Accusé d’assassinat Mohamed Baba-Nadjar est en détention depuis septembre 2004. Condamné à mort par le Tribunal criminel de Ghardaïa au cours d’un procès expéditif cassé par la Cour suprême, il est rejugé le 27 mai 2009 par le tribunal de Médéa. Ce dernier reconduisant la négation des faits et bafouant les arguments juridiques manifestes en faveur de l’accusé, troque la condamnation précédente contre la prison à perpétuité. Depuis, le jeune Mozabite ne cesse de clamer son innocence par le seul recours qui lui reste, la grève de la faim.
Avec l’affaire Baba-Nadjar, nous sommes face à des juges qui poursuivent un but : non pas la recherche de la vérité mais la condamnation répétée sur des injonctions liées à l’effervescence politique ayant marqué le M’Zab à partir des années 2000.
La sentence prononcée s’inscrit donc ici comme un objectif à atteindre, préalablement fixé à la comparution de l’accusé. Il s’agit d’une simple confirmation de la version policière de l’enquête et de l’instruction. Cela signifie, en clair, que nous sommes en dehors du processus de jugement.
De ce fait, le traitement infligé à la procédure pénale et au droit de manière générale s’inscrit dans un autre projet, celui de l’arbitraire commandé par la construction policière.
C’est ce que refuse Mohamed Baba-Nadjar, ponctuant son cri d’innocence de grèves de la faim de plus en plus longues à partir de ses lieux de détention successifs : Berrouaghia, Babar, Laghouat.
Aujourd’hui comme hier, il refuse de mourir en silence entérinant le crime judiciaire. Sa condamnation ne relève pas de ce qui est communément appelé « erreur judiciaire » pour la simple raison que celle-ci suppose l’hypothèse où les juges, s’en tenant aux règles de procédure, sont la proie d’un aveuglement ou d’une négligence installant le jugement dans la certitude. Ici, nous sommes dans la mise à disposition de la procédure pénale et du droit au service de l’arbitraire. La violation délibérée des règles construit le crime judiciaire.
Le crime judiciaire frappant Mohamed Baba-Nadjar se double du crime d’impunité protégeant, en les soustrayant à toute poursuite, les véritables instigateurs et auteurs de l’assassinat de Brahim Bazine.
Le cas de Baba-Nadjar n’est pas isolé, loin de là ! Il illustre de façon tragique la banalisation du crime judiciaire inséparable d’une gestion de la terreur servant à remodeler le champ judiciaire et les catégories du droit, pour n’offrir que l’habillage traditionnel du jargon juridique à une justice défaite dans ses attributs supposés d’équilibre, d’équité, de rigueur. d’exactitude et de matérialité, ne gardant, à travers juges et jurés, que l’instrument de la répression orchestrée.
Le cri de Baba-Nadjar a une dimension pédagogique dans la perception réelle du monde judiciaire. La figure du juge ne se fixe plus derrière les préceptes théoriques établis par les codes mais se précise, change et se fige dans cette image moulée par la justice dite.
Avec parcimonie, la presse publie des communiqués transmis par la section locale de la ligue de défense des droits de l’homme sur l’état de santé de Baba-Nadjar. Mais le caractère laconique de ces « brèves » laisse penser que les appels au secours depuis huit ans, restent sans portée. Les alertes jalonnant son arrestation et son enfermement subissent le sort des classements sans suite. Intégré comme information déconnecté de sa signification sociale au milieu de titres dont l’épaisseur est censée attester l’importance déterminante attachée au charivari politique, le cri de Baba-Nadjar se perd au milieu d’une distribution de rôles entre pouvoir et opposition. Le tintamarre surfait sur l’engagement, le changement nécessaire à venir, la corruption occupent la scène médiatique où partis politiques et associations d’obédiences diverses dressent
les plans de confrontations annoncées et de lendemains décisifs à portée de voix.
La justice semble alors un souci secondaire insusceptible de mobilisation autrement que par quelques traits éditoriaux jouxtant les empoignades internes aux chefs de clans. On oublie alors que l’injustice, cette sœur jumelle, continue à se frayer les chemins quotidiens de sa réception, régentant ainsi les rapports en privé et en public. A coup sûr, dans cette affaire Baba-Nadjar, il y a un questionnement qui va au-delà du prétoire.
Pourquoi un homme clamant son innocence depuis huit ans, condamné pour un crime qu’il n’a pas commis, n’a-t-il pour simple soutien, en dernière instance, que l’écho de son cri, renvoyé par les murs de sa cellule ?
Certes, à chaque grève de la faim, ils sont quelques dizaines de Mozabites à se mobiliser, poussés par devoir militant, soit devant le lieu de détention, soit devant le ministère de la justice ou bien encore dans une manifestation à Ghardaïa, apportant leur soutien au prisonnier.
Bien sûr, le Comité de soutien se manifeste auprès des organisations internationales des droits de l’homme.
Cependant, le crime judiciaire qui se perpétue d’année en année est loin de susciter le moindre frémissement de révolte saine en vue d’une réhabilitation du droit par le rétablissement de la vérité.
Dans ce pays où il est question de société civile à chaque détour d’article ou de discours, de bataille pour un Etat de droit promis à un destin sans équivoque, le crime judiciaire ne soulève pas les foules. Pas plus d’ailleurs qu’il ne secoue les organisations politiques ou syndicales soucieuses d’une autonomie échappant difficilement au partisianisme et au corporatisme.
Le crime judiciaire qui se poursuit ne suscite pas l’intérêt au point de secouer les militants de tous bords dans une cause commune, le combat pour la justice. Pourtant, ces voix qui pourraient encourager au rassemblement pour la cause de Mohamed Baba-Nadjar ne sont pas inexistantes même si elles sont frappées d’aphonie. Se solidarisant avec sa défense d’un seul élan, elles se sont manifestées à Médéa, le 27 mai 2009, dans un soutien à la fois enthousiaste et optimiste. Ils étaient une douzaine, une vingtaine d’avocats qui, en dehors de ceux qui ont pris la parole, plaidant à tour de rôle la cause de Mohamed Baba-Nadjar, peuplaient les bancs rajoutés pour la circonstance, ne demandant qu’à relayer leurs confrères, ajoutant à leurs envolées oratoires. Tous voulaient plaider, enrichir l’argumentation de la défense, peser dans le sens d’une vérité judiciaire dégagée des contraintes administratives et de l’asservissement à l’ordre policier imposé à la lecture du dossier. Pourtant, des militants, voire des dirigeants du FFS se sont retrouvés, dans un soutien collectif, unitaire, à Mohamed Baba-Nadjar.
Pourquoi ce mouvement de défense rassembleur frémissant d’espoir, dégageant une impression de puissance à Médéa, s’est-il évanoui, ne laissant de l’entreprise solidaire qu’une rencontre sans lendemain ?
Pourquoi ce qui était en passe de devenir l’indignation du Barreau, ce souci de faire partager à la profession, dans ce qu’elle possèderait de plus noble, l’engagement solennel de mettre un terme au crime judiciaire s’est-il évaporé ?
Baba-Nadjar ne serait-il alors devenu qu’un prisonnier alibi, otage des secousses, divergences et déchirements politiques d’un parti ? Serait-il devenu ce prisonnier alibi essuyant le choc en retour des ruptures consommées avec la direction, assorties du fractionnement frappant la fédération du FFS de Ghardaïa ?
Victime d’une justice poursuivant des buts politiques et tenant en lui l’instrument de décomposition de la fédération FFS de Ghardaïa, Mohamed Baba-Nadjar est aussi victime des sinuosités partisanes qui lui imposent, à son corps défendant, la cohabitation avec des positions fractionnelles, sectaires, associant sa cause à des choix aventureux et obstruant les voies aux convergences mobilisatrices.
Mohamed Baba-Nadjar devient, d’un côté, le bouclier idéologique derrière lequel se profilent les tenants de la partition, à travers le statut de minorité pour les Mozabites, ou encore l’engagement en faveur d’une intervention militaire étrangère sur Damas.
À l’inverse, la direction nationale du FFS rejette la cause de Baba-Nadjar dans le néant, lui faisant subir accessoirement le sort réservé principalement à l’ancienne équipe fédérale ghardaouie.
Quelque fussent ses intérêts, un grand parti politique admet, d’une façon ou d’une autre, qu’il existe des causes qui transcendent ses choix politiques immédiats. C’est ce qui le hisse au rang de parti rassembleur capable d’entendre les cris de détresse pour anticiper leurs conséquences et se prévaloir du devoir de justice.
Le châtiment infligé à un innocent ne saurait laisser une société indifférente, pour peu que soient traduits, sur la place publique, les supports de la construction du crime et les dangers qu’un tel processus représente pour tous et pour chacun. Le cri de Mohamed Baba-Nadjar pourrait alors être non seulement entendu mais partagé. Cassant les obstructions à l’éveil d’une conscience juridique, le refus du crime judiciaire restituerait au juge ce rôle de réconciliateur social dans le rétablissement de la vérité. Celle-ci tient simplement en deux faits aux conséquence juridiques limpides, dès le commencement de l’affaire Baba-Nadjar :
En premier lieu, Mohamed Baba-Nadjar était à une soixantaine de kilomètres des lieux de l’assassinat de Brahim Bazine.
En second lieu, Brahim Bazine, avant de mourir sur son lit d’hôpital, a eu le temps de préciser que ses assassins étaient au nombre de deux.
Que Mohamed Baba-Nadjar soit rejugé, comme il le demande, loin des surcharges infligées jusque-là au dossier et conduisant sciemment à perpétuer le crime judiciaire au lieu d’y mettre fin.
Lyon, le 6 avril 2012
Le cri de Mohamed Baba-Nadjar – Entre crime judiciaire et prisonnier alibi ©elhadi- chalabi.com