamné et maintenu en détention, avec régime du condamné à mort, alors que le jugement le condamnant à la peine capitale a été cassé il y a sept mois.

Les manifestations de solidarité en faveur d’une justice sans maquillage, sans tricherie, sont toujours un mélange d’étonnement et de révolte pour les maîtres de l’administration et de la justice qui semblent ressasser cette question lancinante : comment osent-ils ? Comment osent- ils se constituer en masse solidaire unie, exigeante ? Le wali sort de sa réserve, quitte la fraîcheur de ses bureaux et vient humer l’air chaud du matin. En chemise, manches retroussées, il s’avance sur le trottoir, d’un pas tranquille du seigneur inspectant les abords immédiats de sa forteresse, jaugeant la situation, rassuré par une présence policière conséquente mais discrète. Le caméraman du wali balaye, du trottoir de la wilaya, les rangées d’amis de Mohamed arborant tous un tee-shirt à son effigie, frappé de l’interpellation : Justice pour Mohamed Baba-Nadjar. Soudain, un, deux puis trois jeunes traversent la rue, portables en action, et immortalisent le mouchard à l’œuvre, mimant une scène grotesque sous les applaudissements et les cris moqueurs de la foule.
A peine a-t-on le temps de voir s’ouvrir les portes de la cour que les amis de Mohamed partent à l’assaut. Ils semblent s’être donnés le mot pour occuper au plus vite les rares rangées que la justice offre au public devant lequel elle prétend, légalement, se montrer . Au nombre de bancs et devant l’encadrement policier, on finit par se persuader que si la justice se dévoile au grand jour elle ne le fait que parcimonieusement, restant aux aguets, les masques protecteurs à proximité. Une dizaine de policiers, en tenue, font face à la salle impassible, suspendue seulement à l’instant de voir arriver Mohamed. A l’écart, entre eux, se tiennent les quatre gendarmes convoqués pour rendre les honneurs. C’est ce qu’ils font à neuf heures quarante quand le tribunal fait son entrée. L’âge moyen des magistrats oscille entre quarante cinq et cinquante ans. Apartés, chuchotements. Mohamed n’est toujours pas là. Le président du tribunal fait procéder à l’appel des témoins dont l’absence est constatée.

A neuf heures quarante huit, l’accusé n’est pas présenté et la défense, en l’occurrence Noreddine Ahmine tarde à arriver. Il sera là deux minutes plus tard alors que le tribunal se consulte dans de graves chuchotements ponctués de hochements de tête. Après consultation du parquet et de la défense, le président les informe du report du procès et, avant de donner lecture de l’ordonnance de report à la prochaine session, il s’adresse à N. Ahmine pour entendre ses remarques. Constatant que le détenu n’a pas été transféré, le président conclue au report du procès au nom du tribunal en session.

L’absence de l’accusé à sa propre audience ne laisse pas d’inquiéter sa famille et ses amis. En effet, la présence du détenu/accusé est obligatoire à l’ouverture de l’audience, sans préjuger de considérations sur les demandes de report. La défense aussi était décidée à demander le report arguant du climat non empreint de la sérénité nécessaire pour une bonne justice, devant la proximité des événements de Berriane. Arrivé en retard, assuré que l’audience ne débute pas avant dix heures, N. Ahmine me confirmera plus tard son trouble, visible, de sorte qu’il me dit n’avoir pas pensé à soulever la question de l’obligation, pour l’administration pénitentiaire de présenter l’accusé à l’audience. L’anomalie n’a pas été signalée en séance publique, devant le tribunal. Nous sommes en droit de nous interroger sur l’état du prisonnier qui est, par ailleurs, maintenu sous le régime pénitentiaire de condamné à mort alors que le jugement ayant prononcé cette peine a été cassé par la Cour suprême.

En vérité, à l’approche du procès, Mohamed Baba-Nadjar est pratiquement soumis au régime du secret. Avant de le soustraire à sa propre audience, le 3 juin 2008, l’administration pénitentiaire le déplace de la prison de Berrouaghia en laissant entendre à ses proches qu’il est tantôt à Ghardaïa, tantôt à Laghouat, tantôt à Djelfa.
Le 4 juin 2008, Abdelaziz Baba-Nadjar, le frère de Mohamed, qui a l’habitude de lui rendre visite à Berrouaghia dit avoir vu son frère au début du mois de mai.
Le 18 mai, il retourne pour une autre visite à Berrouaghia mais il est renvoyé. On lui répond que Mohamed a été transféré à Djelfa depuis le 13 mai. Notons au passage que pas plus que la famille, la défense de Mohamed n’ait été avertie.

Abdelaziz se déplace sur Djelfa pour voir Mohamed. On lui confirme que ce dernier se trouve bien au centre pénitentiaire de Djelfa mais on refuse le droit de visite pour la simple raison qu’il faut une autorisation du procureur général près la cour de Djelfa. Un prisonnier déplacé dans le secret de Berrouaghia à Djelfa ne saurait bénéficié du droit de visite sur la foi d’une autorisation d’accès délivrée par le procureur près la cour de Médéa.

Pourtant, lorsque Abdelaziz se présente devant le procureur de Djelfa, ce dernier refuse de délivrer l’autorisation car si Mohamed a été transféré, son dossier est resté à Ghardaïa. Le procureur adjoint de Ghardaïa, Belâtria, qui a toujours été « l’interlocuteur » de la famille, dans l’affaire Baba-Nadjar, refuse à son tour de satisfaire à la requête pour un permis de visite en affirmant ne pas savoir où est détenu Mohamed. Belâtria fera revenir Abdelaziz le 7 juin 2008 promettant de délivrer le permis de visite en indiquant en même temps dans quelle prison se trouve Mohamed.

Dernière nouvelle : Bachir Baba-Nadjar, le père de Mohamed a pu voir son fils début août à la prison de Djelfa.

En attendant le procès, promis pour la prochaine session du tribunal criminel, à Ghardaïa, nous n’avons que notre soutien à apporter à Mohamed, pour l’aider à triompher de l’injustice qui le frappe. C’est ce que la foule a scandé en ce sens, dans une marche improvisée, du siège de la cour, jusqu’au marché, à proximité du siège du FFS, avant de se disperser dans le plus grand calme.