L’IDENTITÉ DE LA FRANCE À L’OMBRE DE LA COLONIE

En permettant au monde politique et médiatique de figer le discours raciste sur le parti lepéniste, en s’estimant par avance lavés de tout soupçon xénophobe, les autres partis et organisations reprennent le discours à partir de campagnes orchestrées au nom de la république et de la laïcité.

J’connais une grue dans mon pays
Avec les dents longues comme le bras

Et qui se tapait tous les soldats
Qu’avaient la mort dans leur fusil
C’est à Verdun qu’on peut la voir
Quand les souvenirs se foutent en prise
Et que l’vent d’est pose sa valise
Et qu’les médaill’s font le trottoir
Elle a une voix à embarquer
Tous les traîn’-tapin qu’elle rencontre
Et il paraît qu’au bout du compte
Ça en fait un drôl’ de paquet
Il suffit d’y mettre un peu d’ soi
Au fond c’est qu’un’ chanson française
Mais qu’on l’appell’ la Marseillaise
Ça fait bizarre dans ces coins-là
Léo Ferré
(La Marseillaise, Testament Phonographe, Paris, Plasma, 1980, p.81)

Couvrant la campagne électorale pour les élections régionales de mars 2010, les médias se font l’écho d’une énième exhibition à caractère raciste. Les commentaires, où l’étonnement le dispute à l’indignation, résument le contenu de l’affiche électorale du Front national, dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Le « Non à l’islamisme » y est assorti d’illustrations où prennent place une femme portant burka ainsi que des minarets en forme de missiles, le tout panaché aux couleurs nationales algériennes. Envisagé du côté de l’extrême droite, il n’y a rien de plus banal. Par contre, ce qui mériterait plus d’attention, c’est ce rôle de refouloir dans lequel médias et politiques enferment le Front national. Le racisme et ses manifestations extérieures en direction de l’immigration et, plus généralement, de ce qui ne correspond pas au modèle français, constitue, plus que par le passé, un point de fixation, évoluant toujours en débat sur et non pas avec telle ou telle communauté. Ce faisant, le discours raciste est exclusivement cantonné aux couleurs apparentes de l’extrême droite.

En permettant au monde politique et médiatique de figer le discours raciste sur le parti lepéniste, en s’estimant par avance lavés de tout soupçon xénophobe, les autres partis et organisations reprennent le discours à partir de campagnes orchestrées au nom de la république et de la laïcité. Puisée dans l’histoire ou dans des engagements programmatiques, leur profession de foi antiraciste ne suffit pas à les immuniser contre eux-mêmes. Ils reproduisent, d’une façon ou d’une autre, quitte à le reformuler, le racisme hexagonal de l’ancien parachutiste de la guerre d’Algérie.

La mobilisation de la république et de la laïcité, assortie d’une fixation sur le lepénisme, en même temps qu’elle prétend circonscrire le discours raciste dans le seul périmètre ghetto du Front national, légitime la politique du racisme quotidien. Ce dernier prolonge le langage banalisé vers les initiatives du domaine institutionnel, officiel. Généralement, les réactions d’indignation à l’égard des agissements de l’extrême droite ne dépassent pas les effets d’annonce et, loin de se limiter à la simple hypocrisie, se confondent avec l’espace politique français qui reprend les thèmes de campagne d’un parti que l’on dit infréquentable.

Les campagnes se suivent et mobilisent l’échiquier politique sur les thèmes du voile, des femmes, de la famille, de l’école, de la laïcité, de la burka et peuvent se ramener toutes à une campagne centrée sur l’islam comme identifiant déterminant de populations à remodeler, à défaut de s’en débarrasser. A partir de signes et indicateurs culturels, une population est identifiée ethniquement à une religion déterminée et cernée, dans des périmètres urbains ou semi urbains. On reconnaît de plus en plus la banlieue, qu’elle soit parisienne, lyonnaise, strasbourgeoise…, aux signes islamiques et la combinaison banlieue/Islam ne fait pas seulement la voracité des médias. Elle inspire aussi le monde intellectuel dont les essais, classés dans des entreprises éditoriales, échappent rarement au penchant xénophobe. En effet, les exercices de funambulisme à prétention anti-raciste n’arrivent pas à couvrir la question redondante : que faire de ces populations? Les mises en garde à connotation raciste sur l’observation et le respect des lois françaises, récurrentes au bas de l’échelle, deviennent des maximes présidentielles invitant à la répression sur des populations entières par les services de contrôle social et de police. Au demeurant, les comportements de ces derniers sont depuis longtemps une traduction, sur le terrain, de la parole officielle.

Les références à l’islamisme, explicitement ou implicitement attelé au terrorisme, unifient les formations politiques de la droite à la gauche. Malgré les récentes précautions de langage, le regard sur l’islam et sur les populations qui s’en réclament, s’y reconnaissent ou y sont rangées, reste dominé par les signes extérieurs de l’ethnicité.

– DU BON SENS POPULAIRE A SA TRADUCTION EDITORIALE –

L’Autre établi dans le voisinage, estimé absolument étranger,
enfermé dans ses quartiers vus comme autant d’enclaves culturelles,
n’est pas reconnu à l’identique de celui qui reste au loin, résident
de sa propre société et de sa propre culture. C’est dans la proximité
que la différence peut se convertir en écart maximal, propice à
l’engendrement des stéréotypes dépréciatifs, des rumeurs néfastes
et des passions porteuses d’exclusions et de violences
.
Georges Balandier, Le dédale. Pour en finir avec le XXe siècle. Paris, Fayard, 1994

Le 25 février 2009, présenté par Agnès Bonfillon, le journal de six heures de France Inter annonce : « un détenu de la centrale de Lannemezan est égorgé à l’aide d’une machette par ses codétenus. Musulman pratiquant, toujours vêtu d’une djellaba, il énervait ses codétenus ». La Semaine des Pyrénées du 24 février 2009 donne plus de détails en précisant l’identité, quoique de manière approximative, de la victime puisqu’il est dénommé d’abord Rachid Chetouia puis Ben Chetouia, écrit également Benchetouia …« …Algérien, vivant depuis longtemps dans le Nord de la France, (il) exécutait à Lannemezan plusieurs peines. Incarcéré depuis 1994, il était libérable en 2020 ». Le journal ajoute que « c’est le premier crime perpétré dans la centrale depuis son ouverture il y a vingt ans » et il se termine sur cette annonce : « Rachid Ben Chetouya (autre orthographe) était connu pour avoir une activité islamique très soutenue. A Lannemezan, il avait essayé de créer autour de lui un groupe islamique actif… ».

Dans la forme où est rapporté ce « banal fait divers », le trouble, la pathologie voire la culpabilité sont renvoyés vers la victime, enveloppant le crime et ses auteurs dans les circonstances atténuantes de l’acte excusable pénalement. On serait même tenté de s’interroger si la notion de victime trouve, en la circonstance, son sens exact.

La liquidation physique du musulman portant djellaba, si elle se déroule dans l’enceinte carcérale, n’en est pas moins porteuse de cette liquidation symbolique à dimension ethnocidaire, amplifiée depuis des années à partir du cri, implicite chez les plumes bien-pensantes, explicite selon le bon sens populaire, « Ils ne sont pas comme nous! ». La formule reste à mi-chemin entre le bilan de la vie en commun et l’accusation traduisant ipso facto son verdict. Ce que déclame le bon sens populaire est en réalité l’objet d’encadrement politique, de stratégies programmatiques partisanes et de maturation législative et réglementaire enserrant ethniquement une population désignée, pour la normaliser, la rendre « comme nous ». Le « nous » qu’il ne faut pas entacher commande sa préservation menacée. Il a la prééminence territoriale, politique, culturelle, et légitime toutes les entreprises, médiatiques, éditoriales, politiques propres à niveler ce qui est perçu comme extérieur, envahissant, faisant tâche. Le rapport à l’ethnicité conjugue la référence à cette dernière comme une nécessité déroulant les arguments de son allégeance toujours répétée, sous bénéfice d’inventaire.

Le lancement officiel du débat ordonné sur l’identité nationale, s’il s’est achevé dans la confusion, n’a nullement été abandonné. L’isolement, tout au moins dans certains appareils, de son animateur, Eric Besson, s’il a été lu comme une condamnation dans la forme, ne fait que relancer le thème à partir de sujets connexes : la sécurité et la nationalité. C’est le noyau dur de la politique d’un président de la République convaincu que l’opinion est bien mûre pour le suivre en adhérant à une conception univoque de la nation. L’embrigadement dans le but de façonner l’image et les comportements de Français qui ne ressemblent pas à l’idée communément admise, s’accroche à des racines répercutées par la voix du légiste comme par celle du doctrinaire. Architecte remarqué du giron politico-républicain, du Français et de la France, Max Gallo, chevauchant d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, s’abandonne à des talents de pédagogue. Il est relayé dans le débat public par le rappel incessant des impératifs sur « le vivre-ensemble » et de ses lois.

Le rappel des bienfaits de la colonisation dans une France qui compte une proportion d’habitants non négligeable, statistiquement, en provenance des anciennes colonies françaises, ne fait qu’entériner une hiérarchie, historiquement constituée, entre Français.

Le rejet du débat sur l’identité nationale, s’il a reçu une fin de non-recevoir sur le plan de la forme dans son expression globale, ne réussit pas, pourtant, à faire oublier ce qui l’a suscité et inspiré : la permanence de la problématique de l’identité de la France, dans la discontinuité, sur les thèmes permanents que l’on a inventorié plus haut. D’ailleurs, en prévision des élections présidentielles de 2012, le débat sur l’Islam en France est relancé par le Président de la République qui propose un thème de réflexion intarissable, Identité et pathologie.(1)

Relayée par les dispositifs médiatiques, mobilisant ministres, gouvernement et élus, sans être une action gouvernementale programmée, la question de l’identité nationale est une donnée permanente de la France contemporaine. Elle est dirigée contre une partie de la population et renvoie à son statut dans la République. Descendants d’anciens colonisés dans la plus emblématique des puissances coloniales, ces Français originaires d’anciennes colonies sont continuellement renvoyés à la remise à flots des bienfaits de la colonie. Ce qui équivaut à la transposition, ou à la reprise, de statuts discriminatoires. La seule référence aux bienfaits de la colonisation constitue, pour ces populations, une source de conflits cristallisés en rejets ethnico-religieux.

Multiculturelle dans les faits, on oserait dire dans le décor, la société française, à entendre les déclarations répétées de ses élus, digère mal les couleurs qui la composent. La désolation de l’édile d’Evry et ancien membre du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, Manuel Valls, de voir sa commune insuffisamment blanchie, traduit un regret national, celui de constater que la France n’est plus ce qu’elle était ou n’est pas encore ce qu’elle devrait être. Les propos racistes s’abritent désormais derrière une qualité hautement protectrice, le parler vrai.

Etat colonial, la France, s’est aussi façonnée comme nation coloniale. Sa société n’y échappe pas. La reconnaissance de la domination coloniale, officiellement porteuse de civilisation, soutenue par une légitimation dont le droit n’est pas la moindre des manifestations, incite à saisir les questions relatives à l’identité nationale à travers le prisme de la colonisation.(2)

Artisan de la décomplexification de la France des traditions et des valeurs qui ont exprimé la violence coloniale comme la violence de classe, le Président Sarkozy entreprend la glorification de la colonisation au même titre qu’il opère un détournement de la mémoire du communiste Guy Mocquet, la vidant de son sens. Ce vampirisme idéologique sur la programmation duquel sévit un spécialiste du transfert intellectuel, Henri Guaino, produit des résultats d’autant plus surprenants que les répliques, quand elles arrivent, ne sont jamais à la hauteur des dommages infligés.

Le caractère fondamental accroché à la reconnaissance des bienfaits de la colonisation et de ses acteurs ne relève pas de simples clauses de style. Le Président Jacques Chirac avait largement tracé la voie à son successeur qui ne s’en distingue que pour prétendre mieux faire. En effet, la loi du 23 février 2005, comme la proposition de loi 667 du 5 mars 2003, ne sont que le versant juridique de profondes ramifications sociales. Loin de s’interroger sur sa légitimité, l’entreprise coloniale est reconduite dans ses prolongements historiques. Les dispositions juridiques et discours politiques sont la traduction d’un ensemble : l’histoire de la mission civilisatrice.

Le discours du Président de la République à l’université Cheik Anta Diop de Dakar, le 26 juillet 2007, couronne « la mission civilisatrice » de la France coloniale et ses « bienfaits ». Si la République de l’empire colonial a façonné le corps social, elle a aussi marqué ses agents (services publics sociaux, administratifs, police, armée, justice…) de la violence légitime parce que civilisatrice, à l’égard des populations issues des ex(?)-colonies. Porteuse de culture coloniale, la France pouvait traiter, jusque dans les années soixante-dix, l’immigration maghrébine selon le registre racialiste du rejet de l’Arabe, du Nord-Africain, en reconduisant les paramètres de l’univers colonial.

Au lendemain des années quatre-vingts, la population maghrébine à qui on faisait jusque là raser les murs, s’affirme dans son appartenance française et entend se faire reconnaître pleinement dans ses droits, selon le registre républicain, de nationalité et de citoyenneté. D’où la résurgence de procédés qui ne sont pas que des réflexes. Il s’agit d’une transposition des vieilles méthodes de la colonie où les colonisés sont traités selon des règles particulières, hors bénéfice du droit commun. Autrement dit, si la République se fonde bien sur la maxime « liberté-égalité-fraternité », c’est en fonction des destinataires. Aussi, faut-il cerner les populations à qui de tels droits sont applicables. Cela suffit à expliquer pourquoi s’est développée une ferveur éditoriale ciblant le type de population qui fait de plus en plus problème dans la République. Au même titre que les enquêtes en vogue dans les colonies, il fallait s’attacher à connaître les populations en question, les identifier dans leurs espaces territoriaux, familiaux, coutumiers. Français, certes, peut-être, mais d’un genre particulier, ils restaient justiciables du paradigme civilité/incivilité.

Le foisonnement des ouvrages centrés sur l’Islam et les banlieues des grandes villes répond bien à la fixation d’une population dont on ne fait ressortir les spécificités que pour mieux agencer le butoir au plein exercice des droits du national/citoyen. La force de la différenciation, ici, trace les signes de l’exception au droit de la nationalité/citoyenneté. C’est l’exacte reproduction du système colonial.

Avec Banlieues d’Islam (3), Gilles Kepel ouvre la voie à la connaissance d’un monde dedans/dehors et retrace, avec les précautions sémantiques en usage dans les cercles de la recherche universitaire, les signes de l’islamisation de la France. Le style du chercheur est ensuite délesté de toute retenue quand l’exercice se répand chez des auteurs aux allures de Croisé défendant ou conquérant la Terre Sainte, tel Philippe de Villiers, signant Les mosquées de Roissy (3bis). Il répertorie les termes d’islamisation de la France à travers la « pollution » de la langue française par la chari’a, la oumma, le djihad…

Salvatrice, l’entreprise ne saurait omettre la contribution du musulman laïque et démocrate qui refuse la compromission avec l’islamisme, Mohamed Sifaoui. Il est la figure emblématique de la coopération des services secrets franco-algériens, authentifié par l’œuvre d’Anne Giudicelli. Cette chargée de mission au ministère des Affaires Etrangères séjourne également comme reporter pendant une dizaine d’années dans différents pays arabes, avec une prédilection pour l’Algérie. On lui doit le premier récit consacré aux phénomènes de violence dans les banlieues françaises avec La Caillera (racaille)(4), repris en 2006 à la suite des événements de l’automne 2005 et inspirant le discours de proximité du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Elle a maillé la lecture du terrorisme à partir d’Alger en sachant gérer à la fois une pénétration du milieu algérien des médias et une reconnaissance d’experte incontournable. Lorsqu’on l’entend sur les médias audio-visuels au titre de consultante, elle donne l’impression d’avoir été de toutes les opérations anti-terroristes durant sa mission algérienne de reporter. Le quotidien El Watan exhibe, en co-gestionnaire de la lutte anti-terroriste, les compétences accomplies d’Anne Giudicelli. Aux confins du terrorisme, des médias et du marché sécuritaire, elle n’est qu’une figure parmi d’autres de spécialistes du renseignement recyclés dans un marché à cheval entre la France et ses anciennes colonies(5). A la tête d’un Cabinet conseil en terrorisme international et islamisme, l’experte propose sur un site à la dénomination faite pour rassurer sans doute, Terrorisc, toute une gamme de produits appropriés : analyse du risque sécuritaire par pays et par zone, pénétration des forums de discussion à fin d’influence, action de sensibilisation et de formation aux risques humains et politiques, réalisation de produits multimédia clé en main, fournitures d’images et de documents liés aux actions terroristes…

Le produit Terrorisc fait sa jonction avec un laïcisme de tranchées, cependant que La Marseillaise, raillée jadis dans des élans anti-cocardiers puis anti-colonialistes, fouettée par la fièvre électoraliste, devient le symbole du ralliement, toutes tendances politiques confondues, aux valeurs de la nation et de la république. Un relent de recomposition ethnique passe par une police du comportement à l’égard de l’hymne national.

 

– L’ESPACE POSTCOLONIAL –

L’être supérieur, l’être incomparable, l’être parfait qui mérite toute confiance,
c’est l’Européen : c’est un privilège de race, surtout de race latine,
comme l’affirme avec tant d’assurance l’éminent écrivain
Louis Bertrand (auteur de Le sang des races)….
Il y a pourtant en Algérie une élite indigène capable d’apporter
à la France la collaboration la plus précieuse et la plus sûre ;
elle existe parmi les intellectuels qui se sont le mieux assimilé
la culture et la mentalité française…
Saïd Faci, Fondateur de La voix des Humbles,
L’Algérie sous l’égide de la France, contre la féodalité algérienne,
Toulouse, 1936, p. 72 et 77.

Veillant de plus en plus à la pureté d’expression laïque et républicaine, le milieu associatif et les services publics couplent leurs efforts afin de modeler le Français, réputé islamiste, sur le Français « tel qu’il devrait être ». Les campagnes se suivent et marquent les exigences et les parcours, dans l’espace public comme dans l’espace privé : ainsi en est-il de ces agents (au féminin) du secrétariat de l’Université Paris 8 qui refusent de répondre aux demandes de femmes ou de jeunes filles se présentant en foulard(6) ; on refoule des mères d’enfants ou, à défaut, on les met à l’index, pour la simple raison qu’elles se présentent voilées aux abords de l’école ; des parents d’élèves interdisent à d’autres parents d’élèves l’accompagnement des enfants lors de sorties parce qu’il s’agit de femmes voilées. Il est vrai que depuis les années quatre-vingts, les difficultés de l’Ecole, qui ne sont rien d’autre que la restructuration des services publics au nom du libéralisme, sont répercutées comme conséquences d’un envahissement par les enfants d’immigrés, accusés de tirer le niveau de l’enseignement vers le bas.

Les lieux publics ne suffisant pas à rééduquer une masse de Français singuliers, il faut envahir leur espace privé. L’association Ni putes ni soumises est chargée dans des mises en scènes appropriées, selon les impératifs du calendrier de « francisation/républicanisation », d’aller de l’avant. Mettant en place, tour à tour, des plans de campagne contre les mariages imposés, la violence sur les femmes, l’autorité paternelle, le voile, la polygamie, l’excision, la répudiation, la loi républicaine est mise à contribution pour criminaliser des populations sous constante surveillance.

Les propos joints aux actes, l’activisme de cette association, en font à coup sûr un ordre missionnaire. Tout à fait à l’aise dans un créneau porteur, elle déploie, profitant des faveurs d’une médiatisation généreuse, un cordon purificateur autour de tout ce qui entache l’éclat républicain. Les lois sur la laïcité et sur le port de la burqua illustrent l’enlisement dans des questions marginales qui deviennent la source de conflits infinis. En effet, ces deux textes s’attaquent aux choix individuels du vêtement, plus généralement du traitement de l’apparence à partir des signes affichés(6bis) sur le corps.

Un expert (parmi d’autres) réputé pour ses attaches académiques autant que pour ses analyses en la matière, soutient que « plus une société est culturellement hétérogène plus elle est violente ». La notion de diversité, démaquillée selon Xavier Raufer, pour mieux révéler ce dont elle est porteuse, « engendre la criminalité ». Travaillant en duo avec Alain Bauer, ces experts en sécurité intérieure, analystes écoutés dans les médias comme dans les institutions de consultation ou de décision, complètent à merveille les recettes sécuritaires proposées par « terrorisc ». Président de l’Observatoire national de la délinquance, Alain Bauer, après son passage au parti socialiste et au cabinet de Michel Rocard, devient conseiller du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Il reste un des acteurs discrets de l’explosion du marché de la sécurité dont il dirigera plusieurs entreprises. Les renvois aux paramètres de violence-sécurité-insécurité définissent de plus en plus des espaces en même temps que leurs populations. Agrégées à l’Islam et à l’islamisme, elles sont le fruit de constructions et discours que les institutions, à travers les médias, sollicitent chez les experts(7).

Les exigences répétées de soumission au régime républicain et à l’ordre nivelé selon l’appartenance par une culture nettoyée de ses imperfections, voire de ses impuretés, sont d’autant plus élevées que se construit un espace postcolonial transnational, à cheval sur les deux versants de la Méditerranée. Cela semble annoncer, en dimension réduite, ce que sera l’Union pour la Méditerranée.

La société/nation coloniale a toujours eu une perception de l’Arabe et de sa place par rapport au Français. La grande masse des Arabes, considérés comme inférieurs, n’ignore nullement ce processus dans lequel le Français intériorise une supériorité entretenue par une conception coloniale de la nation. Drainant le sentiment de puissance et de domination, cette conception envahit la sphère individuelle et marque le statut civil, le statut social, dans l’univers professionnel et syndical, ainsi que le statut politique. Face aux institutions de l’Etat, des collectivités locales ou des organisations politiques, le traitement spécial se conjugue avec l’appartenance ethnique.

Dans la tradition coloniale, la différenciation au sein de la grande masse indigène opère par sélection, dans une demande toujours à l’œuvre, pour s’en faire des relais. Cela s’est pratiqué aussi bien dans les appareils de répression comme la police et l’armée que dans le milieu intellectuel, particulièrement chez les instituteurs.

Il n’y a rien de surprenant à ce que les exemples déterminants de la colonisation réussie s’enracinent d’abord, depuis la conquête, dans la tradition mercenaire, au sein de l’armée. Chasseurs d’Afrique, zouaves, spahis étaient gratifiés selon le nombre de paires d’oreilles rapportées de leurs expéditions sur l’ennemi entré en résistance(8). Le mercenariat indigène, traduit plus tard en « harkisme », remonte aux premières années de la conquête. Le cri lancé par Djamel Debbouze, Tahia França (Vive la France), dans Indigènes assorti d’un passage sur l’hymne à la colonisation et à l’armée d’Afrique (C’est nous les Africains qui revenons de loin !…), n’est à l’évidence pas ce que la propagande a bien voulu voir dans ce film. En effet, ce dernier est présenté comme une œuvre militant exclusivement pour une reconnaissance du prix du sang offert par les indigènes à la France lors des deux guerres mondiales. En réalité, il s’agissait aussi, et surtout, de la reconnaissance envers la mère patrie coloniale, dans son expression armée.

Hors la loi, le film, annoncé comme suite logique, met en scène la révolte émancipatrice dans des séquences mimant les scènes de Scarface plutôt que celles de l’armée des ombres. La polémique, provoquée par l’extrême droite et entretenue par les médias, faisait oublier la marque de fabrique et ses limites. Il s’agissait de mettre en scène, non sans de grossières erreurs et avec regrets, l’inéluctable (l’indépendance de l’Algérie), en attendant la réconciliation. Produit de la Fédération de France du FLN, il restitue la mentalité de responsables qui, s’adonnant au mécénat, n’en dédaignent pas moins les contreparties.

La mobilisation médiatique de ce qui sera dénommé « l’équipe du film Indigènes » reflète la continuité historique de cette fidélité à la mère patrie. La coïncidence entre la sortie du film (septembre 2006) et la revalorisation de la pension des anciens combattants des ex-colonies ajoutée à l’inauguration du mémorial des anciens combattants musulmans (mars 2006), n’est pas fortuite. La pension passe de 30% du montant versé aux Français, au taux plein. Un ancien harki, Hamlaoui Mekachra, est chargé, comme secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, de veiller à l’application de ces mesures. Ce qui apparaît comme un élan de générosité réparateur, n’est en réalité qu’un droit enfin recouvré, sous bénéfice d’application. Il ne faut pas omettre de souligner que c’est aussi le fruit d’une longue procédure engagée contre la France et qui s’est traduite, notamment, par une condamnation en 1989, par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies pour violation du principe d’égalité devant la loi.

Les manifestations ultérieures soulignent bien, sauf pour celui qui refuse de les voir, les liens qui renvoient à l’empire colonial : célébration mutuelle des anciens combattants (Afrique et Maghreb, cas des tirailleurs algériens, des tabors marocains…) avec J. Chirac ; défilé du 14 juillet 2010 réunissant les chefs d’Etat africains et quelques échantillons de leurs armées, intégrés, pour l’occasion, à la démonstration de force. Kad Merad devient le symbole d’une transversalité universelle en déclamant, le 14 juillet 2006 sur les Champs Elysées, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La doublure à dimension régionale (Bienvenue chez les chti) qu’il assure en compagnie de Dany Boone cimente une interchangeabilité nationale consacrée par le showbiz et célébrée par l’Elysée.

A travers des circuits balisés, repensés selon les normes d’une identité refondée, les bienfaits de la colonisation sont ajustés pour marcher de concert avec l’ordre libéral.

La machine aux missions ethnocidaires mise en place par F. Mitterrand et prise en charge par le parti socialiste sous la houlette de chargés de mission possédant le langage de la proximité, prend un autre rythme avec J. Chirac qui multiplie les initiatives de reconnaissance assimilationnistes et la banalisation de symboles d’une France multicolore. Zidane, dont le patronyme est digéré après reconfiguration (Zizou), devient le symbole de « la France qui gagne » et, de ce fait, se fait pardonner quelques écarts de maintien. Tenant La Marseillaise à distance respectable, préférant sa mère à l’équipe de France version 2006, il fait basculer le choix camusien dans la violence anthropologique.

Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy prétendait insuffler les bienfaits de la discrimination positive à J. Chirac qui, en réalité, possédait quelques longueurs d’avance. En 1996, avec l’affaire Khelkal, il se faisait ouvrir les codes ethniques des banlieues lyonnaises par un traducteur assermenté et futur ministre, Azzouz Beggag.

La diversité, jumelée avec l’égalité des chances, accède provisoirement à la consécration ministérielle avant de finir en simple Commissariat entre les mains d’un « dirigeant d’entreprise d’origine kabyle », Yazid Sebag.

Il en fut de même, quelques années auparavant, pour les droits de l’homme de Claude Malhuret et de Bernard Kouchner, ou encore les droits de la femme d’Yvette Roudy. Depuis, les droits des femmes ont surtout gagné en contrôle social avec Ni putes Ni soumises tandis que la patrie des droits de l’homme ne finit pas de recevoir des rappels à l’ordre de l’Union Européenne et d’Amnesty International.

Le processus d’intégration par la promotion ethnique dans la haute fonction publique rappelle les promotions indigènes dans les colonies(9) et les techniques de communication appropriées. On se rappelle le cas, annoncé comme le franchissement d’un cap, de ce « premier préfet originaire de Nantes et nommé dans le Jura». La nomination de Aïssa Dermouche, le 14 janvier 2004, était censée marquer le point de départ d’une autre conception de l’égalité. Sénateur PS de la Nièvre, Didier Bouland conteste la primeur de telles initiatives à N. Sarkozy et rappelle que des nominations ethniques ont bien eu lieu sous le mitterrandisme. C’est le cas de Mohamed Bengaouer, préfet de la Nièvre en 1983, ou de Mahdi Hacène, préfet de l’Allier en 1982. Dans sa liste, il n’omettra pas Mahdi Belhaddad préfet indigène de Constantine pendant la guerre d’Algérie. Mais les voyait-on ? En effet, ce qui est nouveau réside dans ce souci de souligner les promotions et distinctions marquées spécifiquement du sceau de la diversité. Leur but étant de rendre sans objet les critiques sur les traitements discriminatoires en terre républicaine. La couleur de peau, comme les origines de Gaston Monnerville, président du Sénat dans les années cinquante/soixante disparaissaient derrière l’apparat aristocratique de la seconde chambre. Qui voyait en lui le Guyanais descendant d’esclave, rappelant le titre de Frantz Fanon, Peaux noires masques blancs ?

Dans le registre de la promotion de talents puisés dans la diversité, J. Chirac fera mieux avec Ali Bencheneb, nommé recteur d’Académie à Reims puis à Orléans. Entre 1974 et 1991, Ali Bencheneb fait carrière à la Faculté de Droit et au Barreau d’Alger, gravissant les grades universitaires au même rythme que ses collègues. Neuf ans de professorat à l’université de Bourgogne dont cinq comme titulaire de chaire, auront suffi pour en faire un recteur. Ce qui peut ressembler à un record, à moins que les années algéroises, à titre d’états de services hautement appréciés, lui eussent été comptées au même titre que les années bourguignonnes. Or, il ne semble pas qu’il ait bénéficié du statut de coopérant auprès du ministère algérien de l’enseignement supérieur. Ce juriste spécialisé dans les relations commerciales internationales est le prototype issu de couches sociales formées dans le giron de la république coloniale où s’exprime le mixte franco- algérien. Persuadées d’être l’avenir de l’Algérie en prétendant répondre à ses besoins en cadres,

épousant non sans tapage le nationalisme développementaliste de H. Boumediene, décomplexées avec le libéralisme de Chadli, elles restaient, dans une patrie à l’essai, étroitement liées à l’ancienne puissance coloniale au point d’y voir la patrie de toujours.

Persuadé que l’autorité administrative peut s’exercer sans aucune limite, selon un naturel colonial intégrant des réflexes défiant le temps et l’espace, le recteur d’Orléans menace de gifler, en l’insultant, une infirmière scolaire en délégation syndicale. Ce qui lui a valu un départ précipité qui, tout en manquant de gloire, même s’il s’en va bardé de légion d’honneur et de palmes académiques, n’aura pas soulevé la vague d’indignations ayant frappé l’imam de Vénissieux. Ce dernier avait, poussé par la duplicité d’un journaliste de Lyon Mag, donné son interprétation sur la licéité coranique de battre sa femme(10).

La montée de l’islamisme en Algérie, dans les années quatre-vingt-dix, suivie d’une gestion politique de la société par la terreur, fait tomber le semblant de retenue manifestée lors des marques de fraternisation entre le commandant Azzedine et le général Bigeard. Massu prodigue conseils et soutien aux généraux algériens(11) en qui il voit ce qu’ils sont, les repreneurs du flambeau de la Bataille d’Alger. Ali Bencheneb est présenté par le quotidien Le Monde comme celui qui a été « chassé de son Algérie natale par l’intégrisme islamique… »(12).

L’indépendance algérienne affiche soudain des dimensions mensongères. Elle s’est construite sur l’aveuglement et le mensonge qui, dans les années quatre-vingt-dix, appellent à la fois remise en ordre et adaptation chronologique.

Lors d’une soirée chez un ami parisien, une de ses proches connaissances, Abdelaziz Khelfallah, ancien capitaine de l’armée de libération nationale, désigné par Boudiaf au Conseil Consultatif national en 1992(13), déclare comprendre les généraux et officiers tortionnaires français, ajoutant : « à leur place, j’aurais fait la même chose ». Trente ans après l’indépendance, un officier de la wilaya II se fait, par association, tortionnaire de ses frères de combat et imprime à l’histoire une trajectoire qui rétablit la filiation entre tortionnaires d’hier et d’aujourd’hui. En peu de temps, les années quatre-vingt-dix, années du voile, ont été, paradoxalement, celles du dévoilement historique.

Sans être l’Algérie coloniale, l’Algérie n’est plus celle de l’indépendance. C’est une Algérie qui se reconstruit dans la nostalgie des ententes inabouties avec ce que Annie Rey-Goldzeiger dénomme le monde du contact(14) et que d’autres cernent sous la dénomination des occasions ratées. Les années quatre-vingt-dix deviennent les années des interrogations et par conséquent, des relectures liées à la guerre d’Algérie/guerre de libération nationale. Ce retour sur l’Algérie en guerre conduit à y reconnaître des continuités et emporte, sinon des regrets, du moins des remises en ordre. C’est-ce qui ressort, notamment, de l’entretien accordé par Paul Thibaud et Pierre Vidal-Naquet à la revue Esprit(15) : « Comment a-t-on pu si mal saisir le « déguisement occidental » d’une lutte dont le caractère religieux n’apparaissait alors que furtivement…? Cette différence entre la manière dont un peuple était vu, dont ses élites propres le concevaient et la réalité de ce qui se tramait en dessous explique la rupture brutale entre l‘Algérie et ceux qui en France avaient milité pour son indépendance…». Après avoir mal évalué le poids de la religion, celle-ci va devenir l’élément central, déterminant les positions ultérieures. C’est-ce qui amènera beaucoup de porteurs de valises(16) à soutenir le régime d’Alger, fermant les yeux sur la torture, dans des retrouvailles avec d’anciens responsables du FLN eux-mêmes transformés en miliciens, persuadés que la véritable Algérie est celle de ces républicains avec qui, en apparence, ils parlent la langue de la civilisation. Francis Jeanson, comme Henri Alleg ont donné à cet égard un exemple sans équivoque. L’image la plus saisissante restera quand même celle de l’auteur de La question(17) qui, dans le film de Jean- Pierre Lledo, Un rêve algérien, est montré debout, au milieu du quartier des condamnés à mort de Barberousse-Serkadji. Commentant les souffrances infligées aux militants algériens des années cinquante, il ignore délibérément, en les occultant, les tortures et les massacres tellement présents, puisque fraîchement perpétrés dans l’enceinte contigüe.

Affleurant en réaction à l’islam, ce tracé identitaire des militants anticolonialistes toujours soucieux de reconfirmer leur identité laïco-universaliste, est aussi prégnant que celui qui est dénoncé chez les islamistes. On ne reconnaît que ce qui nous ressemble. Cette vérité adossée aux vertus de l’universalisme civilisateur s’applique à gauche comme à droite d’une France qui unifie son regard en direction d’une superposition assimilatrice. Indéniablement, l’introduction de la dimension islamique conduit à reconsidérer les solidarités proclamées envers la lutte pour l’indépendance et l’universalisme révèle sa véritable signification. Il est assorti du préalable d’identification culturelle. Les hiérarchies de la république coloniale sont reconduites, y compris chez les militants anticolonialistes. Cela se traduit par des retours indépassables sur l’autorité et la légitimité de la civilisation occidentale dont l’universalité missionnaire abrite la supériorité.

L’émergence de l’islamisme accompagne, en la ramenant au grand jour, la structuration d’un espace transfrontalier où sont campées, d’un côté comme de l’autre, des populations à l’abandon, au plan social, économique, culturel. Ce qui en fait des populations sinistrées pour toujours. De là fusent des révoltes, des émeutes, récupérées et réinjectées à des fins de gestion politique de manière différente, mais à but identique, d’un côté et de l’autre de la Méditerranée. Espace unifié par l’expression même des deux rives selon les termes d’une hiérarchie ratifiée par les convictions, il supprime la continuité égale, parce que circulaire, du rivage méditerranéen. Gouverné d’abord par le souci sécuritaire, il entretient la menace terroriste et cultive la maîtrise, équipée d’un filtre sélectif, du flux migratoire. Sur cet espace, les traditions autoritaires et démocratiques s’entrecroisent en même temps que se côtoient deux constructions historiques de la souveraineté. En ce point de rencontre se puisent, ici, des disponibilités retrouvant les liens du passé, (Algériens cherchant une France perdue) tandis que là, se sédimentent les actes de résistance et de désobéissance pour redéfinir les liens d’appartenance (Français descendants de migrants de l’Algérie coloniale). Ce chevauchement des « Histoires », abordée dans une excellente problématique par Etienne Balibar(18), finit, en des termes convenus, stéréotypés, par sombrer dans une vision étriquée de « la mondialisation » et d’ « un espace méditerranéen », préfigurant manifestement un projet typique de l’espace postcolonial, l’Union pour la Méditerranée.

En Algérie, les classes dirigeantes qui gravitent autour de l’armée et des services de sécurité sont ouvertement apparentées à une France qui flatte leur laïcité, leur modernité et leur francophonie. Sur cette base, se constituent des réseaux de formation, éducatifs, culturels, investissant dans des circuits privés d’encadrement technico-économiques. Des filières sont ainsi ouvertes pour des placements dans des entreprises françaises, européennes implantées localement. Ces techniques, qui relèvent d’un projet ayant sa source dans les institutions européennes sous l’appellation de Co-Développement, profitent exclusivement aux descendants de la nomenklatura algérienne.

Un circuit d’encadrement similaire se retrouve également dans des secteurs de l’économie privée algérienne soutenus par des mesures et des mœurs incitatives de culture locale où la corruption tient lieu de savoir et d’ingéniosité économiques.

Le libéralisme mondialisé encourage l’enchevêtrement des capitaux dans des réseaux qui prospèrent grâce au phénomène de dérégulation et de déréglementation.

Les classes moyennes, aux composantes diversement dotées, au niveau de vie en déclin, sont l’objet de soins attentifs dans le registre culturel à partir de l’exploitation assidue des ressources de la francophonie. Terres en friches du fait des politiques algériennes de prédation, elles sont fertilisées par une irrigation continue à travers les entreprises de presse, de l’édition, de la littérature, du théâtre et du cinéma, sans oublier des formules adaptées de showbiz. À titre de preuves d’une occidentalisation assumée, sont encouragées des formules de concours de beauté faisant éclore un peu partout des miss régionales couronnées avec la bienveillance empressée des quotidiens nationaux.

Peuplant des zones d’influence parisiennes, ces classes moyennes sont le terreau des cercles d’appartenance pro-français. On y rate rarement l’occasion de faire valoir que, délaissés par l’Etat national, leurs composants demeurent la fierté algérienne reconnue par l’ex-puissance coloniale. Tenant le haut, c’est-à-dire ceux qui dirigent l’Etat algérien et ses structures à travers l’impératif de sécurité dans un complexe militaro sécuritaire permettant à l’industrie anti-terroriste de prospérer, l’Etat français et ses réseaux, animés par différents ténors du monde politique et médiatique, veillent à pérenniser un rapport assorti de dictats sur la sécurité de façon à tenir la population indésirable loin des frontières de l’Hexagone. L’Etat français tient également le bas par cet ascendant reproduit à travers les journaux quelqu’en soit la langue. Ces derniers bénéficiant de distinctions tapageuses, au même titre que des personnalités ciblées(19), des militants des droits de l’homme ainsi que différentes associations faisant l’objet d’entraides promotionnelles. Ainsi en va- t-il des subsides accordées à titre de secours ou de mise à disposition d’espaces (en particulier dans les centres culturels) sans oublier les filières d’accès aux visas. De la sorte, se construit un observatoire à partir duquel l’Algérie ainsi que les autres pays du Maghreb sont regardés de l’intérieur, par une partie d’eux-mêmes, selon les paramètres insufflés par les besoins de rayonnement d’une société, d’un Etat, de services publics qui n’ont que la réalité de dépliants publicitaires. Mais, au même titre que ceux-ci, ils produisent leurs effets. Cela permet de s’extraire de sociétés violentes, à l’avenir chaotique, au développement incertain, et de retrouver des signes d’appartenance communs, qu’il faut consolider, dans des solidarités renouvelées. Les voyages répétés des pieds-noirs se font dans la réincarnation de la terre natale, témoin d’une fraternité revivifiée. Au cours des vingt dernières années, extraits des couches moyennes supérieures, les Algériens recrutés à l’émigration renouent avec les vérités d’une appartenance profonde et prometteuse qu’une indépendance décevante a momentanément brisée. Ceux qui ne réussissent pas à passer la frontière, multiplient les démarches auprès de l’ambassade pour obtenir la naturalisation, à défaut de réintégration. Pour forcer le destin, espérant attirer l’attention d’une mère patrie tant désirée, des élans d’évangélisation alternent, sur la place publique, agressions et pétitions. En dehors de ces cas de figure, la frontière est constamment ouverte aux titulaires de visas permanents, responsables d’organisations de femmes, journalistes, avocats, enseignants, chefs d’entreprise, ou autres membres de professions libérales.

Un maillage des secteurs stratégiques et un système de reconnaissances obéissant au repérage pointu du renseignement, offrent la possibilité de tenir en laisse les couches dirigeantes tout en guidant l’inspiration de leurs opposants. Entre les liens tissés par les appareils d’Etat et les marques d’affection réciproques que se lancent les spécialistes de la médiation des classes moyennes des deux côtés de la Méditerranée, les bienfaits de la colonisation trouvent leur réhabilitation. Les quelques disputes tapageuses sur la repentance donnant naissance à des comités mixtes d’historiens mutuellement cooptés, ne font que consolider le statut-quo. L’Etat postcolonial tente d’y puiser une légitimité autorisant les formes répressives affranchies des pesanteurs légales, dans l’administration des populations hexagonales. Nées et élevées dans la résonance d’une France citoyenne, où la conquête des droits et libertés, côtoie le devoir de résistance et de désobéissance, ces populations savent affronter la confusion, puisée dans la législation coloniale, entre culture et nationalité.

Les classes moyennes algériennes, plus généralement maghrébines, fournissent une réserve comme masse de manœuvre, certifiant la caution à une conquête morale totale et définitive. Dans leur demande de récupération de l’ex-mère patrie, sous couvert d’immigration choisie, elles se prêtent à des stratégies de contournement par lesquelles l’administration espère contenir les revendications des Français de culture islamique.

Regrettée parmi les classes moyennes algériennes, sur les territoires desquelles elle a du abandonner sa souveraineté, la France est continuellement renvoyée à son passif colonial dans l’Hexagone. Réintégrés dans une nationalité française stimulante enfin retrouvée, les nouveaux migrants fournissent une avant-garde à une intégration choisie transformée en sièges de commanderies laïco-républicaines. Adossés à de telles fidélités fortifiées, les adeptes de la colonisation réussie peuvent partir à l’assaut du Code civil et adapter la nationalité française aux exigences d’une citoyenneté au rabais, ne souffrant d’autres manifestations que celle de la soumission par la culture de la mêmeté, conjuguant l’indistinction et l’indiscernabilité. C’est-ce à quoi s’opposent les descendants de plusieurs générations de migrants, entendant être partie intégrante de l’identité française avec leur culture propre.

– LE DRESSAGE REPUBLICAIN : DU CODE CIVIL A LA CONSTITUTION –

La Naturalisation ne m’apporta pas les apaisements espérés.
Je n’en restais pas moins « Indigène ». Progresser devenait
pour moi synonyme de s’enliser…Je n’exagère pas. A-t-il
jamais été nécessaire de créer des « associations de citoyens
français d’origine maltaise » ? Dans un autre ordre d’idées,
combien de camarades ont vraiment essayé de dégager la
signification du sinistre drame où notre camarade Médane,
un de nos jeunes…trouva la mort ? Quatre ou cinq ans de
prison ont sanctionné le crime ignoble d’une brute.
Cinq ans de prison ? Sanction, Verdict de « race ».
(XXX Instituteur anonyme, Je suis un indigène …?
in La Voix des Humbles, Journal des Instituteurs
Indigènes, n°138-139, 1-15 mars 1934)

Les références au Code civil et à la Constitution deviennent récurrentes, assorties du sacro- saint ordre républicain dont les principes sont constamment brandis non seulement par des élus, des responsables d’associations, des ministres, mais des porte-parole de la police ou de la gendarmerie. Tous ces serviteurs du culte républicain se gardent bien de préciser dans quel périmètre et sur quels fondements ils en inscrivent les prescriptions, compte tenu des soubresauts de l’histoire. La République, depuis sa fondation, est à l’image de ses maîtres successifs. Il suffit de retracer les mésaventures du suffrage universel et des libertés publiques(19bis).

En réalité, l’ordre républicain sacralisé avec la république coloniale en hiérarchisant ses destinataires (porteurs de civilisation, de progrès d’un côté et les populations à élever au rang d’humanité, de l’autre) entérine les « inégalités naturelles » en attendant d’en proroger les effets dans la période postcoloniale. La confrontation avec une population d’origine colonisée devenue française restitue la permanence de l’ordre inégalitaire destiné à élever au rang de citoyens des nationaux à rééduquer indéfiniment selon un dressage institutionnel mu d’abord par le principe de l’autorité et la nécessité de l’obéissance. Dès lors, le Code civil comme la Constitution deviennent les symboles d’une autorité à dimension civilisatrice et exclusivement contraignante. Quand la république expérimente l’universel elle l’institue comme mission civilisatrice, éducatrice à partir d’un droit sacralisé comme vérité unique. L’inclusion dans la nation se fait sur la base prétendument contractuelle d’un délestage absolu de tout ce qui relève de l’identifiant culturel. Le maghrébin est constamment mis en demeure de produire les progrès de sa francisation et les certitudes sur son aptitude à la francité. C’est pour cela que sa qualité de Français est toujours assortie de son origine première (tunisienne, marocaine, algérienne). Les discours récurrents sur la sécurité et la civilité/incivilité traduisent les rappels constants à produire les preuves d’une allégeance sujette à suspicion. Dire que la république « refuse la diversité juridique et culturelle » comme le souligne Norbert Rouland(20) ou mettre l’accent sur la « difficulté de l’inadéquation entre droit et culture », selon Edwige Rude-Antoine(21), c’est renvoyer à la république coloniale.

La famille, « espace normatif » par excellence comme la définit Jean Carbonnier, s’accommode bien du pluralisme juridique. Pourtant, un tel pluralisme est frappé d’exception. Tendant à corroborer le rapport à la république et à la nation coloniales, il n’est accessible qu’à la famille de tradition ou de civilisation judéo chrétienne. Pour celle-ci, Code civil et Constitution ne sauraient se concevoir sans réformes possibles et évolution de mœurs. Dans le cas des nationaux issus des anciennes colonies, Code civil et Constitution doivent être le témoignage d’une allégeance sous contrôle. L’exigence imposée de leur connaissance, dans une dimension évangélique, est là pour y veiller. À ces fins, la vie quotidienne du Français musulman est mise à l’épreuve de l’Etat de droit.

Le regard sociologique construit par Jean Carbonnier sur le droit de la famille saisit la notion de pluralité dans la correction nécessaire d’une rigidité législative, propre à « atténuer cette sorte d’aliénation du peuple à l’égard du droit »(22). Répudiant la tentation du panjurisme(23), il rappelle cette proximité entre droit et mœurs ou normes sociales tout en maintenant la distance entre « normativité » et « normalité ». Le Code civil devient accessible aux réformes en profondeur au point d’accepter des bouleversements insoupçonnés jusque là dans la configuration de la famille de tradition judéo chrétienne. Des mœurs à l’institution, la famille est consacrée dans ses qualificatifs aussi divers que surprenants : famille recomposée, décomposée, d’union libre, sous contrat pacs, monoparentale. Quelques remparts sont en voie de destruction. C’est le cas, notamment, de la famille monosexe (à deux au sexe uniformisé et identique) à qui sont reconnus les vertus et les droits de la parenté et de l’ascendance/descendance…

En revanche, pour la famille de tradition islamique, la pluralité juridique n’est pas de mise et là on retombe sur l’aliénation du peuple à l’égard du droit pour épouser la double soumission à la normativité et à la normalité.

Abordant de front le statut des musulmans et de la Charia en France, Jean Carbonnier fait le tri entre les idées figées et le secret des grandes avancées socio-juridiques : « …Le problème, en réalité, est plutôt de notre côté : nous avons peine à comprendre la nature de la charia, de ce que nous nommons droit musulman. Nous y voyons une religion. Dès lors, appuyés sur nos expériences occidentales, nous pensons qu’il sera facile aux intéressés de la refouler dans le for de la conscience et de ramener à l’état laïc leurs comportements juridiques. Mais du dehors, sommes- nous compétents pour en juger ? La charia se veut, en même temps que religion, système de droit, voire manière de vivre. Des ethnologues diraient peut-être, à leurs risques et périls, que se trouve en elle une de ces coutumes indistinctes, indifférenciées que toutes les sociétés ont d’abord traversées, avant que ne s’opérât la décantation d’où sont sortis successivement la religion, la morale et le droit. Mais à quel rythme les passages se sont faits, se feront ? En mai 1995, l’énigme demeurait entière, que la Ve République s’était créée : l’énigme d’un droit étranger, intériorisé ou non, on ne sait, par une fraction de la population française. Une fraction minoritaire, certes, compacte toutefois en quelques « ghettos » apparents, ce qui rend la politique indécise entre l’intégration et la reconnaissance d’un pluralisme de normes »(24).

Tolérer ou intégrer dans la norme d’autres pratiques et perceptions culturelles reste impensable. La république reprend alors ses droits et, sous couvert d’égalité et de nivellement, elle remodèle les familles en vertu des obligations attachées à une France lisse et uniforme. Elle reconduit la hiérarchie ethnique entre population civilisée, porteuse de progrès et population à élever, selon les exigences politiques discrétionnaires, au rang de la première. L’homologie nous renvoie le régime que l’administration coloniale réservait au traitement de la famille, pour les besoins de la conquête, en superposant le temps de la colonie et celui de la France postcoloniale . Relevé par Frantz Fanon, le soin apporté par les maître-à-penser de la civilisation dans la décomposition de la famille n’est pas sans rappeler les méthodes actuelles : « Si nous voulons frapper la société algérienne dans sa contexture, dans ses facultés de résistance, il nous faut d’abord conquérir les femmes ; il faut que nous allions les chercher derrière le voile où elles se dissimulent et dans les maisons où l’homme les cache »(25).

Les familles sont envahies dans leur espace intime par un foisonnement d’associations qui, sous couvert de générosité bienfaitrice, se donnent pour mission de déverrouiller tout ce qui, au nom de pratiques coutumières, empêche l’épanouissement des femmes, la bonne éducation des enfants, l’ouverture du mari aux idées de progrès. Au détriment de l’équilibre familial et de l’harmonie du couple, des assistantes sociales spécialement formées s’investissent dans une recomposition, une reconstruction des liens familiaux. Ce qui se traduit parfois par des résultats contraires aux effets recherchés avec des drames familiaux à répétition. Ajouté à la fragilité économique et sociale des familles, ce type de harcèlement peut aussi expliquer un raidissement archaïque sombrant dans une violence verbale ou physique en direction du milieu hospitalier, notamment, lors de soins, tant sont ressenties les atteintes à l’intimité(26).

Les multiples interventions dans l’espace privé, au cœur d’une intimité saccagée, laissent entrevoir les impératifs stratégiques, dans des choix ajustés, ciblant des catégories déterminées. Recensées comme familles en difficulté, elles sont soumises à des pressions multiformes. La mise en place de méthodes incitatives pilotées par les travailleurs sociaux fixent la progressivité d’ascension d’une barre à l’autre et encouragent, en l’accompagnant, le passage du bon côté de la hiérarchie. Un exemple en voie d’aboutissement est fourni par l’inauguration d’une nouvelle grille dans la discrimination positive : ouverture de lycées d’excellence, de quotas à Science Po pour des contingents de jeunes diplômés venus des banlieues. Les heureux élus reçoivent les honneurs de l’image télévisuelle accentuant la part du rêve et le conte de fées. En fait, cela relève de programmes planifiés pour fidéliser des compétences spéciales élevées à une dignité d’exemplification et qui n’auront, de la citoyenneté, que les exercices d’obéissance et leur reproduction. Corrélativement, tous les comportements recensés comme contraires à l’ordre/désordre établi, relèvent d’une surveillance aux ramifications sociales allant de l’école à l’entreprise en passant par les différentes formes de contrôle. La ligne de séparation constamment rappelée distingue le civilisé/policé, du barbare. La hiérarchie sociale, ethnicisée, reproduit la hiérarchie historique et le droit, sacralisé, se recompose exclusivement comme instrument de soumission et d’obéissance. Au nom de l’égalité devant la loi, l’indifférenciation culturelle se fige dans les pratiques discriminatoires. A peine voilée, on retrouve la distinction consacrée par l’ethnologie coloniale et fixée notamment chez René Maunier entre populations avancées et populations attardées(27). Alors que tout se construit autour de l’individu, le statut civil du musulman reste justiciable, dans une mise en cause à portée civilisatrice, d’une évaluation ancrée dans un processus historique et constamment réactualisée. Dès lors, le Code civil n’est là que pour administrer la preuve de l’incivilité d’une culture et de ses adeptes. L’exemple de Mons-en-Baroeul fournit une illustration qui renvoie au statut musulman et à la hiérarchie construite alors selon le régime colonial.

Le Code civil hiérarchise de la sorte la pénétration dans son corpus du pluralisme juridique et reçoit ou rejette des pratiques sociales selon la fixation de leur classification historique et le rapport à une division du monde intégrant les éléments de l’idéologie coloniale dans la construction de l’identité française.
L’affaire dite du mariage de Mons-en-Baroeul, le 8 juillet 2006, illustre, par la levée de boucliers qui s’en est suivie, la chasse au musulman par le Code civil relu et corrigé selon les mœurs portées par les classes politiques, médiatiques et intellectuelles. L’affaire est connue sous la dénomination du mariage annulé pour cause de non virginité. Il s’agit de deux jeunes gens de religion musulmane, qui se marient après s’être connus et fréquentés. Le soir des noces, apprenant que sa compagne lui avait menti sur l’état de sa virginité, l’époux rompt toute relation et demande l’annulation du mariage par le juge compétent qui accède aux arguments invoqués en application de l’article 180 al. 2 du Code civil. En ce sens, le juge fait valoir l’erreur provoquée par les cachoteries du conjoint, sur une qualité essentielle emportant le consentement. L’accolement des trois termes femme – virginité – islam déclenche une tempête invoquant pêle-mêle « les Lumières », « la laïcité », « le progrès». Le traitement inégal réservé aux femmes et consacré par la décision du TGI de Lille (1er avril 2008) fait l’objet d’une campagne aux accents de mise en demeure. Nulle opinion dissidente ne s’étant aventurée à rappeler l’indépendance du juge et de la justice, la Cour d’appel de Douai (novembre 2008), après appel du parquet sur instruction de la chancellerie, corrige l’interprétation donnée à l’alinéa 2 de l’article 180 du Code civil. L’affront est redressé : la référence à la virginité est insusceptible de constituer une qualité essentielle au consentement du mariage. Pourtant, la Cour de cassation (2 décembre 1997) accepte qu’une femme, désirant contracter un mariage religieux, entendant par là même épouser une personne non divorcée, puisse demander l’annulation du mariage du fait que son mari lui a caché qu’il était divorcé et qu’il s’était déjà marié religieusement. Le mariage religieux est donc considéré, par la Cour, comme une qualité essentielle au consentement. La dimension subjective préalable au contrat entre deux individus s’apprécie donc, selon l’appartenance religieuse des époux.

Or, selon les lois coloniales, la référence à l’islam ne saurait trouver place dans l’union entre homme et femme pour incompatibilité, reconduite, avec le Code civil. La population, censée relever d’une même souveraineté, était alors divisée entre les citoyens français relevant du Code civil, et les Français de statut musulman, exclus de la citoyenneté(28).

Le Code civil se relit sous l’œil vigilant des gardiens du progrès : de Marie Georges Buffet à Marine Le Pen en passant par Elisabeth Badinter, Ségolène Royal ou Nadine Morano. On retrouve chez les femmes et hommes politiques, les éditorialistes de l’audiovisuel ou de la presse quotidienne et hebdomadaire, le même fond de laïcisme abreuvé au rationalisme des pères fondateurs. Grâce au choc, réédité, entre islam et Code civil, le souffle de la raison imprime de nouveau les domaines respectifs de la religion et de la cité. Faisant pièce au dogme métaphysique de la religion, la raison pousse à l’élévation par la science et le progrès contre la soumission. Dans la hiérarchie recomposée et reconduite entre les maîtres du progrès et de la civilisation et ceux qui doivent en attendre leur élévation future, tout s’accorde à gommer le cheminement par lequel la raison et les Lumières, dogme de transcendance républicaine, agencent les ténèbres de la soumission et de l’obéissance.

De cela résulte la nécessité de repartir encore et toujours à la reconstruction de la cité en la protégeant de l’incivilité. On n’a jamais autant disserté sur le lien civil, la civilité/incivilité que depuis une vingtaine d’années. Forcément cela produit des maîtres pédagogues en la matière et Alain Finkelkraut n’hésite pas à payer de sa personne, se taillant une figure de missionnaire dans la cité que nul obstacle ne rebute pour enseigner les canons républicains. Déployant un réquisitoire déjà remarqué lors des émeutes de 2005, celui que les médias tentent d’élever au rang de conscience nationale, déverse, dans les rédactions publiques, en signe de civilité accomplie, sa rage contre les footballeurs de l’équipe de France. Le 21 juin 2010, qualifiant les joueurs tantôt d’« odieux » tantôt de « grotesques », il en fait « des voyous milliardaires, onze petites frappes, dont l’univers mental est celui des Soprano, de l’omerta et de la maffia ». Pèle-mêle, « le civique » , « le civil », « la civilisation », éclairent le flot d’injures : « L’esprit de la cité se laisse dévorer par l’esprit des cités. L’équipe de France souffre de division ethnique et de division religieuse. C’est la génération caillera. Le foot était une composition essentielle de ce que Norbert Elias appelle le processus de civilisation, la mise en forme de l’énergie civile. Là, on est dans un processus de dé civilisation, comme à l’école. On ne peut pas sélectionner en équipe de France des gens qui se foutent de la France, qui se sont totalement émancipés de la morale commune… »(29).

Dans la foulée de tels enseignements où l’indignation exaltée le dispute à une pensée antidreyfusarde non assumée, Code civil et Constitution revêtent des procédures d’exception.

A l’image du Code civil, la Constitution est invoquée comme une épreuve dont la connaissance en certaines de ses parties doit être le préalable exigé de tout impétrant accueilli dans le giron républicain. Marque du quinquennat 2007, la cérémonie officielle d’intronisation des nouveaux Français enveloppe La Loi dans un culte d’amour inédit. Ce qui atteste que la Constitution est présumée connue de tout Français de souche. Ou bien on présume que ce dernier ne saurait être soupçonné d’une quelconque atteinte aux fondements de la république exprimés dans le texte sacré.

Pour les musulmans, la Constitution n’est là que pour rappeler à l’exemplarité des devoirs sans jamais offrir l’accès au phénomène de la représentation et du pouvoir. Des catégories de Français sont indéfiniment exclus du processus d’élaboration des règles en étant tenus à distance des instances représentatives actives. L’accès aux fonctions électives locales n’est rien d’autre qu’une sélection de porte-parole destinée à la fois à masquer l’éviction de la représentation tout en faisant croire à l’ouverture sur un monde jusque là tenu en laisse. La mise en scène d’où émergent ici et là des patronymes à consonance arabo-berbère participe du mode de crédibilisation d’un modèle de représentation. Soigneusement choisis selon les critères communs à tous les partis, pour veiller au renvoi de l’image républicaine, les élus cooptés au rang de citoyens actifs dont on souligne le patronyme ou la couleur de peau échappent difficilement aux effets vitrine dans laquelle les confine le processus de leur désignation.

Structuré selon la logique de hiérarchisation coloniale, le droit est invoqué dans un abus de références non exemptes de confusions sémantiques, telles que l’Etat de droit, les zones de non- droit, dans la seule perspective de l’obéissance et de la docilité. L’Etat de droit, communément invoqué, est réduit à la seule armature juridique du gouvernement majoritaire, tandis que le non- droit est confondu avec le rejet d’un droit, ce qui suppose la demande d’autre chose. Les références à un droit articulé selon le mode autoritaire tissent en toile de fond le châtiment, constamment présent, sous forme de menaces promettant des textes plus répressifs. Les rappels constamment réitérés de la soumission à la loi, à la Constitution, aux valeurs de la république, à la morale de lavcivilisation, s’accompagnent d’un programme ou de projets durcissant telle législation ou réglementation, prenant en étau enfants et parents, punis de ne pouvoir répondre aux exigences de la République. Loin de corriger les inégalités par des mesures d’intégration, la loi est saisie dans une construction circulaire dessinée par sa seule dimension coercitive. Elle construit ainsi des espaces pour population relégable.

Une partie de la population française est au cœur d’une contradiction sciemment entretenue. D’un côté, on lui fait procès de vouloir se distinguer en s’accrochant à une identité culturelle, par référence à l’islam, aux origines migratoires marquées par la prégnance coloniale. D’un autre côté, la même population est désignée sous le label Français d’origine maghrébine ou Français Musulman ou bien encore Français d’origine immigrée. Une telle spécificité conduit à une typologie, soigneusement particularisée, et induit un rapport tout aussi particulier à la nationalité. Celle-ci est constamment soumise à l’épreuve de la consolidation morale dans une reproduction du régime de la nationalité pratiqué en période coloniale. La différenciation s’inscrit alors dans la négation et non dans la reconnaissance. Mettant à mal l’article 2, alinéa 1er de la Constitution, elle investit la nationalité et la citoyenneté qu’elle redéfinit dans un processus de dissociation. La programmation de séances pédagogiques télévisées vont dans ce sens : c’est le cas de l’émission de Yamina Benguigui, Place de la République et des innombrables animations consacrées à l’islam. Par beaucoup d’aspects dont le moindre n’est pas le souci permanent d’en surveiller le statut, l’islam de France est en passe de devenir l’islam de l’Etat français. Derrière Marianne et le prophète(30), couple mixte idéal par son intemporalité, s’ouvre un cahier des charges qui n’a rien d’un contrat de mariage pour volontés libres et consentantes.

La tutelle des gouvernants, exercée sur les structures de représentation du culte musulman fait de ce dernier une caisse de résonnance des choix et orientations politico-culturels.

Contrairement aux canons de la république libérale et aux valeurs chargées de l’encenser, la loi ne protège pas, elle sévit. Elle donne corps de plus en plus à une république policière. Il n’est point surprenant, dans ces conditions, que la nationalité subisse un dépaysement qui la transporte du Code civil au Code pénal.

– LA RÉPUBLIQUE POLICIÈRE –

« Quand on reçoit de la France la naturalisation
française, on se doit de respecter les citoyens français
ainsi que la police ».
(Une policière s’adressant à Eunice Barber*, au procès
de cette dernière.
*Championne du monde 1999 heptathlon
Victime de brutalités policières,
Gardée à vue et condamnée.
D’après « La Banlieue s’exprime »,
1er décembre 2008).

Lors d’un colloque sur la sécurité tenu à l’Assemblée nationale le 11 juin 2009, Xavier Raufer, se faisant conseiller en «législation de prévention de la criminalité», énumère trois problèmes qui, d’après lui doivent guider le légiste : un problème d’immigration mal contrôlée ; un problème de criminalité ; un problème de racisme. Ce faisant, il sollicite abusivement et à contresens l’ouvrage de Louis Chevalier, « classes laborieuses – classes dangereuses », dans lequel l’auteur montre comment la classe ouvrière, dans la première moitié du dix-neuvième siècle, était regardée comme « classe dangereuse ». Criminalisée, la classe ouvrière était saisie dans un climat où « les antagonismes entre les classes sociales prennent un véritable caractère de lutte raciale »(30bis).

Pour démontrer que le racisme n’a pas sa place dans l’analyse et que l’immigration est le siège d’une criminalité indéniable, X. Raufer raconte une anecdote tirée d’un de ses voyages, en 2008, en Algérie : « J’étais dans un entretien avec deux ou trois personnes chargées de la sécurité en Algérie et, avec, peut-être la personne la plus impliquée dans la sécurité en Algérie. Le monsieur en question m’a fait remarquer qu’ils commençaient à être agacés eux, les Algériens, parce que les pics de braquage et de hold-up à Alger se passaient pendant les vacances scolaires en France, et il me l’a prouvé ; il m’a montré les courbes pendant les vacances scolaires. C’est dans les statistiques officielles du gouvernement algérien ». Les spécialistes de la sécurité algérienne, à la Direction Générale de la Sûreté Nationale et ailleurs, en attestant, statistiques à l’appui, que les jeunes originaires des banlieues françaises exportent leur criminalité en territoire algérien, confortent les analyses des experts français. Ils confirment ainsi la notion de milieux criminogènes, leurs zones d’implantation en France et leurs spécificités ethniques. L’identité ethnique entre le chargé de la sécurité, appelé comme témoin à charge, et le délinquant présumé, fait tomber toute référence au racisme dans l’association des deux termes : crime et population des banlieues. Cet exemple est un aveu circonstancié chez un spécialiste de l’endoctrinement sécuritaire, passé maître dans la criminalisation des banlieues et de leurs populations. Il éclaire, en effet, sur les techniques de manipulation de l’ethnie dans les opérations légitimant la stigmatisation des populations françaises d’origine immigrée. Simultanément, elles fondent la délégitimation de leurs revendications sociales ainsi que les moyens de faire reconnaître le bien-fondé de leur appartenance française constamment mise en doute. Le recours au dispositif de la criminalité, de son évaluation et de sa fixation spatio ethnique globale, est assorti, a contrario, d’images modèles construites sur des individualités ethniquement choisies et qui jouent un rôle de porte-parole du pouvoir politique et administratif. Ce rôle permet à la fois d’encadrer les individus dans des objectifs déterminés et d’annihiler la parole contradictoire, ou tout au moins d’en limiter la portée en la rendant inaccessible. Ces porte-parole satisfont à double but : atténuer, en apparence, l’argument de criminalisation d’une population déterminée puisqu’ils en font partie ; crédibiliser l’entreprise de criminalisation en relayant les discours qui s’y rapportent avec, en toile de fond, la cité. C’est-ce rôle que jouent des médiateurs recrutés dans des milieux politiques interchangeables, de droite comme de gauche, et qui démontrent que leur ascension tient plus à une médiation combinée qu’à des compétences techniques ou politiques. Les expériences ministérielles n’ont rien révélé de nouveau sinon le côté faire-valoir de Azzouz Beggag, Rachida Dati, ou Fadela Amara.

Extraits du milieu politico-associatif (SOS Racisme, France Plus, PS, partis de droite, du centre, ou Europe Ecologie), les candidats à l’ascension politique exploitent manifestement la référence ethnique parce qu’elle reçoit un écho dans les directions politiques au pouvoir ou en dehors. La dimension ethnique permet d’exploiter les deux avantages suivants :

En premier lieu, elle permet de figurer le modèle intégrateur d’ascension sociale.
En second lieu, elle fixe sur l’ethnie les effets produits par le choix d’une politique donnée. Elle suscite ou apparaît comme prétexte suscitant des réactions xénophobes chez les uns (les adversaires de la politique en question). Elle constitue, en même temps, un alibi masquant les racines xénophobes des promoteurs déclarés de la diversité. L’association Sarkozy/Dati au ministère de la justice est révélatrice à plus d’un titre. Fixant les critiques et rejets de réformes décidées et imposées par l’Elysée au pas de charge, la ministre de la Justice n’en ayant pour ainsi dire que le titre, fait figure de détectrice de mines. Il s’agissait bien de désamorcer les critiques qui, relâchées car largement justifiées, pouvaient être habilement exploitées comme des attaques xénophobes. D’ailleurs, la tactique a été suffisamment payante, montrant combien l’opposition faisait plus que retenir ses coups devant des projets jugés par ailleurs dévastateurs sur la justice.
Les exemples dits de la diversité, loin de figurer ces « animaux politiques » annoncés par leurs mentors, ne sont en réalité que des « animaux de laboratoire » chargés de faire digérer l’extermination symbolique dans une mise en scène de l’ethnie. Au même titre que le haut responsable de la sécurité d’Alger cité par Xavier Raufer, ces voix serviront de masque au discours raciste tout en ethnicisant le discours sécuritaire et les violences policières sur les banlieues. Les vingts dernières années marquent nettement, avec le déploiement du discours sécuritaire, son rattachement à une population déterminée sur laquelle il fallait exercer une surveillance à la mesure du caractère criminogène qui lui est accolée.

Couverte dans ses pratiques qui rappellent celles de la république coloniale, la police déploie un arsenal répressif en s’affranchissant de toute retenue. Le statut de la police est d’abord défini par des missions de recours à la force en vue de mater une zone donnée et une population ciblée. Il finit par installer la police dans une identification au droit et à la loi, aspirant ainsi à être son propre juge. Quand la loi est invoquée lors d’enquêtes dont il devenait difficile de faire l’économie, les pressions clairement exercées sur les juges positionnent la justice, sous l’effet de chantages multiples, en deçà de ses pouvoirs sur la police. En guettoïsant 8% de la population française sur sept-cent-cinquante zones urbaines sensibles (ZUS)(31), la République n’apparaît plus que sous les traits d’une police chargée de conquérir des territoires, de civiliser des zones et d’y permettre la réintroduction du droit. La République vit sous les injonctions d’une laïcité guerrière traduite constamment dans les mêmes formules, difficilement compatibles avec le contrôle nécessaire sur une police à qui il devient de plus en plus difficile d’enseigner la retenue. Le langage guerrier en direction des banlieues, passé du ministère de l’intérieur au sommet de la République, ne peut avoir d’autre traduction que l’extension et la généralisation de la violence policière, non seulement en banlieue, mais sur tous les espaces investis par la police. Les violences lors des manifestations pacifiques indiquent tout simplement un mode de gestion de la police et de ses missions en s’installant dans le binôme sécurité/insécurité, s’étendant à tout le territoire. Chargée de « réinstaurer l’ordre de la République, celui de ses lois, dans le territoire » (Sarkozy, 15 novembre 2005), la police accepte difficilement d’être tenue en laisse par une autre conception, en voie d’extinction, de l’ordre républicain. En fait, la police d’une manière générale, son pouvoir, ses moyens et la place qu’elle occupe sont un rappel constant de la République coloniale. Contrôle au faciès, insultes, arrogance et provocations, fouilles au corps humiliantes sont les ingrédients quotidiens accompagnant les rondes, patrouilles, d’une police qui n’accepte même plus le regard de la société quand le doute s’installe sur les moyens utilisés. Chargée des missions d’ordre et de tranquillité publique, la police devient créancière face à une société dont elle garantit la sécurité.

A force de banaliser les pratiques de mise sous surveillance policière rappelant l’état de siège, sur une partie de la population, dans une jonction du social et du culturel, la police étend ses pouvoirs pour dicter ses choix législatifs à la République. La mise en cause de la loi sur la présomption d’innocence est bien la manifestation d’un tournant, attestant définitivement des rapports nouveaux entre la police et la souveraineté nationale. La loi sur la présomption d’innocence, dite loi Guigou, du nom de la ministre de la Justice, adoptée le 15 juin 2000, subit des assauts répétés de la part des syndicats de police qui poussent à des manifestations musclées, sous différentes formes, notamment des protestations auprès de la ministre et des élus du Parti socialiste. La loi, qui revoit le régime de la garde à vue et limite les détentions provisoires avant jugement, est dénoncée avec une violence redoublée par la bienveillance des médias, comme une loi pour les voyous. Mises sur la défensive, la majorité parlementaire PS ainsi que la ministre, finissent par faire revoter la loi après une mascarade faisant de Julien Dray un médiateur entre la police et le siège de la souveraineté nationale. La loi sera revue pour accorder aux policiers un délai de trois heures avant d’informer les parquets d’un placement en garde à vue. Cet exemple montre, à l’évidence ce que signifient, en réalité, le respect et l’autorité des lois de la République, brandis en toutes occasions par les policiers qui, se confondant suffisamment avec la loi, finissent par s’en affranchir. On comprend comment, par un tel cheminement, les policiers refusent, devant la justice, d’entendre d’autres sentences que celles qui consacrent leur pouvoir sur la société. Ces manifestations à la pression évidente puisée dans l’agitation sécuritaire, mettant la souveraineté nationale, donc la République, sous la domination de la police, rappellent les pratiques de l’armée et des services de police pendant la guerre d’Algérie. En charge de la « pacification », les forces armées, considérant qu’elles sont les plus exposées, s’affranchissent, de différentes façons, de l’ordre politique, jusqu’à l’explosion du 13 mai 1958. Si une telle comparaison trouve rapidement ses limites, il n’en demeure pas moins que la politique du chiffre, imposée comme vecteur d’efficacité sécuritaire, est de nature à encourager les dérives et éclaire sur la place réelle de la police dans un Etat de droit versant dans l’état d’exception avec une rapidité foudroyante. L’une des dernières illustrations en la matière renvoie à l’affaire Coupat ou affaire Tarnac. A partir de simples soupçons tirés de la publication d’un ouvrage, L’Insurrection qui vient, signé La cellule invisible, Julien Coupat est arrêté le 11 novembre 2008 avec neuf autres personnes, pour dégradation contre des lignes TGV. L’éditeur du livre, Eric Hazan est auditionné durant trois heures trente à la sous-direction de l’antiterrorisme de la police judiciaire. Ce qui fait dire à l’avocat de l’éditeur, Antoine Comte, « On n’a pas vu ça depuis la guerre d’Algérie »(31bis).

Venant après la loi anticasseurs des années soixante-dix, la législation antiterroriste façonne un peu plus les libertés prises par la police en direction de la société. Celle-ci, petit à petit, soumise à des réflexes de soumission aux abus policiers, encourage l’extension de ces derniers. En 2009, le Rapport d’Amnesty International accuse « les forces de l’ordre françaises de se croire au-dessus des lois et la justice plus prompte à sanctionner l’outrage à agents qu’à instruire les plaintes pour violences policières. Homicides, coups, sévices, mauvais traitements, injures xénophobes…La situation s’est détériorée dans l’Hexagone depuis le dernier rapport qui date de cinq ans »(32). Résumant cette violence policière banalisée, un chef d’escadron de gendarmerie est enregistré, aspergeant copieusement de gaz lacrymogène version extincteur, à bout touchant, de braves sexagénaires. Le danger, apprécié souverainement par le gendarme, résidait dans une manifestation pacifique contre l’affiliation autoritaire de leurs communes à une structure administrative, la Communauté d’agglomération du Grand Alès(33). Les attaques répétées des policiers, du ministre de l’Intérieur et du Président de la République contre les magistrats et les décisions judiciaires sont de nature à encourager la tendance à la violence des force de police sur la société.

Le couple insécurité/police et le caractère d’interventions répétées de cette dernière sur des populations ciblées, contribuent à faire de la police au quotidien l’agent d’évaluation de l’appartenance nationale et du lien d’allégeance. Dans la sphère publique, la nationalité rapportée aux signes extérieurs de l’ethnie, se décompose au fur et à mesure que se propage la brutalité policière. Le Français ethnicisé est un Français qui suggère un autre statut. Traduisant le trouble et l’indignation provoqués par le déchaînement d’un racisme anti-arabe des médias, la guerre du Golfe fait planer, sous surveillance policière, les accusations de manquement à l’allégeance française. Le spectre de la double allégeance recompose déjà la figure de Dreyfus dans une nouvelle appartenance ethnique. Face au conflit israélo-arabe, l’inégalité de traitement manifeste dans les faits, devient institutionnelle. Le soutien actif, au grand jour, des organisations juives de France se conjugue avec les soutiens des partis politiques, des médias et des gouvernants. Les prises de position et l’activité des jeunes Arabes font par contre l’objet d’une surveillance policière mais sont stigmatisés au moindre écart de langage ou d’actes de violence qui ne sont que la réponse à une violence exercée de front, dans le champ social et politique. La double allégeance franco-israélienne est de notoriété publique. Mais qui oserait la soulever pour les juifs de France, auprès desquels, via le CRIF3(33bis), défilent chaque année, tous les responsables politiques, qu’ils soient au gouvernement ou en dehors. Lors du dîner annuel du CRIF, en 2010, se sont retrouvés, socialistes, communistes, UMP, Centristes de diverses obédiences. Cela donne généralement l’occasion pour le Président de la République ou le Premier ministre, de prononcer un discours rappelant les engagements de politique générale ou de politique étrangère. Ce fut le cas, en 2010, où François Fillon s’est appliqué à rappeler, pour rassurer Israël, l’attitude de fermeté conjointe vis-à-vis de l’Iran. Dans toute tentative de restitution de l’identité de la France, aujourd’hui, il ne faut pas omettre les conséquences produites par l’holocauste et la création de l’Etat d’Israël, lequel interfère, dans une reconnaissance indiscutée d’une double allégeance française et israélienne, au sein de la communauté juive. C’est le lieu de manifestation criante de la discrimination envers les français aux racines arabo-musulmanes. Les liens franco-israéliens, marqués par Vichy, renforcés pendant la guerre d’Algérie, témoignent historiquement d’une fraternité d’armes contre la Palestine et le monde arabe. La nature de telles relations s’explique par la rencontre d’une entreprise coloniale en déclin et d’une puissance coloniale en pleine vigueur expansionniste. La mission civilisatrice, confirmée dans sa gloire revivifiée, ne recule pas devant les tentations discriminatoires sur le sol français. La mobilisation de la police dans les périodes de tension internationale au Proche Orient reste fidèle au tracé discriminatoire ordinaire.

Assurément, le rapport à la nationalité se définit selon des variations historiquement enracinées dans la République coloniale. Il appréhende les individus dans un statut préalable selon la taxinomie du dix-neuvième siècle. D’où les appellations composées renvoyant à des mises à l’épreuve quotidiennes. Les nationaux d’ascendance immigrée, maghrébine, catégorisés dans une statistique sociale de la délinquance, deviennent l’objet d’exigences et de conditions indirectes que le Code de la nationalité ignore(34). La nationalité est rebâtie dans l’espace social et reconsidérée totalement par le recours au Code pénal. Les propositions avancées par le Président de la République sur la déchéance de nationalité pour des actes de délinquance visent une catégorie déterminée de la population liée par une histoire à la République coloniale. Le lien de nationalité fait l’objet d’évaluation et de test puisés dans les têtes de chapitre sur la criminalité, la délinquance et les statistiques ad hoc. Au criminel de type Nord-Africain, des années cinquante, poursuivi par la clameur publique, succède l’image du dealer Noir ou Arabe. De telles déclarations n’établissent rien d’autre que la survivance de statuts liés à la colonie, même si, de nos jours, le propos public pourrait être rangé parmi les incitations à la haine raciale.

Les troubles de La Villeneuve à Grenoble en juillet 2010, les moyens déployés mettant une population en état de choc, auxquels s’ajoutent les annonces présidentielles sur la déchéance de nationalité, ne sont que des survivances coloniales. Les démonstrations de force et les déclarations martiales de réappropriation sur la nationalité exhalent d’autant plus un parfum de colonies qu’elles sont répercutées dans des classifications clamées par les gardiens d’un ordre moral de la sociabilité. Auteur d’un Portrait du colonisé(35), Albert Memmi s’aligne sur l’idée d’une communauté de citoyens comme « appartenance ancestrale » dont il exclue « les nouveaux venus » qui peuplent son Portrait du décolonisé(36). Il y dépeint le fils d’immigré qui, Français selon la loi, est « bruyant, revendicatif, agressif, être hybride sans attaches profonde avec le sol sur lequel il est né …Le fils n’a pas peur de la police comme son père qui garde ses réflexes d’immigré. Il la provoquera, il osera lui lancer des pierres, sachant que, dans un pays démocratique, il ne risque pas grand-chose ; il sera plus souvent délinquant, petit fournisseur de drogues… »(37).

L’idée d’ « appartenance ancestrale », constamment présente, est opposée à certaines catégories de nationaux. Refoulée dans la définition d’une nation sans secousses dans laquelle tout le monde se reconnaît en chacun, elle cimente, en apparence, les valeurs républicaines dans un environnement judéo-chrétien. L’«appartenance ancestrale » réapparaît dès que ses éléments constitutifs sont confrontés à des renvois ethniques, exhumant des rapports historiques marqués de conflits dans lesquels les cultures en présence ont été des composantes déterminantes (statuts des catholiques, des protestants, des juifs, des laïcs).

Ce débat, toujours présent, sous-jacent à l’idée d’identité, resurgit avec la peur d’introduire dans la cité des entités qui ne s’enracinent pas dans la terre et le sang. En mars 2010, Louis Schweitzer termine son mandat à la Haute Autorité de Lutte contre la Discrimination et pour l’Egalité (HALDE). Se faisant une spécialité dans les nominations déstabilisantes, le Président de la République laisse entendre qu’il nommerait Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme en remplacement de Louis Schweitzer. Il s’agit par là de faire d’une pierre deux coups : nommer quelqu’un issu de la diversité, en même temps cadre politique au PS et fruit d’un milieu associatif orfèvre dans l’hybridation. Le ballon d’essai entraîne des réactions parmi lesquelles celle de Gérard Longuet, président du groupe UMP au Sénat, ne passe pas inaperçue : « Malek Boutih est un homme de grande qualité mais ce n’est pas le bon personnage…Il vaut mieux que ce soit un symbole du corps français traditionnel qui se sente responsable de l’accueil de tous nos compatriotes…Schweitzer, c’est parfait, un vieux protestant, parfait, la vieille bourgeoisie protestante, parfait… »(38). A quoi peut bien renvoyer le « symbole du corps français traditionnel », sinon à Maurice Barrès(39), mélange d’un nationalisme émotif et traditionaliste de « la terre des ancêtres, la province natale, la nation, ses traditions, ses légendes, ses coutumes, son histoire ». Ce mélange réfute l’idée que « la société puisse se fonder sur la logique » ; elle « repose en fait sur des nécessités antérieures et peut-être étrangères à la raison individuelle »(40). L’armée est érigée en modèle pour la nation qui, en se donnant un chef, lui obéit comme une armée. Xénophobe, antidreyfusard et antisémite, le nationalisme traditionaliste tient en respect un protestantisme que Gérard Longuet accepte, en laissant percer les réserves des maîtres à penser à son égard. Comme Barrès, il finit par intégrer le protestantisme dans Les diverses familles spirituelles de la France.

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L’identité de la France, construction historique au même titre que la nation, s’est enracinée d’abord dans la tradition monarchique et catholique pour intégrer ensuite la Révolution mâtinée de bonapartisme. Protestants d’abord, juifs ensuite, dans une longue confrontation dreyfusards/antidreyfusards, finiront par se fondre dans une identité française où nation et république – l’épisode de Vichy excepté – renvoient à une unique communauté de civilisation. Au nom de celle-ci, la république coloniale s’est investie de la mission civilisatrice et l’a transmise à des héritiers qui continuent de s’en prévaloir.

Le passage par des institutions dits de la diversité et de lutte contre la discrimination ne sont que les lieux de consécration, à partir de portraits vitrine, de la mission civilisatrice d’un universalisme ethnocentré. Population sous surveillance policière non exempte de violence raciste, les Français descendants des migrants/colonisés vivent toujours la discrimination dans/par la justice, les services publics (ou ce qu’il en reste) et l’emploi. Loin de s’enfermer, comme ils le furent par le passé, dans la logique victimaire, ils sont dans un processus de construction d’une France recomposée. Objets d’auscultation des instituts de sondage, l’islam et les musulmans ne cessent d’être classés en pratiquants, non pratiquants, irréligieux, intégrés, banlieusards, « beurgeois » : malgré le constat de ces différenciations internes, ils sont toujours et immanquablement regardés comme une population à part.

L’islam et les musulmans, prétendant à une part de l’universel, mettent à nu l’universalisme ethnocentré et son expression coloniale, la mission civilisatrice. Ce faisant, les Français de culture islamique décomposent l’identité de la France en étant autant de preuves vivantes, constituées, de la délégitimation de l’entreprise coloniale. Si les musulmans français ne sont pas pleinement absorbés au sein de cette unique communauté de civilisation, c’est parce qu’ils sont porteurs de sa reconsidération, de sa redéfinition. Ils sont le démenti historique aux prétendus bienfaits de la colonisation.

Dans sa version banlieusarde provocatrice, le chahut couvrant les accents cocardiers de La Marseillaise peut difficilement être réduit à sa dimension délinquante. Il ne signifie rien d’autre que la mise en cause des crimes de la colonisation perpétrés au nom de cette dernière et de la république coloniale. Réécrire La Marseillaise, c’est admettre que la violence qu’elle célèbre renvoie à une identité française fracturée. L’identité réelle, fixant les fractures, prolonge, contradictoirement, cette partie d’elle-même que « la France de toujours » s’obstine à renvoyer dans la périphérie. Dans la continuité de ses différentes familles spirituelles figées par le nationalisme barrèssien, la France se cabre et tente de se cloitrer derrière le refus obstiné de revoir les composantes de son identité.

En réalité, la France est face à un défi : rester figée dans une construction historiquement épuisée, en une unique communauté de civilisation, ou bien prolonger cette dernière vers une pluralité de civilisations, dans un creuset commun. Ce serait ni plus ni moins que la rencontre de vérités historiques éclatées.

Lyon, le 9 mars 2011.

L’IDENTITÉ DE LA FRANCE À L’OMBRE DE LA COLONIE, ©elhadi-chalabi.com

NOTES
1
En visite au Puy -En-Velay, le 3 mars 2011, le Président Sarkozy souligne, en exaltant « la terre chrétienne», que « l’identité n’est pas une pathologie ». Devant les réserves manifestées ici ou là, le débat sur l’Islam est reformulé en débat sur la laïcité.

2 Le rapport Etat/Droit/Culture est fort bien résumé par Dino Costantini : « En tant que pensée d’Etat, le discours colonial a longtemps représenté une partie importante de la « culture nationale légitime ». Comme tel, il a contribué à la « magie de la nomination officielle », c’est-à-dire au pouvoir étatique, quasi divin, de la création sociale. Transmis par le biais du système scolaire, et en particulier par l’enseignement de l’histoire, il a eu un rôle non négligeable dans la construction de l’image nationale de soi. Refuser la confrontation avec le discours colonial, s’empêcher de comprendre la façon dont il a pu se présenter comme légitime et faisant autorité, veut dire oublier une part importante de la construction de cette image et renoncer à évaluer le véritable poids de la pensée coloniale au sein de la culture, française mais aussi européenne ou occidentale. Faire cette impasse empêche de mesurer tout ce qui, dans ce domaine, a dépassé les frontières étroites du milieu colonial pour devenir un lieu commun de la pensée. Relayé par les institutions étatiques comme les écoles, les universités, les armées et les parlements, mais aussi par les journaux, les radios, les salons, la publicité, le cinéma jusqu’au-delà des frontières internes du monde qui se déclarait (et se déclare toujours) civilisé, c’est l’entière société européenne qui s’est reflétée (se reflète) dans la logique du discours colonial », in Mission civilisatrice. Le rôle de l’histoire coloniale dans la construction de l’identité politique française, Paris, La Découverte, 2008, collection Textes à l’appui/Etudes coloniales, p. 266.

3 Paris, Seuil, 1987.

3bis Paris, Albin Michel, 2006.

4 Paris, Editions Jacques Bertouin, 1991.

5 Voir l’interview de Nadjia Bouzeghrane El Watan du 10 janvier 2007.

6 Dans un tract anonyme, en 1996, elles justifient leur attitude au nom de la liberté des femmes et de la laïcité.

6bis Loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de la laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse » et circulaire d’application du 18 mai 2004. Loi sur la burka, 14 septembre 2010.

7 S’attachant à déconstruire l’expert et l’expertise en matière de sécurité-insécurité, Laurent Mucchielli en révèle à la fois la dimension occulte et la réception conviviale chez l’Harmattan et à l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI) : « Cette question de l’expertise est en effet devenue centrale dans la construction de la légitimité des discours. Les médias, en particulier, sont de très grands consommateurs de ces « spécialistes » convoqués pour commenter les événements. Mais qui peut prétendre être expert ? Lorsqu’il s’agit d’une épidémie comme celle de la « vache folle », la réponse ne fait de doute pour personne : on s’adresse aux scientifiques. On valorise en effet leur savoir-faire technique, en passant, hélas, souvent au second plan la question tout aussi centrale de leur indépendance…Or, en matière de délinquance, il existe un épais brouillard sur les critères de ce que peut être une expertise légitime. A côté des chercheurs et des universitaires, et rencontrant souvent un écho beaucoup plus large, est apparue une foule d’auteurs qui se donnent fréquemment des apparences scientifiques, alors qu’il s’agit en réalité de policiers, de marchands de sécurité, de journalistes politiquement engagés, bref, d’auteurs dont les intérêts ne sont pas neutres…la célèbre collection « Que sais-je ? » des Presses universitaires de France – qui fut la référence universitaire de base pour plusieurs générations d’étudiants- publiait …un ouvrage intitulé Violences et insécurités urbaines, écrit non pas par des universitaires mais par un auteur (Alain Bauer) travaillant à titre principal dans un cabinet privé de « conseil en sécurité urbaine », associé à un journaliste (Xavier Raufer). Ces indices témoignent d’une « expertise » policière ou parapolicière qui tente de se donner une allure scientifique et une légitimité universitaire, contribuant ainsi sinon à une confusion des genres, du moins à un brouillage des identités. Ces « experts » en mal de légitimité se réclament aussi de la formation qu’ils ont reçue, voire des enseignements qu’ils ont professés à l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI), cette structure de formation et de recherche créée par le ministère de l’Intérieur fin 1989. Ils profitent aussi du montage un peu rapide d’opérations de partenariat comme la création en 1997 d’un diplôme universitaire (DU) « Sécurité urbaine » et même d’une filière universitaire de troisième cycle (DESS « Ingénierie de la sécurité ») associant l’IHESI et le département de sociologie de l’université Paris V. Se retrouvent en effet côte à côte, enseignant aux mêmes étudiants, des policiers, des « experts » au statut un peu flou, des universitaires plus ou moins spécialisés sur ces questions et des chercheurs du CNRS. On peut y voir une richesse du fait de la diversité des profils, mais en prenant un peu de recul on peut aussi considérer que l’existence de ce genre d’associations contribue à brouiller les frontières et les identités en mettant tout le monde sur le même plan, en conférant la même légitimité, la même apparence d’autorité à des discours qui relèvent de logiques et de motivations pourtant fort différentes, ces dernières restant tues… », in Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français, Paris, La Découverte, 2002, p. 27-28.

8 Voir C.A. Julien Histoire de l’Algérie contemporaine, l’armée d’Afrique, notamment p.274 et suiv. et 322, Paris, PUF, 2ème éd. 1979.

9 C’est le cas pour les promotions ordonnées par le ministre résident en Algérie, Robert Lacoste, en 1956.

10 Abdelkader Bouziane sera expulsé vers l’Algérie le 21 avril 2004 après que D. de Villepin ait déclaré que « la France ne saurait accepter sur son territoire des déclarations attentatoires à la dignité humaine ». Le tribunal administratif rejettera la décision d’expulsion et l’imam regagnera Lyon le 6 octobre 2004.

11 J. Massu, Peureuse incertitude, Le Monde, 2 novembre 1994.

12 édition du 29 janvier 2004.

13 Ce Conseil était chargé d’ « assurer une représentation objective et équilibrée des forces sociales dans leur diversité et sensibilité » décret du 4 février 1992, J.O. n° 10, 9 février 1992, p.220 et n° 31, 26 avril 1992, p. 716. En fait, le CCN est conçu pour prétendre suppléer à la représentation nationale suite au coup d’Etat des responsables de l’armée qui ont refusé les résultats du premier tour des élections législatives. Dans ce climat, Mohamed Boudiaf, accordant une interview à J. M. Cavada, fait un bilan étonnant des bienfaits de la colonisation, énumérant, sans nuances ses « réalisations » (sic).

14 Aux origines de la guerre d’Algérie 1940-1945, Paris, La Découverte, 2002.

15 Avec L’Algérie, n° de janvier 1995, p. 149.

16 Des réseaux de soutien aux militants du FLN organisés par F. Jeanson et Henri Curiel. C.f. Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les porteurs de valises. La résistance française à la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1979. Egalement, Ali Haroun, La septième wilaya, Paris, Seuil, 1986.

17 Paris, Editions de Minuit, 1961.

18 Algérie, France : Une ou deux nations, Colloque « Algérie-France : regards croisés », Collège International de philosophie, en collaboration avec l’Université d’Oran et la Maison des Ecrivains, Paris, 18-20 mai 1995. Paru dans Lignes, n°30, Février 1997.

19 De Assia Djebbar à Yasmina Khadra, de Djilali Mehri à Ali Dilem, la chevalerie de la légion d’honneur, des arts et des lettres de France, recrute en son sein les témoins du rayonnement de la République. La diversification étant une vertu de la civilisation, les distinctions de provenance monarchique ne sont pas à dédaigner non plus. Selma Hellal et Sofiane Djilali des éditions Barzakh reçoivent leur dû des mains de la reine de Hollande. Décoré le 19 janvier 2011 par le général Jean-Louis Georgelin, Djilali Mehri est gratifié en tant que « mécène et homme de paix » par Jean-Marie Bocquel. Il est connu aussi par ses interventions de consultant dans la passation de marchés à scandale. C’est le cas du contrat Ericsson/GSM Algérie Télécom. Mais les sources et procédés d’enrichissement de Djilali Mehri remontent loin et relèvent de toute une culture de l’entreprise dans l’Algérie indépendante. On en trouvera le détail chez Mohammed Benyahia, « La conjuration au pouvoir. Récit d’un maquisard de l’ALN », Paris, Arcantère, 1988. L’auteur montre, p. 146 à 149, comment, dans une association entre D. Mehri, A. Draïa, directeur de la Sûreté nationale et Allali Kouider PDG du Crédit populaire, étaient montées des escroqueries visant l’installation d’anciens maquisards que Boumediene dirigeait, moyennant des prêts-cadeaux, vers les affaires. La cérémonie consacrant Ali Dilem mérite le détour par les salons de l’ambassade de France à Alger, surtout pour avoir un aperçu des habitués des lieux : Omar Belhouchet,(directeur d’El Watan), Abrous Outoudert (directeur de Liberté) Hadda Hezzam (directrice d’El Fadjr), Hmida Layachi (Algérie News), Réda Belhadjoudja alias Hakim Laalam (Le Soir d’Algérie), Ali Djerri (directeur d’El khabar), Arezki Aït-Larbi (Le Figaro), les avocats Miloud Brahimi et Khaled Bourayou, Tarik Mira (député RCD), Issaad Rebrab figure de proue de l’entreprise privée au succès patronal parallèle aux années 1989-2000, propriétaire du quotidien Liberté.

19bis Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992.

20 L’Etat français et le pluralisme, Paris, éditions Odile Jacob, 1995, particulièrement p.332 et suiv.sur L’uniformisation juridique et le Code civil.

21 Des vies et des familles. Les immigrés, la loi et la coutume, Paris, éditions Odile Jacob, 1997, qui relève « la prolifération réglementaire et législative s’appuyant sur les définitions d’inclusion/exclusion ».

22 Jean Carbonnier, Ecrits, Paris, PUF, 2008.Titre second, Normes et sanctions, présenté par Jacques Commaille, p. 602-603.

23 Flexible droit, Paris, LGDJ, 1979, p. 18-19.

24 Droit et passion du droit sous la Ve République, Paris Flammarion, 1996, p. 46-47

25 Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. L’an V de la révolution algérienne , repris dans Philippe Lucas et Jean-Claude Vatin, L’Algérie des anthropologues, Paris, Maspero, 1966, p.23-24.

26 Isabelle Levy Menaces religieuses sur l’hôpital, Paris, Presses de la renaissance, 2010, qui ne traite que des effets amplifiés d’une situation qui, en réalité, devrait être prise en amont.

27 « Le groupe attardé vit communément par la tradition : coutumes établies, conceptions ancestrales, et vit dans le passé. Il s’adresse à ses morts pour découvrir ce qu’il faut faire en cas de doute ou de danger. Hommes du passé et non du futur, ainsi que le sont tous ces conquérants, tous ces dominants, les Occidentaux, qui sont allés dans les pays de l’outre-mer pour les gouverner et les exploiter. Ceux-ci, ce sont les gens de l’invention ; hommes du futur et non du passé, cherchant du nouveau,, voulant le progrès, et le poursuivant opiniâtrement ; en quête toujours de révolution et d’évolution », René Maunier Introduction générale à A. Girault, Principes de colonisation et de législation coloniale, dernière édition, 1943, cité par Dino Costantini, op. cité, p. 109 et 1ère édition Paris, Larose, 1894.

28 Voir, sur cette question, El-Hadi Chalabi, Nationalité, citoyenneté : entre l’Etat, l’individu et le citoyen, le droit en question, in Les Accords d’Évian en conjoncture et en longue durée, sous la direction de René Gallissot, Paris, Karthala/Institut Maghreb-Europe, 1997, p. 201-211.

29 En citant Norbert Elias, A. Finkelkraut s’identifie bien à un processus de civilisation qui renvoie celle-ci exclusivement à l’Occident. Pour une autre perception, Jack Goody, Le vol de l’histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris, Gallimard, 2010.

30 Soheib Bencheikh, Marianne et le prophète. L’Islam dans la France laïque, Paris, Grasset, 1998.

30bis Raoul Girardet, Revue française de science politique, 1959, n°2, p.505-506.

31 Quand les banlieues brûlent…Retour sur les émeutes de novembre 2005, sous la direction de Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli, Paris, La Découverte, 2006, p. 24 et suivantes.

31bis La Ligue des droits de l’homme dénonce « une procédure qui ne s’embarrasse pas du respect des libertés individuelles et se déroule sous l’œil de médias alimentés d’informations uniquement à la charge des personnes mises en cause ». Dans une Tribune signée Alain Badiou, Luc Boltanski, Eric Hazan, Jacques Rancière…on retrouve le même souci : « Il n’existe aucune preuve matérielle ni même rien de précis qui puissent leur être reproché ». Il ya « extension de l’accusation de terrorisme à toute forme de contestation sociale et politique ». Le Monde du 20 avril 2009 publie un appel de F. Gèze, De l’affaire Coupat à l’affaire Hazan, cosigné par plusieurs dizaines d’éditeurs et salariés de l’édition.

32 qui remonte à 2004, dans « RUE 89 », du 2 Avril 2009.

33 Le Canard Enchainé, 3 Février 2011, L’Humanité, Le Midi Libre, même date.

33bis Conseil représentatif des institutions juives de France.

34 Le Code de la nationalité, « De la nationalité française », fait partie du Code civil, au Titre Premier Bis du Livre Premier intitulé « Des personnes ».

35 folio actuel, Paris, Gallimard, 1985. 1ère édition, Corréa, 1957.

36 Paris, Gallimard, 2005.

37 Repris dans Dino Costantini, Mission civilisatrice. Le rôle de l’histoire coloniale dans la construction de l’identité politique française, op. cité, p. 222-223 Cela explique pourquoi la déclaration d’E. Zemmour et les propos de tous ceux qui l‘ont défendu, au nom de la liberté d’expression, dont J.P. Chevènement, relèvent de la banalité.

38 Déclaration du 9 mars 2010.

39 Né en 1862, mort en 1923, Barrès se définit, en écrivain prolixe, homme politique et idéologue, d’abord par son égotisme (Sous l’œil des Barbares, 1888). Passé par le boulangisme (fut député boulangiste de 1889 à 1894), il corrige son égotisme en plongeant dans le nationalisme du Roman national (Les Déracinés, 1897,l’Appel au soldat 1900, Leurs Figures 1902). D’un nationalisme émotif, il fonde un journal, La Cocarde (1894) et participe, en antidreyfusard, à la fondation de la Ligue de la Patrie française. Il en sortira les Scènes et doctrines du nationalisme, 1911). Son antiparlementarisme évoluera vers un nationalisme républicain puis vers l’unique communauté de civilisation, intégrant la Révolution et dépassant l’antisémitisme de l’affaire Dreyfus, comme les querelles avec les protestants. C’est-ce qu’il consigne dans Les diverses familles spirituelles de la France (1917). La France est décrite comme « champion du bien sur la terre ». Député de Paris en 1906, Barrès le reste jusqu’à sa mort (Note d’après les deux ouvrages suivants : Marcel Prelot, Histoire des Idées politiques, Paris, PUF, 1966, p. 530-533 et René Rémond, La droite en France, Paris, Aubier Montaigne, Tome II).

40 Scènes et doctrines du nationalisme, Paris 1911.