Les journaux éradicateurs, fidèles à leurs engagements, couvrant leurs maîtres criminels des appareils répressifs d’État, relaient depuis le 29 décembre 2011 une pétition(1) signée de complices assermentés à leurs propres méfaits, ainsi que des membres de leur entourage.
Ces porte-parole de criminels ayant (ou ayant eu) en charge les appareils exécutifs de l’État prétendent s’élever contre toute ingérence et font mine de brandir le sceptre d’une souveraineté qu’ils ont au préalable réduite à néant.
Sillonnant les capitales européennes, ils se sont déjà illustrés comme avocats d’affaires des criminels pour les intérêts desquels ils veillent aux placements financiers. Ils restent pénétrés de cette conviction que l’impunité de leurs commanditaires est acquise pour toujours.
Qu’ils s’affichent comme gens de robe mobilisant pour leur cause le fétichisme du droit, ou qu’ils agitent en signe d’autorité leurs fonctions ministérielles passées, rien ne saurait faire oublier leur participation à la mise à mort de la souveraineté nationale. Pas plus d’ailleurs que leur complicité dans les diverses sentences d’exécution : qu’elle s’abrite derrière des formes n’ayant pour légalité que la négation des fondements de cette dernière comme dans l’affaire dite de l’attentat de l’aéroport d’Alger, ou qu’elle se manifeste sous forme de plaidoyer intra et extra muros, justifiant les exécutions sommaires et l’usage généralisé de la torture.
Les militaires donneurs d’ordre armant les groupes de tortionnaires et d’assassins, tel ce général dont les complices prennent la défense sous le masque d’une introuvable société civile font, depuis 1991, de ces relais les voix banalisant une violence sans limite. Elle se poursuit encore de nos jours grâce à ces supports juridiques, politiques, médiatiques, culturels garants d’une impunité pour des crimes que l’on tente de rejeter sur les seuls islamistes.
Que ces derniers aient été encadrés, dès le départ, d’agents exterminateurs et que la faiblesse politique de leur mouvement les empêche aujourd’hui encore de faire publiquement le bilan de leurs actions vis- à-vis d’une jeunesse ayant choisi de répondre à la violence par la violence, soit.
Il n’en reste pas moins que ce courant – là a porté le refus de l’arbitraire du 11 janvier 1992 de la manière la plus nette et la plus catégorique, déclenchant contre ses partisans une répression dont la férocité n’a toujours pas été pleinement mesurée. Rien ne saurait faire oublier qu’une véritable guerre a été menée contre ces couches populaires au sein desquelles de jour comme de nuit, en tous lieux et pendant des années, les forces de différentes armes sous les ordres, notamment, du général Khaled Nezzar, prélevaient le quota à torturer et à assassiner.
Le rejet en janvier 1992 par les militants islamistes du fait accompli a révélé aux Algériens comme au reste du monde la bestialité des dirigeants, la dimension policière d’un régime en qui se reconnaissent des intellectuels qui, jusqu’alors ont voulu faire croire qu’ils étaient les défenseurs des opprimés, tel cet historien d’appareil qui vient de renouveler son allégeance au général Nezzar et à ses complices et co-auteurs de crimes contre l’humanité(2).
L’indignation feinte enrobée de flagornerie en guise d’argumentation théorique avancée contre l’ingérence, n’a d’égale que l’étendue d’une impunité garantie par l’État dans des formes solennelles de ratification du crime assortie de textes réglementaires d’application ( charte pour la paix et la réconciliation nationale, décret du 14 août 2005 et ordonnance du 27 février 2006, articles 44 à 46 ).
Le droit à la vie et à la sûreté des personnes, au-dessus de quelque loi que ce soit, constitue en lui-même et par lui-même la condamnation de toute forme de soumission à ce charlatanisme politico-juridique à qui seule la spirale des forfaitures depuis une vingtaine d’années a pu concéder les signes extérieurs de la légalité.
S’élever aujourd’hui contre l’ingérence procède de ce mensonge élaboré qui a fait de la terre algérienne une res nullius en matière de légitimité. Cela est si vrai que ces signataires qui exhibent leurs titres d’indécence sont l’un des innombrables noyaux d’appel continu à l’ingérence en tous domaines. Soucieux de puiser quelque légitimité dans ce processus de colonisabilité, ils sont payés en retour au titre d’administrateurs indirects.
Nul jour ne se passe sans que les pseudo-institutions, les médias, la justice, la culture, l’économie, l’armée, les organisations des droits humains, ne soient livrées aux appréciations, classements, jugements, notations, en provenance d’autorités étrangères censées fournir en toute matière le modèle idéal.
Il n’est pas d’institution officielle qui ne soit sous le charme de son modèle occidental expurgé de toute impureté critique et dont elle attend quelque légitimation, fruit à ses yeux d’une reconnaissance, voire d’un quitus pour bonne conduite. Il en est ainsi des chambres parlementaires, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat, sans oublier la Cour suprême ou la Cour des comptes.
Tout ce monde scrute quotidiennement les bilans annoncés en manchettes dans la presse et qui sont versés comme autant de mises en garde, de satisfecit ou de condamnations en qui les uns et les autres espèrent trouver les moyens de bricolage nécessaires à la légitimité de leurs prétentions et élucubrations, à défaut d’attaches réelles et profondes avec leur société.
Les cellules d’évaluation éparpillées entre l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique sont l’objet de sollicitations quotidiennes de la part de leurs courroies de transmission en terre indigène.
Les navires de guerre de l’OTAN mouillent dans l’espace territorial algérien depuis deux décennies, coïncidant à peu de choses près avec l’acte fondateur de négation de la souveraineté nationale, le 11 janvier 1992, tandis que les manœuvres conjointes en Méditerranée se font avec l’armée israélienne. Ces mutations brutales pour les « héritiers de la glorieuse armée de libération nationale » sont assimilées à de simples effets d’une modernisation au service de l’antiterrorisme.
Au-delà des cercles immédiats du pouvoir, l’opposition, dans toutes ses facettes, ses structures rompues à toutes les connivences, ses faux-semblants et ses clichés, reproduit la quête de légitimité via les chancelleries, tandis que les médias célèbrent la publication régulière des délibérés de l’ingérence, persuadés qu’ils y puisent, à défaut de leur indépendance, l’assurance de leur survie.
Tout compte fait, nous sommes assurés que ceux qui crient à l’ingérence sont ceux-là mêmes, voix de leurs maîtres militaires et services de sécurité, qui ont vampirisé la nation algérienne dans l’étendue de son expression souveraine.
Le concept d’ingérence sous – jacent au concept de souveraineté subit le sort réservé à ce dernier. Là où la souveraineté est réduite à néant, l’ingérence n’a plus aucun sens. Crier à l’ingérence après avoir défait dans ses attributs la souveraineté nationale ne fait que confirmer le prononcé du huis clos pour la criminalité d’Etat.
Grâce à leur domination idéologique dans des espaces déterminants en matière de communication ainsi qu’à la puissance de frappe que leur offrent les appareils d’Etat, ces criminels périodiquement saisis de transe nationaliste s’estiment en droit de bénéficier à jamais de leur propre justice, celle – là même qui impute aux victimes les crimes de leurs bourreaux.
Nous revendiquons, solidairement avec les victimes, la nôtre, une justice à la recherche de sa propre émergence et qui soit capable de faire droit aux cris des suppliciés, restituant ainsi leur dignité au peuple et à la nation.
Loin d’être dupe quant à la fiabilité d’une justice universelle et aux formes apparentes de son exercice, tant il est vrai qu’elle n’échappe ni aux arrières- pensées ni aux instrumentalisations à l’image de ce que nous renvoie le droit international et ses pratiques, nous constatons qu’elle a, pour l’instant, le mérite d’entendre la demande des victimes.
Lyon, le 16 janvier 2012.
Ingérence et criminalité d’Etat©elhadi-chalabi.com
Notes
1 Publiée dans Le Soir d’Algérie, El Watan, Liberté du 29 décembre 2011, cette pétition est un soutien aux autorités issues du coup d’Etat du 11-12 janvier 1992 et plus spécialement au général Khaled Nezzar interpellé et entendu sur plainte de victimes, par une juridiction suisse sur son rôle, comme ministre de la Défense, dans des crimes contre l’humanité. Arrêté à Genève, gardé à vue et interrogé entre le 20 et le 21 octobre 2011, l’un des bras armés du Haut Comité d’État sera remis en liberté en échange de promesses sur sa présence ultérieure afin de répondre aux nécessités de la procédure.
Sur la mise en place et la signification du coup d’État de 1992, voir sur ce site, La Constitution, instrument de violence ; État terroriste, société barbare. Sur l’ingérence et ses implications, nous renvoyons à notre article Indépendance, ingérence et démocratie, publié dans El Watan du 21 juillet 1994, p.7. retour
2 Hassan Remaoun, Le Soir d’Algérie, 12 janvier 2012, qui s’est déjà illustré en ce sens en 2001, se servant du centre de recherche, le CRASC, dirigé par son épouse, comme d’une simple officine capable d’entraîner son personnel à revendiquer l’appartenance à de telles parentés. Lire (ou relire) la pétition des «intellectuels nationaux contre la confusion et le défaitisme » lancée à partir d’Oran le 21 mars 2001. retour