LES DIMENSIONS D’UN COMPLOT

La sentence prononcée contre Mohamed Baba-Nadjar le 27 mai à Médéa, suivie de l’arrestation puis de la mise sous contrôle judiciaire de Kamal Eddine Fekhar à Ghardaïa, le 16 juin 2009, montrent les liens entre les deux affaires judiciaires et le rôle joué par les services de police. Mohamed Baba-Nadjar endure sa quatrième année de prison suite à une condamnation à mort en 2005 par le tribunal criminel de Ghardaïa transformée en détention perpétuelle le 27 mai dernier, alors que police et justice sont à l’œuvre dans une entreprise de démantèlement de la fédération du FFS.

I. DE MOHAMED BABA-NADJAR
A KAMEL EDDINE FEKHAR

– UNE MÊME AFFAIRE AUX EFFETS DÉCUPLÉS –

Le premier, sympathisant du FFS, est ciblé en tant que tel dans un rapport de police et accusé d’assassinat d’un ex-responsable du FFS local, transfuge aux mœurs douteuses. La police offre d’elle-même la confirmation du complot tramé contre les cadres de la fédération de Ghardaïa. Dès 2005, elle entendait impliquer le FFS dans une dimension criminelle en retenant comme pièces à conviction contre Baba-Nadjar des éléments d’appartenance et de sympathie militantes.
Le second, secrétaire fédéral du FFS à Ghardaïa, membre du secrétariat national depuis 2008, leader au charisme de plus en plus marqué et figure de proue d’une génération révélant le M’Zab sous un jour en étroite relation avec les mutations politiques et sociales, devient, au cœur d’une fédération en plein essor, l’incarnation du refus des compromissions et des complaisances de beaucoup de ses aînés vis-à-vis du pouvoir central et de ses représentants locaux.
La répression policière et sa traduction judiciaire qui frappent aujourd’hui la fédération du FFS du M’Zab permettent de prendre la mesure exacte d’une dictature qui réussit à s’habiller de multipartisme devant des complaisances et des complicités qui croient se dédouaner par le jeu de déclarations sans lendemain.
Tout le dossier de culpabilité de Baba-Nadjar est en réalité construit sur l’idée de représailles d’une police toute puissante dont le souci constant sera d’amener le jeune Mozabite à dénoncer le secrétaire fédéral du FFS comme auteur ou instigateur de l’assassinat de Brahim Bazine. Les pressions dans les locaux de la police, les tortures en prison, n’ont pas eu raison de la volonté, de l’honnêteté et de la loyauté de Baba-Nadjar. Sa première puis sa seconde condamnation ne peuvent être retenues que comme représailles contre une volonté qui refuse de se plier à la construction du complot pour abattre Kamal Eddine Fekhar.
Baba-Nadjar condamné, la soif de justice demeure intacte. Elle se présente sous la forme d’une contestation organisée, pacifique, résolue à faire la lumière sur toute l’affaire, demander justice, et, par conséquent, mettre Ghardaïa et les cités mozabites en état permanent de mobilisation et de soutien pour une cause juste en dénonçant une condamnation et une détention purement arbitraires. Derrière le slogan « Votre solidarité avec les causes justes est la meilleure garantie pour faire face aux injustices », un appel à la grève est observé le 1er juin 2009, quelques jours après le procès de Médéa (voir le compte-rendu de celui-ci sur ce site).
De la sorte, si la justice policière fait payer à Baba-Nadjar son refus de collaboration avec la police, le problème Fekhar demeure et, avec lui, l’organisation politique locale.
D’où la machination, ourdie depuis 2005, réapparaît, non pas sous la forme d’accusation pour assassinat mais pour destruction de biens publics appartenant aux services de police : l’incendie volontaire d’un fourgon de police. Portée par un habitué des séjours psychiatriques, Omar Lemdahkel, l’accusation tombe lors de la confrontation entre l’accusé et son accusateur. Qu’à cela ne tienne, Kamal Eddine Fekhar est tout de même mis sous contrôle judiciaire. Dessaisi de son passeport, il doit, en outre, se présenter tous les mercredi devant les autorités chargées de contrôler ses activités quotidiennes, soumettre ses responsabilités politiques à une quasi retraite et subir une assignation à résidence rampante.
Cette violence policière, confortée par des décisions judiciaires du parquet, de juges d’instruction ou de magistrats du siège des tribunaux, est pendante sur les têtes de tous les cadres et élus de la fédération FFS de Ghardaïa. Son but est de décapiter cette dernière et de mettre fin à un tournant politique qui prend racine au cours de l’année 2004 avec la grève et la marche des commerçants de Ghardaïa qui se soldera par des poursuites, des mois d’emprisonnement et des interdits professionnels, comme celui qui frappe le docteur Fekhar, médecin du secteur hospitalier déchu de ses qualités professionnelles par une décision toujours frappée d’un pourvoi, sans issue jusque là, auprès de la Cour suprême.

II. LES PROLONGEMENTS

Depuis l’année 2004, on ne compte pas moins d’une demi douzaine de procès, bâtis sur des matériaux de bric et de broc, obéissant à des poursuites sur ordre des services de police, passant par le pouvoir du premier responsable de la wilaya ou des mandats d’arrêt sans procédure préalable. Cette mobilisation de l’appareil judiciaire au profit de menées policières ne saurait se comprendre sans relation directe avec les transformations visibles de l’expression politique quotidienne. Les initiatives politiques et leur traduction sur le plan électoral par des exigences de gestion locale et régionale, des formes d’expression démocratiques liant les élus à leurs électeurs et annonçant l’émergence de la responsabilité politique, tout cela laisse entrevoir un avenir lourd de menaces pour les procédés d’un autre âge qui, jusque là ont mis la région en coupe réglée. Plus encore, cette dynamique peut être porteuse d’une autre conception du parti politique, susceptible d’enterrer pour de bon le rapport personnel et clientéliste.
Il ne fait plus aucun doute que la violence policière et judiciaire avait pour objectif de casser définitivement le processus de résistance enclenché depuis 2004. Ce dernier s’avérait efficace à la fois par son organisation et par son ancrage au sein d’une population qui manifestait son adhésion à une résistance à l’oppression sans se départir de moyens pacifiques.
Il est indiscutable, par ailleurs, que les évènements de Berriane sont liés à la nouvelle donne politique dans la région. Procédant tantôt par action, tantôt par abstention, les services de sécurité suscitent des flambées de violence civile qu’elles maintiennent à l’état endémique tout en poussant à l’ethnicisation. Ces procédés de laboratoire sont couronnés par la « charte de Berriane» sous la férule du ministre délégué chargé des Collectivités locales. Ladite charte consacre un communautarisme ritualisé sous la forme malékite/ibadhite en affublant une simple courroie de transmission policière du titre d’assemblée de notables garants de la paix sociale.
On voit se profiler la dimension répressive à coups d’arrestations et de sentences calculées qui ont d’ailleurs déjà frappé un certain nombre de militants du FFS et de la ligue de défense des droits de l’homme de Berriane. En mettant en place un foyer de violence civile attisée par des haines ethniques, les services de sécurité se donnent les moyens d’intervention élargie qui ne répondent à d’autre obligation légale que celle de la répression dans l’urgence, planifiée selon des objectifs précis. La loi et la justice se font et se rendent sur simple décision policière ordonnée sur le terrain. On se trouve devant la situation suivante : la criminalisation des activités d’un parti réputé légal et sa mise hors la loi policière, autrement dit son interdiction. Poursuites, arrestations, condamnations, incarcérations, contrôle judiciaire, toute la procédure pénale, réduite à un simple jargon, fournit le revêtement à une seule décision au résultat de plus en plus évident : l’interdiction déguisée du parti politique.
En effet, le parti politique n’est pas interdit en tant que tel, au sens strict, suite à une décision de justice le visant en « bonne et due forme », mais il est vidé de sa substance militante la plus porteuse. Sa dimension régionale, loin du centre, semble extérioriser la fédération de Ghardaïa en la rendant vulnérable et les coups qui lui sont portés ne sont pas saisis dans leur signification fondamentale de destruction planifiée de toute activité politique quand elle n’obéit plus à des critères policiers. C’est le constat que l’on peut faire devant l’indifférence ou l’absence de réaction correspondante sur le plan politique national. En même temps qu’elle donnait du FFS local une autre ampleur militante, la nouvelle génération permettait de mettre le doigt sur les limites d’un parti qui, au plan national, est le théâtre d’affrontements d’appareils et de procès staliniens, lui ôtant l’efficacité à laquelle il prétendait.
De ce fait, on peut sans risque affirmer que le FFS, sur le plan national, mises à part le ton véhément imprimé aux déclarations répétées de son premier secrétaire, sans doute pour masquer l’indifférence affichée de son président sur des questions vitales, s’est progressivement défait de ses capacités de défense mobilisatrice. Au risque d’écorcher des sensibilités couvertes encore de naïveté politique plus ou moins calculée, on observera qu’il aura fallu attendre la « montée » au secrétariat national de Kamel Eddine Fekhar pour que la solidarité avec Mohamed Baba-Nadjar se soit manifestée sur le terrain et encore, de façon parcellaire, ne couvrant pas encore l’espace qu’elle devrait avoir.
Ajoutons que l’affaire Baba-Nadjar et les menées répressives sur le M’Zab n’ont pas non plus suscité de réaction solidaire de la part des contestataires du FFS.
Au-delà du FFS, les forces politiques de nature à répondre à l’ampleur de la criminalisation qui frappe les militants du M’Zab sont inexistantes parce que ramenées à l’état de soutien du régime ou de faire-valoir, à l’image du PT et de Louisa Hanoune. La répression déployée à grande échelle sur le M’Zab en direction de militants à l’ancrage local puissant confirme, s’il en était encore besoin, que la législation sur les partis politiques emporte la reconnaissance d’organisations soumises à un centre unique, celui du pouvoir et de sa police, en s’inscrivant docilement dans des objectifs à ne pas transgresser. C’est là, résumée, toute l’histoire du fameux « passage à l’ère démocratique » que beaucoup ont cru arrivé en 1989.
Dès lors, la résistance aux méthodes policières et aux incriminations et condamnations dont sont frappés les militants de Ghardaïa, de Berriane et d’ailleurs, a besoin d’un mouvement très large, débordant les partis politiques ou organisations de toute nature, pour insuffler une autre idée et une autre conception de l’engagement politique.

Le 4 juillet 2009

Les Dimensions d’un complot, ©elhadi-chalabi.com