LE CRIME DU 11 JANVIER 1992
ENTRETENU PAR LES MENSONGES
DE L’UN DE SES AUTEURS

Avec l’accueil bienveillant du journaliste qui recueille ses propos tout en s’abstenant de relancer ou de nuancer le contenu de ces derniers, Ali Haroun, dignitaire de l’ex Haut Comité d’État, déclare que Aït Ahmed aurait pu être président en 1992. Et, s’il ne l’a pas été, c’est qu’il ne l’a pas voulu car il était persuadé qu’il y avait un coup d’État.

Question : « … Il (Aït Ahmed) a dit dans ses témoignages que vous l’aviez rencontré avec le général Nezzar pour lui proposer la présidence de la République après l’arrêt du processus électoral, en décembre 1991… ». [Notons ici que l’arrêt du processus électoral a été décidé après le coup de force contre la constitution de 1989, c’est-à-dire après le 12 janvier 1992.]

Réponse de Ali Haroun : « C’est exact, mais il ne le voulait pas. Il a refusé d’être Président car il pensait que l’arrêt du processus électoral était un coup d’État. Or, nous avons essayé de le convaincre que ce n’était pas le cas. Il nous a suggéré d’aller au deuxième tour. On lui a dit que si on le faisait le Front islamique du salut (FIS) allait remporter les élections avec un risque d’avoir plus des 3/4 des sièges de députés. Ce qui leur aurait permis de changer la Constitution ».

Question : « Pourquoi avez-vous proposé à Aït Ahmed et à Boudiaf le poste de Président alors que c’est l’armée qui a décidé d’arrêter le processus électoral ? »

Réponse de Ali Haroun : « Avant cela nous avons essayé de trouver une solution selon la Constitution de 1989. Le 31 décembre, l’assemblée nationale avait terminé sa législature. Le 9 janvier, Chadli démissionnait. Et contrairement à ce que disent beaucoup de gens, il n’a pas été poussé à la démission par l’armée. Je lui ai posé la question des années après, il a nié ces allégations ».

« Selon la Constitution de l’époque, en cas de vacance de la Présidence, c’est le président de l’Assemblée qui devient président par intérim pendant quarante-cinq jours, le temps d’organiser des élections présidentielles. Or, il y avait absence d’Assemblée. Dans ce cas, toujours selon la même Constitution, c’est le président du Conseil constitutionnel qui devait assurer la présidence par intérim, mais seulement en cas de décès du Président. Donc, nous avons demandé à Benhabyles de le faire. Ce denier a refusé sous prétexte que le Président avait démissionné et n’était pas mort. Après ce refus, la Constitution ne disait plus rien. Le Haut Conseil de sécurité (HCS) – dont faisaient partie deux militaires, Khaled Nezzar et Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée – a pris le relais pour trouver une autre solution… Une solution extérieure à la Constitution mais elle ne devait pas être contre la Constitution… » (El Watan, 28 décembre 2015).

Ainsi, vingt-quatre ans après, un des artisans du coup d’État exerce ses talents de virtuose en mensonges d’État et en falsifications intellectuelles accompagnant le crime originaire, source de tous les crimes contre l’humanité commis ultérieurement par ses commanditaires. Il tente de tromper des générations d’Algériens, dont les étudiants des facultés de droit,  sur la base d’un argumentaire justiciable de juridictions ad hoc. En effet, au nom des suppliciés de l’affaire de l’aéroport, Berrouaghia, Tazoult, Serkadji, de tous les massacres et assassinats perpétrés à la suite, il devrait répondre de la somme de forfaitures commises au nom du droit. La nécessité de déconstruire l’entreprise et les assertions mensongères de l’avocat et co-auteur du coup d’État relève avant tout du devoir de vérité et de justice à l’égard de toutes les victimes. Nous l’avions déjà fait de façon détaillée, dans une précédente étude, sur ce site : se reporter à La Constitution, instrument de violence.

Nous nous limiterons ici à quelques remarques sur la technique qui consiste à prétendre mettre la constitution de son côté en saccageant de fond en comble sa lettre et les pratiques qu’elle appelle dans la logique de son fonctionnement. Examinons les prétentions développées dans leur version dernière pour les lecteurs d’ El Watan et portant successivement sur le président de la République, l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel et son président.

* L’un des acteurs comme auteur du coup d’État ne trouve aucune retenue à invoquer un entretien « plusieurs années plus tard » avec un président de la République démis dans la violence, pour soutenir que ce dernier lui confirme qu’il était parti « de son plein gré ». Le départ supposé volontaire  était déjà sujet à de sérieuses interrogations. Qui peut croire que l’un des acteurs du renversement des institutions puisse recevoir en toute liberté, selon les exigences d’une volonté libre et éclairée, le témoignage d’un président démis et soumis à surveillance ? Il s’agirait, ni plus ni moins, des confidences de la victime à son bourreau.

*En ce qui concerne l’Assemblée nationale Ali Haroun revient à la fin  2015 avec une autre version. Il nous dit que l’intérim prévu par le recours au président de l’Assemblée ne pouvait avoir lieu puisque l’Assemblée est arrivée en « fin de législature ». Il s’octroie une interprétation cavalière de la notion de fin de législature, sans doute inspirée des mœurs constitutionnelles militaires. La fin de la législature est réputée telle quand une autre assemblée à la suite d’un scrutin mené jusqu’au bout est mise en place. Autrement, on confondrait la fin de la législature avec l’absence d’Assemblée. En effet, ce n’est pas par hasard que la constitution de 1989 prévoyait la prorogation du  mandat de l’Assemblée nationale, justement au cas où des troubles empêcheraient le déroulement de nouvelles élections législatives (article 96 alinéa 2 de la constitution : ce texte prévoit la possibilité de proroger le mandat des députés sans limite de temps « en cas de circonstances exceptionnellement graves empêchant le déroulement normal des élections »).

En réalité, l’argument invoqué par le Conseil constitutionnel pour mettre hors jeu l’Assemblée nationale et son président ne portait pas sur « la fin de la législature » mais sur « la dissolution de l’Assemblée ». Pour éviter l’intérim constitutionnel via le président de l’Assemblée nationale, fut annoncée le 9 janvier ce que Benhabyles appellera « la conjonction de la démission du président de la République et la dissolution de l’Assemblée ». N’ayant plus d’Assemblée, on n’a pas non plus de président d’Assemblée et donc on ne peut pas avoir d’intérim constitutionnel, la constitution n’ayant pas prévu un tel cas de figure. Or, la constitution a tout de même prévu une procédure claire en matière de dissolution de l’Assemblée. Elle n’a pas été respectée. La dissolution de l’Assemblée s’est faite en violation de l’article 120 qui oblige le président de la République à en informer auparavant le président de l’Assemblée. Par ailleurs, comment peut-on dissoudre une assemblée dans le secret, comment cela a-t-il pu se faire ? Sinon pour construire le scénario auquel voulaient arriver les militaires avec le concours des juristes de service. Nous avons largement montré dans l’étude précitée le montage criminel qui a été confectionné, y compris dans la manipulation du journal officiel pour faire accréditer le semblant de constitutionnalité dont se prévaut encore Ali Haroun.

*Le président du Conseil constitutionnel et, à sa suite, tous les membres de cet organe chargé de veiller au respect de la Constitution, du moins en principe, ont piétiné, signatures à l’appui, cette dernière. En effet, l’opération du 11 janvier n’aurait jamais pu se faire dans les conditions où elle l’a été, c’est-à-dire en utilisant la constitution comme moyen et source du forfait. Seules des volontés malsaines investies dans un exercice de charlatanisme institutionnel lui ont donné des apparences de recevabilité. Le Conseil constitutionnel a entériné, on se demande au nom de quoi, les actes d’un organe consultatif, le Haut Conseil de sécurité (HCS) comme ceux d’un pouvoir exécutif. En cela, le président du Conseil constitutionnel s’est autorisé à réviser la constitution. Et ce n’est pas sur ce seul point d’ailleurs. Il a réécrit la constitution au son des instruments orchestrés par la puissance  des militaires. De la sorte, il a accordé des pouvoirs anti constitutionnels à certains organes tout en en créant d’autres. En 2005, cela inspirera à Mohamed Boussoumah, professeur à la Faculté de droit d’Alger, un ouvrage entérinant l’ensemble des procédés sous le titre accommodant, La parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 à 1998 (Alger, OPU, 454 pages).

Si, après tout cela on vient nous dire que « ce n’est pas un coup d’État », que « la solution ne va pas à l’encontre de la constitution », on mesure la conscience dont peuvent s’affubler Ali Haroun et ses complices. Vingt-quatre ans après la conception du crime et son accomplissement ayant ouvert la voie à tant de massacres, de tortures et de disparitions, l’avocat des basses œuvres tente de nouveau de changer de peau et, tel le loup dans la bergerie, se mue désormais en défenseur insolite de l’abolition de la peine de mort.