LA DÉFLAGRATION DE LA LADDH OU LES MÉANDRES DU POUVOIR TOTALITAIRE

Avec l’année 2007, le constat peut et doit être fait : aucune organisation politique n’a été à l’abri des fractures et des éclatements. Le constat s’étend également aux associations et aux syndicats. Les organisations des droits de l’homme n’y ont pas échappé. On se souvient de l’affrontement et de la division à l’intérieur du mouvement prenant en charge la question des disparus et les révélations de feu Mahmoud Khelili et ses accusations à l’égard des responsables de « SOS Disparus ».
La LADDH, que l’on croyait à l’abri des coups susceptibles de la déstabiliser, s’est fracturée deux ans après la tenue d’un congrès que Hocine Zehouane avait baptisé congrès de la transition. On voit aujourd’hui la transition vers laquelle la ligue de défense des droits de l’homme a été acheminée, payant la rançon de pratiques qui sont la négation de ses principes et de son idéal dans le déroulement du deuxième congrès, du 22-23 septembre 2005 à Boumerdès.
La déflagration de la LADDH, terme qui nous semble mieux adapté que celui de « crise », n’est due ni à un affrontement doctrinal ni à des divergences sur les formes ou moyens d’action. Pas plus qu’elle ne relève d’une opposition sur un bilan de l’association quant à l’état des droits de l’homme dans la société et de leur prise en charge face au délabrement généralisé, dans tous les secteurs. En bref, la chute vertigineuse qui frappe la LADDH ne relève pas à proprement parler d’une politique des droits de l’homme mais du pouvoir en son sein et des moyens de le conquérir, de l’exercer et de le garder. Nous sommes donc en face d’une transposition de la question du pouvoir sur et au sein de l’association, en modèle réduit mais avec les mêmes caractéristiques que celles qui gouvernent le pouvoir de domination dans l’Etat et la société. Le degré de gravité atteint cependant à son paroxysme quand on sait que la LADDH est censée œuvrer contre le recours à la violence sur l’ensemble de la société et sur chacun de ses membres, qu’elle installe sa raison d’être dans le respect des droits et libertés individuels et collectifs. En ce sens, elle pouvait symboliser le lieu privilégié où s’élabore une pédagogie qui, à la longue, essaimant autour d’elle, pouvait remettre en cause le substrat du pouvoir totalitaire, au moins en aidant à comprendre ses mécanismes. Cela suffit pour souligner combien la décomposition qui la menace doit être appréhendée à une échelle de gravité autrement plus dévastatrice que celle qui frapperait un parti politique.
A priori, la LADDH puise sa raison d’être dans une lutte difficile contre la violence en l’appréhendant dans sa divulgation, ses ressorts et ses diverses manifestations. Ses armes ne sont rien d’autre que l’information, la formation de ses militants et la sensibilisation de la société par une couverture, toujours problématique, du terrain.
Dans la rencontre pouvoir-violence, la LADDH a eu l’occasion de montrer, à maintes reprises, par la voix de Ali-Yahia Abdennour, qu’elle n’hésitait pas à relever le défi : celui de donner une autre dimension aux droits et à la justice. Comment expliquer, dès lors, que la violence contre laquelle elle livre un tel combat, l’ait à ce point submergée ? Depuis le mois de mai 2007 avec le premier choc à l’intérieur du comité directeur mais singulièrement à compter du mois d’octobre, les colonnes de la presse retentissent des formes de prédation faisant de l’insulte et de la calomnie, du mensonge et du travestissement des faits, l’arsenal tenant lieu de démonstration en vue d’accéder à la reconnaissance et à la légitimité. Quand les colonnes des journaux ne suffisent pas par lassitude ou par refus devant le contenu diffamatoire d’écrits malsains, les boîtes électroniques prennent le relais. Le cas échéant, celles-ci reçoivent en renfort la distribution manuelle, au même titre qu’on le ferait avec des tracts soutenant quelque cause réprimée. Telles sont les hardes dont Hocine Zehouane a affublé l’une des organisations qui, dès sa création puis au cours des années sanglantes, a laissé espérer le recul du totalitarisme pour prendre en charge, par la suite, l’interpellation des auteurs des crimes contre l’humanité.
La source de l’éclatement de la LADDH n’est pas, comme une partie des adversaires d’aujourd’hui semblent y souscrire en la limitant à la démission de l’un des membres du comité directeur et ses suites, la mise en minorité de Hocine Zehouane, président en exercice, et le refus de ce dernier de s’y conformer. Il faut, en effet, remonter au congrès de Boumerdès et voir quels étaient les objectifs de ce dernier, comment il s’est déroulé et à quoi il a abouti. Les luttes hégémoniques ayant pour centre le comité directeur ne sont que la suite logique des pratiques qui ont présidé à la conduite et au déroulement du congrès de Boumerdès en septembre 2005.

– LE CONGRÈS DE BOUMERDÈS :
UNE LONGUE VEILLÉE D’ARMES POUR UNE SUCCESSION DOULOUREUSE –

Le départ de Ali-Yahia Abdennour n’a posé d’autre question dès 2003 que celle ayant pour objet le nom de son successeur. La perspective d’un congrès n’a effleuré aucune des questions essentielles qui mettent la ligue en devoir de cerner l’objet même de son action. Trois acteurs ont un poids de nature à bloquer ou à favoriser les prétendants en lice. Hocine Aït Ahmed comme figure incontournable dans le milieu militant de la ligue et en Kabylie dans la mesure où la ligue s’est enracinée d’abord dans cette région ; Ali Yahia dont la vie se confond depuis 1985 avec la fondation, l’interdiction, la re-naissance et le combat difficile de la ligue dans les années quatre-vingt dix ; le « troisième homme », Hocine Zehouane est en même temps partie prenante dans la détermination des voies de la succession et comme candidat ne cachant pas sa fébrilité devant l’opposition des deux premiers à le mettre en position d’éligible. Il joue également, dans un profil bas, le rôle de prétendant légitime que l’on destine à la trappe. A beaucoup parmi ses proches connaissances, il se présente déjà comme une victime acceptant son sort plutôt que de se laisser aller à l’affrontement« en usant de secousses de nature à porter atteinte à la santé fragile du président Ali-Yahia ». Nous sommes donc, à la veille d’un changement de direction, en face d’acteurs au passé historique entre-croisé, parsemé de rivalités et d’opposition violente, retraçant fort bien la dominante des rapports politiques marquants de l’Algérie indépendante.
Ce changement de direction s’avère en réalité être une mutation hasardeuse pour deux raisons :
*La première tient à un passif historique partagé et mal assumé.
*La seconde est due au fonctionnement même de la ligue qui a pratiquement été portée par la seule figure de Ali-Yahia. Le poids des pratiques politiques à dominante patriarcale assorties des contraintes imposées par l’état de siège et les formes de violence généralisées ayant marqué les quinze dernières années expliquent l’indigence démocratique qui caractérise la LADDH de l’intérieur et le faible développement dans la formation de cadres susceptibles d’amortir le choc propre à toute succession.
Entre 1962 et 1965 seulement, se sont cristallisées des rancunes haineuses alimentées par l’action (positionnement politique vis-à-vis du pouvoir central, vote ou pas de la constitution de 1963, création du FFS et soulèvement en Kabylie sous la direction de Aït Ahmed et Ali- Yahia) et le discours (installation du pouvoir à Alger avec le groupe Oujda-Tlemcen à deux têtes, Ben Bella –Boumediene, groupe dans lequel prend place Hocine Zehouane).
Accablant le FFS et son chef, Zehouane, tenant du tandem Andrei Jdanov(1) et Andrei Vychinski(2), conjuguant réalisme partisan et réalisme socialiste, portera à l’adversaire à la fois les coups les plus violents mais aussi les plus bas pour l’atteindre dans sa dignité et le jeter en pâture à la foule baptisée peuple. La trajectoire politique du trio se complique quelque peu avec le soutien apporté par Ali-Yahia au régime du 19 juin 1965(3). Ce qui le met en porte-à- faux à la fois vis-à vis de Zehouane et d’Aït Ahmed. A cet enchevêtrement de rancunes, le terreau kabyle, ajouté à la perspective des enjeux à venir, met la LADDH en situation instable en l’écartelant dans trois directions :
*Un président en exercice qui n’est pas tellement convaincu de l’utilité voire de la nécessité de son départ et qui est en proie au doute sur l’avenir de l’association.
*Un président du FFS qui entend continuer à peser à travers ses militants à l’intérieur de la LADDH parce que celle-ci peut en retour lui venir en soutien à l’occasion des contestations internes au FFS, ou, en tous cas pourrait constituer un repli et un recours. C’est pour cela qu’il tente de faire admettre comme successeur de Ali-Yahia quelqu’un de proche : soit Salima Ghozali, soit Mustapha Bouchachi.
*Un vice-président de la LADDH qui donne l’impression de représenter une cible facile face au tir croisé des deux premiers. Cette position, inconfortable de prime abord, se transforme en position avantageuse dans la mesure où il fait campagne sous le signe de l’apaisement et du désintéressement, voire de l’abnégation et du sacrifice, même s’il ne manque pas de rappeler sa prétention légitime à la présidence de l’organisation. Pendant deux à trois ans, une longue campagne riche en manœuvres et concertations souterraines tente de frayer la voie d’une succession qui paraissait plus que jamais compromise.
Pourtant, à force de pression, de rencontres et de conciliabules, Ali-Yahia finit par se résigner à son départ et à la préparation, sous la forme d’un congrès, de sa succession. C’est ici qu’apparaît Kamel Daoud, transfuge du FFS (il manque rarement de rappeler son ancien statut de secrétaire général par intérim) devenu trait d’union entre deux antagonistes, Ali-Yahia et Zehouane. En juin 2004, Ali-Yahia, dans une note d’information, annonce la représentation, à Paris, de la LADDH, par « Algérie-Droits de l’Homme pour Tous » (ADHT). Or, le président de ADHT n’est autre que Kamel Daoud. La même note d’information ayant le même objet est ensuite cosignée par le président et le vice-président de la LADDH. Kamel Daoud est « adoubé » en lieu et place de Yahia Assam, qui aurait, semble-t-il, pris un peu trop d’autonomie vis-à-vis d’Alger. Or, Yahia Assam est un neveu de Aït Ahmed. On peut penser, qu’à partir de ce moment là, Aït Ahmed est distancé dans la mise en place du processus de succession à la tête de la LADDH. Le document de juin 2004 cosigné Ali-Yahia / Zehouane atteste, outre la désignation de Kamel Daoud en position de trait d’union, la fin de la glaciation entre le président et le vice-président de la LADDH. Les préparatifs du second congrès peuvent commencer, dès le mois de juin 2004. Les tractations se précisent et les défilés continus chez Ali-Yahia finissent par persuader ce dernier de passer le témoin. Il le fait en donnant son accord pour la désignation de Zehouane comme président de la commission préparatoire du congrès(4). La rétention de l’information en direction des comités de wilaya (instances locales) sera la première manifestation annonçant les procédés autoritaires qui animeront le congrès(5). Les comités de wilaya n’ont eu qu’un seul contact avec la commission de préparation du congrès lors d’une rencontre à la fondation F. Ebert. Mais « ni les statuts, ni aucun document n’ont été présentés aux comités de wilaya pour amendement ou même pour information, malgré la promesse faite… »(6).
Les travaux du congrès ont été limités à deux enjeux essentiels : la succession de Ali Yahia et les statuts réglant la vie de l’association. En fait, le congrès s’est borné à formaliser ou, si on veut, entériner des décisions qui étaient ficelées à l’avance : faire de Hocine Zehouane le président de la ligue et ratifier le projet de statuts. Si l’ensemble des militants était porté à célébrer la nouvelle configuration de la ligue dans la communion, une grande partie d’entre eux n’entendaient pas aller jusqu’à abdiquer la parcelle de droit liée à la liberté de parole et à la liberté de choix, c’est- à- dire le pouvoir de décision. De là on comprendra comment le congrès s’est soudain emballé pour être écartelé entre un encadrement qui entendait faire des travaux un simple processus d’enregistrement d’orientations arrêtées ailleurs entre initiés, et une base soucieuse de son droit d’accès au pouvoir de décision. L’encadrement fonctionnait sur le modèle traditionnel du parti unique où les assemblées sont convoquées aux fins d’acclamations. Chez les militants, même si elle était vacillante, la flamme portée par la mèche allumée depuis 1985 et la volonté de rupture avec le système totalitaire insufflaient suffisamment d’ardeur pour vouloir peser sur le déroulement des travaux.
Le vote des statuts précédant le mode de consécration du président et du comité directeur, l’affrontement eut lieu d’abord au sujet des statuts. Pour les uns, il ne pouvait s’agir que d’une simple formalité. Pour les autres, au contraire, il était impératif d’en discuter et de voter les dispositions une par une. La présidence du congrès, comme celle de la commission des statuts, se sont distinguées par les pratiques dilatoires, aggravées de violences verbales à la limite d’affrontements physiques conduisant soit à étouffer soit à rabaisser les voix qui portaient vers le sens inverse des objectifs à atteindre, définis à l’avance en comité restreint : mettre en place des statuts permettant d’écarter le maximum de cadres militants du FFS selon la formule de l’article 18(7) et confirmer, en la confortant, la mise en place de l’équipe dirigeante.
Poussant dans le sens d’un congrès au rabais, quatre acteurs ont eu une part déterminante dans l’acheminement du congrès dans le sens voulu par Hocine Zehouane. Ils vont en constituer l’entourage immédiat au sein de l’exécutif/comité directeur : Kamel Daoud, Redouane Boudjemaâ, Aït-Yahia Ouali et Noureddine Ahmine. Les deux premiers font figure d’alliés de fraîche date, et, comme les faits ultérieurs le démontreront, des alliés de circonstance, tandis que les seconds tiennent à la fois de la clientèle et des « compagnons de route » dans la conquête de la ligue. Neutralisant les revendications d’un scrutin à bulletins secrets pour l’ensemble des décisions, qu’il s’agisse des statuts ou de l’élection du président de la ligue, ce quatuor en concertation avec Zehouane, resté dans l’ombre, finit par faire prévaloir le jeu où l’arrangement, doublé d’autoritarisme, conduit à la désignation pure et simple. A deux doigts du boycott, en cours de travaux, suite au départ des délégations constituant à elles trois la majorité (Tizi-Ouzou, Bejaïa, Ghardaïa), le congrès n’a été repêché que grâce au charisme et à la fibre paternelle de Ali-Yahia. Ce dernier, résolu à se retirer, ne pouvait plus revenir sur l’engagement de départ : faire de Zehouane son successeur. Alors qu’un scrutin à bulletins secrets aurait assuré plus de légitimité à un président élu dans la compétition, Bouchachi se présentant face à Zehouane, le sort de la ligue s’est joué entre les membres de l’encadrement, principalement d’Alger, auquel s’ajoutent Kamel Daoud (Paris-Alger-Annaba) et Ahmine (Laghouat). Hanté par la division de ce qu’il considère être l’œuvre de sa vie, Ali-Yahia réussit à convaincre les « sortants », partisans du boycott, à réintégrer le congrès en poussant l’un des membres de la délégation de Ghardaïa, Mohamed Djelmami, vieille figure du militantisme syndical ghardaoui, à siéger au comité directeur. L’initiative crée un sombre quiproquo, dans la mesure où la composition du conseil, déjà arrêtée, ne pouvait plus être revu e par les membres déjà en place : si Ali-Yahia tentait de colmater les brèches, Hocine Zehouane et ses alliés n’entendaient nullement s’encombrer d’un membre représentant une majorité des contestataires de base. C’est ainsi que Mohamed Djelmami a été destinataire d’un fax sur Ghardaïa lui signifiant son congé du comité directeur alors que, présent à Alger au même moment, il se préparait à participer à la première séance de l’exécutif.
Dans un mélange d’autoritarisme et d’archaïsme, la LADDH a été livrée à Hocine Zehouane, ce dont le mémorandum de Kamel Daoud ne rend nullement compte quand il se met en devoir de restituer le conflit ouvert puis installé au sein du comité directeur. Soulagé du poids tatillon des délégués de base du congrès et de leur refus de jouer les figurants, les notables organiques peuvent ensuite se disputer l’appareil de la ligue qui devient le champ clos d’une guerre hégémonique.

– LA DÉRIVE DESPOTIQUE : LES DROITS DE L’HOMME
A LA MERCI DE L’INVECTIVE ET DE LA FALSIFICATION –

Le bilan de la nouvelle direction entre la fin du deuxième congrès, en septembre 2005, et le 26 mai 2007 soit moins de deux ans, se limite à trois ou quatre séminaires organisés sous les auspices de la fondation Ebert en direction d’un public où se conjugue l’équivoque sur les droits des femmes, la liberté de la presse, la corruption et le projet de convention sur les disparitions forcées. Etant présent à ce dernier séminaire, j’avais relevé alors un commentaire, parmi d’autres, du président qui, s’adressant à quelques représentants de familles de disparus, leur disait, en guise de conclusion inspirée par la lecture du projet de traité, « vous avez gagné ! avec ce texte, vous avez dores et déjà gagné ! ». Derrière ces termes on pouvait y voir soit du triomphalisme soit un jet d’éponge annonçant la liquidation d’un combat dont l’issue était loin d’être acquise, même si l’Algérie avait adhéré à ladite convention. Il suffit d’égrener la liste des violations des droits humains sur le sol algérien, malgré les textes dûment ratifiés, pour se persuader, sans forcer outre mesure, que le respect des conventions, au même titre que le respect de la constitution ou des lois, ne se suffit pas d’un simple paraphe au bas d’articles solennels. La convention sur la torture et les traitements inhumains et dégradants est là pour nous rappeler la permanence de la torture. On n’a jamais autant torturé en Algérie depuis que l’interdiction de la torture a été intégrée dans ce qui s’appelle l’ordre juridique interne.
Par delà les mérites et les limites du projet de convention sur les disparitions forcées, le seul point qui méritait un débat était bien l’appréciation assénée par le président Zehouane. Il n’y aura pas de réaction parmi les parents des disparus dont on peut supposer qu’ils étaient sous le coup de l’émotion et de la douleur. Il n’y en eut pas davantage de la part des membres de la LADDH présents, ni des journalistes ou des quelques invités admis à suivre les exposés. Si, sur le fond, à partir d’une question aussi cruciale, le président de la LADDH semblait avoir perdu pied, sur la forme, beaucoup avaient déjà fait remarquer sa raideur et son agacement pour les débats. A fortiori, quand il est contredit. Il fallait donc s’accommoder d’un modèle de fonctionnement qui, dans les instances organiques, n’était pas de nature à faciliter les rapports quotidiens, pas plus que l’épanouissement de la ligue dans son ensemble. A vrai dire, les affrontements ayant émaillé le déroulement du congrès avaient laissé beaucoup de traces et le nouveau président en était sorti en proie à une « complotite » aiguë entretenue par une rancune tenace. Il n’est pas difficile d’imaginer les retombées sur le plan relationnel, au sein d’un comité de direction appelé à fonctionner collectivement. Cela pourrait expliquer la léthargie partielle qui s’est rapidement emparée de la vie organique. Jusqu’au mois de mai 2007, il n’y aura eu en tout et pour tout qu’une seule session du conseil national, en mars 2006, alors que l’instance exécutive ne s’est même pas dotée d’un règlement intérieur, qui ne verra d’ailleurs jamais le jour. Parallèlement, le dynamisme aiguisé d’appétit de certains membres du comité directeur ordonnait les espaces, en se ménageant de l’ascendant. C’est le cas de Redouane Boudjemaâ et Kamel Daoud. Si le second soignait son entregent en pointant discrètement, et néanmoins méticuleusement, les faux pas de son président, le premier, lié au secteur de la communication par sa fonction à l’Ecole de journalisme, sut faire activer les réseaux pour ficeler des dossiers de financement via, notamment la manne de l’Union Européenne. Devant les membres du conseil national réuni en mars 2006, il se permettra le luxe de refuser de rendre compte du bilan financier des travaux du congrès sans qu’il ne soit rappelé à l’ordre. Il aura suffi d’un tandem dont l’efficacité ne se départit guère de roublardise, face à un président dont l’autoritarisme constituait un handicap, prêtant le flan aux sarcasmes d’un esprit sachant exploiter les opportunités, pour que sa mise en cause soit menée à terme. Cela laisse deviner le travail subtil mené furtivement par un esprit qui avait sans doute pressenti l’impasse à venir. Dès lors, une altercation ou une mise en scène devient annonciatrice de la culbute, faisant de la succession arrangée de Ali-Yahia, en 2005, un épisode transitoire sous les auspices d’une violence ravalant les droits de l’homme au rang de sinistre farce. On comprend alors pourquoi, devenu Président d’honneur de la ligue, il se sentait comptable, en conscience, d’une lourde responsabilité dans le cheminement à la fois dangereux pour l’avenir, en termes de viabilité, et attentatoire au crédit de l’association. Hocine Zehouane, se laissant aller à une interprétation littérale des textes, en vue de les faire coïncider avec ses objectifs, croit pouvoir dénier à Ali-Yahia l’initiative d’intervention, par ailleurs pleine de sagesse, dans le conflit déclaré depuis mai 2007. Il entend le maintenir, confortablement installé dans un fauteuil, juste bon à écouter les flatteries que supposent les honneurs d’une retraite sans gloire, parce qu’oublieuse de son ethos. On pourrait reprocher beaucoup de choses à Ali-Yahia, (et nous sommes de ceux qui l’avons fait à la lumière d’échanges publics, sans ménagement, mais dans le respect dû au contradicteur), singulièrement depuis les engagements hasardeux, voire compromettants, dans les batailles électorales, (présidentielles de 2004), sa lecture parfois angélique des droits de l’homme (affaire Benchicou), ou sa maximophilie (ce goût immodéré pour la maxime/formule toute faite qui escamote la complexité des sujets). Mais nul ne saurait oublier que cet homme, malgré son âge, porte l’ethos de la LADDH, c’est- à- dire sa manière d’exister et d’agir, collectivement structurée autour d’une éthique portée par tous ses membres. Soucieux de sa position, on ne saurait lui reprocher de lier l’ethos de la LADDH au sien propre. Il manifestera, d’abord dans la retenue, sa position lorsque Hocine Zehouane, mis en minorité, refuse de se plier aux statuts. Il reviendra par deux fois dans le quotidien El Khabar(8) pour tenter de raisonner le président de la LADDH avant de souligner ses travers : « La meilleure façon de comprendre la situation que traverse le comité directeur est de l’exposer franchement, contradictoirement et d’agir avec calme, intelligence et maîtrise de soi. …Le président doit aux militants de la ligue la vérité totale sans enjolivures, ni explications préfabriquées. La dérision et la discorde stérilisent l’énergie et le dynamisme de la ligue qui ne peut supporter leur poids… Un militant de la LADDH qui ne manifeste pas un sens profond de l’humain et de grandes qualités de cœur ne peut être son responsable ni guider son action… »(9). Force est de se demander (de demander à Ali-Yahia) : pourquoi, connaissant l’homme, a-t-il aménagé son intronisation ? Qu’est-ce qui l’a poussé à le faire et comment saisissait-il l’homme au moment où le mécanisme de sa propre succession a conduit à lui livrer la LADDH ?

Pour résumer les données du conflit de mai 2007 au sein du comité directeur, il suffit de retenir les questions d’ordre organique et d’appréciation sur la gestion, suivie de la démission du secrétaire aux finances et à la communication. Dans ses monologues face à la presse, le président Zehouane insiste beaucoup trop sur «la démission volontaire acceptée» par lui- même. Cela suppose qu’elle ne l’était pas par d’autres et que, en somme, elle n’était peut-être pas aussi volontaire que le président le prétend. D’ailleurs, cette histoire de « démission volontaire acceptée » relève de la cocasserie. Une démission ne peut être que volontaire, sauf si l’on pénètre dans les ténèbres politico-ministériels où se pratique la démission–sanction, consacrée également par la dénomination élégante de remerciement. Le ton monte à l’occasion des échanges et la répartition des forces au sein du comité directeur réduit Hocine Zehouane à l’état d’un président minoritaire. La seule chose à faire, dans de telles conditions, et pour préserver la dignité de tous, à commencer par la sienne, c’est de renvoyer le comité directeur dans son ensemble devant le conseil national, de qui il tient son mandat, collectivement, puis de trancher le conflit dans le respect des règles statutaires. Hocine Zehouane préférera recourir à ce qu’il appellera « les règles de l’art avec une précision d’horloge », après avoir procédé, trois jours auparavant, à la convocation d’une assemblée générale pour le 26 octobre 2007.
L’art auquel il s’est plu de se référer dans plusieurs de ses déclarations écrites et conférences de presse en mettant l’accent sur des formes soigneusement calculées, semble être l’art juridique. Ce dernier n’est pas ipso facto distinct de la possibilité de l’art comme astuce et savoir faire pour s’affranchir des règles qui vous lient. Rappelons à titre didactique, que cette référence à l’art juridique puise ses racines dans les discussions doctrinales sur la théorie juridique, au XIXème siècle(10), sur la manière de définir le droit en y voyant tantôt une science tantôt un art, pour conclure qu’il est les deux à la fois. Cette définition sera reprise tout au long du XXème siècle, en désignant le droit comme « un donné » (résultat ressortant de l’observation des faits ou sources réelles du droit) et « un construit » (ce qui se traduit par l’œuvre humaine, l’aspiration à un idéal où s’investit la technique juridique). Cette perception sera mise à mal quand on découvrira que dans les deux cas, on oublie le moteur essentiel dans la construction du droit, c’est-à-dire les forces sociales. Dès lors, l’art juridique ne peut plus apparaître comme de l’art pour l’art, mais il sera apprécié selon les acteurs, les buts et les intérêts en jeu ainsi que leur satisfaction ou leur échec. Ces digressions théoriques permettent d’éclairer à quel projet l’art juridique, rendu à sa signification réelle, a pu satisfaire, au-delà du bluff médiatique.
Dans la convocation adressée « aux membres du conseil national », le 23 octobre 2007, Hocine Zehouane écrit : « Comme il vous a été annoncé dans la note d’information du 27 mai 07 (11), nous sommes au point où le travail d’investigation concernant la crise et la conspiration déclenchées contre la ligue et en son sein est suffisamment avancé pour autoriser la convocation d’une assemblée générale. En conséquence, le président de la LADDH conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 9 des statuts et, vu l’ampleur de déstabilisation engagée à l’intérieur et à l’étranger contre l’organisation, décide de convoquer une assemblée générale pour la date du 26 octobre 2007, à Alger à 9 heures du matin avec l’ordre du jour suivant :
1. La trame de la crise au sein de la ligue.
2. Rapport financier.
3. Questions d’organisation.
En attendant de plus amples informations sur les aspects logistiques, toute autre information est à solliciter auprès de la cellule d’orientation au siège central… ». Sans trop s’attarder sur le caractère martial de la convocation/programme dont les termes rappellent l’annonce de pouvoirs d’exception, soulignons ce penchant du président de la LADDH à se désigner à la troisième personne du singulier, en position de chef d’une troupe, mobilisée dans une atmosphère de suspicion policière imposant une vigilance serrée autour de l’organe central (« cellule d’orientation »).
Lorsqu’on lit l’article 9 des statuts, il n’est question ni d’assemblée générale, ni de pouvoir accordé au président pour convoquer celle-ci puisqu’elle n’existe pas. Cet article traite du congrès comme organe suprême(12). Le président ne peut convoquer le congrès qu’indirectement, en passant par le conseil national. Encore que ce dernier peut avoir l’initiative des sessions extraordinaires à la demande du tiers de ses membres. Or, le conseil national convoqué le 23 octobre pour une session, le 26, l’était en même temps, et d’office, sur simple caprice rédactionnel du président, sous forme d’assemblée générale. Par ignorance, suivisme ou calcul, les membres du conseil national qui assistèrent à l’assemblée du 26 octobre 2007 se sont retrouvés dans une position singulièrement imprévue de congressistes, en compagnie d’adhérents fraîchement acquis à la cause de la LADDH et, accessoirement, aux droits de l’homme. Si le conseil national est seul habilité à convoquer l’instance suprême, le congrès, sur proposition du président, on voit mal comment, à supposer que le congrès extraordinaire ait été à l’ordre du jour de la session du 26 octobre, il ait pu sur « le tas », se transformer en congrès extraordinaire avec le renfort, sous forme d’intrusion, par dessus les comités de wilaya, d’adhérents de circonstance. Mais supposons que tel n’est pas le cas et que l’on soit en présence d’adhérents de bonne foi, sincères dans leur engagement et nullement sous influence. Même, dans cette hypothèse, il paraît plus que douteux qu’un conseil national puisse se transformer en une instance sur laquelle il n’a aucune prise, pour la simple raison que, juridiquement, elle n’existe pas, et que des délibérations suprêmes puissent avoir lieu sans retour auprès des comités de wilaya pour la préparation et les débats sur l’ordre du jour du congrès. C’est une organisation désarticulée, destructurée qui est démantelée dans ses instances de communication et de décision, sans d’autre autonomie de choix que celle du fait accompli de pouvoirs exceptionnels. Très rapidement, d’ailleurs, la très grande majorité des comités de wilaya dénonceront d’un ton véhément l’initiative d’un président qu’ils ne reconnaissent plus (Alger, Annaba, Biskra, Boumerdès, Djelfa, El Bayadh, Ghardaïa, Mascara, Oran, Saïda, Sétif, Sidi Bel Abbès, Tlemcen, Tizi-Ouzou, Tipaza).
Dans un communiqué daté du même jour, le 26 octobre 2007, signé du président d’Honneur et de trois membres du comité directeur, les quatre responsables dénoncent la tenue de l’assemblée générale « anti- statutaire transformée en congrès extraordinaire » et convoquée dans la clandestinité …»(13).
Le 28 octobre 2007, poursuivant dans la même logique, en refusant de plier devant le coup de force, les membres du conseil national appellent à une réunion de leur instance, en vertu de l’article 15 al. 2 des statuts(14). La « réunion d’urgence » du conseil national se tient le 2 novembre et procède à l’élection d’un nouveau comité directeur qui désigne Mustapha Bouchachi comme président. Le jour même de sa destitution, Hocine Zehouane accuse le FFS d’être derrière « la conspiration » en revenant sur les accrochages du congrès de Boumerdès, tout en invitant ses adversaires à « faire valoir leurs arguments devant les juridictions ». Il assène, sans ménagement, pour les légalistes, que « leur conseil national ne vaut rien »(15). Réunissant trente membres sur quarante et un, le conseil national dans sa session du 2 novembre 2007 se donne un nouveau comité de directeur(16) et entame par la voix de son président la restitution de tous les biens de la LADDH. A la modération et aux appels à la sagesse qui imprègnent le ton du nouveau président, Mustapha Bouchachi, Hocine Zehouane répond dans une conférence de presse le 5 novembre au siège de la LADDH. Il s’attache alors à disqualifier l’ensemble des décisions prises par le conseil national du 2 novembre 2007 en mettant d’abord en avant la collusion entre le FFS et la majorité du conseil national qui a présidé à son éviction. Pour cela, il met en avant le lieu où s’est tenue la session du conseil, le siège de la fédération FFS d’Alger, sans préciser pourquoi les conseillers ont été obligés de « fuir » leurs propres locaux situés à proximité. Procédant au changement de serrure tout en accusant ceux d’en face de l’avoir fait et en se positionnant, par une série de provocations à même la rue, pour un pugilat en règle, il crie à la falsification des statuts en revendiquant le privilège d’en avoir été le grand ordonnateur lors de leur mise au point au congrès de 2005. Ce qui conduit à la vérité selon laquelle lui seul détient les vrais statuts et leur réel contenu : « le vrai article 9 des statuts de la LADDH donne la possibilité au président, au même titre que la majorité absolue des membres du conseil national, de convoquer un congrès extraordinaire …J’ai été le président de la commission de préparation du deuxième congrès et j’ai chapeauté tous les travaux préparatifs. Donc, je sais très bien ce que prévoient les statuts. Le chiffon de statut présenté par les contestataires est un faux document…une action en justice sera intentée pour usurpation de fonction et usage de faux documents ». Lorsque la question lui a été posée quant au procédé de chevauchement et d’interchangeabilité entre assemblée générale et congrès extraordinaire l’ex- président répond : « une assemblée générale ou un congrès extraordinaire ont un même but, c’est la réunion des militants »(17). Adepte du discours hâbleur assorti pour la circonstance de surcharges procédurières pour faire vrai, Hocine Zehouane fournit de lui-même la clef de la turpitude dont il accuse ses adversaires. Commentant son coup de maître, il déclare : « La convocation, l’organisation, les travaux du congrès se sont faits dans les règles de l’art. Toutes les dispositions réglementaires ont été respectées méticuleusement. Les décisions et l’adoption totale ou avec réserve de ces rapports sont consignées dans les minutes authentifiées par un officier ministériel désigné par ordonnance du tribunal de Sidi M’Hamed, en présence d’un officier du ministère de l’intérieur »(18). Il se montre plus soucieux du respect de la réglementation que du sort des statuts. En effet, comment ne pas se demander pourquoi recourir à la mise en scène procédurière d’une assemblée générale/congrès extraordinaire sous les auspices du ministère de l’intérieur (fonctionnaire de ce ministère) et du juge (ordonnance désignant un huissier pour suivre les travaux) pour attester de la régularité de toute l’entreprise. Comment admettre un instant et accepter, qu’une organisation chargée de la défense et de la promotion des droits humains, a fortiori la LADDH, compte tenu de sa trajectoire et de son ambition, puisse accepter que ses travaux se déroulent sous l’œil aiguisé par près d’un demi-siècle de pouvoir totalitaire de représentants d’appareils répressifs ? Comment faire fi un instant de ce que ces appareils font obstacle au devoir de vérité et de justice pour des crimes toujours impunis ? Ou bien alors, le crime contre l’humanité est devenu soudain négociable pour convenances personnelles ? Au-delà de la violation de sa propre éthique et de l’article 18 de ses statuts qui proclame l’indépendance de la LADDH vis-à-vis des partis politiques et des appareils de l’Etat et de ce dernier, le procédé utilisé pour maintenir sa domination sur une telle organisation est une offense aux milliers de victimes qui, en définitive, finissent par être versées dans l’instrumentation.

– LES MÉSAVENTURES D’UN MOI POLITIQUE HYPERTROPHIÉ –

Depuis le 3 novembre 2007, Hocine Zehouane peut être désigné par les deux titres, ou l’un des deux, dans ses rapports avec la LADDH : il est à la fois le président et l’ex-président. Ce résultat rocambolesque est parsemé d’une violence sans retenue qui mérite quelques tentatives d’explication.
Pour apprécier le contenu de la violence distillée pendant les trois ans qui ont mis Hocine Zehouane sous les feux de l’actualité, on ne retiendra que le dernier texte censé reproduire le contenu d’un entretien accordé le 9 décembre 2007, à un journaliste d’El Watan, Madjid Mekedhi. Ce texte que le quotidien a refusé de publier est un échantillon suffisamment représentatif pour résumer le regard de son auteur sur ses contradicteurs/adversaires et sur lui- même. Il reprend les mêmes « arguments », la même technique dans l’exposé et le même vocabulaire que l’on relève, sous forme estompée, dans ce que rapporte la presse. La « force de frappe » demeure cependant intacte, dans le dernier document que nous retenons, avec plus de précisions ici ou là, enrichies de quelques citations littéraires/philosophiques destinées sans doute à donner à l’injure le statut de vérité. Une vérité définitive qui, espère-t-il, va figer pour toujours l’adversaire dans le portrait qu’il en façonne, celui de l’infamie.
La première remarque que l’on peut faire dans une analyse du « contenu », tient au caractère répétitif des termes à la fois dans la démarche, ou ce qu’il dénomme la méthode, le processus accusatoire consacrant son verdict interne et le regard jeté sur les autres qui, en contre-champ, restitue celui qu’il donne à voir de lui-même.
Dans la colonne méthode, annoncée souvent en guise d’introduction, on peut répertorier :
« exposé exhaustif et discursif » ; « argumentaire » (le journaliste ne pose pas de questions, il lui soumet un argumentaire), « usage brouillon et inadapté des notions et des concepts, réajustements sémantiques » (pour bien cadrer l’expression du journaliste « la LADDH traverse une crise sans précédent »), « parallélisme des formes » (alors qu’il est le seul à utiliser des formes et des formulations incendiaires).
Lui, (Hocine Zehouane) est dans la légitimité et exige que lui soient « réservés tous les droits d’une riposte appropriée » face à Eux (ses adversaires), auteurs « d’une opération de désinformation » « effets pervers », « forfaiture ».
Pour ce qui est de l’action réciproque et des programmes d’action :
Eux : « l’activité organique était pratiquement éteinte, et les images produites étaient celles de saltimbanques ou de figurants de spectacle ».
Lui : « ruptures, refondation radicale ». celle-ci s’accompagne d’une logomachie politico-juridique qui glisse des objectifs des droits de l’homme vers un programme présidentiel ou de chef de gouvernement : « effectivité de la protection des libertés individuelles et collectives en générant, par l’organisation, des mécanismes de défense et de contrôle au sein du corps social lui-même », « réhabilitation et mise en exergue des droits économiques et sociaux comme primordiaux aux autres droits », « la refondation constitutionnelle et institutionnelle pour en finir avec les dysfonctionnements auto-destructeurs de la société algérienne en lui forgeant de vrais mécanismes de régulation et de règlements des conflits » (il en donne un exemple éclatant en format réduit à la LADDH) « une approche originale pour une réforme authentique du code de la famille », « la reconstruction d’une perspective de réconciliation nationale qui satisfasse le sentiment de justice contre celui de l’impunité et puisse ouvrir la voie à une catharsis collective », « élaborer ses manifestes et ses feuilles de route » (expression fleurant bon le terroir américain en terre palestinienne, côté maîtrise des concepts).
Lui : « devenir une puissance de proposition et de subversion intellectuelle » .
Eux : « les écuries d’Augias qu’il faut nettoyer », « un primesautier sans envergure », « petit responsable omnipotent ».
Lui : « requérir des procédures appropriées et exceptionnelles », « jeunesse combattante », « seule la vérité est révolutionnaire » face aux « agissements sordides ».
Eux : « composantes de facto nécrosées » (c’est-à-dire mortes), « instance en dépérissement sensible », « juristes qui pensent avoir des moyens de droit et qui les disputent sur la place publique » « avocat qui plaiderait votre cause au marché d’El Harrach ».
Lui : « congrès extraordinaire, mesure thérapeutique », « convocation appartient de façon discrétionnaire au président », « toute discussion de nature contentieuse ne se fera pas sur les trottoirs ou dans les colonnes de la presse à sensation mais devant les juridictions ».
Eux : « flagrant délit de tentative d’usage frauduleux du Centre de Documentation ».
Lui : « déontologie ».
Dans le registre de la violence sur le plan physique et moral, la volonté d’avilissement atteint un tel degré, qu’il restitue de lui-même une figure de policier doublé de tortionnaire. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il s’empare du corps et de l’esprit, de l’intelligence de l’adversaire pour le modeler comme il entend, statuette d’argile sur laquelle il exerce un pouvoir absolu et dont il exige la reddition sans condition. Du moins dans le phantasme. Quand il se met en scène vis-à vis de l’autre, il commence d’abord par établir la hiérarchie du maître : « entre moi et lui ». Citant de Gaule à propos de Pétain, il n’hésite pas à se donner le rôle du vainqueur dans un aplomb césarien. Derrière les termes et leur agencement, il réussit à se mettre en scène, campé sur ses jambes devant le corps à terre, brisé au point de demander grâce. Bestialisant ses adversaires, usant de son bestiaire de chevet, comme de ses fiches qu’il actualise et arrange selon ses manigances, au même titre qu’un tortionnaire, au long parcours, il se bestialise à l’excès comme dans un besoin vital de réalisation de soi.
Eux : « personnages exécrables », « imposteurs », « mystificateurs, racket facile », « cachalot », « perruches », « maraudeurs », têtes de cire ».
Lui, soucieux de son apparence extérieure, y compris dans les journaux, crie son indignation en déclarant poursuivre en justice un journaliste d’ElKhabar : « il poussa son implication dans la forfaiture jusqu’à publier mon portrait pour le manipuler par la technique numérique et me faire apparaître sous des traits repoussants ». Enfin, à la « misanthropie culturelle » des autres, il oppose sa « mue refondatrice », sa « nouvelle sève », sa « cohérence » et son « désintéressement ».
L’habillage « culturel » qui émaille ce document, ne masque pas l’indigence de son auteur qui installe le duc de Morny comme référence, entre Jean Paul Sartre et Jean Jacques Rousseau. Cohabitation singulière, en effet, quand on sait que ce demi-frère de Louis Napoléon Bonaparte, dit Napoléon le petit ou Badinguet, dans les chansons populaires, est aussi l’artisan du coup d’Etat du 2 décembre 1851, mettant fin à la deuxième république (juste pour rappeler quelques références à l’économique et au social dans les droits de l’homme).
Reprenant Serge Tchakhotine(19) et Jean-Marie Domenach, dans La parole manipulée(20), Philippe Breton restitue le fonctionnement de la propagande et ses techniques d’application. On retrouve ce fond technique dans les écrits du président/ex président de la LADDH : « la simplification, notamment par la personnification d’un ennemi unique, le grossissement, qui permet de défigurer les faits, l’orchestration, qui permet la répétition des messages ainsi simplifiés et défigurés, la transfusion, qui permet de s’adapter aux différents publics et enfin la contagion, en vue d’obtenir l’unanimité »(21).
Dans sa vulgarité même, le discours de Hocine Zehouane embrasse toutes les techniques de manipulation/propagande développées par Philippe Breton : manipulation des affects (intervention émotive, affective dominant la relation pour convaincre), l’appel aux sentiments, la séduction démagogique, la séduction par le style (l’usage des « figures de style littéraire » est un des ressorts les plus fréquents de la manipulation. La « formule » se propose de convaincre alors qu’elle n’est qu’un ornement) ; la manipulation par la clarté (le discours est présenté sur le registre de la clarté : il faut « être clair », produire un discours « transparent », en chasser les « obscurités ») ; l’esthétisation du message (le style, lorsqu’il s’instaure comme procédé manipulatoire, n’est pas forcément littéraire. Il peut relever d’un genre qui plaît à un certain public qui y voit « du style ». Celui de Hocine Zehouane qui, à coup sûr, a son public, s’apparente à un drame liturgique parsemé de sketchs écrits.
Dans l’analyse du mythe nazi faite par Jean Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe à partir de Mein Kampf et Le Mythe du XXème siècle, d’Alfred Rosenberg, on retrouve le même support « intellectuel » que dans le « discours » de Hocine Zehouane: « il faudrait avoir le temps de s’arrêter sur le style (si l’on peut dire) de ces livres…ils procèdent toujours de l’accumulation affirmative, jamais, ou à peine, de l’argumentation. C’est un entassement souvent brouillon d’évidences (du moins données comme telles) et de certitudes inlassablement répétées. On martèle une idée, on la martèle de tout ce qui peut sembler lui convenir, sans faire d’analyses, sans discuter d’objections, sans donner de références. Il n’y a ni savoir à établir, ni pensée à conquérir. Il y a seulement à déclarer une vérité déjà acquise, toute disponible…on se réclame d’une espèce de prolifération mythique, qui n’est pas poétique, mais qui cherche toute sa ressource dans la puissance nue et impérieuse de sa propre affirmation »(22). A toutes ces grilles d’analyse qui s’appliquent au discours du président de la LADDH, il faut ajouter, dans la manipulation cognitive, « le cadrage menteur » : « le mensonge sur les faits est une arme de guerre. Tous les stratèges la recommandent, en lui reconnaissant un statut de violence psychologique, quasi équivalent à la violence physique qu’autorisent les armes matérielles. Mentir entraîne l’adversaire à prendre de mauvaises décisions, les plus mauvaises pour lui ». Ici, P. Breton cite un épisode particulièrement sanglant qui croise la trajectoire de Hocine Zehouane dans le maquis de la wilaya III : la Bleuite. Opération d’intoxication mise au point et peaufinée par le capitaine Léger, sous les ordres du colonel Godard, elle conduit Amirouche à faire exécuter, à l’arme blanche, deux à trois milles jeunes maquisards, sous la houlette de Hacène Mahiouz, dit Hacène La torture. Jeune commissaire politique, Hocine Zehouane a vécu l’enfer et en est revenu, sans avoir été inquiété. Par son statut de protégé, de mawali de Krim Belkacem, (avec lequel il avait un lien de parenté, éloigné, mais suffisant) il ne risquait rien dans la mesure où le chef de la wilaya III devait répondre de sa vie auprès de l’un des hommes forts du FLN-ALN (front et armée de libération nationale). Mais s’il réussit à échapper au sort de milliers de ses camarades de combat, bien après la mort de Amirouche, pour fournir le fameux rapport interne sur la bleuite (voir Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité ; Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN), nous ne savons que ce qu’il a raconté, lui, comme acteur. Nous ne savons pas quelle a été son rôle durant les tortures, les purges, les interrogatoires. A la question que je lui ai posé une fois, j’ai eu cette réponse : « j’ai essayé de convaincre Amirouche de ne pas égorger les condamnés mais de les fusiller ». Après avoir remis à Krim le rapport sur la bleuite (rapport qui a vite été escamoté car dans le climat d’affrontement de pouvoir il aurait signé la fin de carrière pour le ministre du GPRA), Hocine Zehouane fait la connaissance à l’intendance de Ghardimaou, siège de l’état major général de l’ALN en Tunisie, de Mostapha Benloucif. Ce sera le même Benloucif qui, en 1980, au fait de sa toute puissance de chef d’état-major de l’ANP, passant pour être le dauphin de Chadli, fera réintégrer Hocine Zehouane dans la cité algéroise où il sera reçu comme associé par un de ses amis avocat, Youcef Fathallah, qui comme président de la ligue algérienne des droits de l’homme (ligue officielle) et membre de la commission d’enquête sur l’assassinat de Mohamed Boudiaf, sera assassiné en 1994. Pour Hocine Zehouane, le seul obstacle à son retour à Alger, c’était H. Boumediene. La mort de ce dernier levait tout obstacle à un retour sur la base d’un deal au sujet duquel il ne dira jamais rien. Or, il rentre après une dizaine d’années d’exil, sans qu’au préalable il n’ait cru devoir tenir au courant de ses desseins ses amis et camarades d’opposition à Paris. La rencontre avec la ligue des droits de l’homme en 1985, à sa fondation, le place dans le sillage de militants qui, il faut bien le reconnaître, n’ont pas eu, tous, à supporter les mêmes charges. Il paya de sa personne dans la défense des détenus de Berrouaguia ou d’El-Harrach, mais restait soigneusement à l’affût, après 1992. Il contribue au lancement du « serment démocratique » puis s’abstient de se mettre en avant en refusant systématiquement de signer le moindre texte public sur les massacres, tortures, mascarades électorales…Il entreprend d’encadrer des jeunes militants de la maison des droits de l’homme de Tizi-Ouzou en paraissant se tenir en réserve, pour faire irruption sur la scène nationale en 2005, comme président d’une organisation qui, malgré les écueils et les pièges dont sait user un régime corrupteur (au sens plein du terme), demeurait quand même une référence dans le combat pour les droits de l’homme. Dès lors, on découvre un homme qui semble renouer avec un fond de lui-même, demeuré enfoui depuis que la toute puissance qu’il a eu en main, dans sa jeunesse, comme membre du Bureau politique du « Parti » (FLN), chargé de l’orientation, (c’est-à-dire de la propagande et des méthodes qui ont façonné l’ensemble du système de domination), lui a échappé pour se retrouver dans le camp des rivaux. Ici s’ouvre la page du 19 juin 1965. Pour toute une génération de militants se définissant à gauche, comme les étudiants (UNEA) ou la Jeunesse FLN (JFLN), Hocine Zehouane devient un symbole de résistance (populaire) puis prend figure de contre-pouvoir (aux yeux des plus jeunes, particulièrement en Kabylie), voire un modèle d’éthique. La réalité fait plutôt penser au scénario du troisième homme(23) : un homme part à la recherche de son ami qu’il finit par croire mort, quand, à la fin de l’histoire, il réapparaît sous les traits, méconnaissables, d’un sombre trafiquant. Là où beaucoup ont cru voir parmi les animateurs de la résistance au 19 juin des meneurs d’une lutte politique et idéologique en faveur d’un régime de libertés et de démocratie, ils se réveillent avec des hommes qui, de fait, se mouvaient dans la passion des rivalités et de l’ascendance de pouvoirs. Affiliés et façonnés par des méthodes communes à leurs rivaux, ils ne sont séparés que par simple erreur historique consignée par la loi vainqueur/vaincu. Pour un homme de pouvoir, être au sommet de l’échiquier, au fait de la puissance où l’interdit ne fonctionne que pour les autres, puis tomber dans l’anonymat et la marginalité, ne va pas sans façonner le sujet. La charge symbolique du retour au pouvoir, de la remontée sur scène, même si elle maintient la remontée au stade intermédiaire, si modeste soit-il, arrache tous les garde-fous possibles. La dose d’oxygène, brusquement renouvelée, par sa soudaineté même, efface les leçons d’un temps vécu comme celui de la puissance perdue. Dès lors, on ne se sent soi-même que dans ses vêtements de jeunesse. Mais le temps n’est pas non plus sans ressource et il sait aussi adresser des rappels à l’ordre.
Dans ses rapports publics autour d’un conflit qui a pris à ses yeux la dimension d’une affaire d’Etat, le président Zehouane sombre dans un putsch à rebours en quelque sorte, (puisqu’il en est l’auteur), et retrouve quelques traits de la société primitive où l’honneur et la vengeance sont des valeurs. Dans le document distribué à la presse le 5 novembre 2007, il écrit : « Des informations recoupées, de petits indices de comportement faisaient état de réunions clandestines visant tout simplement à créer au sein de l’organisation une situation d’ingérabilité de nature à provoquer l’écoeurement du président et probablement sa démission. Lui qui avait affirmé haut et fort que les droits de l’homme devaient être un sacerdoce pourrait-il s’accommoder d’une telle situation ? »(souligné par nous). Nous quittons le domaine conflictuel interne à la gestion organique et ses solutions possibles (compromis, redressement, démission…) pour basculer dans le monde de la fierté inflexible et de l’honneur blessé qui réclame son propre code, renouant avec un univers primitif : « Dans l’univers primitif, le point d’honneur est ce qui ordonne la violence, nul ne doit, sous peine de perdre la face, supporter l’affront ou l’insulte…Loin de manifester une quelconque impulsivité incontrôlée, la bellicosité primitive est une logique sociale, un mode de socialisation consubstantiel à l’honneur »(24). A cet honneur là se superpose le délit d’atteinte à corps auto-constitué. C’est ce qui explique le fossé qui sépare le monde de Hocine Zehouane et celui de ses adversaires. S’il est hors de question pour lui de perdre la face par la démission et la déchéance, il force publiquement ceux d’en face à supporter l’affront et l’insulte. Il s’autorise naturellement à traiter ses adversaires ou contradicteurs et néanmoins « camarades en droits de l’homme » de la même organisation, de « piétaille ». Diffusant auprès des « partenaires à l’extérieur de l’Algérie » sa version des rapports à l’intérieur de la LADDH, il n’omet pas les insultes d’usage (chez lui). Pourtant, la FIDH, fédération d’affiliation de la LADDH, ne manifeste ni indignation, ni réprobation. Elle observe. Rappelons que feu Amrane Oumouhand avait saisi la FIDH de toutes les irrégularités relevées lors du congrès de Boumerdès, en 2005, sans qu’il n’ait été donné suite. Il est clair que nous sommes en présence d’enjeux qu’alimente un entrelacs de réseaux, mais qui restent difficilement compréhensibles, malgré les calculs à but hégémonique auxquels n’échappe pas la FIDH.

L’examen rapide de l’état de la LADDH, ici, n’a d’autre objet qu’une contribution en vue de saisir les ressorts qui peuvent conduire à son agonie, ou, du moins à l’abandon de son identité première. Les lamentations n’ont pas leur place. Il faudrait être singulièrement naïf pour croire que les organisations des droits de l’homme, par leur profession de foi, leur activisme ou leurs prétentions, ont toutes pour objectif une avancée sociale et politique de nature à faire reculer l’arbitraire. Nous savons que dans la plupart, sinon la totalité des cas, les organisations des droits de l’homme sont là pour gérer l’arbitraire ou, dans l’hypothèse la plus optimiste, pour faire en sorte de ne le gérer qu’en partie en comptabilisant la détresse et les malheurs. Ce qui est suffisant pour exiger quelques éclaircissements. On a pris l’habitude d’introduire dans le débat politique ou ce qui en tient lieu, systématiquement, les droits de l’homme comme un donné sans en discuter le contenu, les « services » qu’il rend et au profit de qui, pourquoi faire ? Pour reprendre l’approche de P. Bourdieu, il serait temps de « mettre en question les évidences et surtout celles qui se présentent sous la forme de questions, les siennes (celles qu’on formule soi-même) autant que celles des autres. C’est ce qui choque profondément le doxosophe, qui voit un préjugé politique dans le fait de refuser la soumission profondément politique qu’implique l’acceptation inconsciente des lieux communs …des notions ou des thèses avec lesquelles on argumente, mais sur lesquelles on n’argumente pas »(25).
Les droits de l’homme ont fait irruption, dans la dimension où on le constate aujourd’hui, dans les années quatre-vingt à l’ère thatchérienne, reaganienne, pour constituer, au même titre que le marché, la démocratie, la société civile, l’Etat de droit…(la liste allant en s’étoffant avec la bonne gouvernance, la corruption) les têtes de bélier avec lesquelles le retour du tout-libéral façonne le monde et les parties de ce dernier. Or, dans le même temps où se propagent ces outils censés perfectionner, moderniser, faire progresser, adoucir le poids des contraintes, en faisant miroiter l’épanouissement des individus dans des Etats, face à des pouvoirs moins pesants, plus ouverts, on constate que ce programme ne fonctionne que pour des élites ou sous
élites, bridées par les premières, et que le reste de la société (des sociétés) n’est destiné qu’à leur en payer le prix. Pour nous en tenir aux seuls droits de l’homme et en nous limitant au cas algérien, leur promotion a eu immédiatement à ne devoir comptabiliser que les assassinats, tortures, massacres, et encore, quand cela a été fait. La LADDH s’est engagée dans cette voie. Mais d’autres, au nom des droits de l’homme, dont ils arborent la raison politique d’Etat, célèbrent les droits de l’homme en couvrant, niant les crimes, et encensant leurs auteurs. L’Etat s’est emparé, par la voix et par le glaive de ceux qui le dominent, en toutes ses parties et dans tous ses moyens d’action, de l’idée, du programme, et des objectifs des droits de l’homme. Il y a installé des responsabilités ministérielles (tel cet avocat, qui, membre d’une présidence collective défend et requiert, plutôt en vue de l’exécution, en même temps, dans la même cause). D’autres ont présidé l’ONDH en veillant à ce que la répression fasse bonne figure, indignés qu’ils sont à l’idée qu’on puisse lui associer le terme de torture. La commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme est chargée de liquider administrativement, comme un dossier encombrant matériellement le confort bureaucratique, tout ce qui fonde l’Etat, la nation, la cité en évacuant la nature du lien à l’intérieur de cette communauté/pouvoir/symbole qui ne trouve de sens en tout premier lieu que dans l’inviolabilité du droit à la vie. Que cette inviolabilité, qui porte en elle-même sa sacralisation ne saurait être effacée d’un trait de plume, au bas d’articles de décrets, cela n’a pas suffi à faire trembler la main du signataire. L’impunité assurée aux auteurs de la violation de ce pacte au-dessus de toute Loi devient un crime contre tout le corps social. Au-delà des familles (qu’elles aient ou non accepté le prix de l’évacuation et du silence), c’est à une confrontation publique devant la société que le crime et ses auteurs doivent répondre. Or, le silence sur ces questions semble être définitivement établi par un renversement curieux mais qui pousse à réfléchir sur la question du droit comme sur celle, qui lui est accolée depuis quelques années, de l’homme.
Le chapitre VI de l’ordonnance du 27 février 2006 (mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale) hiérarchise les hommes sur la base du droit de vie et de mort les uns sur les autres. On y investit le peuple et la nation, dans une reconnaissance solennelle, couronnée par une protection pénale (articles 44 à 46). Cette structuration de la société et de ses cadres politico-juridiques, ainsi historicisés, porte en elle-même sa décomposition. Elle explique pourquoi et comment un président d’une ligue des droits de l’homme qui inscrit son action « contre l’impunité dans la voie d’une catharsis collective » soit capable d’organiser un congrès en falsifiant les statuts tout en veillant à l’avance à en assurer l’authentification par l’association de représentants des appareils de répression sous les acclamations de ses militants.(26) De la même manière, il y a de quoi être édifié, en suivant le parcours parsemé de cette « routine émotionnelle »(27) qui clame les vertus menacées d’une constitution soudain sublimée pour la circonstance d’un enjeu que personne ne s’aventure à décoder. Le jeu devient répétitif et seuls en connaissent les règles ceux qui ont accès au terrain. Chacun sait qu’il est soigneusement balisé. Tout se fait sous l’empire de la loi de l’interchangeabilité des couleurs et des positions au profit d’un système de domination qui gouverne avec maestria l’ensemble des ramifications conductrices de sa puissance.

L’état d’urgence ne frappe plus du haut vers le bas. Il s’est démocratisé et a pris place dans des espaces décentralisés et des concessions convenues, quand bien même seraient-ils baptisés d’opposition. Parler de sa reconductibilité devient un non-sens. Il est le droit commun.
Devant la tombe du général Smaïn Lamari(28), trône l’infinie figure de l’Etat dans ses dimensions et ses apparences humaines (militaire, politique, économique, administrative, gestionnaire), représentées par ses entrepreneurs, universitaires, gens de justice et de religion, islamistes de maquis fratricides et d’obédiences variées, journalistes primés, et intellectuels résolument critiques…, puissances à la retraite partielle ou en activité, en attente ou en exercice, en réserve ou dans l’indétermination. Elles invitent à regarder le pouvoir de domination dans son expression profonde, celle du « paternalisme et du contrôle social (qui) permettent simultanément contrôle et ascension sociale, surveillance et création de richesses. C’est pour cela que la répression ne résume pas à elle seule la pratique du pouvoir, et que, si domination il y a, elle est souvent acceptée »(29).

 

NOTES

1 Membre du Bureau politique du parti communiste de l’Union Soviétique en 1939, responsable des affaires idéologiques et de l’agit-prop.

2 Homme politique et juriste soviétique, procureur général de l’URSS, il requit la peine de mort contre les accusés des grands procès de Moscou (1936-1938). Sous sa plume, l’accusation de « naufrageur » (terme qu’affectionne particulièrement Hocine Zehouane) est lancée, dans La Pravda, en 1937, contre Evgeny Pasukanis, théoricien du dépérissement de l’Etat (Théorie marxiste du droit) et vice-commissaire du peuple à la justice, président de la section juridique de l’Académie communiste, auteur d’un projet libéral de code criminel.

3 Après avoir signé la motion de soutien présentée aux députés par les auteurs du coup d’Etat (J.O.du 6 juillet 1965, p.651-652), il s’installe comme ministre de l’agriculture en 1967.

4 Outre Ali-Yahia, cette commission était composée des cadres de la wilaya d’Alger : Ouali Aït-Yahia, Nour- Eddine Benissad, Mustapha Bouchachi, Redouane Boudjemaâ, Kamel Daoud. Il faut y ajouter Noureddine Ahmine qui, domicilié à Laghouat, ne pouvait y assister qu’exceptionnellement.

5 C’est ce que relève un membre du conseil national, Abdenour Boumghar (wilaya de Tizi-Ouzou), dans un document intitulé « Le congrès de la LADDH : L’échec » : « …cette commission a verrouillé l’information sur la préparation du congrès pour ne laisser que le côté adhésion aux militants de l’intérieur du pays » document de juin 2006.

6 A. Boumghar, ibid.

7 Voir Le Chant des sirènes : La LADDH à l’épreuve de la normalisation, sur ce site, où nous avons développé cette question.

8 El Khabar, 13, 15 et 16 mai 2007.

9 Lettre de Ali-Yahia du 15 mai 2007. C’est nous qui soulignons.

10 F. Gény, Science et technique en droit privé, et Méthode d’interprétation et source en droit privé positif cité, notamment, dans M. Miaille, Une introduction critique au droit, Paris, Maspero, 1976.

11 Dans cette note d’information, le président de la LADDH s’adresse aux membres du conseil national en les appelant « mes chers compagnons » et en les introduisant dans le jardin secret du romantisme révolutionnaire : « chers compagnons, reprenant le slogan des luttes populaires j’affirme : seule la vérité est révolutionnaire » (souligné dans le texte).

12 « Le congrès est l’organe suprême de la Ligue. Il se réunit tous les 4 ans. Il peut être convoqué en réunion extraordinaire par le conseil national à la majorité absolue ».

13 Voir le texte intégral du communiqué sur ce site, dans Instance Info.

14 Article 15, al. 2 : « Il se réunit au moins deux fois par an et en session extraordinaire chaque fois que cela s’avérera nécessaire sur convocation du Président ou à la demande du tiers des membres du conseil national ».

15 El Watan, du 29 octobre, qui qualifie, à tort, les adversaires de Hocine Zehouane d’opposants, le confortant dans une position de pouvoir légitime qu’il n’a plus.

16 Bouchachi Mustapha (président) ; Benissad Nour-Eddine (vice-président chargé de l’organisation) ; Daoud Kamel (relations extérieures) ; Bakhta Dahmania (chargée de la condition féminine) ; Ghoul Hafnaoui (chargé de la communication) ; Addoune Dadi (chargé des affaires juridiques) ; Mechri Larbi (secrétaire général, chargé des finances) ; Fasla Bensalem (chargé de la formation), d’après El Watan du 3 novembre 2007.

17 El Watan, 6 novembre 2007.

18 L’officier du ministère de l’intérieur, appartenant aux R.G., serait un proche parent d’Aït-Yahia Ouali, chargé de la formation dans l’équipe Zehouane.

19 Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952.

20 Paris, La Découverte/Poche, 2000.

21 Ibid, p.71.

22 Ibid, p. 88

23 The Third Man de Carol Reed, 1949.

24 Gilles Lipovetsky, L’ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1993, p.250.

25 La main gauche et la main droite de l’Etat, dans Contre feux, Paris, Raisons d’agir, 1998, p.9. Le doxosophe, selon P. Bourdieu est ce « technicien-de-l’opinion-qui-se- croit-savant » « pose les problèmes de la politique dans les termes mêmes où se les posent les hommes d’affaires, les hommes politiques et les journalistes politiques (c’est-à-dire très exactement ceux qui peuvent se payer les sondages…) » ; on peut ajouter : et d’aligner la pensée dans le sens établi par les puissances de domination.

26 Comme il est capable de brandir « la probité morale de l’Etat », Le Soir d’Algérie, 6/9/2007.

27 B. Hours, L’idéologie humanitaire ou le spectacle de l’altérité perdue, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 165.

28 Parce qu’il a crié haut et fort la vérité sur les crimes du général Lamari, Ali Benhadj qui, au passage rappelle comment il a été détenu, jugé et dans quelles conditions, subit les foudres de la presse. L’hebdomadaire Les Débats (5-11/9/2007) le traite de « charognard », tandis que l’éditorialiste de Liberté écrit : « Après les déclarations scandaleuses contre la mémoire du général Lamari, qui mettra fin aux provocations de Ali Benhadj… Une fois de plus, et en l’absence de réactions antérieures, il viole les dispositions de la charte pour la paix et la réconciliation nationale… », 2/9/2007. Voir aussi El Watan et l’article de S. Tlemçani. Des milliers de personnes massacrées, torturées, disparues n’ont donc pas de mémoire, et le crime attentatoire à celle-ci est, en ce qui les concerne, sans objet. Il n’y a pas de victimes, pas de mémoire, pas de crime.

29 B. Hibou, La force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006, p.14.