AMRANE OU LE MILITANTISME DANS LA TOURMENTE : APERÇU SUR LE CHAMP POLITIQUE À TRAVERS LA CRISE DU FFS

Amrane Oumouhand s’est éteint à trente cinq ans, épuisé par la maladie. Il s’en va après avoir investi l’énergie de sa jeunesse dans des batailles à côté desquelles tout le reste n’aura été que contingences, ne le détournant jamais de ce qui, pour lui, constituait l’essentiel.
Il faut l’enthousiasme du militant, toujours à l’épreuve du découragement et de l’usure qui guettent l’homme, pour ne pas renoncer à arracher la citoyenneté des griffes qui l’enserrent, telle une proie, sur une terre réduite au régime de vil butin. Concept d’une profondeur mettant en jeu la place de l’homme dans la cité, participant à sa gestion, la citoyenneté est au cœur de la définition, l’application et le respect de lois égales pour tous. Tel est, théoriquement, le prix d’un pouvoir accepté, dans la pacification des rapports sociaux. On sait ce que les définitions cachent comme duplicités et comme trahisons. Cette participation à la gestion de la cité se prolonge dans le contrôle d’un pouvoir qui n’a de suprématie ou d’autorité que parce qu’il n’échappe pas à son interpellation par ceux dont il est censé émaner. Amrane avait conscience de tout cela, des enjeux de plus en plus complexes et des difficultés du militant à y répondre. L’enjeu et la complexité à s’emparer de la citoyenneté déploient leurs effets à partir d’une nécessité : celle des éclaircissements préalables qu’il faut ajuster face à des techniques mises au point par des tâcherons de la communication / propagande. Le concept, versé comme gadget dans la foire aux slogans, tente de fixer la vie politique quotidienne dans des contours que la réalité lui refuse. Au même titre que la modernité, l’Etat de droit, la transparence ou la bonne gouvernance, la citoyenneté sert de toile de fond à une scène qui s’est substituée à celle où l’on chantait, en juillet 1972, les vertus du pouvoir révolutionnaire et ses édifices porteurs : révolution agraire, révolution culturelle, charte de l’entreprise socialiste, charte de la jeunesse… Le 5 juillet 1972, date de sa naissance, Amrane prenait place parmi les Algériens à qui on décrivait un pays bien éloigné de ce qu’ils vivaient dans leur quotidien. Nous sommes déjà, une dizaine d’années après l’indépendance, installés dans deux mondes se mouvant en travestis, en équilibre précaire et révocable : le monde des éditoriaux et du pouvoir communiquant et le monde parallèle. Au monde de l’Algérie officielle et de ses bilans triomphants, correspondait celui de l’Algérie des inégalités en construction annonçant les explosions futures. Dix ans après l’indépendance, la génération de Amrane présentée comme la génération des hauts fourneaux et du développement, était plongée, adulte, dans la dure recherche des moyens propres à récupérer une indépendance nationale évanescente. Aux prises avec une violence d’Etat assumée par ce dernier, comme telle, face aux révoltes en Kabylie et ailleurs, Amrane, à vingt ans, l’âge où l’on est tenté par les rêves impossibles, porté par l’élan d’un optimisme prêt à défier la raison, vécut les bouleversements où la violence d’Etat élargie en une violence de pouvoir sans limites est inoculée dans le tissu social. L’épreuve du passage, précoce, à la maturité, se doublait de l’angoisse devant une société tétanisée, menacée d’implosion par une violence dont il fallait décoder en permanence les sources et les objectifs. Amrane aura grandi au sein d’une génération réduite à subir, incrédule, le processus d’élaboration d’une violence d’Etat qui puise, dans le massacre des siens, une fierté nationale. S’il est difficile de vivre ces réalités comme homme, y cheminer en tant que militant devient déchirant. Le sens de la responsabilité, un des traits du militant, le besoin de l’engagement, ce destin de notre liberté selon J.P. Sartre, submergés par le souci de hasarder des réponses, ont été résumés dans le fulgurant Que faire ? de Lénine, du temps où l’histoire n’enfantait pas que des révolutions politiques. Il est vrai que l’histoire, par les ruses qu’elle secrète, sait aussi enseigner la fin des révolutions. L’effondrement de l’URSS, alors que d’aucuns célébraient en Algérie l’ère d’une « démocratie » encodée, n’est pas le seul exemple. Brumaire aura signifié la fin d’une autre révolution pendant que « sous Bonaparte perçait Napoléon ».
« Vue d’ailleurs »(1), l’histoire n’est pas réticente à fabriquer des « historiques » qui engendrent des prétoriens. Ainsi s’établit la trajectoire d’une libération nationale soudain figée dans l’auto proclamation des chefs. Le processus s’est répercuté aux grades inférieurs où, sous couvert d’éthique et de résistance aux premiers, d’autres se sont mis à rêver de chefferies avant d’y prétendre. Quitte à se contenter des annexes et des offices.

De Amrane, je n’ai que l’image du militant, dans des espaces militants, que je découvrais en même temps que la Kabylie du centre, celle que l’on appelle communément la « Grande Kabylie », il y a sept ou huit ans. Un éclair, certes, mais qui laisse ses traces, balise les rencontres, fixe des solidarités, élargit l’horizon, redresse des idées reçues, introduit à une pratique politique.
Silhouette dégingandée, verbe haut, conviction tenace rappelant le Strelnikov de Boris Pasternak, Amrane correspond bien à l’homme en proie à une « passion » « au sens d’objet à réaliser », selon le mot de Max Weber, autrement dit, l’homme du « dévouement à une cause »(2).
Ce militant nous quitte, coïncidence qui marque sans doute une étape, un passage difficile, pour beaucoup, après avoir eu à vivre, douloureusement, les tourments cinglant, de plein fouet, les deux organisations dans lesquelles a pris naissance puis s’est affirmé, résolument, le sens d’un engagement :
*la crise de la LADDH lors du congrès du 23 septembre 2005 ;
*la crise du FFS, une année plus tard, environ, en juillet 2006.
Dans les deux cas, à la LADDH comme au FFS, les positions antagoniques se sont cristallisées à partir d’une source fondamentale qui éclaire sur les exigences nouvelles dont s’empare le militant d’aujourd’hui : le respect du débat démocratique, donc l’exercice effectif des libertés du militant face aux pratiques monocratiques.
Si Amrane s’est trouvé en première ligne pour combattre l’autoritarisme de Hocine Zehouane, il s’est tout aussi nettement déterminé en faveur de la direction du FFS et de son président, face aux contestataires.
Loin de nier la complexité des déterminismes locaux et le fondement des liens qui conditionnent l’engagement au sein du FFS comme au sein de la LADDH, il reste que Amrane ne s’est jamais cabré, ni figé, dans un refus du débat. Sa préoccupation ultime, lors de nos derniers échanges, de loin, alors qu’il était sur son lit d’hôpital, demeurait l’organisation d’une conférence devant les étudiants de la faculté de droit de Bejaïa et qui reprendrait le thème développé à Boukhalfa, en décembre 2006, « comment parler des droits de l’homme ? : D’une problématique du droit à une problématique des droits de l’homme ».
Ne s’étant jamais départi de l’idée de me convaincre du « danger que fait courir l’opposition interne au FFS », non sans admettre certaines de mes critiques, Amrane nous a quitté, en homme de la ‘Amma, la masse des Algériens, après avoir vécu comme tel : sans passe droits, et sans d’autre privilège que celui de la noblesse conférée par la recherche du bien commun : du village, Tisit, à la nation, en passant par la commune, Illilten.
Parce que j’ai partagé avec le regretté Amrane des idées, que nous nous sommes trouvés dans des espaces communs, unis dans des combats proches, souvent identiques, j’inscris la réflexion qui va suivre dans un hommage à sa mémoire. Comme contribution à un débat, elle ne prétend ni à l’objectivité, ni, encore moins, à la neutralité. L’une comme l’autre ne sont que la marque d’un engagement masqué et d’une approche biaisée, où se tapit quelque calcul difficilement avouable(3). Au contraire, ici, nous nous inscrivons dans le débat, en y invitant, sous le sceau de la loyauté, et en signe de respect pour la mémoire de notre ami et de son souvenir parmi nous tous.

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Depuis l’été 2006, une contestation interne s’est déclarée au FFS (front des forces socialistes) en prenant la forme d’une revendication du respect des règles statutaires et en mettant en cause, prioritairement, le secrétariat national, c’est-à-dire l’exécutif de la gestion quotidienne. Cette revendication « légaliste », marquée de juridisme et nettement procédurière, se heurte à un raidissement du Secrétariat national. Ce dernier choisit le procédé autoritaire et décide, dans la précipitation, l’exclusion de simples militants et de cadres du Conseil national. Dès lors, d’un côté comme de l’autre, le FFS devient le champ d’affrontements qui, de manifestations en sit-in, se transforment en batailles rangées. C’est ce qui se passera, notamment, avec le refus d’accès au siège opposé aux contestataires. A l’image de cette confrontation sur la « conquête » du symbole du parti, son siège, la crise du FFS pourrait se résumer dans l’enfermement d’une direction repliée derrière ses murailles, tandis que l’opposition entend l’en sortir et l’amener sur le terrain de l’argumentation arbitrale des statuts. La violence institutionnelle, -manifeste déjà par l’absence de congrès- à coups d’exclusions, « levée de couverture politique »(4), désarticulation des instances par la confusion des rôles, s’est doublée de heurts violents. Le climat de plus en plus tendu atteint son paroxysme lorsque le premier secrétaire national, le chargé de l’information puis le président du FFS ont accusé les animateurs de « la protesta » d’être des agents du DRS, c’est- à- dire de la sécurité militaire (SM). Ce qui laisserait supposer que ceux-ci ont pour mission d’affaiblir, voire de mettre en danger le FFS au profit de la police politique et de son système. L’accusation porte implicitement sur tous ceux qui, comme opposants, sont liés aux leaders de la contestation dont il faut bien reconnaître que les noms n’apparaissaient guère, publiquement(5), au départ. Ce qui devenait propice à toutes les supputations, accusations, charges, autrement dit tout l’arsenal du procès stalinien. L’accusation emporte, d’elle même, la culpabilité, le jugement, la sentence et son exécution, sans appel. Le propre du procédé de disqualification c’est de trancher, par cette dernière, la fin des questions soulevées. Le président du FFS et la direction nationale entendent mettre hors jeu toute la démarche de questionnement sur le parti et son devenir en frappant de discrédit la parole contestataire. Ils veulent ôter à celle-ci toute rationalité, toute légitimité en la renvoyant dans le camp de l’ennemi. C’est le procédé le plus performant dans la mainmise sur l’Algérie politique depuis le congrès de Tripoli où tout le monde avait bien compris que pour avoir droit un tant soit peu à la parole, il fallait d’abord s’insérer, par des formules appropriées, dans l’espace commun. Cela s’est perpétué avec la profession de foi sur la charte d’Alger, la charte nationale, la charte nationale révisée, pour célébrer enfin la république sanguinaire.
Ce n’est certes pas le moindre des mérites de la contestation interne au FFS que d’avoir résisté à l’avalanche des accusations et du processus de marginalisation qui se poursuit sur le terrain. Il reste à comprendre comment le FFS s’est retrouvé, au même titre que le FLN « appareil » de l’indépendance, à user des procédés dont ses responsables et militants ont eu à souffrir dans le passé. Où trouver l’explication de cette interpénétration des us et coutumes politiques ?
Nous tenterons d’y répondre en examinant tour à tour le FFS des origines et les commandements qui le guidaient puis l’état du parti qui, sorti de la clandestinité s’est inséré dans l’espace politique « légalisé ».On verra, enfin, comment le FFS s’est mis au défi de lui- même.

I – AUX SOURCES DU FFS :
LE RETOUR A L’UTOPIE NOVEMBRISTE

Pour ses fondateurs (son fondateur ?), la création du FFS correspond à un moment significatif, qu’annonçaient une activité et une présence en désaccord avec les décisions tranchées, souvent dans la violence, par les cercles politiques et militaires dans la définition et l’installation du pouvoir en 1962. Le FFS s’inscrit, par la voix de Aït Ahmed, avant sa consécration comme parti politique, à la fois dans le déchirement et la construction sur une base fondamentale : le refus du détournement de l’objet même de l’indépendance nationale. Dès lors, la référence à l’histoire, aux contextes successifs devient inévitable pour mesurer si la longévité de ses principes fondamentaux relève de l’enracinement politique au-delà de la personne de son chef, ou si elle n’est que le reflet de positionnements de ce dernier et de sa dimension personnelle : « On devra faire l’histoire d’une masse déterminée d’hommes qui a suivi les promoteurs, les a soutenus de sa confiance, de sa loyauté, de sa discipline et les a critiqués d’une manière « réaliste », se dispersant ou restant passive devant certaines initiatives. Mais cette masse sera-t-elle constituée des seuls adhérents au parti ? Sera-t-il suffisant de suivre les congrès, les votes etc…c’est-à-dire l’ensemble des activités et des modes d’existence par lesquels la masse d’un parti manifeste sa volonté ? Il faudra évidemment tenir compte du groupe social dont le parti en question est l’expression et la partie la plus avancée : l’histoire d’un parti, en somme, ne pourra être que l’histoire d’un groupe social déterminé. Mais ce groupe n’est pas isolé ; il y a ses amis, ceux qui ont avec lui des affinités, ses adversaires, ses ennemis. Ce n’est que d’un tableau complexe de tout l’ensemble de la société et de l’Etat (et souvent avec les interférences internationales) que pourra naître l’histoire d’un parti, ce qui permet de dire qu’écrire l’histoire d’un parti ne signifie rien d’autre qu’écrire l’histoire générale d’un pays d’un point de vue monographique pour en mettre en relief un aspect caractéristique. Un parti peut avoir eu plus ou moins de signification et de poids dans la mesure exacte où son activité particulière a plus ou moins déterminé l’histoire d’un pays »(6).

Enseignant le rejet de la dictature, dès 1962, inspirateur d’une Kabylie frondeuse, acteur avisé du contrat de Rome et voix des disparus et des victimes des crimes contre l’humanité, le FFS, sans nul doute, a sa part dans la détermination de l’histoire algérienne.
Malgré le contexte de référence particulier chez Gramsci, les questions soigneusement soulevées renvoient toutes, ne serait-ce que théoriquement, à l’itinéraire du FFS. Comment est-il né, à quels objectifs et impératifs répondait-il ? Quelles sont les conditions de sa création, de ses alliances ? Quelle place réserver aux luttes sans merci pour l’hégémonie des groupes apparus dans la désintégration des structures du FLN-ALN de l’indépendance ? Quelle est la charge idéologique de cette dernière et les missions supposées dont elle était porteuse ? Quel espoir dans une consécration programmatique grevée de stratégies d’attente et de détournement au profit d’ambitions aux contours plus ou moins habilement masqués ?
La crise du FLN-ALN en 1962 livre le tracé des étapes qui devaient conduire à la fondation du FFS, au fur et à mesure que les principes d’organisation politique du FLN-ALN perdaient leur consistance et leur signification dans les luttes fratricides et la militarisation de l’acte politique.
A l’indépendance, s’appuyant sur une base régionale et culturelle ayant été le cœur de l’ALN durant la guerre de libération nationale, on peut dire que la Kabylie fera le FFS autant que ce dernier fera la Kabylie, la constituant comme point de départ d’un système de gouvernement opposable aux pratiques installées par les groupes fédérés au sein du bureau politique du FLN. Si le projet partait de Kabylie, il serait faux de voir dans le FFS un mouvement exclusivement régionaliste. Au-delà du lien charnel, entre le FFS et la Kabylie était mis en jeu le destin national du parti. L’enfermement du FFS dans les contours de la Kabylie procède d’une stratégie de l’isolement en faisant appel aux particularismes locaux dont seule serait porteuse la Kabylie par opposition à la nation. Il est vrai aussi que le FFS n’a jamais réussi à casser cette stratégie d’enfermement régional malgré le talent politique de Aït Ahmed. Ceci reste cependant lié à la nature du régime politique algérien.

Nous limiterons nos appréciations au statut des partis politiques à partir de l’indépendance. La vie politique, durant la période coloniale, malgré l’existence active de partis politiques ( PPA/MTLD, UDMA, PCA …) reste justiciable d’un contexte précis. L’encensement teinté de nostalgie sur la période coloniale que l’on relève de plus en plus souvent, chez des historiens notamment, tente de faire oublier qu’«une colonisation peut se définir dès ses origines comme en sa fin comme un état d’exception au système des libertés publiques »(7). La comparaison période coloniale – période post coloniale nécessite une autre approche que celle qui consiste à distribuer des satisfecit sur la simple question du pluralisme sans étudier le régime juridique des partis et leur rapport à la société en fonction de ce régime.

Dès l’été 1962, la question des partis politiques a d’emblée été le centre de débats acharnés et parfois d’affrontements sanglants. Le sort du FLN de guerre était justiciable de la nature de l’Etat et celui-ci pouvait difficilement échapper à l’emprise de l’armée, dans la mesure où celle-ci a très vite manifesté ses préférences quant à un ordre étatique en voie de constitution avancée.
Il faut admettre que la question du parti unique, en 1962, n’était pas discutée par les dirigeants du FLN et le monopartisme semblait aller de soi. Ce qui était en cause et allait rapidement faire l’objet d’une compétition acharnée, c’était la question de la mainmise sur le parti. Même ceux qui affectionnaient le multipartisme n’en faisaient pas état à titre d’opinion publique sous peine de se voir disqualifiés. Durant les premiers mois de l’indépendance, tous ceux qui comptaient dans la lignée des chefs « historiques » s’installaient dans la course à la direction du FLN (ou les morceaux à rassembler). La récupération du symbole même de l’indépendance était l’objectif de tous ceux qui avaient une chance quant à l’issue des confrontations. Ni Boudiaf, ni Aït Ahmed, ni Khider (Bitat ne présentant pas la même envergure), n’étaient des partisans affichés du multipartisme. L’un des premiers à se déclarer sera Krim Belkacem, mais il ne le fera qu’une fois sa défaite consommée.
La qualité de « chef historique » revendiquée par chacun des cinq ex-détenus (Ben Bella, Aït- Ahmed, Boudiaf, Khider, Bitat) n’a cessé d’être le lieu d’un contentieux. D’abord, à l’intérieur du groupe des cinq, dans la mesure où Ben Bella a très tôt bénéficié de la reconnaissance de la presse française qui le citait toujours en premier, l’installant ainsi dans une suprématie de fait que ses compagnons et néanmoins adversaires n’appréciaient pas(8). A l’extérieur de ce groupe se développait une contestation rampante, car cette hiérarchie en excluait d’autres, faisant partie du groupe dit des 22. A l’origine de la création du FLN et du premier novembre 1954, ils s’estimaient tout aussi « historiques » que les autres. La littérature déversée depuis quelques années à partir de témoignages d’anciens, ayant appartenu à telle ou telle structure, ajoutée à des complaisances intéressées chez des historiens et des éditeurs, témoignent de la place que prend, en termes de préséances assorties de filon économique, la reconnaissance au sein de cette hiérarchie. Boumediene puis ses successeurs ont su exploiter la soif des milieux militaires et politiques et faire jouer subtilement le « curseur » de la notabilité ou de la déchéance. Les stratégies matrimoniales ne doivent pas non plus être oubliées dans la construction d’un système qui s’est étoffé en gagnant en extension, notamment dans la transmission des privilèges aux descendants.
De fait, la qualité de « chef historique » que chacun des leaders, à l’indépendance, a utilisée et mise en avant, ne les mettait pas tous sur la même ligne de départ, avec des chances égales. Tous n’étaient pas dopés aux mêmes stimulants. Les discours que les uns et les autres dispensaient sur la démocratie et les libertés publiques, voire le socialisme, tombaient sans réception aucune, sans aucun effet sur des populations qui étaient loin d’être préparées pour recevoir un tel débat et y prendre part.
Seul le parti communiste algérien (PCA) s’était clairement positionné pour une reconnaissance du multipartisme car il savait très bien que c’était la condition de sa survie. Cela n’empêchera pas son interdiction, dès le 29 novembre 1962, sur simple décision du bureau politique du FLN. Annoncée lors d’une conférence de presse du ministre de l’Information, M’Hamed Hadj Hamou, l’interdiction du PCA ne renvoie à aucun texte et la décision elle-même ne figure pas au titre d’acte administratif du ministre compétent(9). Les péripéties de l’interdiction du PCA montrent à quel point il était fragilisé, réduit à un soutien d’appoint, relevant, malgré les déclarations de ses dirigeants, du bon vouloir du bureau politique et du gouvernement Ben Bella, le tout sous surveillance policière.
Soucieux de ménager des alliances dans l’espoir d’un retournement contre les démonstrations anti-démocratiques du pouvoir, H. Aït Ahmed privilégiait, quant à lui, une opposition de type parlementaire, au ton plus pédagogique que frontal. Il tentait la voie du regroupement, autour de sa personne, de tous ceux pour qui le recours à la force et à l’embrigadement des instances n’étaient pas acceptables. A l’assemblée, si beaucoup avaient déjà fait le choix correspondant aux attentes de ceux là même qui ont procédé à leur sélection, d’autres étaient soit désorientés, soit en proie à l’indécision, attendant les moments propices, soucieux de ne pas franchir un pas à regretter par la suite. Tel était le climat de l’assemblée nationale constituante. Sachant le poids du bureau politique au sein duquel il était minoritaire, Aït Ahmed choisit la stratégie du contournement en passant par la tribune parlementaire. Il entendait, ici, faire accepter l’idée de l’élargissement du bureau politique en espérant parvenir à une composition plus réceptive à ses choix, dans la perspective d’un congrès du FLN. C’est ce qu’il faisait valoir lors d’un débat de politique générale le 7 décembre 1962, en réponse à Mohamed Khider, secrétaire général, qui, dans une déclaration reprise par la presse, avait fait de l’élargissement du B.P. une des tâches du congrès.
Au cours de la même intervention, Aït Ahmed prend position contre l’interdiction du PCA dans les termes suivants : « Un parti qui est fort et organisé et qui jouit de la confiance populaire n’a pas besoin de dissoudre un autre comme le PCA »(10). Utilisant la formule « l’unité des avant-garde », mais en restant dans la logique du parti unique, Aït Ahmed, quand bien même réussit-il à convaincre quelques députés autour de lui de la nécessité d’un congrès, ne pouvait infléchir, encore moins stopper l’envolée d’une direction, de plus en plus resserrée au sommet vers un embrigadement en profondeur et la généralisation des pratiques policières. Considérant qu’il était mis devant le fait accompli par le B.P. sur plusieurs décisions, Boudiaf en démissionne le 25 août 1962(11), puis le 15 novembre de l’Assemblée nationale. Le 20 septembre 1962, il crée le PRS dont les militants sont impitoyablement pourchassés(12). Dans ce climat où la force et la violence priment tout, se dessine la captation de la légitimité par la constitution, puisque le pouvoir en confie la rédaction non pas à l’Assemblée nationale et à ses commissions, mais à des membres du parti, en comité restreint(13). On sait que cela a entraîné la démission du président de l’Assemblée, Ferhat Abbas, le 14 août 1963. Dans une déclaration du FLN lue par Hadj Ben Alla, 1er vice- président de l’Assemblée, le 19 août, Ferhat Abbas est renvoyé dans sa « bourgeoisie d’origine »(14).
Du PCA au FFS en passant par le PRS, de Aït Ahmed à Ben Khedda ou F. Abbas, l’exclusion(15) et l’anathème sont le lot quotidien de tous ceux qui manifestent la moindre critique ou mise en garde, alertant contre les dangers d’un projet dictatorial qui ne laisse aucun espace de confrontation pacifique. L’été et l’hiver 1964 ont été jalonnés de révoltes, dissidences, emprisonnements (A. Farès, M. Khobzi …), mises en résidence surveillée (F. Abbas), condamnations à mort et exécutions (Chaâbani)(16).
La création du FFS, le 27 septembre 1963, est une réponse à la mise en place résolue d’une dictature encore tiraillée par des pôles flottants. C’est l’époque où se jumellent les déclarations politiques « responsables » enrobées de maximalisme révolutionnaire, assorties d’opérations militaires et policières. Tout préfigure le gel de la parole et la militarisation sophistiquée des institutions vidées de leur sens par une police politique omniprésente. Le système politique se dessine, prend forme à grands traits à partir du maniement de la violence généralisée. Il met un terme à tout ce qui pouvait prétendre à une représentativité exprimée dans l’autonomie, même si les uns et les autres pouvaient difficilement être distingués d’une appartenance de départ : le programme socialiste de Tripoli auquel tous proclament leur fidélité. Peu importe si la bataille en appelle à la « sincérité », « l’honnêteté » ou « l’authenticité » des engagements. Il faut le secours de la morale pour masquer l’ambition qui taraude des leaders politiques ou des chefs de bataillons se disputant talents et faits d’armes pour prétendre à la consécration nationale.
C’est dans ce climat où tout le monde tire à hue et à dia que le leader du FFS, « historique » parmi les « historiques », décide de se poser en prétendant sérieux. Il inscrit sa démarche dans les principes directeurs de la démocratie politique : liberté d’expression et d’opinion, libre détermination du peuple à choisir les règles de son gouvernement et de son avenir. La revendication du respect des droits et la reconnaissance d’options différentes, la garantie de leur respect comme opinions libres d’hommes libres, fondent l’essentiel du mouvement de révolte du FFS et l’espoir d’incarner une autre vision politique pour l’avenir. A partir de l’anathème dont il sera rapidement l’objet, le FFS jette une lumière crue sur les pratiques arbitraires. Il aide à mieux saisir la nature du pouvoir. En somme, en se positionnant comme un recours, dès l’origine, le FFS pouvait prétendre à être le parti du refus et de la condamnation de toutes les pratiques totalitaires. Sa raison d’être serait ni plus ni moins que leur abolition. N’est-ce pas parce qu’il recelait ce dynamisme laissant entrevoir un autre rapport au politique, qu’au lendemain de sa création il fut mis au banc des accusés ? Dans son message à l’Assemblée nationale, Ben Bella, mettant en œuvre l’article 59 de la Constitution sur les pleins pouvoirs, jouait sur le classique mais non moins redoutable jeu d’ombre et lumière. A l’unité nationale du FLN, qui n’est rien d’autre que le pouvoir de l’armée et de sa police, Ben Bella oppose la division choisie par le FFS. A la révolution est opposée la contre révolution. Au patriotisme national fait pendant la collusion avec l’étranger(17).
Si le PCA a été interdit sur la base d’un rapport de forces infériorisant un parti en voie d’absorption par le régime en place et avec l’accord de ses dirigeants, le FFS, comme le PRS, seront interdits en application d’un décret de 1963. Ce texte est auréolé d’un exposé des motifs qui résume la rhétorique « révolutionnaire » et « militante » de l’époque :

« Considérant que pour réaliser les objectifs de la révolution démocratique et populaire, les représentants du peuple algérien ont décidé à Tripoli la création d’un Parti de masse puissant et conscient ; considérant que le fondement de ce Parti est l’unité idéologique, politique et organique des forces révolutionnaires qu’il groupe en son sein ; considérant que le Parti doit faire autour de lui l’unité de toutes les couches sociales de la nation pour réaliser les objectifs de la Révolution socialiste ; considérant que le fonctionnement du Parti sur une base démocratique, la libre discussion et la libre critique dans le cadre de ses organes constituent un droit fondamental de tout militant ; considérant que l’activité d’associations ou groupements de fait est de nature à porter atteinte à l’ordre public, à l’unité nationale, au succès de la Révolution socialiste et à altérer les bonnes relations de l’Algérie avec les puissances étrangères…
article 1er : sont interdits sur l’ensemble du territoire national toutes les associations ou groupements de fait, ayant un but politique ;
article 2 : Toute infraction à l’article précédent sera punie des peines édictées par la législation actuellement en vigueur ;
article 3 : La dissolution des associations et groupements visés à l’article 1er pourra être prononcée par arrêté du ministre de l’Intérieur »(18).

Ce décret -qui consacre l’appellation association à caractère politique, laquelle sera reprise par la loi du 5 juillet 1989 avec l’objectif inverse puisqu’elle les autorise-, dans sa dimension répressive constitue la définition la plus accomplie du parti unique, ce qui sert de paravent au pouvoir de l’armée et de la sécurité militaire. Il soulève, par ailleurs, quelques interrogations sur le rapport du fait et du droit. Si le décret de 1963 entend se saisir d’associations ou groupements de fait, ces derniers sont déjà organisés, et en connaissance de cause, hors du système de droit en question et même contre lui. Ils sont porteurs ou demandeurs d’un autre système de droit, à partir d’un autre rapport politique.
Quoiqu’il en soit, le FFS est interdit par arrêté du 28 septembre 1963(19), un mois et demi environ après le PRS, dissout par arrêté du 16 août 1963(20).
Une année après l’interdiction du FFS, Aït Ahmed, en compagnie de Ali Mécili, est arrêté le 17 octobre 1964(21). Le 20 octobre 1964, lors d’une conférence de presse, H. Zehouane « fustige la contre-révolution et sa collusion avec Israël et le Portugal » en déclarant que « M. Aït Ahmed sera jugé par une Cour criminelle révolutionnaire »(22). Mis pratiquement en accusation pour trahison, sous la forme d’une collusion avec Israël et le Portugal, dernier Etat qui menait une guerre coloniale en Afrique alors que l’Algérie accueillait les représentants de mouvements de libération du Mozambique et de l’Angola notamment, le FFS fait publier, le 22, un communiqué démentant tout contact avec des Etats étrangers(23).
Condamné à mort puis gracié suite aux interventions d’un comité organisé autour de Mohamed Lebjaoui, Aït Ahmed sera maintenu en prison à la suite du coup d’Etat du 19 juin 1965, contrairement à la parole arrachée par Lebjaoui à Boumediene ; c’était aussi une réaction de rejet des accords FLN-FFS lesquels stipulaient la libération de tous les détenus du FFS(24). Sur son évasion de la prison d’El-Harrach, le 1er mai 1966, Aït Ahmed n’apporte aucun détail(25). D’après H. Zehouane , « Incarcéré dans un espace ouvert à la prison d’El-Harrach, Aït Ahmed était dans un appartement avec une cour promenade. C’est à Mohamed Chouli que Aït Ahmed doit son évasion. Premier gardien à la prison d’El-Harrach, Chouli avait sous ses ordres un certain nombre de gardiens. Mohamed Chouli fait sortir Aït Ahmed par la grande porte en lui faisant porter un voile de femme ».(26)
Si l’encadrement du FFS s’est décomposé sous les coups de boutoir et de séduction de la sécurité militaire, un certain nombre, et non des moindres, ayant opéré leur reconversion, entre Alger et Paris, dans le monde des affaires (c’est le cas de Ben Younes dit Daniel et du colonel Saddok parmi beaucoup d’autres), il reste que les engagements de principe affirmés par le FFS tenaient lieu, malgré la clandestinité, de repères minimum permettant le rappel possible des exigences démocratiques. A la doxa du régime sur la voie révolutionnaire et le socialisme aux couleurs de la « caporalisation » de la jeunesse, dont le dressage ne se faisait pas que dans les casernes, répondait une contre doxa oppositionnelle qui fixait une alternative en point de mire. Elle prétendait au rassemblement et à l’information en donnant un contenu actif à la citoyenneté. De tels objectifs s’appuyaient sur une culture et une pratique des droits avec la conscience que les droits doivent être opposés à l’Etat. Dans la clandestinité, le FFS a inspiré le « printemps berbère ». En effet, de nombreux militants finissaient par se reconnaître dans le FFS ou, à défaut, s’y découvrait une parenté. Le refus de l’arbitraire restera l’arbre porteur. Le mouvement culturel berbère n’a pas échappé aux tiraillements et aux querelles de leadership. Pourtant, l’ouverture sur la nation, dans ses profondeurs, prônée dans la clairvoyance par la direction du FFS, n’a pas manqué de faire pièce aux prétentions, pour beaucoup, à se constituer en infra parti. La constitution de 1989, derrière la façade démocratique, sera l’occasion pour Saïd Sadi de capter à la fois la culture et la démocratie. On sait depuis, dans quelles conditions, et au profit de quelle cause. Comment déjouer les manœuvres savantes qui poussent vers l’ethnicisation et le sectarisme ? L’une et l’autre puisent leur substance dans la méconnaissance et le refus des particularismes locaux où l’endogamie et les solidarités patriarcales prennent l’apparence politique de dissensions spectaculaires ou d’adhésions passionnées. Les tentations ethnicistes, les querelles de leadership mobilisant les solidarités patriarcales et dont l’enracinement ne sont pas, on l’aura compris, l’apanage du seul particularisme kabyle, cohabitent au sein même d’avancées audacieuses comme la fondation de la ligue des droits de l’homme, en 1985.
Face à l’enfermement élevé par les murailles du parti unique, le FFS se pose comme une alternative totale. En tant que parti, d’abord, l’opposition au parti unique est en soi un engagement en faveur d’un autre système politique. Au titre de symbole du pluralisme et de la diversité, il apporte un démenti permanent à l’uniformité en étant l’éloge vivant de la confrontation dans le respect des libertés publiques : opinion, expression, réunion, manifestation…Comment le parti va-t-il affronter, compte tenu de l’image que lui a façonné la clandestinité, le passage à la légalité ?

II – LE FFS DE LA CLANDESTINITÉ À LA LÉGALITÉ –

Dans une Algérie souveraine, née de la guerre, le rapport aux partis politiques devrait être saisi autrement, dans le sens de libertés politiques accomplies, que pendant la période coloniale. Or voilà que beaucoup, privilégiant le raccourci historique il est vrai, se mettent à insérer dans l’ère coloniale les libertés démocratiques. Inversement, les tenants du parti unique, sans nuances, en ont fait la condition suprême pour rompre à tout jamais avec le système colonial.
Dès le mois de juillet 1962, en même temps que la mainmise sur les appareils de domination/coercition qui préfigurent la mainmise sur l’Etat, se dessine la construction monopartisane. Celle-ci procède du même souci d’encadrement coercitif que les autres appareils. C’est dire que dès 1962, le FLN n’a été rien d’autre qu’un appareil parmi les autres appareils d’Etat de conquête et de construction du pouvoir. Le verrouillage de tous les espaces à toutes expressions ou manifestations contraires, dissidentes ou simplement différentes, s’interprète comme une garantie apportée à la construction d’un Etat totalitaire.
Poussé à l’opposition frontale, le FFS s’affirme, à contre jour du parti unique, comme l’antithèse d’un système d’Etat. Plus encore, il s’installe a contrario et explicitement, comme le parti ayant vocation à rétablir l’utopie d’une indépendance inachevée parce que délestée de l’organisation politique démocratique qui lui donnait sa pleine signification. L’indépendance ne pouvant être comprise que dans la dimension pleine et entière de la souveraineté, elle ne saurait abandonner la libre expression populaire. Expression de la souveraineté populaire, la liberté d’adhésion, de choix des gouvernants et du régime politique, la souveraineté n’en est pas une dès lors qu’elle est arrachée par simples ovations. Elle se construit sur la base d’idées développées par des hommes libres, indépendants, et se délègue à des hommes tout aussi libres et indépendants. De ce fait, l’élection ne saurait être ni plébiscite, ni délégation à blanc. La représentation, qu’elle soit appréhendée dans les structures locales, parlementaires ou présidentielles, suppose la confrontation fondée sur des règles garantissant l’accessibilité aux libertés et à leur exercice, et le contrôle contre les détournements de toute nature.
Dans la clandestinité, le FFS, malgré les limites de l’action subversive, renfermait un modèle. En symbolisant la résistance à l’autoritarisme exprimé dans les choix institutionnels, malgré les limites de son implantation territoriale et les faiblesses matérielles, il a créé les conditions et balisé le terrain favorable à son enracinement. C’est en cela que le FFS pourra être regardé comme un grand parti. Clandestin, le FFS portait des idéaux qui s’ajustaient en vis-à-vis contre l’Etat policier. Seuls, suffisaient pour le rappeler, des communiqués à la solennité décuplée par l’effet produit sur une opinion attentive à des documents circulant dans l’ombre. Dans sa discontinuité même, la parole clandestine enclenche une demande, suscite des vocations, maintient en éveil. La propagande sur le parti ethnique d’un chef ethnique, celle qui renvoie au parti créé d’en haut, est frappée d’obsolescence dans la mesure où les détracteurs sont ceux-là mêmes qui pourchassent les opinions en circulation et fournissent les conditions de leur propre disqualification.
Les lendemains d’octobre 1988, suivis de la constitution de 1989 et la loi du 5 juillet sur les « associations à caractère politique », introduisent une autre dynamique qui, de dégradations des rapports internes en fuite en avant, réduisait les militants à l’état de déshérence. Trop d’événements conflictuels souvent réglés à partir des réflexes autoritaires installent le FFS, qui semble ne pas y prendre garde, dans sa propre négation. Retenons pour l’instant, que le parti, sorti de la clandestinité en 1989, est mis à l’épreuve de ses idéaux. L’épreuve de la sortie de clandestinité, quand bien même très peu de cadres en prennent conscience, réside dans la légalisation de leur parti. Cela peut paraître paradoxal mais la légalisation s’avère grosse de déstabilisation.
D’une manière générale, avec la constitution de 1989, se dessine la tendance, au FFS comme aux yeux de nombreux observateurs et acteurs politiques (hommes politiques, responsables de partis ou d’associations), selon laquelle la démocratisation est une certitude, non seulement acquise, mais acquise ad vitam aeternam(27). L’idée dominante chez de nombreux militants et cadres du FFS, (comme pour ceux des autres partis), c’est que les réformes de 1988-1989 relèvent de la démocratie alors qu’il s’agissait d’opérations de séduction visant un redéploiement d’un système politique auquel était injecté un regain de vigueur. Appuyé sur une stratégie libérale reléguant le parti unique parmi les curiosités historiques, un système à devanture démocratique (pluralisme de partis, pluralisme dans la presse, usage des techniques juridiques dans la justice ou l’administration qui laisse croire à l’Etat de droit) se mettait en place un peu partout dans le monde (Afrique, Asie, Europe de l’Est). Mais dans le même temps, se déployaient des procédés sophistiqués, notamment en matière de police ou de contrôles administratifs divers, sans compter le tableau d’avancement mis en circulation pour séduire toutes les tentations carriéristes. Il faut ajouter à tout cela l’insécurité qui s’est installée avec la guerre civile, mais qui est toujours chronique, et le recours à l’état d’urgence, en somme tout un ensemble de dispositifs qui tétanisent les acteurs, canalisent leurs activités, réduisent leur clairvoyance et émoussent leur inventivité combative. La gestion politique par le terrorisme n’est pas une lubie.
On comprendra alors comment l’illusion démocratique(28), dans laquelle se sont fourvoyés cadres et militants, fragilisait le parti sur un triple plan :
*En premier lieu, la légalisation du FFS délestait ses militants d’une « membrane » de vigilance protectrice, dès lors qu’ils étaient convaincus que l’ère de la démocratie est irrémédiablement ouverte.
*En deuxième lieu, en faisant jouer différents leviers comme la police, l’administration qui dans ses différentes hiérarchies n’a pas fini de livrer tous les secrets pour « enfumer » les espaces politiques ou la presse, cette « démocratie », éclairant l’activité a giorno du FFS, le soumet à des défis multiformes qui, au fur et à mesure, sapent sa sérénité interne. Ici, il ne s’agit pas simplement de débusquer ces ambitions faussement assoupies qui entretiennent un appétit d’attente prêt à se libérer, quelquefois brutalement. Quand les démons du pouvoir se libèrent, les turbulences sont d’autant plus redoutables que leur déchaînement est inattendu. Les retombées ne se limitent pas seulement aux cercles dirigeants. Comment alors, en maîtriser les effets ?
*En troisième lieu, le parti, agissant au grand jour, ne peut plus échapper aux ramifications des relations de pouvoir. Il ne s’agit pas seulement de ces rencontres ou échanges lors des nombreuses cérémonies officielles qui, pour être banales, n’ont pas toujours le caractère anodin qu’on leur attribuerait avec dédain. Au contraire, tout se passe, dans la variété et la variation des rencontres, passerelles, de nature à situer les partis comme composantes d’un ensemble au titre d’un pouvoir parce qu’ils sont, d’une certaine manière, contractants dans l’organisation de l’Etat, de sa violence, de sa puissance. L’attraction, produite en ce sens sur le FFS, n’est pas fortuite. Elle relève de la stratégie, puisqu’elle se traduit, non seulement par la participation au gouvernement(29), mais par des alliances qui, pour être tissées avec des personnalités dont la carrière épouse la longévité du système politique, ouvrent la voie à quelques audaces, en forme de reniement, pour des cadres à qui il serait ensuite malvenu d’en condamner l’ambition.
En définitive, sous quelque approche que ce soit, la légalisation apparaît à la fois comme un défi et une régression.
Comme défi, la légalisation appelle le parti du contre pouvoir total à s’adapter à la situation nouvelle sans perdre son identité, sans se décomposer dans les filières hautement contrôlées des batailles électorales et des représentations nationales ou locales qui échappent, par leur fluidité, au projet et aux engagement du parti. Il ne s’agit pas de fuir systématiquement les batailles électorales mais de démontrer le chemin possible pour une réelle opposition capable de relever le gant dans une pédagogie de défrichement du suffrage universel. D’où la nécessité d’envahir tous les espaces en démontrant l’imposture du régime à user du système de légalisation comme moyen détourné pour un contrôle absolu des partis, au grand jour, et sous couvert de démocratie. Le fait est que les libertés de réunion et de manifestation demeurent inaccessibles. Y parvenir suppose un parti au dynamisme et à l’attraction décuplée, dont les dirigeants ont saisi toute la différence qui sépare la reconnaissance par le ministère de l’intérieur et celle établie par les ressorts de la société, sur la base des libertés publiques. Ce qui réduirait le rôle du ministère à un simple enregistrement. Qu’on le veuille ou non, la procédure de reconnaissance, instaurée par l’administration policière, déplace le cœur des partis de leur propre centre, de la définition d’eux-mêmes sur eux-mêmes, et les met entre les mains du ministère de l’intérieur. C’est pour cela qu’ils apparaissent comme les partis de l’administration, qui peut alors les fustiger, y compris en cas de désintéressement des populations du cérémonial électoral. L’exercice du ministre de l’Intérieur, commentant les résultats des élections législatives du 17 mai 2007, est encore dans les mémoires : traitant les partis en auxiliaires de l’administration, il les rend responsables du faible taux de participation. Les effets de la loi 89-11 du 5 juillet 1989 ont été accentués par l’ordonnance 97-09 du 6 mars 1997 portant loi organique(30) « relative aux partis politiques ».
La régression est vécue par le parti comme une sorte de banalisation dans un paysage politique fuyant, où il n’est plus qu’un parti comme un autre, soumis au même régime que cette cohorte de partis taillés sur mesure pour une « démocratisation » qui les tient en laisse. Le coup de maître des faiseurs de « démocratie » est d’être arrivés à faire croire au passage à cette dernière, avec les matériaux d’un pouvoir implacable. Or, la concession d’espaces ne répond à rien d’autre qu’à « la fascination de l’apparence »(31).
Parti « banalisé », amené à se « colleter » dans un champ politique « de bric et de broc », le FFS reçoit le choc en retour. Du parti hors d’atteinte qu’il prétendait être, il devient un parti « récupérable ». Sinon par le haut, du moins par le bas, et par ses cadres intermédiaires.
L’activité des partis (communiqués, congrès, rassemblements, dissensions, éclatement…), leur représentation dans les différentes structures et leur détermination à l’égard des choix politiques au sommet (présidence de la république, gouvernement) sur des sujets innombrables (économie, politique étrangère, justice, impôts, enseignement, culture…) traduits par l’instance médiatique appelée à y donner crédit, voire authenticité, nous renvoient l’animation quotidienne d’une scène qui, par à coups, trahit le secret d’un scénariste seul maître de son sujet. Quel parti ose l’interpellation de l’armée et des services de sécurité pour leurs crimes, inventoriés comme crimes contre l’humanité ? Le FFS, en ce domaine, fondamental, il faut le rappeler, pour reconstituer le lien national et retisser les trames d’une société traumatisée, nous rappelle le grand parti qu’il sait être. Cela suppose, par là même, la hauteur des responsabilités à assumer pour l’avenir. La violence déchaînée de main de maître, confortée par un état d’urgence relevant du droit commun, accentue le poids des pressions quotidiennes sur des organisations politiques à qui sont assignés des activités et des espaces plus que jamais sous influence.
L’exil du président du FFS, alors que son parti est confronté aux rudesses de terrain du parti désormais reconnu, conduit nécessairement à des aménagements à mi-chemin entre un parti modèle de pouvoir, par la permanence de ses principes fondamentaux, avec un chef hors de portée, et une régression qui le rend justiciable des règles communes aux autres partis. Dès lors, en arriverait-on à voir cadres et militants, déboussolés, s’engouffrer dans la coexistence avec le pouvoir, comment, sous quelles formes et jusqu’où ?
Par la force des choses, l’interpénétration se fait à coups d’échanges, d’élections, de négociations pour l’ouverture et le déroulement des campagnes, d’autorisations nécessaires ou feintes, dans le bruissement « institutionnel » quotidien sous la poussée des réalités du terrain. Les événements déclenchés en Kabylie, suite, encore une fois à un assassinat, celui du jeune Guermah Massinissa, les développements ultérieurs(32) d’un « mouvement citoyen » à la fois confus et violent, instrumenté notamment dans le jeu douteux d’une prétendue « bataille pour les élections présidentielles » de 2004, en déstabilisant la région, fragilisent un peu plus le FFS.
A l’intérieur du parti, le turn over des secrétaires nationaux dont la compétition et les rivalités ne freineront pas l’usure, ajouté à des tiraillements de tendances, font monter le président de plus en plus souvent en première ligne. La dimension patriarcale qui le lie à son parti est inévitablement mise en évidence. La crise ouverte à l’intérieur du parti depuis l’été 2006 éclaire un peu plus sur la nature du rapport politique entre « le chef historique » et le reste des cadres et militants entre lesquels se joue une confrontation qui se transforme chaque jour un peu plus en affrontement.

Comment en est-on arrivé là ?
En déchirant le pays depuis 1992, la guerre civile fixe le parti, à l’intérieur, sur une vigilance minimum, prioritaire : éviter la généralisation de la violence à tous les civils. D’où, en dénonçant la violence sous toutes ses formes, quels qu’en soient les auteurs, en multipliant la saisine des instances internationales et les ONG, le FFS n’a pas cessé de mobiliser ses efforts, multiplier les initiatives en faveur de la paix civile, dans une démarche d’ouverture et de réconciliation qui trouvera son aboutissement dans le contrat de Rome. Pourtant, si la démarche du FFS était portée par son président sans équivoque, les cadres nationaux de son entourage immédiat, comme l’encadrement intermédiaire, faisaient preuve de circonspection. Cette attitude flottante, marquée par des tiraillements aux penchants anti-islamistes, cristallise des positions divergentes qui, par souci de ménager l’avenir, ne se sont pas toujours clairement assumées(33). Depuis, les distances se sont creusées entre un sommet à qui appartient la réalité de la décision et de l’orientation politiques et un secrétariat national qui gère le quotidien en fonctionnant pratiquement comme un secrétariat de cabinet aux tâches purement administratives de relais. Ce fonctionnement, distendant le lien politique, fige le Conseil national et les militants dans des positions d’attente. Depuis les élections présidentielles de la « normalisation » de 1999, ce schéma a été aggravé par les conditions d’intervention autoritaire du président du parti lors du troisième congrès (2000).
Il faut revenir, même brièvement, sur les élections présidentielles de 1999. Si elle a marqué physiquement le leader du FFS qui a fait une campagne vivante, ne se ménageant pas, la consultation de 1999 a révélé les limites politiques du FFS et de ses alliés, M. Hamrouche et A. Taleb. La campagne menée de front par trois alliés, même si l’alliance se limitait aux élections, laissait supposer, logiquement que, s’étant entendus pour convaincre et drainer un électorat, suscitant un mouvement contre la fraude et la corruption administratives, les candidats d’une opposition unie contre ces deux fléaux, n’allaient pas laisser s’évanouir un capital électoral rassemblé sur des bases très larges de mobilisation. Or, les trois candidats, s’ils décident d’organiser leur retrait en signe de protestation contre la fraude, ont laissé leurs électeurs sans explication. Ce qui devait être le point de rassemblement et la naissance d’une force ou à tout le moins d’un mouvement unitaire contre la dictature s’est dissipé, dans un repli silencieux assorti d’un classement sans suite. Si cela éclaire sur les intentions de ses alliés dont le parcours politique plaide suffisamment quant à une appartenance politique ne pouvant se démentir, le FFS, en revanche, était tenu par un devoir de clarification. Quel engagement, sur quelle base, avec qui et pour aller où ? L’épisode de 1999 gagnerait à être clarifié au grand jour. En effet, si Aït Ahmed reste sur une opposition tranchée, M. Hamrouche ne s’est jamais caché pour revendiquer l’investiture des mains de chefs d’une armée avec laquelle il ne cesse de rappeler sa solidarité. Quant à A. Taleb, il adopte un profil bas. S’enveloppant dans une attitude de conciliation frisant la complaisance, afin d’obtenir la légalisation de son parti, Wafa, il privilégie la reconnaissance par concession ministérielle, constamment refusée, au détriment d’un passage par la voie judiciaire. Pourtant, celle-ci s’offrait grandement à lui dans la mesure où le délai légal auquel était tenu le ministère de l’intérieur s’étant écoulé, Wafa était fondé à s’engager dans la vie politique active et, si besoin, à se porter devant le juge. Loin de nous l’idée de voir, dans une justice enserrée dans un étouffoir, le risque de désigner comme abus de pouvoir le dédain dans lequel le ministre de l’Intérieur tient les « canons de la légalité ». Néanmoins, en appeler au bénéfice de l’application de la procédure prévue en se transportant, en fin de parcours, devant les tribunaux, aurait versé, publiquement, un éclairage pédagogique supplémentaire sur la nature de l’ordre politique.
Ces démissions politiques successives –mais s’agit-il réellement de démissions– éclairent sur le degré de correspondance et de prolongement d’un pouvoir suffisamment assis pour faire fonctionner une opposition à son profit.

Parallèlement à cette série de faits qui ont marqué l’avènement de « l’homme providentiel »(34), on aura remarqué, par ailleurs, que M. Hamrouche exerce un attrait notable sur beaucoup de cadres du FFS. La stratégie de l’ex Premier ministre n’a pas varié depuis 1989, voire avant. Homme sans parti mais candidat à la candidature auprès des chefs militaires de qui il attend la consécration, il opère par absorption de cadres, d’universitaires, tel un chasseur de têtes, en tenant salon et en organisant des rencontres sur la base de cette « magie » des réformes dont il manque rarement l’occasion de rappeler que nul mieux que lui n’est en mesure de mener à bien. Il se constitue, en attendant de pouvoir distribuer des ministères, une cour dont les fidèles se portent forts de l’engagement oppositionnel de leur mentor.
Les violences agitant la Kabylie depuis 2001 s’ajoutent au désarroi programmatique d’un parti qui, accusant de plus en plus de déficit dans le fonctionnement « institutionnel » interne, paye durement la note en observant, silencieux, nombre de ses militants, de moins en moins regardant sur les principes, aspirés dans des responsabilités locales ou régionales. On avait tendance à oublier que les militants sont aussi des hommes pour qui « les partis apparaissent…comme une sorte de tremplin qui leur permettra d’atteindre cette fin essentielle : assurer l’avenir »(35).

Sans stratégie déchiffrable, sans analyse sur les soubassements qui livrent la société et l’Etat à toutes les formes de prédation au point où l’une comme l’autre y puisent leur dynamisme, les militants du FFS, au même titre que ceux de n’importe quel parti, sont à la merci de la spirale carriériste et de ses délices. Soumis aux nécessités quotidiennes (économiques, sociales), aux pressions de l’environnement familial et des lois du segment protecteur par ses solidarités sans conditions, les militants, comme hommes au quotidien recourent au deal, à l’échange, aux concessions et, pour tout dire, à l’arrangement. Tirant le bénéfice de situations qu’ils savent nécessairement provisoires, cadres et militants ne se délestent pas de la phraséologie sur la corruption, l’incompétence, ou la gabegie, convaincus ainsi qu’ils ne sont pas en proie à un processus de désinsertion d’un parti auquel ils demeurent attachés. Loin de se convaincre de trahison, ils s’enveloppent de tolérance et d’immunité.
Parti de l’alternative et de la réhabilitation de la nation et des citoyens dans leur dignité et leurs droits, le FFS devient, dans la cacophonie de ses communiqués, déclarations et messages à lui-même, une autorité d’appoint, parmi d’autres, dans la continuité d’un pouvoir sur qui glissent, sans effet, toutes les dénonciations habituelles.
La crise du parti, déclenchée par des « revendications militantes » suivies de « rassemblements militants » – dont le premier a eu lieu le 31 août 2006-, est révélatrice du désarroi, pour ne pas dire de la déshérence idéologique, qui frappe les militants.
Par certains aspects, la crise ouverte durant l’été 2006 renvoie aux crises successives qui secouent, en discontinuité, le FFS depuis sa légalisation(36).
Sur d’autres apparences, la crise du FFS reproduit, en modèle réduit, les armes en moins, heureusement, la crise du pouvoir de l’été 1962. Au même titre que lors des affrontements de l’Indépendance, nous sommes confrontés au principe d’obligation de respecter les règles qui cache mal la querelle de légitimité et sa nature.

III. – LE FFS AU DÉFI DE LUI-MÊME : LE SYNDROME DU MONOCRATE –

En se fondant sur les statuts du parti, des militants au nombre indéterminé au départ, mais qui rassemblent de plus en plus autour d’eux, font circuler une déclaration publique dans laquelle ils dénoncent la « violation des textes et statuts du parti » en optant pour « l’initiative d’un sursaut militant salvateur ». Passons sur l’expression qui rappelle de trop mauvais souvenirs : il est des termes qui, par la charge historique qu’ils portent, renvoient ipso facto à ce qu’ils ont exprimé à un moment donné et pour toujours. Le 19 juin 1965 conserve une sorte de monopole du « sursaut salvateur » tel que l’on ne saurait plus dégager l’expression d’une connotation indélébile et donc difficilement détachable des moments qu’elle a marqués. D’autant plus que l’expression, qui ne figure pas comme telle dans la proclamation du 19 juin
1965, a été un slogan quasi quotidien durant une vingtaine d’années dans la presse, le FLN et les organisations de masse.
Les revendications des contestataires s’articulent autour de deux axes : politique et organique.
*Sur le plan politique, il s’agit de « réhabiliter le politique à l’intérieur du parti en instaurant un débat militant à tous les niveaux des structures ; mettre fin à la confiscation de la décision politique par l’appareil ; reprendre l’initiative politique sur le terrain en tant que force d’opposition et de proposition ».
*Sur le plan organique, les buts poursuivis sont les suivants : « réhabiliter les instances légales et légitimes du parti dans leurs prérogatives en application des statuts ; convoquer un conseil national extraordinaire pour ouvrir un débat de fond sur l’état du parti, éventuellement en présence du Président ; mettre en place un calendrier imposable à tous, pour la tenue des échéances nationales statutaires (audit, conventions, conférences des cadres et des élus, congrès national)»(37).
La question essentielle qui structure les manifestations, prises de position, mises en garde adressées à la direction, n’est rien d’autre que « la démocratie » et « la démocratisation du parti ». La perception de la question démocratique est saisie, par les militants, dans son prolongement à l’échelle de l’Etat et de la nation(38). La raison d’être du FFS, apparu comme contre modèle de l’Etat césarien, se dissout lentement dans des pratiques qui lui ôtent toute légitimité à se réclamer de principes qu’il ne respecte pas à l’intérieur de ses organes. Parce que le FFS a, dès l’origine, visé haut, dans un projet de construction étatique et institutionnelle, la confrontation entre « l’appareil du FFS »(39) et les contestataires sera centrée sur une critique très nette du rapport aux institutions et aux règles qu’elles définissent, face à la pratique des organes. La séparation des pouvoirs, la définition de l’exécutif, du législatif et du judiciaire et de leur rôle respectif traversent continuellement la substance argumentaire opposée à la direction. Un document daté de juin 2007 qualifie les textes (statuts) du parti de « constitution interne au FFS »(40). Cette approche était largement développée à partir du bilan proposé dans le document interne(41) du 5 juillet 2006, avant la publication de la plate-forme de contestation publique. Tout laisse penser que ce document ne faisait que résumer l’état alarmant du parti, en consignant les inquiétudes interrogatives de militants continuellement éconduits par la direction. Le malaise gagnait en profondeur au fur et à mesure que les dirigeants se repliaient sur eux-mêmes, restant sourds à la soif de débat. Face à une direction qui se raidit dans l’autoritarisme autiste, la contestation tente d’accentuer sa pression d’un cran en appelant à la manifestation publique (sit in)(42).
La contestation, de plus en plus bruyante, ne pouvant plus être ignorée, la presse s’empare de l’évènement dans un jeu d’équilibre et de stratégie préparant l’arène pour des empoignades de longue haleine, suggérant en termes choisis tantôt le triomphe, tantôt la mise à mort des uns ou des autres. C’est alors que le secrétariat national par la voix de Ali Laskri et Karim Tabou, bientôt suivis et encouragés par le président du parti, se lancent dans une vague de diatribes et d’accusations qui n’ont rien à envier aux anathèmes des années 1962-1963 que le pouvoir en construction déversait sur des opposants mis au ban de la nation. Les accusations visant à discréditer toute contestation, ciblent les auteurs ou ceux que l’on considère comme les principaux meneurs, en les désignant, ad hominem, comme agents du DRS (département du renseignement et de la sécurité, nouvelle appellation de la sécurité militaire), à défaut de pouvoir les traiter « d’agents de l’étranger », « d’ennemis de la révolution » ou de « menace pour l’unité nationale ». Ni les appels à la sagesse(43), ni les mise en garde sur les procédures détournées d’exclusion, de dissolution ou de marginalisation des structures, comme les moyens de noyautage par la distribution de cartes du parti en violation des statuts, n’amèneront la direction à reconsidérer ses positions. En effet, il semble que des cartes aient été distribuées « dans des lieux publics et selon le bon vouloir du chargé de mission ou délégué, en dehors du canal habituel des sections et fédérations »(44). Les militants comme les cadres réalisent, alors, à quel point l’usage de procédés répressifs à l’intérieur du parti n’est que la reproduction des moyens de répression à l’œuvre dans la société de la part d’un pouvoir d’Etat en prise sur tout. La différence réside dans l’étendue du régime de répression par le recours aux appareils répressifs, expression d’un pouvoir de coercition que le parti ne possède pas. Mais cela suffit à instruire amplement sur les méthodes des dirigeants du parti si d’aventure ils bénéficiaient du même pouvoir qu’ils sont réputés combattre (armée, polices, prisons, télévision, journaux…). C’est dire que sur le terrain, le parti qui se définit comme contre modèle démocratique, se disqualifiant lui-même, offre encore plus de longévité et d’assurance voire de légitimité, à un pouvoir d’Etat qui accentue à l’infini, en le modulant, le poids de sa domination. C’est en cela que s’expliquent les appels incessants, souvent lancinants, sur le respect des procédures juridico–institutionnelles dans le mode de solution de la crise(45). Le discours juridique, voire juridiste, sur les mécanismes statutaires internes saisis dans leur dimension institutionnelle semble offrir le seul recours pacifique aux cadres et militants qui s’insurgent contre le retard – trois ans – apporté à la tenue du congrès et ses conséquences. Montant sur le front ouvert par les secousses en Kabylie qui s’ajoutent à celui des massacres de population sur plusieurs années, le parti n’arrive plus à coordonner sa vie politique interne avec les engagements qu’il souscrit dans l’espace public interne et international. Il en ressort que le FFS aborde une crise d’identité que les militants appréhendent comme une crise de l’autorité. Celle-ci est pensée d’abord comme objectif à partir de paramètres citoyens dans un ensemble rassembleur toujours à l’œuvre et renvoyant en permanence aux règles fondamentales. Dès lors, le consensus des militants «… n’est pas l’unité toute faite que les citoyens constituent, c’est l’unité à faire qu’ils se proposent de constituer, car c’est par leur accord qu’ils peuvent édifier une loi commune en dehors de laquelle leur obéissance ne serait que servitude. Dans cette perspective, ce sont les procédures de délibération, de décision et de vote qui constituent la technique de l’autorité, en même temps qu’elles nous fournissent les critères de l’autorité légitime »(46). La crise d’identité réside dans une mutation telle que, pour les contestataires, le parti ne saurait plus se réduire au charisme d’un chef, fut-il historique, dans la mesure où le besoin de débattre et de délibérer dynamiserait un parti figé dans des pratiques où tout procède du chef et tout y renvoie. La trajectoire du FFS s’inscrit dans un parcours historique dans lequel les militants naissent de la dissidence en portant haut le flambeau de l’indocilité et du refus d’obéissance qui se résume dans la résistance à l’oppression comme devoir civique et civil. Or, cette culture de l’indocilité et de la dissidence, appelée à revivifier le parti, est rejetée par les instances dirigeantes comme acte de trahison. C’est ici que le parti est saisi dans une forme de reniement de soi. La force symbolique du FFS vacille à un point tel que le parti n’a plus de prise sur une société et les composantes réputées lui être liées. Il peut difficilement analyser l’état de l’une alors qu’il est dans l’impossibilité de pouvoir diagnostiquer l’état et la nature des autres. La symbolique à laquelle le FFS doit son rayonnement, en vacillant, n’est plus en mesure d’«ouvrir des portes, bousculer des habitudes, susciter des aspirations, inscrire une pédagogie, produire des valeurs »(47). S’il est vrai que la sacralisation du droit masque la réalité des rapports sociaux et, de ce fait, peut conduire à des impasses, les institutions du FFS saisies quasi exclusivement dans leur dimension juridique sont justiciables d’un pouvoir d’évocation patrimonial rehaussé de légitimité. A ce titre, la construction statutaire relèverait, soit du domaine délégué, soit du domaine retenu, selon les circonstances et l’opportunité dont le pouvoir d’appréciation revient au président seul. Le président du parti peut, à tout moment, revêtir l’apparat monocratique(48) du maître des lieux. Il procède par voie d «’ordonnances » insusceptibles de recours et livre de temps à autre son regard sur lui-même : « …Je me pose souvent la question : est-ce possible d’immuniser les militants contre la contamination du mensonge, alors que le mensonge est à la base de toutes les institutions et activités d’une gouvernance sans queue ni tête. Je vous avoue que je ne cesse de faire des efforts pour éliminer les mensonges, qu’ils proviennent des adversaires ou des proches et amis ; l’enjeu étant de préserver ma propre survie morale et intellectuelle. A force de lutter pour ma décontamination personnelle, je finis par militer en faveur d’une décontamination publique à commencer par l’immunisation des structures du parti… »(49). Cette puissance, exerce sa domination, au nom d’une légitimité historique, hors de portée de sa « société ». Elle détient la maîtrise du droit qu’elle interprète en fonction de cette domination. Ainsi, nous sommes face à un parti fondé sur l’autorité d’un Chef dont la force de position est ancrée dans l’histoire, installé dans la durée, qui s’est concilié la tradition sans dédaigner le secours d’une symbolique modernisatrice.
Comment un tel monument de légitimité voit-il son parti ? : « Il faut reconnaître que les services n’ont fait qu’exploiter la dégradation interne à l’organisation du FFS. Il n’y a qu’à voir le profil des individus qui encadrent la fronde : ils sont connus de tous comme étant soit des corrompus, soit des escrocs, soit tout simplement des gens très proches des services. Et si des militants les suivent tout en les connaissant, c’est qu’à leur niveau ils ont un problème, qui avec le maire FFS, qui avec le responsable local de la section. L’un est déçu de n’avoir pas été mis sur la liste électorale précédente, l’autre sait qu’il ne sera pas sur la prochaine, certains encore, peut-être les plus nombreux, représentent la clientèle d’élus FFS corrompus qui leur promettent un logement, un terrain ou un emploi. En plus de tout ça, nous voyons la réapparition d’éléments qui ont fait partie de toutes les dissidences précédentes. Mais ne perdons pas de vue que certains sont récupérables… »(50).

Pour apprécier cet état des lieux du militantisme FFS et sa fragilité, il faut le rapporter à ce que le président du parti écrit sur la SM/DRS. Remarquons, au préalable, et selon les propos tenus par Aït Ahmed, que la police intervient comme critère d’évaluation déterminant à l’intérieur du parti. Cela permet d’évacuer toute approche politique en profondeur. Le critère « policier » est une arme d’une grande maniabilité, rendue redoutable par le poids de la police politique dans l’Etat et la société. Il permet de tracer une ligne de partage toujours facile à déplacer. Celui qui, d’en haut, actionne le critère, réputé au-dessus de tout soupçon, devient le maître absolu du jeu politique, lequel disparaît derrière un état d’exception convoqué à la discrétion du Chef. Il peut, sur ces variations, vider le parti ou le renflouer, en chassant, suspendant ou récupérant, dans la masse de militants et de cadres à sa merci.
Il faut reconnaître à H. Aït Ahmed le courage d’aborder, comme nul ne le fait sur la place publique, dans des efforts d’analyse sans détour, la question qui domine la vie politique algérienne : celle de la place et de la maîtrise qu’occupe et qu’exerce la SM/DRS sur la nation et l’Etat.
Dans sa préface à l’édition 2007 de L’affaire Mécili(51), Aït Ahmed s’appuie sur le témoignage de Mohamed Samraoui(52) qui, le 2 juillet 2003, dépose, à Paris, devant le juge Baudoin Thévenot, chargé de l’instruction du dossier Ali André Mecili. Chargé d’accompagner à Skikda le capitaine de la SM Rachid Hassani, M. Samraoui restitue la scène d’après laquelle le capitaine Rachid Hassani remet le prix de son contrat -l’exécution de Mécili à Paris en 1987- à Abdelmalek Amellou, autrement dit l’assassin identifié par Samraoui et que la police française a mis sous abri à Alger. Partant de cet exemple qui campe bien la puissance de la SM au plan de la souveraineté et ses ramifications internationales, Aït Ahmed entreprend de décrire les ressorts d’une organisation qui coiffe l’Etat et tous ses appareils. La SM « a été depuis l’indépendance la plaque tournante de l’organisation d’un pouvoir occulte. Repérant et recrutant les meilleurs étudiants, elle a infiltré tous les appareils de l’Etat, les réseaux mafieux du pouvoir et tous les secteurs d’activité –sociaux, économiques, culturels et politiques -, avec une attention particulière pour les médias. Sa connaissance très « pointue » de tout le personnel politique et les liens très anciens existant entre eux font de ses dirigeants – et en particulier de son chef Mohamed Mediene – le centre de gravité autour duquel s’articule toute la vie politique. Véritable colonne vertébrale du système et seule institution à fonctionner vraiment en dehors des hydrocarbures, ces services spéciaux ont eu, dès l’indépendance, une obsession : contrôler au plus près la société afin d’y empêcher l’enracinement populaire de tout mouvement autonome et de prévenir l’émergence de contre- pouvoirs démocratiques. Certes, la police politique n’est sans doute plus le bloc homogène qu’elle fut. Traversée elle aussi par les luttes de clan, et les rivalités entre « services », elle exerce néanmoins un quasi monopole sur la réflexion, la prospective et la mise en œuvre politique des choix qui conditionnent le destin du pays ». Donnant plus de précision à ce survol sous forme de notes, le président du FFS explique, (en note 3 de la préface) comment « en 1987 le régime s’est doté d’un instrument essentiel pour adapter le concept de sécurité aux grands changements géostratégiques : l’institut national d’étude et de stratégie globale (INESG). Ce think-tank se voulait un lieu d’échanges internationaux de haut niveau visant à moderniser les thèses traditionnelles élaborées dans les « laboratoires » du DRS. Il visait aussi à développer lobbying et collaboration avec des acteurs internationaux importants du monde politique, des médias et du renseignement haut de gamme Il a accueilli des intellectuels brillants dont certains, sans doute jugés trop indociles, ont été assassinés au début de la guerre civile comme Boukhobza, Liabes et Redouane Reda Sari… ».

Au-delà de cet examen qui fixe bien les fonctions déterminantes de la SM/DRS et leur étendue, il serait pourtant nécessaire d’aller un peu plus au fond et d’abord en mettant le sens des mots en face de leur traduction concrète. Ainsi, en est-il de la formulation « véritable colonne vertébrale du système » : ne serait-il pas plus conforme à la réalité de soutenir que la « colonne vertébrale du système » (nous dirons l’Etat) c’est l’armée, tandis que la SM c’est l’Etat, construit à partir de l’élite militaire. En effet, en coiffant l’armée, comme force structurante de l’Etat à l’indépendance, les services secrets (qui s’étaient déjà constitués en élite durant la guerre de libération) se sont donnés des moyens illimités pour superviser tous les domaines de conception, de fonctionnement et d’intervention de l’Etat : quel organe ou « pouvoir » a-t-il jamais prétendu soumettre à son contrôle la SM en lui fixant des règles dans lesquelles serai(en)t enserrés(s) son/ses domaines d’activité ? C’est pour cela que la SM/DRS détient la réalité du vrai pouvoir de contrôle dans l’Etat. Nous l’avons déjà souligné dans notre étude La Constitution, instrument de violence(53). Le pouvoir de la SM est donc loin d’être un « pouvoir occulte », dans la mesure où aucun centre de décision ne lui échappe. Ce qui, par là même, rend inacceptable la notion d’ « institution », synonyme de norme au sens juridique. La vie politique est rythmée par cette question incontournable depuis des décennies : est-il possible d’accéder aux fonctions présidentielles, ministérielles, représentatives, de haute administration, de la magistrature, sans visa d’accès de la SM/DRS ? Ce sésame a-t-il jamais été déjoué dans la puissance de sa mise en jeu comme dans la signification de ses contreparties ? C’est en ce sens qu’il faut s’interroger sur le personnel politique et administratif (qui tient un si grand rôle dans la préparation, le déroulement et les résultats des scrutins) et sur le mode de constitution d’une « écurie » de ministrables, premiers ministrables, de cabinards…, tenus en « éveil » ou sur orbite. Cela se manifeste, pour certains, par des effets d’annonce périodiques en vue d’un retour ou d’une consécration « offerts » sur le marché médiatique comme une innovation de grande espérance (A. Benbitour et sa bonne gouvernance ne sont qu’un exemple parmi d’autres). Le pouvoir n’est occulte, en fait, que dans la mesure où il est couvert par un appareil étatique fonctionnant dans le domaine de l’apparence. Dès lors, ce monde politique apparaît depuis fort longtemps comme un monde falot, auquel sied admirablement le constat fixé jadis par Abdallah Laroui : « …Ce député : avocat, médecin, journaliste ou professeur, lutte pour occuper les postes élevés ; quand il y accède, pourtant, il sent bien que tout lui échappe, politique et administration, et que sa présence n’est requise que pour les fêtes officielles. Il se console, son chef n’ayant pas plus de pouvoir que lui. Parfois même ce dernier lui explique que le grand patron lui-même n’est que l’ombre d’une ombre. Longtemps il utilisa une image : le peuple force invincible ; maintenant il la prononce avec amertume ; le peuple même guidé par ses élus, garde un silence obstiné. La liberté, se demande le politicien, nous l’avons bien, mais la puissance ? Et comme il croit que cette puissance lui est due, il se retourne sur et contre le peuple. Pour la première fois, avec le recul nécessaire, il le voit vraiment, tel qu’il est : ignorant, crasseux, assoupi. Alors les demeures des grandes familles se fortifient, les clubs se ferment et les voitures sillonnent les rues rideaux tirés (aujourd’hui on écrirait vitres teintées), pour se prémunir contre des spectacles trop violents. Le paysan devient l’expression d’un autre monde, d’une autre humanité, et le politicien-juriste (on pourrait ajouter historien, économiste, sociologue…) ne refuse plus avec indignation les insinuations des étrangers sur l’influence du climat, de la race et du sol… »(54).
Si on a toujours de la difficulté à situer le siège réel du pouvoir, il faut reconnaître que les quinze ou vingt dernières années ont contribué à y apporter de la lumière à partir de la férocité du pouvoir lui-même. Lorsqu’on a refermé le livre de M. Samraoui, ce qui demeure prégnant, à notre sens, ce sont les structures, ainsi que leur nombre, dans lesquelles sont pris en étau les régions et les secteurs militaires. Il en est de même de toute l’organisation politique, administrative, judiciaire et de police. Nous avons relevé une vingtaine d’organismes centraux qui étendent leurs services à travers les divisions administratives et territoriales. On se limitera à citer quelques exemples à titre de simple illustration : « les enquêtes d’investigation et d’habilitation, le suivi de la presse, la prévention économique et le contrôle du secteur
économique »(55). On peut avoir une idée de l’enchevêtrement des activités, des compétences, des organisations et des missions derrière lesquelles il y a des hommes et des femmes classés et suivis dans leur carrière, dont il faut tester ou aiguiser les ambitions, les rivalités et les tentations. Et comme apparemment la demande de « sécurité » est fort élevée, les patrons des services secrets peuvent, à discrétion, créer des annexes au sujet desquelles M. Samraoui, dans une naïveté (réelle ou feinte), développe le rapport à la légalité(56).
Opérant par prélèvement unilatéral sans d’autre contrepartie que celle qu’accorde la loi régalienne aux gens d’armes, ces possesseurs d’imperium investissent tous les lieux de formation qui deviennent pour eux des sources de recrutement : l’ENS, les filières spécialisées de droit ou science politique, économie, sociologie, histoire, sciences exactes…, et se constituent à partir de l’université et des offices, centres ou unités de recherche, un personnel enseignant de haute compétence technique et de grand apport culturel. Cette sous-
élite enrôlée au service de l’élite en titre, celle des armes, tient de cette dernière son affectation, son orientation et l’obligation de servir dans la stricte obéissance. Se profile alors le droit de vie et de mort exercé selon les critères d’appréciation de la raison d’Etat.
M. Samraoui cite feu Djilali Liabes comme conférencier et enseignant en s’interrogeant sur les auteurs et les commanditaires de son assassinat et sur « l’intérêt » qui les y poussait(57).
Mais si D. Liabes a enseigné à l’ « Ecole de la Sécurité militaire », il est loin d’être le seul. Lors de l’un des forum organisé par El Watan, Ali El Kenz soutient que « dans les années 60,…le pouvoir politique s’était donné une force de surveillance magistrale »(58). Cela nécessite pourtant une remarque : pourquoi cette « surveillance » est–elle enfermée exclusivement dans les « années soixante » ? La surveillance s’est au contraire sophistiquée, diversifiée et étendue sur l’ensemble des appareils et organismes publics. Il ne semble pas que l’on soit en présence d’un pouvoir qui pratique l’autolimitation à sa puissance. Tout enseigne le contraire, quand bien même certains sont allés jusqu’à énoncer, sérieusement, quoiqu’à l’abri de prudente hypothèse, la « dissolution de la SM »(59).

L’INESG (institut national d’étude et de stratégie globale), laboratoire de prospective et conseiller dans la gestion du pouvoir de coercition, a longtemps été animé par M’hammed Yazid. Cette figure diplomatique du GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne), ancien centraliste du MTLD, tombé dans un mutisme absolu durant la crise de 1962 et les années suivantes, est recyclée dans un univers à cheval entre les préoccupations internes et les rapports internationaux. Après avoir dirigé l’officine-type de la sécurité militaire (l’INESG), il s’établit en pédagogue averti sur le rôle de l’armée dans la nation, délivrant régulièrement sa « science », souvent sous forme d’interviews, parfois dans des articles substantiels, mais invariablement dans l’hebdomadaire Algérie-Actualité qui ne lésine pas, par ailleurs, pour le monter en manchette. Il serait faux pourtant de soutenir que la pensée de ce stratège de la force armée dans la nation ne parvienne pas aussi jusqu’à des quotidiens comme El Watan ou Le Matin, où il se taille une réputation d’expert en citoyenneté au point où d’aucuns y ont vu, à partir d’une ubuesque Maison des libertés, la Maison M’Hammed Yazid(60).
En réalité cet imperium qui renvoie au droit sur les êtres et sur les biens ne souffre ni droit d’opposition, ni droit de retrait. Il s’agit d’une puissance exercée en toute plénitude, au point que, dans son expression dernière, elle s’affirme comme droit de mort. Ici prennent leur place et leur sens toutes ces exécutions, non seulement de Liabes et Boukhobza, mais aussi de nombreux journalistes, médecins, avocats, magistrats. Au même titre que l’enlèvement et l’extermination de milliers de personnes. Ici s’expliquent, par le pouvoir sur le sol, le droit de vie et de mort sur ses occupants qu’exerce la puissance détentrice de l’organisation territoriale, de sa destination, de ses choix économiques et de ses préférences politiques.
Vexé d’avoir été démasqué comme agent titré de la SM, un ancien journaliste devenu éditeur croit se venger en reconnaissant son appartenance au DRS dont il dit avoir démissionné – peut-on et jusqu’où démissionner d’un service tentaculaire aux besoins insatiables ? – tout en s’enorgueillissant de fréquentations hautement intellectuelles(61). La promiscuité dans laquelle se rencontrent et se mélangent les services secrets, les écrivains, les journalistes et le monde des éditeurs et du spectacle est largement révélatrice de cette chape de plomb qui ne manque pas une occasion pour se donner des airs de liberté, de création et d’espaces de « débats » où sont enterrées les questions fondamentales du rapport entre les Algériens et la puissance qui leur sert de représentation/étouffoir/mouroir. S’il fallait une preuve pour ne pas douter de la permanence des liens avec les services, dès lors que ces liens ont été noués, il suffirait de se référer au rôle public que tiennent les anciens du MALG (ministère de l’armement et des liaisons générales, sécurité militaire de guerre)(62).
Parti légalisé depuis 1989, le FFS, comme parti saisi dans l’activité de ses cadres, militants, élus, a pu évaluer, sans nul doute, le poids de la contrainte quotidienne d’un système qui, à tout moment, avec des moyens innombrables, lui rappelle la hiérarchie implicite liant le haut et le bas. C’est alors que prennent place dans leur consistance, leur ampleur, ces questions sur la formation et la pédagogie militantes, mais aussi sur la trame profonde de l’identité d’un parti, celle qui, par sa ténacité et sa solidarité oppose sa résistance à la puissance qu’elle conteste dans sa légitimité, son étendue, sa brutalité. L’identité du parti équivaut alors à un maillage fortifié face à une puissance qui supervise le revenu national et module l’économie ; créant comme par enchantement un secteur privé coiffé d’organisations patronales, elle impose sa loi dans le domaine de l’impôt, la justice, l’aménagement du territoire où les plans d’urbanisme ne font qu’un avec la spéculation foncière et un jeu de marchés de travaux publics ne cachant leur ressort « informel » que pour mieux affirmer le poids et la spécificité de leurs normes propres. Il n’y a d’informel que par rapport à un « formel » qui est de plus en plus malaisé à définir.
Soumis aux pressions d’une vie quotidienne qui sait se frayer les chemins de la vulnérabilité chez les individus les plus avertis, élus locaux ou députés, cadres et militants ont-ils été trempés dans une culture de contre-gestion ? Sont-ils pourvus d’une pédagogie du contournement et de l’évitement de pratiques qui, par leur routine répétitive, revenant à la charge constamment, ne font qu’immerger le parti dans la dimension humaine de l’ordinaire, acceptable par l’habitude, légitimé par nécessité ?
Hormis « la couverture politique », qui n’exprime rien d’autre que ses prétentions et ses limites, le militant est confronté aux situations surgies sans égard pour les mots d’ordre ressassés dans la proximité d’une communauté d’intérêts fugitive. Elu local ou député, il n’a plus qu’à se mouvoir dans une référence auréolée d’une mystique de l’efficacité qu’elle doit à l’ordre libéral, le pragmatisme. Le mandat électoral devient, par ces retombées inévitables, source de concurrence, d’affrontement et de discorde qui se prolongent nécessairement dans les appareils du parti. A cela, il faut ajouter les liens engendrés dans des stratégies matrimoniales et des solidarités où les normes du patriarcat corrigent, par l’entraide, le respect et le droit des aînés, les affres de l’angoisse et d’une mal-vie généralisée. Ceci concerne les couches populaires, où se recrutent les militants d’un parti qui ne saurait échapper aux contraintes sociales vécues dans l’immobilisme programmatique. Dans les couches moyennes, comme chez les notables, les passerelles en tous genres se construisent depuis des années entre des mondes qui sont moins cloisonnés que l’on aurait aimé ou voulu le croire : militaires, politiques, hauts cadres des administrations nobles (affaires étrangères, intérieur, finances, urbanisme et aménagement du territoire), « famille judiciaire », défenseurs déclarés et officiels des droits de l’homme, gens de l’ombre accédant à la transparence fictive de salons interlopes entre gens soigneusement, parfois laborieusement policés. Dans les salons d’Alger ou d’ailleurs, où s’échangent les informations ou les rumeurs, où circulent les derniers « tuyaux » et tracés de filières donnant accès à tel service, marché, avantage ou sinécure, permettant d’obtenir une dérogation, se ménager un rendez-vous ou assurer l’embauche d’un proche, parent, ou ami, le pouvoir de coercition mesure l’étendue et la pérennité de sa puissance dans la sérénité d’un plébiscite de tous les jours (63). Ici, la vie quotidienne déroule sa routine, implacable par ses silences et ses non-dits, étendant ses fils, tissant sa toile, restituant les services secrets dans l’ordre d’une banalité où leur pouvoir devient un recours dans un univers à la stabilité duquel tout ce monde, associé, veille, avec bonne conscience, dans les espaces indispensables, au devoir accompli/à accomplir.
De quelle vertu doit alors se barder le militant afin d’aiguiser son analyse, cultiver son discernement, se muer en communiquant ? Comment déchiffrer dans ce monde si prompt à rassurer, un monde de chausse-trapes, invitant au troc, selon les besoins de l’existence et les demandes urgentes, amenant à composition voire à compromission, faisant endosser à l’échange inégal l’apparence d’une générosité trouvant sa récompense dans l’au-delà ? Comment trouver dans le parti un substitut à ces tentations qui ne sont que la sentence de l’urgence, rendue sous forme d’accès à un service hospitalier ?
Comment le parti prend-il place dans cette chaîne ininterrompue de l’aliénation pour y souscrire des espoirs, une méthode, une alternative, une contre-culture de pouvoir, de rapports de pouvoir ?
En dénonçant ses militants, ses cadres ou ses élus comme des gens de sac et de corde , Aït Ahmed disqualifie le parti comme tel. En incluant des membres de son parti dans le DRS dans un condensé d’accusation- jugement- sentence, il fait de la police politique le moteur organique : il fait fonctionner son parti sur la disqualification, en substituant aux débats le critère d’évaluation par la police que tout le monde lancera contre tout le monde.
A partir de quelle appréciation, tel militant ou responsable, est-il réputé appartenir au DRS ? Après tout, le parti, par la voix et les actes de ses dirigeants, a toujours été en rapport avec le DRS. On se souvient de la rencontre entre Djeddaï, premier secrétaire national, et Mediene, patron du DRS, lors de la préparation des élections présidentielles de 1999. On se souvient aussi que le président du FFS s’est adressé publiquement et en personne « aux décideurs », dont le général Mediene, en 2003, pour faire valoir « l’élection d’une assemblée constituante », comme il admet « avoir rencontré à plusieurs reprises le général Touati »(64). Il faut admettre qu’il y a une incohérence, pour le moins, à désigner, d’un côté, les chefs de l’armée, dont les généraux du DRS, comme auteurs de crimes contre l’humanité, et demander (accepter), de l’autre, à les rencontrer dans des échanges sur, notamment, des élections, sachant par ailleurs la pleine latitude qu’ils détiennent dans le choix des candidats, l’organisation, le déroulement et les résultats des scrutins. Cela ajoute un peu plus au désarroi des militants mais aussi des sympathisants, comme de tous ceux qui regardent la scène politique sans rien dire : car « expliquer par le complot, c’est faire briller les fausses lumières. La cryptohistoire se signale ainsi par une rhétorique de l’évidence : c’est le mystère qui passe alors pour clair, et c’est dans l’inexplicable qu’est censée se trouver l’explication. Les fausses lumières de la révélation ne suppriment pas le secret mais le mettent en scène, en accroissant ainsi la puissance d’illusion »(65).
Dans L’affaire Mécili, Aït Ahmed montre comment l’Etat est né avec la S.M., mais également, comment, en Ali Mécili, coexistent à la fois l’officier du renseignement, agent des services secrets, et le cofondateur du FFS. On sait qu’il a choisi le FFS contre les services. Il n’empêche que, dans des passages disséminés tout au long de l’ouvrage, Aït Ahmed, saisissant la S.M. chez Mécili, dans un dédoublement de missions, y voit des hauts faits d’armes. Ainsi en est-il, tout d’abord, de l’engagement de Mécili au MALG(66), de « l’opération Amirouche »(67), du rapport entre Ali Mécili et « les jeunes »(68). Dès lors, la S.M. comme forme et expression de lutte servant l’intérêt du FFS est appréhendée en tant qu’élite à encourager et à développer dans la conquête du pouvoir. A lire l’auteur de L’affaire Mécili, ce n’est donc pas la S.M., comme telle qui est un danger pour la démocratie, source d’arbitraire et « colonne vertébrale du système de dictature», selon ses propres écrits. En somme, cela dépend du rapport à la démocratie de celui qui prend ou détient le pouvoir. Dès lors, le fondateur du FFS supposé à la tête du pouvoir en 1963, une S.M. à son service aurait été construite, encouragée et accueillie comme une avancée positive et nullement, au moins, comme un mal nécessaire. Nous voici face à un débat qui a déjà donné ses réponses depuis longtemps, sur services secrets et régime politique, y compris en régime démocratique.
Au milieu des affrontements pour le pouvoir dans les années soixante, en supposant que Aït Ahmed aurait eu les secours d’une providence portée par la S.M., quel modèle d’Etat aurions- nous eu ? Aurions-nous pu échapper à ces forces d’oppression et de coercition, construisant, par la puissance des armes et des techniques totalitaires, la soumission aux dictats, de toute opposition. En effet, dans son origine et sa finalité, la police politique n’a d’autre objectif que la sécurité définie à sa seule discrétion, avec ses propres moyens : la force, la terreur, et le secret. Elle est, par essence, tout le contraire des libertés, elle en est la négation, même lorsqu’elle en a la charge, sous couvert de démocratie. Dès lors, cette coexistence de la SM etvdu combat pour la démocratie renvoie à une réhabilitation de la SM, banalisant le recours à la SM, et pas uniquement au plan théorique.
Il n’y a pas de regret à avoir sur le virage hypothétique que l’Algérie aurait raté en faisant basculer la S.M. dans d’autres mains que celles de Hocine Aït Ahmed. Tout simplement parce qu’un tel virage aurait conduit aux mêmes processus de domination. Même le style, imprégné d’un autre charisme, n’aurait pas adouci, dans l’euphorie de l’indépendance, la main implacable d’un pouvoir qui aura tiré sa puissance, en définitive, du nivellement uniforme d’une génération incapable de concevoir autre chose que ce qui l’a toujours portée : le recours à la force.
Le discours sur la démocratie, le contrat de novembre, la symbolique d’Ifri n’auront été que des chimères servant à habiller une réalité reproduisant, à l’identique, un autre discours aux symboles ne craignant, ni le voisinage, ni la comparaison avec le premier. Les références aux mêmes pratiques politiques, à la même culture politique de l’autorité/autoritarisme, interdisent de s’enfermer, éternellement, dans les chimères. N’est-ce pas dans l’exercice du pouvoir effectif, observé sur le vif, dans sa révélation sur ses capacités à défendre les positions définies, acquises en théorie, que l’on mesure la nature sans fard de l’engagement militant, surtout quand il s’agit du Chef, du Président, de celui qui est capable de se reconnaître en tous.
A l’instar du pouvoir contre lequel il dénonce les méfaits de toutes sortes, le FFS a, aujourd’hui, ses martyrs, ses « historiques », ses anciens « de toutes les batailles », ses « institutions » et, par certains traits culturels, ces notabilités qui, du haut vers le bas, veillent à centrer l’activité militante. Il a aussi ses célébrations auxquelles il sacrifie dans une communion et une ferveur qui entretiennent le sentiment d’appartenance et de proximité. Il ne faut pas oublier, non plus, la cour qui s’empresse autour du chef. Tout, en réalité, et son président en premier lieu, incite à inscrire le FFS dans un schéma qui, en tous points, reproduit le modèle d’un ordre quadragénaire dont il n’a pas su, sauf dans ses professions de foi, se distancer.
L’un des derniers épisodes de la vie du parti, dans l’objectif de préparer la tenue du quatrième congrès, illustre ce mélange de roublardise et de savoir-faire politicien.
L’audit dit « de construction » tenu à Zeralda le 22 juin 2007 se donne pour objectif de museler la contestation au lieu d’accepter le débat qui a présidé à sa naissance, puis à son développement. Dès lors, tout est mis en place pour démontrer que les contestataires ne sont que quelques agités réduits à l’isolement face au rassemblement affiché d’un parti dans lequel tout va bien. Cette attitude chargée de mépris, ce refus d’écoute traduisent leur charge de violence. Celle-ci n’est pas absente, puisque pendant qu’à l’intérieur tout a l’air serein, sous bonne garde, dehors, les militants des deux bords s’affrontent à coups de pierres.
L’occasion tombe à point nommé pour démontrer qu’au FFS, son président est au fait du must en matière de technique de domination, via la communication. Celle-ci consiste, en mobilisant les moyens techniques et financiers, à produire l’information par soi sur soi. Ici, la direction du parti informe elle-même, sur la crise, en l’évacuant tout en faisant croire qu’elle l’a traitée. Et l’événement est largement couvert par la presse quotidienne(69). Si l’audit rassemble « quatre cents personnes entre représentants du parti et invités »(70), le clou de la rencontre, par dessus les cadres et militants, loin des questions brûlantes qui se posent pour un parti en passe de jouer son avenir, n’est autre que l’expert, (« éminent économiste », El Watan), Mohand Amokrane Cherifi, « ancien conseiller de Aït Ahmed »(71), « expert en audit auprès des nations unies »(72) et, de plus, « ancien ministre du Commerce et président de l’association des fonctionnaires internationaux algériens »(73). Cet ancien ministre du gouvernement Chadli/Abdelhamid Brahimi(74) et, semble-t-il, toujours « conseiller du président du parti », commence d’abord par expliquer ce qu’est « un audit interne d’un parti politique »(75). Ensuite, il met en scène une séquence d’exorcisme sur le thème « parler vrai ». Il se répand en lamentations sur les cadres qui quittent le parti : « Pourquoi la machine du FFS produit des frustrés ? Comment est-ce que des gens comme le défunt Hachemi Naït Djoudi en sont arrivés à quitter le FFS ? ». L’ancien secrétaire national n’est pas le seul à être cité. Le consultant pose la même question au sujet de « Saïd Sadi, Ferhat M’henni, Mokrane Aït Larbi ». Mais la question vaut aussi pour les militants de base « après le 1er, 2ème, 3ème congrès ». Les questions politiques sont évacuées dans des effets d’annonce sur la nécessité de « réoccuper les espaces publics » (pourquoi ont-ils été désertés ?), le « rejet des pratiques claniques et clientélistes qui sont indignes du FFS, de sa vocation démocratique et des ambitions qu’il nourrit pour le pays.. ».
L’audit est ficelé après quelques travaux en commission avec l’assurance du devoir accompli. Celui-ci s’est appuyé sur la technique et l’expertise(76) qui réduisent les militants à la « claque », obligés de maintenir l’ambiance, sur la projection de quelques vedettes de la politique et des médias dans l’histoire du FFS et ses dissidences, pour banaliser le procédé et enfin, sur le retour du FFS dans « les espaces publics » et la jonction avec « les organisations de la société civile ». L’alignement sur les techniques et artifices politiques développés par en haut, du pouvoir vers la société, les partis, et les médias n’a pas, comme on le voit, épargné le FFS, à moins que celui-ci n’ait pas su ou pu y échapper.
La difficulté à se défaire de l’héritage autocratique est manifeste. L’autocratie installée sur un pouvoir d’Etat conquis (pour les uns) et à conquérir, sans succès, pour d’autres, (notamment, Aït Ahmed, Boudiaf qui, lui, a préféré tout de même « jouer la revanche », dans laquelle il a laissé sa vie) s’est démultipliée, de l’Etat (pouvoir central) aux organisations, y compris celles qui se sont maintenues dans l’opposition, pour atteindre son plein épanouissement dans les années suivant la prétendue « ouverture démocratique ».
La conception patriarcale et patrimoniale liée au poids des armes et de la coercition fonde l’Indépendance, mieux, l’Etat de l’Indépendance. Les aménagements installés dans la fascination de l’apparence institutionnelle relèvent des concessions délivrées d’en haut et « gouvernées » comme telles dans un patrimoine décentralisé aux partis, syndicats, associations. La légitimité fondatrice qui renvoie aux armes d’une guerre de libération délestée de sa symbolique créatrice de valeurs, se fige dans une étape historique privilégiant la coercition qu’elle inocule à toutes les organisations. La remarque, si elle vaut pour la période du parti unique, est aussi recevable pour la suite.
Dès lors, le parti politique est d’abord une relation de pouvoir reconnue à l’intérieur du champ de la légitimité par les détenteurs de la légitimité. Tenu en laisse de manière directe (c’est le cas pour le PAGS) ou indirecte (par le jeu des pesanteurs administratives et des contraintes policières après 1989), le parti politique reproduit le schéma de coercition à l’intérieur de ses structures. Autocratique dans sa dimension étatique, le pouvoir est autocratique dans les espaces concédés. Il suffit de suivre le rythme des éclatements, dissensions et conflits qui émaillent la vie des partis.
Derrière la distance qu’offrait la clandestinité, le FFS semblait s’être forgé les moyens d’échapper à la trajectoire commune aux autres formations politiques. Les crises à répétition ont éclairé progressivement sur les limites d’une mobilisation créatrice ramenée à un seul ressort : le charisme du chef. La monocratie de ce dernier a fini, à la longue, par stériliser cette mobilisation, alors que se pose la question inévitable, et peut-être imminente, de sa succession.
Pourtant, confronté aux défis de l’action politique au grand jour, le FFS en élargissant ses bases, s’est donné, dans un premier temps, un vivier de militants et de cadres à qui il n’est plus possible de faire accepter les devoirs d’exécution et d’obéissance sur la simple foi de la légitimité historique. Il n’est plus possible, non plus, de traiter ce rapport interne de pouvoir comme fraction de souveraineté autorisant les accusations d’« appartenance au DRS » ou « de cohorte d’escrocs » en guise de réponses aux simples affirmations d’accès à la citoyenneté.

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La génération des chefs historiques enrichie de quelques figures subalternes, quoique aspirant aux mêmes privilèges de reconnaissance et de commandement, n’est pas prête à se départir de cette conception autocratique du pouvoir. Après la confrontation des grandes figures de l’indépendance, en 1962-63, dans une fausse compétition, biaisée par le poids des armes, les replis se sont faits dans des espaces que le chef historique transforme en forteresse, à partir de laquelle il négocie la concession d’un pouvoir délégué, avec le haut, tandis qu’il s’estime en droit de défendre un tel privilège par tous moyens, en bas, et contre les siens. Il le fait, y compris par le recours à des procédés auxquels il dut payer tribut par le passé.
La génération issue de l’encadrement partisan puis du FLN/ALN de guerre, prise individuellement, donne des signes de mégalomanie croissante au fur et à mesure qu’elle avance en âge, autrement dit qu’elle sent la fin des pouvoirs toute proche. Elle reste soudée, même dans ses rivalités, par une solidarité silencieuse, furtive et qui, cependant, a été symbolisée par le huitième congrès des moudjahidines, en septembre 1989, où l’on voyait se côtoyer les « renégats » d’hier et ceux qui leur donnaient la chasse, y compris hors des frontières. Faut-il recommencer le même cycle à l’intérieur du parti politique ? Le respect des principes d’engagement, c’est aussi la garantie de protection contre l’arbitraire interne. D’où la pratique militante, assumée dans toutes ses exigences, d’en bas et d’en haut, renvoie à la citoyenneté.
Le passé du président du FFS, sa résistance face aux auteurs de crimes contre l’humanité, à l’abri du pouvoir d’Etat, sont de nature à lui rappeler qu’il n’est pas de ceux à qui l’on aurait, un jour, à appliquer ce jugement : « Il ne s’est pas contenté de renoncer. Il a réhabilité ce qu’il dénonçait, revalorisé ce qu’il discréditait, honoré ce qu’il méprisait »(77).

 

 

NOTES
1 Titre emprunté à Abdallah Laroui, L’histoire vue d’ailleurs, in Université de tous les savoirs, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 169.

2  Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959, p. 177.

3 A cette question sur l’objectivité et la neutralité, P. Bourdieu apporte les éclaircissements suivants : « Le sociologue a pour particularité d’avoir pour objet des champs de lutte : non seulement le champ des luttes de classes, mais le champ des luttes scientifiques lui-même. Et le sociologue occupe une position dans ces luttes d’abord en tant que détenteur d’un certain capital, économique et culturel, dans le champ des classes…En sociologie,… toute proposition qui contredit les idées reçues est exposée au soupçon de parti pris idéologique, de prise de parti politique. Elle heurte des intérêts sociaux : les intérêts des dominants qui ont partie liée avec le silence, et avec le « bon sens » (qui dit que ce qui est doit être, ou ne pas être autrement) ; les intérêts des porte- parole, des hauts-parleurs, qui ont besoin d’idées simples, simplistes, de slogans…. Si le sociologue parvient à produire tant soit peu de vérité, ce n’est pas bien qu’il ait intérêt à produire cette vérité, mais parce qu’il y a intérêt – ce qui est exactement l’inverse du discours un peu bêtifiant sur la « neutralité » »…in Questions de sociologie. Une science qui dérange, Paris, éditions de minuit, 1984, p. 22-24. Ce rapport à « l’objectivité» et à la « neutralité » se pose de la même manière pour les autres sciences sociales. Que dire alors de l’engagement politique ?

4 Tel est le cas d’un élu à l’assemblée populaire de la wilaya (APW) de Bouira, Ada Omar, délesté de son lien politique dans des formes qui méritent l’attention. Définie à la fois comme décision (datée du 3/11/2006) et note d’information (adressée « aux camarades, militants des sections de la fédération de Bouira, élus locaux APC-APW de la fédération de Bouira ») l’initiative du premier secrétaire national, Ali Laskri est un jugement exécutoire et sans appel : « Suite aux agissements de défiance à l’égard des instances politiques du parti de M. Ada Omar, élu du parti…constatant l’implication de ce dernier dans la tentative de constitution de groupes organisés en dehors des instances statutaires et portant préjudice au parti ; compte tenu de son action contraire à l’éthique, aux idéaux et aux principes du parti ; le secrétariat national informe l’ensemble des militants et les élus du parti…qu’il est procédé à la levée de la couverture politique à M. Ada Omar à compter de ce jour 4 novembre 2006. De ce fait, il est interdit de toute activité au sein et au nom du parti…».

5 Voir la proclamation du 31 août 2006, sur ce site, dans Instance Info. L’absence de signature, c’est- à- dire la prise en charge publique, nominale, de l’engagement est une faute politique qui se répétera à plusieurs reprises. Si ses auteurs croient se protéger, ils tombent dans le processus de la rumeur et de ses engrenages.

6 Gramsci dans le texte, Paris, éditions sociales, 1975, p. 456.

7 Y. Gourdon, note critique à l’ouvrage de Arlette Heymann, Les libertés publiques et la guerre d’Algérie, Paris LGDJ, 1972. Revue algérienne des sciences juridiques, vol. X, n°3, sept. 1973, p. 695-697.

8 C’est l’observation que fait Mohamed Lebjaoui dans Vérités sur la révolution algérienne, Paris, Gallimard,1970, p.240-241 : « …parmi les cinq, Ben Bella jouissait, dès la prison, d’un prestige populaire et international plus grand que les autres. La presse française aussi bien que mondiale, concentrait l’attention sur lui, parlant toujours de Ben Bella et ses compagnons : ce qui en prison même ne manquait pas de créer des heurts avec Boudiaf et Aït Ahmed. Un autre élément renforçait cette tendance, La Voix des Arabes et la presse du Caire… ».

9 On ne trouve aucune trace de la décision interdisant le PCA, ainsi que de son organe officiel, El Hourriya, dont le numéro 4 sera saisi par arrêté du ministre de l’Information sans que la direction du journal n’ait été avertie. Sur l’interdiction du PCA, Bachir Hadj Ali fait valoir, dans un communiqué de presse, l’absence de base juridique : « Mesure grave, parfaitement illégale…qui n’a aucune base ni juridique ni politique…,décision anti démocratique qui ne peut que réjouir les impérialistes ». La décision intervient après que le PCA eut proposé au bureau politique du FLN la réalisation d’un front unique de toutes les tendances anti-impérialistes vers un parti unique sur la base du socialisme. D’après A. Pautard, (Le Monde du 1/12/1962) « les dirigeants du parti, Larbi Bouhali, Bachir Hadj Ali, Sadek Hadjerès et Ahmed Akkache avaient été officieusement prévenus quelques jours plus tôt. Aucun d’entre eux n’est pour l’instant inquiété. Toutefois, on sait que les autorités algériennes dressent…les listes des membres adhérents ou des proches sympathisants du PCA…Parti totalitaire, le PCA a été sacrifié au nom du totalitarisme…A la vérité, le PCA reconnaissait la nécessité pour l’Algérie de ne posséder qu’un seul parti dirigeant mais souhaitait que cela se réalisât plus tard… ». Quant au ministre de l’Information, il précise que « le PCA n’a pas été interdit par référence à son idéologie. Il a été interdit comme le serait tout parti autre que celui du Front de libération nationale, seul parti admis par la révolution algérienne. On a essayé de situer cette mesure dans le cadre d’une prétendue politique anticommuniste. Le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire considère une telle interprétation comme contraire à la réalité », (Le monde, 1er et 7 décembre 1962). Dans un éditorial daté du 30 novembre 1962, Alger Républicain, sous le titre « Discuter au lieu d’interdire », regrette la mesure tout en s’inscrivant dans l’optique d’une collaboration résumée dans la fameuse formule du « soutien critique » à laquelle se tiendra le PAGS, entre 1966 et 1989. Le numéro 61 du 10 mai 1973, de son organe réputé clandestin, La Voix du peuple, rappelle que « le PAGS n’est pas un parti d’opposition mais un parti d’édification nationale ». C’est la période où la question, prétendument posée aux militants sur « Front unique ou parti unique », était déjà tranchée ailleurs.

10 Le Monde, du 9-10 décembre 1962. Dans sa réponse, Benmahdjoub, futur co-auteur du projet de constitution, dénonce « la volonté de certains députés de transformer l’Assemblée en chambre parlementaire…En tant que militant, nous avons à suivre la ligne du parti, nous sommes un rouage, sans plus ».

 11 Dans sa lettre de démission, adressée au secrétaire général du B.P., Mohamed Khider, Boudiaf écrit : « …je considère que l’accord passé entre nous n’a pas été respecté…je t’exprime mon regret de me voir contraint aujourd’hui de reprendre ma liberté après m’être vainement efforcé de soustraire, avec tous les militants conscients, le pays aux angoisses d’une crise dont les raisons objectives sont avant tout la course effrénée au pouvoir et la conjugaison momentanée d’intérêts contradictoires ». Par la force des choses, on est tenu de mettre en rapport de tels propos et la décision de Boudiaf, trente ans plus tard, en janvier 1992, optant pour le soutien au coup d’Etat. La lettre de Boudiaf est publiée intégralement dans Le Monde du 25-26 août 1962.

12  L’arrestation de Omar Harraig, ancien responsable de la fédération de France du FLN, est rapportée par Le Monde du 4 décembre 1962 en ces termes : « Un détachement d’une centaine d’hommes de l’armée nationale populaire, en tenue de combat, appuyé par un véhicule blindé, mitrailleuse en batterie, et par des bazookas, a encerclé un pâté d’immeubles et perquisitionné dans un appartement… ».

13 Au cours d’un entretien avec Hocine Zehouane, ce dernier affirme que « l’avant projet de constitution de 1963 est parti de la Villa Joly, siège de la présidence du gouvernement et domicile de Ben Bella. J’étais alors membre du comité directeur de la fédération du grand Alger du FLN. Et c’est en tant que porte parole de la fédération du Grand Alger que je participe à la rédaction de l’avant projet avec Ben Abdallah. Bedjaoui s’est joint au groupe par la suite. Ensuite, Ben Bella prend le texte et réunit le maximum de gens du FLN au cinéma Majestic, pour faire approuver le texte par acclamation. Nous, on était au nombre de 22, de la fédération du Grand Alger, dont Zoubir Bouadjadj. On était contre la procédure d’adoption au Majestic, parce qu’on trouvait que c’était prématuré. Les choses n’étaient pas claires. En tant que rapporteur de la fédération du Grand Alger et exprimant le point de vue des 22, j’ai développé l’idée d’une nécessité d’un congrès. Il fallait tenir le congrès du FLN, conformément au congrès de Tripoli, avant de passer à l’adoption de la constitution. Quand Ben Bella a vu qu’il ne pouvait masquer notre opposition – car pendant que tout le monde applaudissait, debout, nous, nous étions restés assis et cela faisait un espace perceptible (un trou) – il a clairement dit : « Je sais qu’il y a ici des gens qui sont contre moi ». Il était question aussi d’un projet Khider qui avait chargé un arabisant, Toufik Chaoui de rédiger un projet de constitution. Cela se faisait dans la rivalité, comme entre Ben Bella et Khider. Mais le projet Khider n’a pas été matérialisé. Quant à l’Islam religion de l’Etat, cela a été introduit presque comme un accident. Au cours des échanges, Mohammedi Saïd a demandé à ce que l’Islam religion de l’Etat figure dans la constitution. Il y a eu des réactions dans le genre « cela va poser des problèmes …», mais quelqu’un, je ne me souviens pas qui, a avancé comme argument que la constitution marocaine consacre l’Islam religion de l’Etat. Du coup, cela nous est apparu anodin… », Entretien, du 31 août 2004, par téléphone.

14 « Il n’y a aucune peine à situer M. Abbas dans la longue histoire du nationalisme algérien : si les militants du FLN ont bien voulu oublier ses prises de position successives qu’il a lui-même définies comme une erreur politique permanente, c’est parce que notre révolution, qui constitue une rupture avec le passé, l’a accepté sans rien lui reprocher, car elle est ouverte, généreuse et capable de transformer les hommes qui l’adoptent définitivement et sans arrière pensée…La projection du passé de l’homme sur le présent devait inéluctablement l’amener à se faire expurger du courant révolutionnaire…Se prononcer d’une façon contradictoire et pour le moins équivoque sur l’unité du Parti, remettre en cause la charte de Tripoli qu’il a votée lui-même, condamner sans le moindre scrupule 80% des militants, mettre en doute la sincérité de leur sacrifice…considérant que la prise de position de M. Abbas constitue un manquement au devoir du militant ; considérant cet acte d’indiscipline à l’égard du Parti ; considérant cette attitude injurieuse à l’égard des militants du FLN, le B.P. décide d’exclure du FLN M. Abbas… », in Actualité et Documents, Alger, n° 18, août 1963. Le même jour, les coordinateurs des fédérations du FLN et les responsables des organisations nationales réunis à Alger, « ayant pris connaissance de la prise de position intempestive du député de Sétif, Ferhat Abbas, dénoncent avec véhémence : les attaques calomnieuses dirigées contre le FLN, expression authentique des aspirations du peuple et garant vigilant de notre révolution… », Actualité et Documents, ibid. Une manifestation organisée par la fédération FLN de Sétif, au bas du domicile de l’ex-président de l’Assemblée, remarquable par le nombre de militants réunis, le fut aussi par les propos insultants proférés durant une grande partie de la nuit.
Dans sa lettre de démission, Abbas refuse le dessaisissement de l’assemblée : « …nous assistons à une action destinée à faire pression sur les constituants et à mettre le peuple en condition…L’Assemblée nationale est déjà dépouillée d’un pouvoir qu’elle détient pourtant du peuple souverain et du FLN…J’ai démissionné de la présidence de l’Assemblée avant le vote de la Constitution, n’entendant pas sortir du régime colonial pour tomber sous la coupe d’une dictature et subir le bon vouloir d’un homme aussi médiocre dans son jugement qu’inconscient dans ses actes ». La lettre de démission, du 13 août 1963, ne sera jamais lue à l’Assemblée. Voir le texte dans Le Monde du 14 août 1963.
Pourtant F. Abbas n’a pas ménagé ses efforts pour maintenir une entente commencée avec son soutien à Boumediene et Ben Bella contre le GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne établi à Tunis pendant la guerre). Dans un entretien à Jeune Afrique, rapporté dans Le Monde du 22 mai 1963, il déclare : « Je resterai aux côtés du frère Ahmed [Ben Bella], car je suis convaincu qu’il est sincère et qu’il a besoin de toutes les énergies disponibles. Je m’estime tenu à lui apporter mes conseils toutes les fois que cela me paraît nécessaire…Ben Bella doit être soutenu dans les efforts qu’il déploie durant la phase transitoire que nous traversons. Il n’existe pas, à l’heure actuelle en Algérie d’autre homme qui puisse gouverner le pays, veiller à son équilibre, empêcher des affrontements graves, peut-être sanglants… ».

15 Exclusion du parti FLN de Boudiaf, Khider, Hassani, Aït Ahmed et du colonel Chaâbani, le 4 juillet 1964. Moussa Hassani, ex ministre des PTT annonce la création d’un Comité national pour la défense de la révolution (CNDR). Le 19 janvier 1965, il se « mettra avec d’autres membres de son entourage à la disposition du gouvernement légal » (d’après un communiqué de la présidence de la république). Revue algérienne des sciences juridiques, chronologie politique algérienne, septembre 1965, n° 2, p. 127.

16 Chaâbani est arrêté le 8 juillet 1964 par l’ANP, qui avait lancé des opérations à Djelfa, Boussaâda, Biskra. Jugé par la cour martiale d’Oran, Chaâbani est condamné à mort le 2 septembre 1964 et exécuté le lendemain à l’âge de vingt-sept ans.

17 « …la contre révolution criminelle menace aujourd’hui cette unité nationale comme elle menace aussi, par ses complicités étrangères, l’intégrité territoriale de notre pays…Les fondements mêmes de notre révolution sont menacés », Message du président de la république, le 3 octobre 1963, J.O. n° 73, du 4 octobre 1963, p.1014. Voir le texte du message, largement résumé dans L’Instance, sur ce site, La constitution instrument de violence, IIème partie.

18 Décret 62-297 du 14 août 1963, portant interdiction d’associations à caractère politique, J.O. n ° 59, du 23 août 1963, p. 834. Signé Ahmed Ben Bella, ce décret est cosigné par le ministre de l’Intérieur ( A. Medeghri), le 1er et le 2ème vice président du Conseil (H. Boumediene et S. Mohammedi).

19 J.O. n° 72, du 1er octobre 1963, p. 1007.

20 J.O. n° 60, du 27 août 1963, p. 853.

21 Il relate lui-même les conditions de leur arrestation dans L’affaire Mécili, Alger, éditions Bouchene, 1991, p. 150-156.

22 Chronologie politique algérienne, Revue algérienne des sciences juridiques, septembre 1965, p. 122. Zehouane était alors membre du BP du FLN, chargé de l’orientation.

23 Chronologie politique algérienne, ibid.

24 Mohamed Lebjaoui rapporte en détail cet épisode dans Vérités sur la révolution algérienne, Paris, Gallimard, 1970, p. 208-209 : « l’accord prévoyait : la fin immédiate de toute action armée en Kabylie ; libération des détenus du FFS ; libération de Aït Ahmed trois mois au plus tard après la signature de l’accord ; la fin de toutes les poursuites, la restitution des biens confisqués, une assistance de l’Etat algérien pour les familles des morts ; la remise des armes à Lebjaoui, Aït El Hocine et Bouadjadj ». D’après Lebjaoui, « Ben Bella n’avait informé de sa décision ni le B.P. ni le Comité Central du FLN. Le jour même où Le Peuple publiait le texte officiel de l’accord FLN-FFS, le Comité Central était réuni : ses membres apprirent la nouvelle dans ses colonnes… ».

25 L’affaire Mécili, op. cit. p.169.

26 « Obligé de s’enfuir, Mohamed Chouli ne rentre en Algérie que dans les années 1980. Cet ancien condamné à mort durant la guerre de libération sera privé de toute pension car on lui opposera l’abandon de poste. Interrogé sur les conditions de son évasion par un journaliste de la télévision algérienne, après son retour triomphal à Alger, Aït Ahmed dira « j’ai sauté par dessus le mur… ». Le contact entre M. Chouli et Aït Ahmed dans la préparation de l’évasion sera Lakhdar Rebbah, une ancienne connaissance de Aït Ahmed du temps du PPA et de l’OS qui lui fera quitter les frontières après l’avoir caché momentanément. Et c’est Lakhdar Rebbah qui m’a raconté les détails de l’évasion de Aït Ahmed, en 1974 ou 1975, à Paris, où il s’était réfugié après avoir échappé à une souricière montée par la SM », Entretien avec H. Zehouane, Alger le 16/12/2002.

27 Nous avons traité de cette question, notamment, dans Métamorphose d’une constitution : de la constitution programme à la constitution loi, Sou’al, n°9-10, Le monde musulman face à lui-même, Paris, 1989, p. 15-47. La Constitution du 23 février 1989, entre dictature et démocratie, Naqd, n°1, 1991. L’Algérie, l’Etat et le droit, Paris, Arcantère, 1989.

28 Voir notre article, Crise de la démocratie ou crise du système politique en Algérie, Naqd, n°6, 1994, p. 53

29 C’est le cas pour A. Ali-Rachedi dans le gouvernement M. Hamrouche, décret 89-178 du 16 septembre 1989, J.O. n° 40, du 20 septembre 1989, p. 922 et de H.Benissad dans le gouvernement Ghozali, première mouture, décret 91-199 du 18 juin 1991, J.O. n° 30, du 18 juin 1991, p.921.

30 Pour une lecture comparée des deux textes, J.O.n°27, du 5 juillet 1989, p.604, et n° 12, du 6 mars 1997, p. 24.

31 « Cette conscience libérale, qui domine…l’appareil étatique, est la plus superficielle de toutes car elle se meut dans le domaine de l’apparence. Les réformes entreprises, après l’Indépendance, dans la structure gouvernementale, l’organisation des libertés publiques et la politique de l’enseignement prouvent cette fascination de l’apparence qui se montre plus clairement encore dans les goûts et les comportements. », A. Laroui, in L’idéologie arabe contemporaine, op. cit., p. 45. L’auteur traite, dans ce passage, du Maroc des années soixante, en mettant en rapport Allâl Al-Fasi, les libéraux marocains et l’Occident libéral.

32 La colère et la détresse qui se sont emparées des foules de jeunes donnant dans l’émeute face à la brutalité policière faisant des centaines de victimes, sont résumées par ce seul slogan, inoubliable parce que criant de vérité : « Vous ne pouvez pas nous tuer puisque nous sommes déjà morts !». Allusion à une vie démunie de tout, en toutes choses : travail, logement, soins, culture, affection ; tout ce qui permet de construire une projection vers l’avenir, envisager des perspectives, est inaccessible.

33 Hormis le cas de Saïd Khelil qui démissionne du secrétariat national en quittant le FFS, tirant les conséquences de son refus d’adhésion au contrat de Rome. Dans les entretiens que les cadres nationaux accordent aux médias algériens, on relève sans peine une gêne à être situé dans une proximité politique d’alliance, même limitée, avec les islamistes ou avec le FLN tendance Mehri. Voir l’interview de M. Bouhadef, Algérie Actualité, n° 1409, du 15-21 octobre 1992, p. 14-15.

34 Sous le titre « Ahmed Rachedi et Rachid Boudjedra séduits par Bouteflika », Le Quotidien d’Oran du 21/9/1999 reproduit la déclaration signée par le cinéaste et l’écrivain : « Ibn Khaldoun a préconisé l’émergence nécessaire de l’homme providentiel, à certains moments cruciaux de l’histoire des peuples lorsqu’ils sont menacés par la décadence et la disparition. Notre époque a vu souvent se réaliser de telles émergences. La méfiance de l’artiste vis-à-vis du politique est légitime mais elle devient une sorte de coquetterie mortelle lorsque le destin d’un pays, sa culture et sa civilisation sont en danger de mort ou en régression inexorable qui ne peut mener qu’à l’extinction définitive et irréversible. L’élection de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’Etat algérien a laissé sceptiques quelques uns d’entre nous, mais très vite, nous nous sommes rendus compte que le nouveau président de la République avait une vision clairvoyante et lucide de la situation que vivait notre pays. Ses discours reprennent souvent des idées que nous avions agitées inlassablement et des solutions que nous avions ébauchées soit publiquement, soit à travers notre création, soit d’une façon privée. Les quelques idées clés préconisées par Abdelaziz Bouteflika étaient, aussi, les nôtres. Nous avons donc été séduits, progressivement, par cette capacité à donner du sens au politique, à avancer une vision lucide des maux dont souffre le pays, à avoir le courage de dire avec rigueur et passion les tares et les faiblesses dont nous sommes tous responsables. Cette radiographie efficace de l’Algérie nous amène à soutenir Abdelaziz Bouteflika d’une façon lucide et exigeante, parce que nous sommes conscients des dangers qui menacent notre survie en tant que créateurs et en tant que citoyens qui mettons l’Algérie au-dessus de tout ». S’il fallait chercher une explication à cette prose, tout au moins pour ce qui concerne R. Boudjedra, on la trouverait peut-être dans l’insulte, rétroactive, à chef d’Etat, consignée dans FIS de la haine, Paris, Denoël folio, 1992-1994, p. 36-37 et qui visait dans ce passage A. Bouteflika et Cherif Belkacem : « …Côté civil, Boumediene s’était entouré de deux hommes jeunes, intelligents et dynamiques, mais dont la moralité était désastreuse. Jouisseurs jusqu’à l’obscénité. Alcooliques notoires. Obsédés sexuels qui ramassaient les vieilles mendiantes dans les rues. Spécialistes hors pair en libations pornographiques ; ils défrayaient la chronique, provoquaient des scandales, s’arrogeaient des pouvoirs gigantesques, faisaient régner la terreur rien qu’en prononçant leurs noms. Le premier, beau garçon mais affligé d’une taille d’un mètre soixante, jouait les play-boys aussi bien dans les ministères dont il avait la charge que dans les partouzes où il régentait au doigt et à l’œil une escouade de femmes tant bourgeoises que roturières…L’ancien ministre aujourd’hui décati, perdant ses cheveux et ses dents mais gagnant un embonpoint certain, flirte très dur avec le FIS et fait partie d’un comité pour la libération de ses chefs emprisonnés… ».
Ce qui s’apparente à une supplique en forme de réparation à une injure faisant tâche, même rétroactivement, sur le blason de la République, ne préjuge nullement, par ailleurs, de la sincérité de son auteur pour l’engagement aux côtés de l’homme dont la providence a fait grâce à un peuple jusque là « plongé dans la médiocrité » (A. Bouteflika, Interview à France 2 quelques jours avant le scrutin présidentiel de 1999).

35 Max Weber, Le savant et le politique, op. cit., p. 129.

36 Citons le conflit qui a conduit au départ de Hachemi Naït Djoudi. Décédé le 29 novembre 2001, H. Naït Djoudi fut parmi ceux qui ont déposé les statuts du FFS en vue de sa légalisation, en 1989. Etait-ce un signe prémonitoire des événements ultérieurs, puisque H. Naït Djoudi se retrouve, après avoir quitté le FFS, ministre des Transports dans le gouvernement Ghozali. Sa nomination a eu lieu lors du remaniement ministériel du 22 février 1992, c’est- à dire après le coup d’Etat du 11 janvier. Il siège en compagnie, notamment, de Aboubakr Belkaïd, Saïd Guechi, Ahmed Benbitour (futur premier – 1er – ministre de A. Bouteflika, devenu opposant à celui-ci depuis son éviction), Sassi Lamouri, Larbi Belkheir, et Khaled Nezzar, Décret présidentiel 92-76 du 22 février 1992, J.O. n° 15, du 26 février 1992, p. 322

37 Texte intégral de la déclaration, sur ce site, in Instance Info.

38 Après avoir rappelé que « la dernière convention nationale du parti date de 1994 », un militant de la section FFS/Île de France soulève la question directement : « …L’heure est à une évaluation exhaustive de l’état du parti…Il doit rompre avec les pratiques qui caractérisent le fonctionnement actuel du parti. Sinon, quelle crédibilité le FFS peut-il espérer, lorsqu’il met à l’index des pratiques similaires, utilisées par le pouvoir algérien ? …Ces dysfonctionnements structurels à l’intérieur du FFS peuvent semer le doute dans l’opinion publique. Celle-ci peut, de manière légitime, s’interroger sur la réalité de l’engagement du FFS en faveur d’un projet de société démocratique. Alors, pour retrouver une cohérence entre discours politique d’un côté, et vie organique et politique interne de l’autre, le FFS doit relever le défi de la démocratisation de son fonctionnement. Les militants doivent pouvoir évoluer dans le cadre d’une démocratie interne effective… », Farid Aïssani, Le FFS, un parti à la croisée des chemins, Document interne au FFS, 5 juillet 2006.

39 Selon F. Aïssani, « l’appareil du FFS est sous l’unique autorité du président du parti, assisté par un nombre restreint de secrétaires nationaux et de conseillers », Le FFS, un parti à la croisée des chemins, p. 7, note 1.

40 Signé au nom des opposants par Ahmed Ali Tahar, Kaci Ramdane, Ramdane Hammadi, Sid Mohamed et Hanifi Massinissa.

41 F. Aïssani, ibid.

42 Outre le sit in du 31 août 2006 devant le siège du FFS, il y en a eu le 14 septembre 2006, le 21 février, mai et juin 2007 (Alger), le 29 septembre 2006 à Tizi-Ouzou

43 Lettre d’un militant, Hammadi Ramdane à Aït Ahmed, le 12 février 2007 qui rappelle au président du FFS son refus de recevoir plusieurs délégations de « sages » et d’« historiques ». Ce à quoi Aït Ahmed répondra par un mépris souverain comme on le verra plus bas.

44 Lettre de Hammadi Ramdane, à Aït Ahmed, précitée.

45 Le 12 octobre 2006 : lettre signée de 63 « anciens militants du FFS» « A l’attention de M. Le président de la commission de médiation et de règlement des conflits ».
Le 9 novembre 2006, « Lettre ouverte au Président et camarade Hocine Aït Ahmed, de la part de militants de base, de cadres, d’élus, et de militants de la première heure du FFS » dénonçant, notamment, « l’organisation d’un Conseil fédéral clandestin à Chéraga sans quorum » pour faire « désigner un directoire fédéral ».
Le 3 décembre 2006, « Déclaration du FFS Ile de France » sur le rappel des règles statutaires, leur violation, en particulier à propos de la « levée de couverture politique » dont use le secrétariat national contre des opposants.
Le 28 janvier 2007, « Déclaration du FFS Ile de France suite à la réunion du Conseil national tenu à Zeralda les 18 et 19 janvier 2007 ».
Le 27 février 2007, « Point de vue de militant » : « FFS : Les non-dits d’une crise », par Mahfoudh Yanat, ex responsable FFS Emigration, repris (quoique « retouché » en partie) par Le Quotidien d’Oran, du 1er mars 2007. Le 25 mai 2007, dans une contribution intitulée Où va le FFS ? M. Yanat, F. Aïssani et Nadia Taâlba soulèvent les questions de procédure et de délais nécessaires à l’organisation d’un congrès qui a trois ans de retard, en ménageant les moyens d’expression dans l’élaboration des avant-projets et des échanges du bas vers le haut et vice versa.
Le 11 juin 2004, démission de M. Bouhadef. Il relève la violation des statuts dans l’organisation de l’audit, la convention et le congrès : « statutairement, la tenue de ces rendez-vous est du seul ressort du conseil national qui doit constituer en son sein des commissions en vue de leur déroulement. Les statuts du FFS ne permettent aucune modification ni amendement de ces textes en dehors d’un congrès national. Aucune commission n’a été mise en place ni ne sera installée, a-t-il été dit, par la direction lors de la session du conseil national des 31 mai et 1er juin 2007….De dérive en dérive, le FFS actuel a perdu ses repères que sont les idéaux et fondements du parti… ».

46 François Bourricaud, Esquisse d’une théorie de l’autorité, Paris, Plon, 1969, p. 15.

47 Edwy Pleynel, La part d’ombre, à propos du mitterrandisme, Paris, Stock, 1992, p.262.

48 « Le néologisme monocratie » permet de « souligner l’antithèse du pouvoir personnel et du pouvoir dépersonnalisé de l’universalité des citoyens, comme pour évoquer le double monopole, appartenant à un seul, de la détention du pouvoir et de la formulation de l’idéologie. Tantôt avec ostentation, tantôt avec cautèle, la monocratie pratique la personnalisation. Alors que le pouvoir démocratique est celui du pouvoir anonyme, qu’il aboutit à une dépersonnalisation parfois proche de l’évanouissement, la monocratie incarne le pouvoir en un seul homme. Aux origines de l’Etat moderne, elle maintint, dans le gouvernement princier, les survivances personnelles de la puissance féodale. Lors des périodes de désagrégation, elle ramène l’autorité à son expression individuelle, antérieure à l’institutionnalisation, provoquant derechef l’absorption de la notion d’Etat dans celle de puissance personnelle. Ainsi, le pouvoir monocratique se présente-t-il volontiers comme un pouvoir originaire, dont le titulaire est lui-même le créateur. Il sera donc, au sens propre du terme, un pouvoir autocratique…Le Chef est le seul homme susceptible d’occuper la place suprême, selon les décrets de la Providence, la marche du Destin ou la manifestation du Génie. Lui seul peut, face aux exigences du moment, interpréter intuitivement les volontés populaires ou appliquer sans défaillance une doctrine de salut. ..La doctrine qu’il énonce ou professe est par suite la seule valable et la seule bonne, donc la seule à être susceptible d’être professée et propagée… », Marcel Prélot et Jean Boulouis, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 8ème édition, 1980, p. 110-111 du chapitre « Les monocraties ». S’il fallait une ultime remarque sur le contexte algérien, nous dirions que la sagacité d’une telle démonstration n’est pas opposable au seul président du FFS. La galerie des personnages « historiques » n’a pas cessé de s’enrichir à partir d’une génération censée avoir tout appris de l’adversité de la guerre de libération nationale. Insuffisamment en tous cas pour se défier d’elle même et des autocrates ensommeillés attendant l’heure de la résurrection.

49 Communication de H. Aït Ahmed au Conseil national du FFS réuni en session ordinaire les 18 et 19 janvier 2007 à Zéralda, à lire et à méditer avec, sous les yeux, la note 48 ci-dessus.

50 Ibid.

51 Paris, La Découverte.

52 « Engagé dans l’ANP en juillet 1974, choisissant le corps de la Sécurité militaire. En 1990, il est devenu le numéro 2 de la direction du contre-espionnage. En septembre 1992, il a été nommé responsable de la Sécurité militaire à l’ambassade d’Algérie en Allemagne. Il a déserté en février 1996 et il vit depuis en Allemagne comme réfugié politique », raccourci biographique, 4ème de couverture de Chronique des années de sang. Algérie : comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes », Paris, Denoël, 2003, 317 pages.

53 Sur ce site, in L’Instance, Revue critique de droit algérien.

54 L’idéologie arabe contemporaine, Paris, Maspero/Fondations, 1982, p. 25-26, 1ère édition 1967 Maspero, « Textes à l’appui ».

55 Le contrôle se fait par « les cadres des sociétés, qui devaient fournir des rapports mensuels sur les problèmes de maintenance ou de distribution, l’état d’esprit du personnel, l’activité syndicale, les tendances politiques des cadres, les meneurs de grève…Les officiers de cette section assuraient la gestion des assistants de sécurité préventive, ASP, …et entretenaient des relations avec les autorités locales, les cadres des ministères, les parlementaires, les journalistes, les avocats… », M. Samraoui, op. cit. p. 61.

56 C’est ainsi qu’il traite de la « section de protection » dont les membres, chargés de « la sécurité de Khaled Nezzar, Larbi Belkheir… » étendaient leur activité « à la protection de personnalités proches des services ainsi que d’agents sûrs qui activaient dans les rouages de la justice ou à l’intérieur des partis, comme le procureur général d’Alger Abdelmalek Saïah ou Ahmed Merani… », ibid, p. 71. Citons encore une des « découvertes » de M. Samraoui : « …en compulsant les archives du DRS de 1991 et 1992, j’ai découvert que le commandant Abderrahmane Benmerzouga,( qui poussera à la création de Hamas à partir d’El Irchad oua el Islah) était même chargé de la rédaction d’une revue pour le compte du Hamas et fréquentait assidûment les locaux de ce parti à El-Madania. Il était en quelque sorte devenu l’éminence grise de Mahfoud Nahnah », op. cit, p. 70.

57 M. Samraoui cite Djilali Liabes à deux reprises, en p. 194 et 195 : « Djilali Liabes, ex- ministre de l’Enseignement supérieur et directeur de l’INESG ; (il donnait également des cours à l’Ecole de la Sécurité militaire), p. 194. « Qui avait intérêt à assassiner Laadi Flici, un médecin dont le cabinet était ouvert aux pauvres de la Casbah ? Et Djilali Liabes, un homme très sérieux dont j’ai pu apprécier les qualités lors des conférences qu’il donnait à l’ENA ou à l’école de la SM ? », p. 195. D’après l’auteur, toujours, « Après le coup d’Etat, l’une des premières actions clandestines à mettre à l’actif de la section de protection fut…la diffusion à Alger, sur ordre du colonel Smaïn, d’une liste noire attribuée aux islamistes de personnalités civiles prétendument menacés de mort par ces derniers. Cette liste (confectionnée par Azzedine Aouis et Omar Merabet, les officiers du cabinet de Smaïl Lamari) comportait aussi les noms de certains militaires …L’origine de cette liste, ainsi que nombre d’autres indices, m’ont depuis convaincu que la vague d’assassinats – systématiquement attribués aux islamistes – qui a frappé des intellectuels anti-islamistes entre mars et juin 1993 répondait à la même logique et a donc très probablement eu les mêmes commanditaires… ». Smaïn ou Hadj Smaïn est le nom d’emprunt de Smaïl Lamari (M. Samraoui).

58 El Watan , 29 mars 2007. Dans son édition du 31 mars 2007, le quotidien commente : « …Afin de renforcer son emprise sur les sciences et les orienter selon son idéologie, le pouvoir surveillait hermétiquement les campus ».

59  c’est le titre de l’éditorial d’Algérie-Actualité, n° 1302, du 27 –3 octobre 1990, signé de Mustapha Chelfi, alors qu’en manchette, l’hebdomadaire titre : « S. M. comme sécurité militaire » : «… L’histoire de la S.M. en Algérie est riche d’exemples illustres et d’autres plus anonymes. Il n’est que de rappeler l’exécution de Abbane Ramdane, en 1956…L’assassinat de Krim Belkacem, en Allemagne fédérale, de Mohamed Khider en Espagne, sans oublier celui de Ali Mécili, constituent le paroxysme de l’affrontement et le révélateur d’une tension qui ne pouvait connaître son dénouement que par la plus expéditive des solutions, la mort. Reste la S.M. au quotidien, c’est-à-dire les tables d’écoute, les filatures, les convocations, les pressions, les dossiers constitués de toutes pièces pour s’attacher ou discréditer tel ou tel. Reste également l’infiltration des partis clandestins, des mouvements de masse des universités, des entreprises et des usines…Cet Etat dans l’Etat avait fini par substituer, dans l’imaginaire collectif à la puissance de l’administration, celle de l’abus de pouvoir. La S.M. était, au sommet et à la base, une sorte de Léviathan incontrôlable et tout puissant… ». L’éditorialiste fondait alors ses espoirs sur Chadli Bendjedid (« ex-colonel (qui) veut remettre le pouvoir aux citoyens »), sans trop y croire (« Pour ce faire, il doit le retirer à ceux qui le détenaient et qui n’ont pas l’intention de se laisser déposséder sans réagir. Alors, la DGDS (autre appellation de la S.M.) morte et enterrée ? Pas sûr ». On aura compris que ce jeu de cache-cache reflète l’état des relations à l’intérieur des appareils d’Etat, en particulier dans l’armée, qui sera tranché en 1992.

60  Ainsi salué après son décès, dans un hommage collectif où figure en bonne place le directeur de Naqd. Cette revue récidive en célébrant ce conseiller très spécial dans son numéro « Automne-Hiver 2004 » ayant pour thème Penser le politique. Le numéro est dédié « aux militants politiques » dans l’ordre suivant : Mohamed Basri ; Mohamed Ech-Chabbi ; Abdelhamid Benzine ; Benyoucef Benkhedda ; M’hammed Yazid ; Lamine Debaghine ; Ahmed Athmani. Il est vrai que la « Rédaction » de la revue n’est plus regardante, depuis longtemps déjà, sur sa ligne éditoriale. Ainsi, un de ses membres, lors d’un colloque sur « le terrorisme » organisé par le DRS, y a trouvé sa place comme animateur. Il faut dire qu’il n’était pas le seul dans sa catégorie, puisque deux universitaires oranais, dont un membre du comité de rédaction de Insanyat, y participaient activement.

61 Aïssa Khelladi a fait l’objet, avec les notabilités intellectuelles qui, malgré leur collaboration, n’ont pas réussi à le blanchir, d’une attention succincte de notre part, dans La presse algérienne au-dessus de tout soupçon, Alger-Paris, Ina-Yas, 1999, p. 19-20. Il nous répond dans Bouteflika, un homme et ses rivaux, ouvrage dans lequel il reconnaît son champion dans l’actuel président de la république, pour les élections présidentielles 2004 (Alger, Marsa, 2003, p.127-128. Voir également p. 84, et l’anecdote en note). Cet officier des services secrets a été démasqué d’abord à Nanterre où, participant à un « énième » colloque sur la violence en Algérie, il a été interpellé, trônant à la tribune, par une dame qui a reconnu en lui son tourmenteur, quelques années auparavant. Sur sa prétendue « démission », nous renvoyons à M. Samraoui qui illustre d’un exemple haut en couleur, celui de « Abdallah Kaci, alias Chakib et aussi « Papa Noël », ancien sous-officier des services opérationnels » qui travaille à la commande. Il a été utilisé par le commando qui a assassiné Kasdi Merbah, toujours selon ce que rapporte M. Samraoui, op. cit, p. 170-171 et 264-265.

62 On lira avec intérêt le portrait que Le Quotidien d’Oran dresse de Ahmed Benchaou, 1er octobre 2003, p.7. La rubrique nécrologique des journaux est aussi fort instructive.

63 Selon la fameuse définition d’Ernest Renan, dans Qu’est ce qu’une nation ? Presses Pocket, 1992.

64 Libération, 18 juin 2005.

65 Hélène L’Heuillet, Basse politique, haute police : une approche historique et philosophique de la police, Paris, Fayard, 2001, p. 63. L’auteur s’interroge sur le rapport de la police au politique dans le modèle démocratique occidental. H. L’Heuillet saisit alors la police ainsi : « Dépendante de la souveraineté, limitée par le gouvernement d’un côté, la justice d’un autre, elle paraît partager leurs secrets. Démenti politique de la politique, elle est alors bien plus qu’une institution : elle invite à une manière de penser. Basse, elle l’est alors comme coffre-fort des pouvoirs…Si la police est le bas du politique, alors il existe bien une basse politique… », p. 62, chapitre III, La police, secret du pouvoir. Cette analyse rapportée à l’exemple algérien, dans la mesure et selon les précautions d’une approche comparative, doit subir un correctif de taille : la SM est dans sa position, dans son domaine, eu égard à la souveraineté, au droit et à la justice, dans le haut de la politique et de la police ; elle l’est également dans le bas.

66 L’affaire Mécili, Alger, éditions Bouchene, p. 79-90. Toutes les citations ultérieures sont tirées de cette édition.

67 Montrant la « coexistence » Ali Mécili-Abdallah Benhamza, Mécili déjouant l’opération que planifiait Benhamza pour « liquider Aït Ahmed ». Mais aussi les retrouvailles, à Paris, « vingt ans après » (1985), comme si de rien n’était, entre ex collègues, p. 143-147. Remarquons la date, soit deux ans avant l’assassinat de Ali Mécili.

68 «… La montée de nouvelles élites capables de susciter la confiance des masses déçues par trop d’illusions ne se décrète pas. Elle résulte seulement d’expériences acquises dans la lutte. C’est la raison pour laquelle André s’était entouré de jeunes, dans les « services » certes, mais aussi dans les milieux estudiantins et syndicaux. Ces jeunes, Ali Mécili n’aura jamais la hantise qu’ils le dépassent. Il semblait au contraire puiser son optimisme au contact des générations montantes », p.146. Souligné par nous.

69 Voir, notamment, Le Quotidien d’Oran, El Watan, Liberté, L’expression, Le Jeune Indépendant du 23 juin 2007.

70 Le Jeune Indépendant du 23 juin.

71 D’après Liberté, mais aussi El Watan.

72 Le Quotidien d’Oran.

73 El Watan, Supplément Economie, du 5 mars 2007. Précision reprise par les quotidiens dans l’édition du 23 juin 2007.

74 Il devient ministre le 17 novembre 1987, suite à un remaniement, en compagnie, notamment, de A. Belkaïd, A. Brerhi, M. Nabi. Décret 87-246 du 17 novembre 1987 portant modification du décret 84-12 du 22 janvier 1984 portant organisation et composition du gouvernement, J.O. n°48, du 25 novembre 1987, p.1177.

75 « Il s’agit, selon lui, d’un processus d’évaluation des objectifs politiques fixés par le congrès du parti, en vue, dit-il, de cerner les faiblesses et préconiser les mesures appropriées pour en améliorer les performances… », Le Quotidien d’Oran, précité.

76 L’analyse sur le recours aux termes techniques de l’expertise, pour neutraliser des situations sociales en occultant leur sens, a été faite pour le monde de l’entreprise (qui a été visé en priorité avec ces pratiques) puis en politique avec l’extension de procédés ayant fait leurs preuves dans l’entreprise. Ces artifices qui « managerialisent » la vie des partis politiques n’ont d’autre but que d’aligner les partis sur l’entreprise où tout est dominé par la discipline, le rendement, la sacralisation de la hiérarchie. Exit le politique ! Voir J.P. Le Goff, La barbarie douce, La modernisation aveugle de l’entreprise et de l’école, Paris, La Découverte, 2003, notamment ses développements sur « L’incroyable logomachie de la « compétence » » (audit, diagnostic, évaluation, bilan,, profil…). Il est question de mobilité, flexibilité, réactivité, qui dé-socialisent le droit du travail. Voir, également, Keith Dixon, Un digne héritier (il s’agit de T. Blair et l’héritage est celui de M. Thatcher), Paris, Editions Raison d’Agir, 2000. Serge Halimi, Le grand bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Paris, Fayard, 2004.

77 E. Plenel, La part d’ombre, op. cit., p. 185. le 22/07/07