LA CAUTION ETHNIQUE À L’ARABOPHOBIE/ISLAMOPHOBIE – HUMANISME MERCANTILE ET ASPIRATION AU GENOCIDE CHEZ BOUALEM SANSAL

Le hasard a voulu que l’opération d’extermination et de destruction menée sur Ghaza accompagne ma lecture du Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller. Lors de sa parution, l’ouvrage a bénéficié d’une couverture médiatique élogieuse, tenant beaucoup plus aux assauts idéologiques de l’auteur qu’à un quelconque talent littéraire.
Le roman est construit sur une double narration, en alternance, de deux frères, Rachel et Malrich, contraction respective de Rachid-Helmut et Malek-Ulrich. Deux frères transposés sur deux mondes que le roman unifie et élargit à l’humanité, avec la certitude d’enseigner la découverte du « Mal » (pages 95, 98, 109, 131,156, 212) aux Arabo-musulmans gangrenés par l’islamisme…
 
 

« Pour m’assurer que l’espèce humaine me perpétuerait on convint dans ma tête qu’elle ne finirait pas. M’éteindre en elle, c’était naître et devenir infini mais si l’on émettait devant moi l’hypothèse qu’un cataclysme pût un jour détruire la planète, fût-ce dans cinquante mille ans, je m’épouvantais ; aujourd’hui encore, désenchanté, je ne peux penser sans crainte au refroidissement du soleil : que mes congénères m’oublient au lendemain de mon enterrement, peu m’importe ; tant qu’ils vivront je les hanterai, insaisissable, innommé, présent en chacun comme sont en moi les milliards de trépassés que j’ignore et que je préserve de l’anéantissement ; mais que l’humanité vienne à disparaître, elle tuera ses morts pour de bon » ( Jean-Paul Sartre, Les mots ).

Le hasard a voulu que l’opération d’extermination et de destruction menée sur Ghaza accompagne ma lecture du Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller(1). Lors de sa parution, l’ouvrage a bénéficié d’une couverture médiatique élogieuse, tenant beaucoup plus aux assauts idéologiques de l’auteur qu’à un quelconque talent littéraire.
Le roman est construit sur une double narration, en alternance, de deux frères, Rachel et Malrich, contraction respective de Rachid-Helmut et Malek-Ulrich. Deux frères transposés sur deux mondes que le roman unifie et élargit à l’humanité, avec la certitude d’enseigner la découverte du « Mal » (pages 95, 98, 109, 131,156, 212) aux Arabo-musulmans gangrenés par l’islamisme.
Nés en Algérie, de père allemand algérianisé/islamisé et de mère algérienne, kabyle, les deux garçons sont installés en France, dans une famille d’émigrés, selon les vœux et projet du père, afin qu’ils acquièrent de solides références. Les deux garçons grandissent dans une banlieue parisienne mais n’ont pas la même réussite. Attiré par la carrière d’ingénieur commercial, Rachel révèle des capacités en rapport avec ses ambitions et grimpe les échelons avec aisance, tandis que Malrich campe le banlieusard-type, révolté dans sa marge au milieu de nombre de jeunes dont il partage le quotidien sans issue. Ils découvrent l’un après l’autre qu’ils sont les descendants d’un criminel de guerre nazi : l’aîné d’abord, qui se suicide dans une ultime entreprise de rachat des crimes du père ; le cadet, ensuite, qui se donne pour mission le rachat des crimes du père par la vengeance destructrice symbolique ou réelle de l’islamisme et des islamistes, réincarnation et prolongement du nazisme et des nazis.
On est sur deux scènes :
*une scène algérienne avec la guerre, une guerre sans visage, expression si familière pendant des années, depuis janvier 1992, et qui nous est restituée par Malrich à travers le journal de Rachel au lendemain du suicide de ce dernier : « Tout a commencé le lundi 25 avril 1994, à 20 heures. Un drame qui en entraîne un autre, qui en révèle un troisième, le plus grand de tous les temps ». Comprendre ici un massacre perpétré par le GIA dans lequel périssent les parents des narrateurs.
*une scène française, campée dans la banlieue, ses couleurs locales, son langage, son caractère zonal frappé de mal vie transversale dans un télescopage jeunes, vieux, français, étrangers, les indéfinis et les entre-deux.
Mais cette double scène n’en fait en réalité qu’une seule : la scène algérienne continuée dans l’émigration et un verdict tiré d’un processus historique construit par l’auteur dans une série de négations fournies par les années quatre-vingt-dix et le terrorisme confirmé par delà le 11 septembre 2001. L’islamisme fournit le champ fertile à la «logorrhée» répandue en amont sur le fait national, l’Etat algérien, les années tiers monde, celles des indépendances dans le monde arabe, en Afrique, en Asie.
Selon les directives d’un manichéisme légitimé, quand il est mis en œuvre contre les plus faibles, se tissent, en opposition frontale, tous les contraires ordonnant les bienfaits à partir desquels s’érige un Occident réparateur, modernisateur, à la stature morale capable de se hisser à la hauteur des exigences de vérité et de justice, dans la célébration de la Shoah. L’antisémitisme, invention européenne, est attribuée à l’Orient, terre de toutes les cohabitations ethnico-religieuses.
Derrière un islamisme dont l’auteur se donne pour mission de sonder les ramifications, s’instruit la nazification de l’Algérie et du monde arabe. Les deux sont saisis dans un anachronisme voire un non sens historique puisqu’ils sont à la fois repoussés dans l’ère d’attardés et inscrits dans le processus nazi (produit de l’une des plus grandes puissances du monde et des luttes hégémoniques intereuropéennes) avec l’extermination programmée des Juifs.
L’Algérie aux couleurs du nazisme n’est pas celle de Vichy, ni celle de l’extrême droite ou des bienfaiteurs en casque colonial, mais l’Algérie de la guerre de libération nationale qui, pour l’écrivain serait plutôt « la guerre d’Algérie », celle de l’indépendance et de l’Etat construit depuis. Avant de se cristalliser sur l’islamisme, le nazisme imprègne le support originel, c’est-à-dire l’organisation FLN-ALN (Front de libération nationale et armée de libération nationale) personnifiée en Hassan Hans dit Si Mourad masquant le nazi Schiller qui, s’étant refait une identité et une honorabilité en ancien moudjahid, ex-instructeur des djounouds, marié à (ou s’est marié avec) Aïcha Madjali fille de notable de Aïn Deb. C’est leur massacre par le GIA qui sert à dérouler le fil du nazisme algérien dans une quête alternée d’un fils à l’autre. Il s’agit d’un nazisme à figures superposées : « Je ne me sentais pas de vraies attaches avec l’Algérie mais tous les soirs, à 20 heures tapantes, j’étais devant le poste de télé à attendre les nouvelles du pays. Il y a la guerre là-bas. Une guerre sans visage, sans pitié, sans fin. On a dit tant de choses, les unes plus terribles que les autres, que j’ai fini par me persuader qu’un jour ou l’autre, où que nous nous trouvions, quoique nous fassions, d’une manière ou d’une autre, cette monstruosité nous atteindrait. J’avais autant peur pour ce pays lointain, pour mes parents qui s’y trouvaient, que pour nous qui étions là, à l’abri de tout…C’est tombé à l’heure du JT le 25 avril 1994, à 20 heures : « Une nouvelle tuerie en Algérie ! Hier soir, un groupe armé a investi un village ayant pour nom Aïn Deb et passé tous ses habitants au fil du couteau. Selon la télévision algérienne, cet énième massacre est encore l’œuvre des islamistes du GIA… » (pages 19, 21, 22). Ou encore, reproduisant les nombreuses performances de la presse algérienne des années de massacre : « Un vieux village du bout du monde endormi dans sa couette, un ciel sans lune, des chiens qui se mettent à aboyer, des yeux fous qui transpercent l’obscurité, des ombres qui se faufilent par ci, par là, viennent écouter aux portes, les fracassent d’un coup de pied, des cris inhumains, des ordres lancés par-dessus les ténèbres, des gens affolés que l’on traîne au milieu de la place, des enfants qui pleurent, des femmes qui hurlent, des filles défigurées par la peur qui s’accrochent à leurs mères en se cachant les seins, des vieillards hébétés qui implorent Allah, supplient les tueurs. Je vois un immense barbu bardé de cartouchières qui harangue la foule au nom d’Allah et d’un coup de sabre décapite un homme. Puis c’est la mêlée, la boucherie, des pleurs, des hurlements… » (p. 25).

Quarante sept ans après l’indépendance, l’ex-puissance coloniale, qui revendique toujours les bienfaits de la colonisation, en hard ou en soft, est à la fois le recours, puissance éclairée, ne pouvant que guider vers l’anéantissement du nazisme newlook même s’il est enguenillé, et un modèle de vigilance bloquant toute tentative d’envahissement de son territoire par le processus de nazification islamiste. On comprend pourquoi, dès lors, tout est permis dans cette république laïque où il devient salutaire, pour elle, de confondre laïcité et racisme, vie privée et surveillance policière en légiférant, toutes tendances confondues, pour se sauver de l’envahissement de barbes repoussantes, foulards provocants, habits polluants, croyant réparer l’outrage à la norme en place. Au ghetto ! Ou à la niche! Toutes ces femmes et ces hommes qui osent se distinguer, dans l’affirmation de soi, choisir des formes d’expression, de solidarité, de construction d’un monde refusé aux pères à qui on avait coutume de faire raser les murs.
La couverture littéraire qui anime le Village de l’Allemand est en réalité depuis une quinzaine d’années un vécu, comme arsenal de mesures discriminatoires et vexatoires au quotidien, pour une population réputée continuer, sur le sol français, (cela pourrait être aussi espagnol, italien, anglais, américain), la barbarie dont elle est chargée en Algérie. Comme elle en est chargée à Ghaza, en Cisjordanie, Jérusalem, Le Caire, Baghdad, Homs, Istanbul ou le Liban de la résistance, derrière le Hezbollah. Cette barbarie imprègne la cité d’une banlieue parisienne telle qu’elle est rendue dans son expression quotidienne et où la misère en elle-même constitue une menace, derrière l’emprunt d’un style banlieusard au racisme bon enfant (p.131, le sobriquet Togo-au-lait à l’arrière- grand-père cannibale) transposé en œuvre littéraire pour la Bonne Cause.

I – MORCEAUX CHOISIS –

Nous retiendrons les passages marquants du livre, émaillés de paternalisme et de racisme ambiants (la banlieue, la cité, les immigrés) pour retomber sur l’enveloppe nazie recouvrant l’Algérie et le monde arabe appréhendé sous la dénomination « Orient ».

La banlieue, la cité, les immigrés

« Notre vie à nous, c’est la cité, l’ennui, la chape de plomb, les crises entre voisins, la guerre des clans, les opérations commandos des islamistes, les descentes de police… » (p. 23). Une vue sur les émigrés : « Ceux-là aussi se ressemblent tous, Moussa, Abdallah, Arezki, Ben Machin, et d’ailleurs, on ne les voit jamais, on ne les entend pas » (p. 71) ou encore : « Tonton Ali et Tata Sakina sont comme on peut les imaginer : des émigrés qui sont restés des émigrés. Rien de changé, ils vivent en France comme ils avaient vécu en Algérie et comme ils vivraient sur une autre planète. Ils disent que c’est Allah qui décide et cela suffit. Ce sont de braves gens, ils ne demandent rien à la vie, du pain, un coin pour dormir, de la tranquillité, et de temps en temps des nouvelles du bled. Ils adorent les lettres. C’est moi qui lisais leur courrier et qui écrivais le leur. Une corvée à laquelle je pense aujourd’hui avec tendresse. Papa leur envoyait des lettres pour émigrés… » (p. 85). « Il me faudrait peut-être aller vivre ailleurs comme un vrai émigré sans passé ni avenir…Tonton Ali était sur sa chaise, face à la fenêtre, il regardait devant lui, quelque part à l‘intérieur de sa tête » (p. 135).
« Rien de changé depuis dix ans sinon l’arrivée des islamistes. Il paraît que c’est à cause de la guerre en Algérie, à Kaboul, là-bas au Moyen-Orient, et je ne sais où. Ils auraient fait de la France une base de repli, une plaque tournante. En tout cas, ils nous ont niqué la vie, c’est à cause d’eux qu’on traîne jusqu’à plus soif… » (p. 81).
Au fil des pages, on relève comment le langage pied-noir se coule dans l’aisance naturelle avec le « Putain de leurs morts » (p. 81) par opposition à un langage étranger pour ne pas dire étrange, tiré de l’Islam tel que « djina » (ibid.) ou « la fidjr » (p. 40, 77). Au lieu de « djenna » (paradis) et « fadjr » (prière de l’aube).
Le livre est traversé de références symboliques qui renvoient sans conteste, sans que ce ne soit masqué par la fiction, à la quinzaine d’années écoulées : torture et assassinat d’une jeune fille (Nadia p. 71-73) ; flicha (p. 222-224) (2); la peur doit changer de camp(3); l’éradicateur et l’émir. Sur l’armature prend corps le déferlement de la terminologie nazie : « On aurait dit des déportés qui attendent que le temps passe, que quelque chose surgisse à l’horizon…Les barbus étaient dans leur mosquée à tirer des plans et leurs kapos arpentaient le camp d’est en ouest, observant les gens comme on observe des prisonniers inutiles…Putain de putain, la France qui négocie avec les SS ! Et dans leur bunker ! Putain de nous autres, nous sommes morts, la république marche à reculons , le bâton dans le cul » (p. 76-77). « Quand les barbus organisent une manif, ils le font en pro, ils commencent aux aurores…puis ils courent aussi vite que des adjudants, passant d’une boutique à l’autre, d’une tour à l’autre pour arracher les gens à leurs occupations et les entraîner dans leur sillage. Une heure après, le compte est bon. Ils les rassemblent sur l’esplanade, les encerclent, les tassent comme du petit bois, et à coups de Allah Akbar et de mégaphone les mettent en feu… » (p. 77-78) .
« Marre d’attendre. Nous avons piqué sur la mosquée. Fermée. Nous étions déçus de voir que les barbus s’étaient déculottés. La peur aurait-elle changé de camp ?… Salauds, va, ils nous frustraient de notre vengeance, c’était les barbus ou nous, ça devait se passer comme ça !… Le silence de la cité disait bien que la partie était pour nous…Je m’apprêtais à me lancer à la poursuite de l’imam pour lui tailler une croix gammée sur le front… » (p. 78). « …quand je vois ce que les islamistes font chez nous et ailleurs, je me dis qu’ils dépasseront les nazis si un jour ils ont le pouvoir. Ils sont trop plein de haine et de prétention pour se contenter de nous gazer… » (p. 222). « …la cité sera bientôt une république islamique… » (p. 231). « Dans la cité, il n’est personne qui ne le sache, il est trop tard, les islamistes sont là, bel et bien incrustés, et nous, nous sommes là, bel et bien dans le piège, pieds et poings liés. S’ils ne nous exterminent pas, ils nous empêcheront de vivre. Pire, ils feront de nous nos propres gardiens, dociles avec l’émir, impitoyables entre nous. Nous serons des kapos » (p. 258).
« Nous sommes comme les déportés d’antan, pris dans la machination, englués dans la peur, fascinés par le Mal, nous attendons avec le secret espoir que la docilité nous sauvera » (p. 131).

FLN-ALN et nazisme

Le parcours de Hans Schiller devient, à travers ses photos, et ses médailles, la nature profonde du FLN-ALN : « insigne des Hitlerjugends, les jeunesses hitlériennes, la deuxième est une médaille de la Wehrmacht, gagnée au combat, la troisième est l’insigne des Waffen SS. Là, il est tout jeune, avec des copains de régiment… Sur d’autres, il est plus âgé, il porte l’uniforme noir des SS. Sur une photo, il est en civil, habillé de blanc…il est en Egypte, au pied de la grande pyramide… Des photos plus récentes le montrent avec des maquisards algériens, il porte un treillis et un chapeau de brousse… Sur l’une, il est dans une clairière, face à de jeunes guérilléros assis par terre. Des armes sont étalées sur une couverture. Il dispense un cours de maniement des armes. Au sommet d’un mât de fortune flotte le drapeau algérien. Sur une autre, il est à côté d’un type en battle-dress, grand, squelettique, au regard halluciné, souriant comme s’il avait mal aux dents. Rachel l’a reconnu, il le nomme Boumediene, c’est le chef des maquisards… » (p. 46-47). La référence à la jeunesse FLN : « …Moi-même quand j’étais petit, à Aïn Deb, j’ai été de la jeunesse FLN, les Flnjugends du pays, c’était obligatoire et j’ai pas mal activé. Parfois ça me manque, on était envoûté, on vilipendait à tour de bras, on défilait matin et soir, on épurait nos rangs avec entrain et on chantait nos victoires en hurlant avec les loups…c’est quoi le FLN ? Le Front de libération nationale, le Parti national socialiste du grand Raïs, vous ne le saviez pas ?… » (p. 65). « Oui, ce jeune Hans que je n’arrive pas à visualiser a droit à la sympathie, il est jeune, il ne sait pas. Il est passé entre les bras musculeux des Hitlerjungeds, les jeunesses hitlériennes, il y a laissé le peu de bon sens que l’adolescence a pu retenir de l’enfance. Je suis passé par là, les Jeunesses FLN, les Flnjugends, ce n’était pas grand-chose, de la bibine d’amateurs encore bien crottés, mais je sais ce qu’il en reste, du bruit dans la tête, des slogans baveux dans la bouche et plein de vilains petits réflexes dans les pattes… » (p. 163).

Nasser, l’Egypte, la Turquie, l’Orient

« Il voulait comprendre comment papa avait pu se retrouver plus tard, après le putsch militaire contre la monarchie, pris en main par les Moukhabarates, les services secrets de Nasser, et de là, envoyé dans les maquis algériens comme instructeur ou chargé de je ne sais quelle mission… » (p. 198). « …la vieille Egypte, l’Egypte heureuse, l’Egypte cosmopolite, chahuteuse et romantique de Nadgib Mahfuz, n’existe plus. L’Egypte moderne, Misr, est écrasée par deux géants imposants comme les grandes pyramides : la Police et la Religion…je suis passé devant le ministère de l’Intérieur et le siège des Moukhabarates. Mon père a fréquenté ces lieux en son temps, on lui a confectionné des papiers, on l’a astreint à certaines obligations en paiement de l’hospitalité du roi, que plus tard Nasser reprendra à son compte. Qu’a-t-on pu lui demander sinon l’infiltration des milieux européens du Caire, le décryptage de documents secrets acquis au marché noir, la mise au point de quelque gaz de combat, et plus tard la fourniture d’une expertise aux révolutionnaires algériens installés dans un immeuble discret du centre ? » (p. 210-211). « J’aimais bien la Turquie, c’est un beau pays, l’air est salubre. Mon ex-multinationale y a une usine de montage en partenariat avec un grand groupe turc. J’y venais souvent. J’en sais un bout sur leur cuisine. Et tous ces micmacs dont-ils se délectent, assis qu’ils sont entre deux chaises, deux divans dirais-je, l’occidental et l’oriental, prenant de-ci de-là avec un air tellement mystérieux qu’on se doute qu’ils gagnent sur les deux tableaux. Je dois dire qu’ils m’énervent avec leur air d’être laïcs le matin et ténébreux le soir alors qu’on est face à eux tout d’une pièce, transparent comme l’air…De ma fenêtre, je regardais ce monde ambigu… » (p. 200-201). « C’est le Moyen-Orient, rien n’est clair depuis la nuit des temps… » (p. 204). Tout le monde arabe est nazifié au rythme d’une filature obstinée pistant, à travers le temps, le secret du criminel / exterminateur de Juifs, Hans / Hassan / Si Mourad Schiller.

Juifs, Arabes et islamistes

« Les Anglais étaient particulièrement remontés contre les Juifs, décidés à les empêcher par tous les moyens de rejoindre la Palestine où ils voulaient fonder un Etat en Galilée et dans le désert du Néguev, l’Etat d’Israël, ce qui aurait eu pour effet d’enrager les Arabes qui déjà se chamaillaient avec tout ce qui bouge, qui menaçaient, rêvaient d’indépendance, fricotaient avec le communisme, le socialisme, le panarabisme, le fondamentalisme, et cette chose ridicule, judéo-chrétienne en plus, qu’est la démocratie, et qui, finalement ne réussirent ni l’un ni l’autre, étant trop divisés, trop riches pour leurs rêves, trop pauvres pour les réaliser, et pour conséquence, de les pousser dans les bras tentaculaires de Moscou… » (p. 204).
« Pour eux, Aïn Deb est le village de l’Allemand et cet Allemand s’appelle Hassan Hans dit Si Mourad. Et les habitants du village le savent-ils, se le cachent-ils… Ont-ils seulement entendu parler de l’extermination des Juifs par les nazis ? Ou sont-ils comme je l’étais, ignorants de tout, ne sachant que ce que l’imam a pu leur en dire ? Mais lui-même, ce perroquet de minaret, que sait-il ? Je ne pense pas que le gouvernement enseigne ces choses dans ses écoles, les enfants pourraient s’émouvoir, se prendre de sympathie pour le Juif, et de là appréhender certaines réalités. Je crois plutôt qu’il enseigne la haine du Juif et qu’il maintient les esprits fermés à toute lumière. Je me souviens que quand j’étais dans les Jeunesses FLN, les Flnjugends,…on ne lésinait pas sur le sujet, les moniteurs n’avaient que ce mot à la bouche, Lihoudi, le sale Juif, qu’ils crachaient par terre en prononçant la formule rituelle pour se rincer la bouche : Qu’Allah le maudisse et le fasse disparaître !…Un jour, quand la paix reviendra, je retournerai à Aïn Deb et je raconterai l’histoire de Hans Schiller à Mohamed, le fils du cordonnier, à charge pour lui de l’apprendre au village. Il saura mieux que moi leur parler. Ils deviendront fous, ils refuseront de croire, ils se disputeront, me maudiront, mais la vérité est la vérité, elle doit être sue. Dans la tête des enfants, elle fera son chemin » (p. 196-197).
« Je suis Malrich, fils de Hans Schiller le SS, coupable d’extermination, je porte en moi le plus grand drame du monde, j’en suis le dépositaire et j’ai honte, et j’ai peur, et je veux mourir ! …Mon frère s’est suicidé, mes parents et nos voisins ont été assassinés et je ne sais pourquoi ni par qui, je suis seul, seul comme personne au monde ! Et là, la vraie colère, la colère noire, m’a pris aux tripes, on n’a pas le droit de se lamenter, il n’y a que ça de vrai, la vengeance le Nakam(4), j’en voulais aux islamistes, à ces chiens, à ces nazis, je voulais les tuer tous, jusqu’au dernier, jusqu’à leurs femmes, leurs enfants, leurs petits enfants, leurs parents, je voulais détruire leurs maisons, leurs mosquées, leurs caves, leurs réseaux dormants et les pourchasser jusque dans l’au-delà et encore les écraser devant Dieu lui-même, ce Dieu dont-ils se disent les franchisés. Et je voulais fêter leur mort comme dans un 14 juillet pour saluer notre renaissance… » (p. 187-188).
Muré derrière l’imagination littéraire et la liberté de création, le Village de l’Allemand partage les lieux hospitaliers de l’islamophobie et de son double l’arabophobie, offerts par les médias, les essayistes, les éditorialistes et les intellectuels à cooptation médiatique, le tout épaulé par les spécialistes du renseignement présentés comme des spécialistes des sciences sociales. Le 9 octobre 2003, au J.T. de 13 heures, Daniel Bilalian, se référant directement à un rapport des Renseignements Généraux, reprend, en citant le département de l’Essonne, l’inquiétude de ces derniers « jugeant préoccupantes les conversions à l’islam de plus en plus nombreuses. La communauté des jeunes Français est ciblée parce qu’ils passent plus facilement les frontières ». Des animateurs de « L’Observatoire français du renseignement » et de « La lettre du renseignement » sont sollicités et interviennent à la télé ou à la radio (France Inter, LCI, Antenne2 ou FR3) sans précaution éditoriale mettant la distance nécessaire entre information et police du renseignement. Il y a là des signes alarmants, pour une démocratie, d’identification entre la société et la police. Du reste, des tentatives gouvernementales répétées (loi Debré en 1997) tirent la société vers les pratiques de délation généralisées en commençant par faire la chasse aux immigrés clandestins et à ceux qui les hébergent. Certes, des initiatives enracinées dans la tradition démocratique savent encore recourir à la désobéissance civique et en démontrer la légitimité comme ce fut le cas pour la pétition lancée par les cinéastes. Mais on se doute bien que le rapport de forces est sans commune mesure avec les moyens mobilisés en sens inverse. Les présentateurs des chaînes de télévision mettent en avant n’importe qui, sous le label approximatif d’« analyste », de « chercheur spécialiste de l’islam » ou « spécialiste de l’intégrisme » masquant leurs véritables qualités, pour tenir un discours convenu sur le terrorisme et l’islamisme.
Des passages du Village de l’Allemand sur « l’islam des banlieues » sont des reprises d’hebdomadaires comme L’Express, Le Point ou Le Nouvel Observateur. En témoigne cet extrait :

« …Dur, aujourd’hui, d’être un laïque affiché dans la cité. Au local des associations, un jeune, barbu, hostile, explose contre la presse des mécréants. Il respire la colère et la haine, tend le doigt vers le ciel : « On ne peut attaquer l’islam ! C’est une chose belle, claire. On ne laissera personne l’entacher ! Compris ? » Il prévient : « Ce soir, on est calme… ». A côté de lui, un grand gaillard silencieux approuve de la tête. Ici, l’islamisme ne craint pas l’affrontement. Au fond du local, les vieux d’une autre association baissent la tête, gênés et impuissants »(5) (ressemblance frappante, p. 223 du Village de l’Allemand : « Puis je suis allé visiter l‘imam dans sa cave…Il était assis en tailleur, dos contre le mur…A côté, l’émir Flicha, un jeune barbu taillé dans la masse. Il portait un pétard sous le blouson. La crosse dépassait exprès pour inciter les visiteurs à bien réfléchir »).
Le livre paraît deux mois environ avant la manifestation annuelle du Salon du Livre à Paris où l’invité d’honneur est Israël, sous le signe de la célébration du soixantième anniversaire de la création de l’Etat israélien en lieu et place de l’Egypte, initialement prévue.
L’ouvrage arrive après deux guerres contre l’Iraq, la guerre des forces européennes et américaines à l’Afghanistan, les attentats du 11 septembre 2001 et la norme imposée au monde à partir d’une lecture du terrorisme qui interdit toute approche de nature à comprendre les événements. A cela, il faut ajouter la guerre faite au petit peuple en Algérie depuis 1992, au Proche Orient, la seconde Intifadha, ainsi que la guerre déclenchée par Israël contre le Liban, en 2006.
Son contenu le situe en surplus à l’intérieur d’un champ prolixe en France, constitué par un ensemble sinon d’une cohésion guerrière, au moins d’une violence imposée comme allant de soi et que le monde du journalisme, à cheval entre l’essai et l’éditorial, le dossier hebdomadaire et les intellectuels médiatiques, distille, dans une proximité avec les renseignements généraux, les experts militaires et la DGSE. Il semble utile de préciser que cela se déroule pratiquement sans réplique contradictoire. Tous ces moyens laissent imaginer la force de persuasion, voire la force de frappe en mesure de délivrer une vision du monde, une protection des valeurs, mettant sous surveillance des populations d’autant plus aisément qu’elle correspond à un embrigadement de la pensée. La réflexion sur l’islam et le monde/l’islam dans le monde, navigant entre cadre national et espace mondial, relève de la pensée ordonnée.
Comme surplus, Le village de l’Allemand a un apparentement même s’il prétend à la nouveauté. Il porte en lui l’obligation de forcer le trait dans l’espoir de gommer ce qui rappelle le surplus entendu comme « stock américain » (khorda). Dès lors, ce qui devait passer pour une originalité, une nouveauté, n’est qu’une reprise sous forme d’une littérature de répétiteur. Elle n’a de littérature que la fiction formelle derrière laquelle l’idéologie haineuse n’arrive pas à trouver de voile idoine. Lorsqu’on prend la mesure du feu roulant à l’œuvre depuis des années et qui vise l’islam, les musulmans, l’islamisme et les islamistes, par extension les Arabes et l’arabo-islamisme, Le village de l’Allemand n’offre pas d’autre intérêt que celui de la caution ethnique fournie par son auteur dans l’entreprise de démantèlement culturel – déjà bien avancé – du monde arabe d’une façon générale et de l’Algérie en particulier.
L’islamisme étant le nazisme, partie intégrante de l’Algérie indépendante, cela en commande par là même la destruction. Il faut tout refaire, tout engendrer de nouveau selon la norme inculquée grâce à des porte-voix convertis au seul monde porteur de vraies valeurs et de morale universelle. En déclinant l’islamisme sur le mode nazi ou fasciste (qualification de rechange pour beaucoup), il n’est point besoin d’enquête, de jugement : l’accusation est en elle-même la sentence, irrévocable : tous ceux qui s’en prévalent ne sont plus que les bannis de l’humanité contre lesquels tout acte de destruction réelle ou symbolique devient légitime.

II – LES SOURCES INTELLECTUELLES
DU VILLAGE DE L’ALLEMAND –

Les traces d’une nazification de l’islamisme sont visibles dans les articles de presse, les bulletins d’associations, essais, depuis les années quatre-vingt-dix. Ainsi en est-il de la revue de l’association « l’Algérie au cœur » proche de Ettahaddi, ex PAGS(6). Il faut dire que cette revue s’appuie sur des références aussi prestigieuses que celle d’André Mandouze qui, dans le quotidien Le monde n’hésite pas à comparer le scrutin de décembre 1991 en Algérie à celui de 1933 en Allemagne, quand il écrit : « devant la menace hautement proclamée par le FIS du couronnement de la consultation populaire par la suppression programmée de la démocratie, comment les Algériens cultivés – donc les intellectuels de ce pays – auraient-ils pu oublier l’aval donné à Hitler par un suffrage alliant en 1933 apparence légale et finalité criminelle, à l’encontre de l’Allemagne mais comme cela s’est vérifié par la suite, à l’encontre de l’humanité entière ? »(7).

En réalité, la voie a été ouverte par Rachid Boudjedra avec « FIS de la haine »(8). En dehors de ses redites sur le « fascisme » et de l’injure élevée au rang de genre littéraire, l’ouvrage de l’intellectuel-protocole, chargé d’introduire auprès du Prince, (rôle qu’il a effectivement tenu, notamment, le 1er novembre 1984 lors de la célébration des intellectuels et du 30ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale. C’était le temps de la prime de palais offerte aux intellectuels, qui se sont prêtés, à l’unisson, à cette opération dite de reconnaissance), couronne l’imposture de propos incendiaires.
Dans une utilisation mensongère de l’affaire de Ouargla, comptabilisée au passif du FIS, ce drame devient la référence emblématique banalisant le montage à répétition et ouvrant sur une violence débridée dont les auteurs réels se sont toujours déguisés, derrière le renvoi au terrorisme, dans des constructions sanguinaires, en « islamistes barbares » :

« La première victime du premier crime commis par le FIS fut un bébé. Brûlé vif dans un incendie après que des militants fanatiques eurent mis le feu dans l’appartement où vivait une femme divorcée, avec son bébé âgé de quelques mois. C’était à Ouargla en 1989. Accusée par le FIS d’être une prostituée, des militants intégristes mirent le feu à sa maison, en pleine nuit alors qu’elle dormait. Le bébé brûla dans le bûcher du fanatisme et de l’inquisition islamistes. La mère ne décéda pas mais garda des stigmates atroces de brûlures au troisième degré qui l’ont défigurée. Symboliquement un tel crime commis sur la personne d’un être innocent, d’un bébé de quelques mois en dit long sur la psychopathie du FIS, toute tournée vers le meurtre, le lynchage et les bûchers.
Entre l’incendie du Reichstag en 1933 et l’incendie de ce petit appartement de Ouargla, dans le Sud algérien, en 1989, il y a plus qu’une analogie. Il y a toute la barbarie du monde et sa démence »(9).

Cette affaire fera l’objet de nombreuses reprises, notamment par Khalida Messaoudi/Toumi, actuelle ministre de la Culture, qui la présentera comme témoignage, dans un numéro spécial de la revue Les Temps modernes consacré à l’Algérie, sous le titre « la nouvelle inquisition », après l’avoir soutenu à Vienne, au Tribunal International des femmes et repris dans « Femmes Ruptures ». Retenons la conclusion : « N’oublions jamais que l’intégrisme comme le fascisme, n’est pas une opinion mais un DELIT ; il n’hésitera pas à utiliser la démocratie et les droits humains pour tuer la démocratie et les droits humains »(10).
Dans une enquête serrée, Rabha Attaf démonte le prisme sur lequel prend appui le scénario qui relève du complot : « …Pourtant, au moment où ce fait divers s’est produit, en juin 1989, il avait failli passer inaperçu. Sans la pugnacité du correspondant du journal Horizon, « l’affaire de Ouargla » n’aurait eu, en effet, droit qu’à quelques lignes dans la rubrique « des chats écrasés ». La rumeur et la mauvaise foi ont fait le reste, amplifiant en déformant ce qui n’est finalement – à la lumière des faits objectifs – qu’une sordide affaire de mœurs. En fait, l’utilisation mensongère de cette affaire a un objectif bien précis : disqualifier le FIS et justifier, a postériori, un anti-islamisme primaire alimentant une répression sanglante sous couvert de lutte pour le droit des femmes »(11).
Ces quelques rappels montrent que « La guerre des frères » se transforme en guerre par-dessus la Méditerranée et pas uniquement sur le terrain symbolique via les dossiers de presse, le monde de l’édition et des médias. Les attentats sanglants du RER en 1995, le massacre des moines de Tibéhirine, l’assassinat de l’évêque d’Oran impliquent de plus en plus la France souveraine, « contrainte dans son expression » selon le terme de Lionel Jospin (en 1998), puisé dans une diplomatie masquant les vrais engagements. Le regard partisan, voire complice, réduisant la résistance palestinienne et celle du Hezbollah au terrorisme, vaudra au Premier ministre socialiste un accueil en forme de lapidation à l’université de Bir-Zeït.

Malgré l’implication des services secrets algériens dans les actes de terrorisme cités plus haut(12), la France, comme le reste de l’Europe, fonctionne sur le registre de la peur avec « l’islamisme à nos portes ». C’est ce cas de figure qui va fonctionner d’un bord à l’autre de la Méditerranée et dont les manifestations extérieures dépasseront le seul empire des mots pour se traduire en soutien militaire, notamment par la fourniture de matériels sophistiqués. Mais la guerre s’installe et se fait aussi avec les mots. Contrairement à ce que pouvait affirmer Rachid Mimouni(13), « il y a des mots qui tuent et …l’on tue pour des mots… »(14).

De part et d’autre de la Méditerranée s’installent les moyens de prévention anti-islamiste confondant de plus en plus dans l’Hexagone islam et insécurité tandis qu’en Algérie une guerre vengeresse est menée contre l’islam politique, appelé terrorisme, avec des scénarii dont la clarification devient inaccessible eu égard à la complaisance, voire la complicité des grandes puissances. Aux massacres perpétrés en Algérie répondent, en France, des mesures mettant l’islam et l’islamisme en accusation permanente, où la mise en liberté surveillée vogue des milieux éditoriaux, médiatiques, aux mesures de police. Résurgence de la détention administrative et des « pleins pouvoirs » des années Robert Lacoste et Jacques Massu à Alger, l’affaire de Folembray(*) (Aisne) en 1994, n’est que l’annonce de Guantanamo. Le péril islamiste est associé à la délinquance et aux violences dans les banlieues ainsi qu’à l’antisémitisme. Pour faire face aux dangers dont l’imminence s’élabore au quotidien, se mettent en place les moyens de mobilisation correspondants. L’islam conquérant se muant en islamisme/terrorisme, le penseur fournit la légitimité aux renseignements généraux et aux sociétés de surveillance et de sécurité, tandis que les médias, s’affranchissant des entraves déontologiques, maintiennent la vigilance en éveil en alimentant l’espace public d’images, d’écrits et de commentaires où l’action psychologique, assortie des exigences d’allégeance répétée, le dispute aux procédés diffamatoires. Dans La nouvelle islamophobie(15), Vincent Geisser recense les produits de ces gendarmes de la mise en ordre de la société : « Dans les moments de crispation identitaire, les institutions et les grands médias nationaux en appellent aux « consciences éclairées », leur faisant jouer le rôle d’exégètes de nos valeurs républicaines. Sur des sujets aussi divers que le foulard islamique, l’organisation du culte musulman en France, l’islamo-terrorisme ou les tournantes dans les banlieues, ils s’érigent en gardiens de la morale républicaine, imposant leur jugement d’autorité et leur censure à l’égard de toutes les tentatives de violation et de subversion des principes immuables…Cette démarche normative des intellectuels médiatiques dans le traitement de l’islam produit trois conséquences majeures. D’abord une tendance à faire fi de la subjectivité des acteurs dits « musulmans », leur avis n’étant sollicité que pour conforter leurs certitudes républicaines. Ensuite, une tendance à utiliser les références savantes de façon très sélective…Enfin, une pratique de la cooptation à l’égard des intellectuels de « seconde zone », jugés admissibles dans le cercle étroit des intellectuels médiatiques. Le principal critère d’admissibilité est le « réalisme sécuritaire » qui fait que certains ouvrages sur l’islam ou sur les dangers de l’islamisme font l’objet de comptes rendus élogieux, alors que d’autres sont totalement ignorés, parce que jugés trop angéliques, voire islamophiles… ». En dehors des éditoriaux de L’Express(16), Le Point(17), Marianne(18), Le Nouvel Observateur, les livres sur l’islam/l’islamisme se succèdent et se relayent, alternant le sensationnel et l’injure(19). L’islamisme étant sous accusation dans la permanence et dans l’évidence, l’instruction se poursuit par tous moyens en interpellant à la fois l’islam et les musulmans(20). La Palestine meurtrie mais toujours terroriste plutôt que résistante, les deux guerres contre l’Iraq, sont l’occasion d’accentuer la pression sur les musulmans/arabes sommés de s’aligner sur la norme dominante ou de se taire. Surtout ne pas dénoncer la politique sioniste et ses crimes. Sous couvert d’antisémitisme, le champ intellectuel et médiatique adossé à l’hégémonisme politique exerce une puissante attraction en faveur de la politique militariste et expansionniste israélienne. L’antisémitisme est brandi comme mode accusatoire dès lors que sont dénoncées l’annexion de portions de territoire palestinien et les agressions militaires répétées qui les stimulent et les garantissent. Le regard critique en direction des violations répétées du droit international par Israël devient scandaleux, voire intolérable. A tel point qu’il déclenche une campagne d’envergure contre leur auteur. C’est l’expérience amère, quoique bénéfique à plus d’un titre, vécue par Pascal Boniface qui nous la restitue, avec toutes ses implications, dans un ouvrage qui, espérons le, en appellera d’autres, « Est-il permis de critiquer Israël ? »(21). Consécutif à la seconde Intifadha et la barbarie déclenchée par l’armée israélienne sur Ghaza et Ramallah sous la direction de Sharon, l’ouvrage raconte, outre la chasse dont son auteur fut l’objet, le traitement sur le plan médiatique, intellectuel, politique et judiciaire de la communauté arabe/musulmane en France, face à l’attelage sionisme/antisémitisme. S’attachant à démontrer combien « la liberté de l’information sur le Proche-Orient et le droit au débat sur ce sujet en France sont devenus un enjeu démocratique majeur »(22), P. Boniface teste les plateaux de la balance communautaire face aux institutions et aux médias(23) : « Selon les ultra-pro-israéliens, la France serait ravagée par l’antisémitisme. La majorité des Français estime que, si ce fléau n’a pas totalement disparu, il est devenu résiduel. Ce n’est pas le cas de l’hostilité à l’égard des Arabes ou des musulmans. La communauté musulmane est, sur le plan éditorial et intellectuel, prise à partie avec beaucoup plus de facilité et d’impunité que la communauté juive ». Ce constat s’appuie sur deux exemples de publication, révélateurs, en la matière : Oriana Fallaci et Michel Houellebecq.
Dans La rage et l’orgueil, la journaliste italienne, dont le livre a été vendu à cent mille exemplaires à sa sortie en France, placé parmi les succès de l’année 2002, et à plus de trois millions dans le monde entier, dont un million en Italie, réduit les arguments de démonstration et d’observation du monde islamique à d’ignobles injures en faisant acclamer/plébisciter le racisme anti-arabe comme solution aux manifestations de crise qui secouent les différentes régions de la planète. En voici quelques échantillons(24) :
« …Les mosquées qui grouillent jusqu’à la nausée de terroristes ou aspirants terroristes…D’une manière ou d’une autre, les imams sont les guides spirituels du terrorisme ».
« Les fils d’Allah sont des messieurs qui, au lieu de contribuer au progrès de l’humanité, passent leur temps, avec le derrière en l’air, à prier cinq fois par jour ! ». « …des individus habillés en kamikazes palestiniens, pour voir les juifs retourner dans les camps d’extermination, dans les chambres à gaz, dans les fours crématoires vendraient leur propre mère à un harem. Les fils d’Allah, au contraire (des Italiens et des Européens), se multiplient comme des rats… Plutôt qu’une migration, il s’agit donc d’une invasion conduite sous le signe de l’effronterie… Pour les expulser, il aurait suffi de les mettre en rang, les conduire jusqu’à un port ou un aéroport et les renvoyer dans leurs pays » .
« Les immigrés musulmans sont des hordes de sangliers qui transforment en Casbah les villes glorieuses de Gênes ou Turin…il y a quelque chose dans les hommes arabes qui dégoûte les femmes de bon goût »
(ces citations sont empruntées à P. Boniface, p. 170).
« Le problème est que rien ne se résoudra avec la mort d’Oussama Ben Laden. Car les Oussama Ben Laden ne sont pas uniquement dans les pays musulmans. Ils sont partout et les plus aguerris sont précisément chez nous. La Croisade à l’Envers dure depuis trop longtemps, mon cher. Et elle est bien trop nourrie par la faiblesse de l’Occident, par la timidité de l’Occident, par la non-clairvoyance de l’Occident…Ses soldats, ses Croisés, ont désormais conquis leurs positions et les tiennent comme leurs ancêtres tenaient l’Espagne et le Portugal du IΧe au ΧVe siècle. Ils sont de plus en plus, ils seront de plus en plus, ils voudront de plus en plus, et ceux qui aujourd’hui vivent sur notre territoire ne peuvent être considérés que comme des pionniers. Donc négocier avec eux est impossible. Raisonner avec eux impensable. Les traiter avec indulgence ou tolérance ou bien espoir, un suicide. Et qui croit le contraire est un pauvre con » (cité dans La nouvelle islamophobie, p. 45).

Ce livre a donné lieu à des commentaires parmi lesquels :
Alain Finkielkraut : « Oriana Fallaci a l’insigne mérite de ne pas se laisser intimider par le mensonge vertueux. Elle met les pieds dans le plat, elle s’efforce de regarder la réalité en face… ».
Pierre-André Taguieff : « La cible du livre, que l’on peut résumer par l’horreur islamiste est la mienne, et je la partage entièrement. Sur ce terrain là, je considère donc qu’Oriana Fallaci est courageuse et lucide. Je partage aussi les valeurs qu’elle défend, qui sont celles de la liberté individuelle et de la laïcité… Elle met l’accent sur le fait que l’accusation de racisme est utilisée comme moyen de faire taire les esprits critiques et de limiter la liberté d’expression. L’antiracisme est aujourd’hui instrumentalisé afin d’interdire la critique des politisations de l’islam ».

William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières et défenseur de Oriana Fallaci : « Oui, le livre est une imprécation anti-islamique. On peut reprocher à son auteur de faire de l’anti- islamisme primaire, comme on reprochait autrefois à certains de faire de l’anticommunisme primaire. Et alors ? Ne s’agissait-il pas surtout hier, ne s’agit-il pas aujourd’hui, de déclencher une réaction des pouvoirs politiques, de la société civile, avant que tout arrive ? Aujourd’hui le danger c’est le fascisme vert, et on voudrait empêcher de le dénoncer ! »
Françoise Giroud : « Fallaci est positivement effrayante, elle touche chez le lecteur quelque chose de profond, d’inavoué qu’il se défendra toujours d’avoir pensé mais que ces pages lourdes de haine et de mépris risquent d’éclairer brutalement : la répugnance qu’inspire l’Autre à tout bon occidental, Dieu me pardonne. Cette allergie n’est pas fatale heureusement. Mais Oriana Fallaci avec la violence d’une femme qui voit se fissurer un certain ordre du monde et qui s’insurge dans son orgueil, dans sa chair. Il y a là-dedans une franchise – « Vous n’avez pas de couilles », nous lance-t-elle – qui touche à l’odieux mais qui ne manque pas de superbe »(25).
Michel Houellebecq fait dire à son personnage principal, Michel, : « Chaque fois que j’apprenais qu’un terroriste palestinien, ou un enfant palestinien ou une femme enceinte palestinienne, avait été abattu par balles dans la bande de Gaza, j’éprouvais un tressaillement d’enthousiasme… ». Dans un entretien au Magazine Lire, il justifie les propos de son héros : « La vengeance est un sentiment que je n’ai jamais eu l’occasion d’éprouver. Mais dans la situation où il se trouve, il est normal que Michel ait envie qu’on tue le plus de musulmans possible…Oui, oui ça existe, la vengeance. L’islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition. Heureusement, il est condamné. D’une part, parce que Dieu n’existe pas, et que même si on est con on finit par se rendre compte. A long terme, la vérité triomphe. D’autre part, l’islam est miné de l’intérieur par le capitalisme. Tout ce qu’on peut souhaiter c’est qu’il triomphe rapidement. Le matérialisme est un moindre mal. Ses valeurs sont méprisables, mais quand même moins destructrices, moins cruelles que celles de l’islam…La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré…effondré! La Bible, au moins, c’est très beau, parce que les juifs ont un sacré talent littéraire…ce qui peut excuser beaucoup de choses. Du coup, j’ai une sympathie résiduelle pour le catholicisme, à cause de son aspect polythéiste. Et puis il y a toutes ces églises, ces vitraux, ces peintures, ces sculptures… »(26).
Devant les atteintes de toutes sortes proférées et colportées par de tels écrits, les réactions sont dérisoires. C’est comme si les musulmans, les Arabes, disparaissaient comme victimes. Nous sommes dans la pratique biopolitique, tendant à réduire les hommes à des corps sans droits, parce que hors de toute équivalence avec ceux qui, dans le même temps, bénéficient de la protection des normes dans l’administration de la haine. On comprend pourquoi la notion de préjudice et de victime n’ait plus le même sens selon que les mots visent la communauté juive ou la communauté musulmane/arabe. A chaque agression anti-islamique/arabe, la polémique ne porte pas sur les victimes et ce qu’elles subissent mais, comme dans les affaires Fallaci et Houellebecq, sur « ce que l’on peut dire ou ne pas dire de l’islam » en vertu de « la norme définie unilatéralement par les intellectuels médiatiques » pour fixer « la dose d’islamophobie admissible et tolérée »(27). Même si on invoque la liberté de création ou l’imagination littéraire on ne réussira pas à masquer cette ligne tracée par la pensée et poursuivie par d’autres moyens selon le degré d’appartenance à une humanité définie sélectivement(28).

III – RAISON POUR LA PALESTINE, MARTYROLOGE DU MONDE ARABE –

Au-delà de la France et de l’Europe, cette ligne de partage entre « humains » et « infrahumains » est rendue depuis des années à travers la volonté d’extinction, à feux nourris, de l’entité palestinienne. La place prise par l’islamisme dans le monde arabe nourrit des justifications n’admettant aucune réplique à cette entreprise de destruction. Le cri lancé dans Le Village de l’Allemand, « il faut les tuer tous » ( p. 187 ) n’est qu’un écho des armes de destruction israéliennes et du programme de génocide des Palestiniens. A l’œuvre depuis Deir Yacine, (qui ne saurait avoir le statut d’Oradour- sur-Glane, bien sûr, malgré le massacre de ses habitants), en 1949, le projet sioniste n’a fait que gagner en extension, en assurance et en impunité en donnant le change derrière un simulacre de création d’un Etat palestinien et sa reconnaissance. Ainsi, la nation et l’Etat palestiniens n’auraient d’effectivité que si la puissance armée israélienne le décrète. En réalité, en guise d’Etat, les Palestiniens sont mis en demeure, dans une technique de sous-traitance, d’exercer sur eux-mêmes la répression au profit d’Israël, superviseur de l’autodestruction. Le projet ressemble plus à l’expérience des réserves indiennes instaurées par l’armée américaine pour liquider les populations autochtones qu’à un Etat souverain. La souveraineté incite alors au questionnement. A bien y regarder, la souveraineté des Etats arabes, dans un processus de régression continu, n’a connu que quelques éclaircies. Dans tout le monde arabe, les Etats ne bénéficient, sous forme de concession accordée par les puissances militaires occidentales, que d’une souveraineté illusoire, derrière ce qu’il faudrait plutôt dénommer des protectorats en forme simplifiée. Ne disposant pas de puissance militaire, depuis longtemps, sauf quand il s’agit de l’exercer contre leurs peuples au bénéfice de catégories régnantes, non sans liens avec les puissances occidentales, quand ce n’est pas comme forces supplétives de ces dernières et à leur profit, les Etats arabes sont aujourd’hui menés de main de maître par l’OTAN, y compris dans des manœuvres conjointes en Méditerranée avec l’armée israélienne. L’échec de Gamal Abdel Nasser témoigne de la régression. Il était de bon ton de le traiter de nazi et tenter de couvrir le cri du 26 juillet 1956, à Alexandrie, « Ammamna El kanal !» (« Nous avons nationalisé le canal ! »)(29). Nasser, comme Boumediene, ayant eu pour conseillers d’anciens officiers nazis ne peuvent qu’être complices de l’holocauste voire auteurs par effet rétroactif, qu’il faut juger comme tels en passant à la trappe la complexité du mouvement de libération nationale arabe.
L’auteur du Village de l’Allemand est bien le produit réussi d’une culture, celle de la vente concomitante. Nul n’a songé à réclamer des comptes aux puissances soviétique et américaine (ou autres) qui ont récupéré des savants nazis, en toute connaissance de cause et dans l’intention de parfaire leurs potentiels militaires. Il y a une association conductrice du fait criminel, sous-jacent aux relations de guerre ou de conflit entre les Arabes et Israël, parce que ce dernier bénéficie du statut de victime de l’histoire européenne dont la dette est renvoyée, pour endossement, à ceux qui tentent de mettre fin à l’usurpation territoriale et au génocide d’une nation. C’est pour cela que les Palestiniens ne peuvent jamais accéder au stade de victimes que de manière épisodique et parcellaire, sans effet du reste, que ce soit sur le terrain juridique ou sur le plan politique. La raison est simple : Israël ne saurait être regardé comme génocidaire. Derrière l’holocauste, plus que d’une présomption d’innocence, Israël bénéficie d’une rente perpétuelle au titre de droit à l’agression, privilège en dédommagement perpétuel, comme garantie réparatrice du passé. Agresseur toujours victime, Israël s’est inventé, grâce aux Etats Unis et à l’Europe, un statut d’immunité que nulle loi ne saurait transgresser. C’est pour cela que le droit international, sans effet, ne lui est pas applicable. Quels que soient les crimes commis, leur nature et leur étendue, leur caractère manifeste et leur répétition, le scénario est toujours identique : les médias multiplient les acrobaties pour en minimiser l’étendue quand la négation des crimes se révèle impossible. L’accent est mis sur l’adversaire, le Hamas après l’OLP et après le Fatah. Les Palestiniens sont toujours responsables des attaques et destructions israéliennes. En fait, tant qu’il existera des Palestiniens, ils seront responsables, par ce fait même, de l’insécurité infligée à Israël, fondé, en toute légitimité du conquérant, à mener contre eux des expéditions punitives. Ils sont coupables d’exister et qui plus est, de vouloir exister comme nation et Etat souverains. Face à la notion de puissance – en particulier dans sa dimension destructrice, guerrière – le Proche Orient, comme le Maghreb, ne sont pas saisissables autrement que comme zones d’influence et comme clientèles.
En elle-même, la Palestine est le symbole de l’éclatement du monde arabe. La question palestinienne résume les problèmes géostratégiques qui travaillent le monde arabe depuis la fin de la première guerre mondiale. La Palestine révèle l’éclatement entre sociétés arabes et Etats arabes. La colère des cités arabes de Rabat au Golfe n’a d’égale que le souci des Etats via leurs gouvernements de réprimer les manifestations de soutien à la Palestine. Derrière les forces de répression du Caire, d’Alger, Tunis, Damas, Istanbul…, on devine la peur des gouvernants de voir se retourner contre eux la révolte des rues, pour cause de trahison des siens.
Le monde arabe se caractérise par des systèmes politiques où domine un régime de parti unique, signe de dictature. Lorsque sont mis en place des mécanismes de pluralisme politique, il s’est avéré que, souvent, il ne s’agit que de simples alibis pour masquer la nature de régimes profondément fermés, à la brutalité proportionnelle au souci de sauvegarde de privilèges d’un autre âge. Fonctionnant sous le regard critique du monde occidental et à partir de catégories juridiques et politiques coupées de leur contexte historique, le monde arabe a du mal à recevoir et à intégrer les voies d’évolution et de transformation des systèmes politiques. Le regard critique de l’Occident sur le monde arabe est toujours porteur de la dimension hégémonique, ethnocentriste, dans une relation Haut/Bas. Le regard est fixé dans cette hiérarchie bien installée – qui s’étend à l’Afrique et l’Asie – Supérieur/Inférieur. Dans le concert des relations internationales, malgré les ravages occasionnés par les armées américaines et européennes, les victimes, comme les coupables, appartiennent au monde de l’Inférieur, les juges à ceux du Supérieur. Il est révélateur que les premiers coupables comparaissant devant la Cour pénale internationale soient des Africains accusés de crimes contre des Africains. Mais le processus de désintégration des Etats et des sociétés africains ne saurait relever de l’examen élémentaire pour établir la chaîne ayant conditionné les résultats criminels. Qui jugera tous ces Bob Denard, mis à part leurs commanditaires, puissances destructrices mais protégées, dans une mascarade entre soi pour désobéissance subsidiaire ?
Intégrant les normes standard à partir desquelles les sociétés arabes sont jugées par les experts du monde occidental, les élites arabes contribuent à dénaturer la construction historique qui appelle autre chose que des placages, superficiels par définition, pour le confort des couches dominantes. Ainsi on comprendra ce cheminement qui conduit les Arabes, et en particulier les Palestiniens, à être comptables d’un génocide à l’heure où ils sont soumis, dans une succession de démembrements et de destructions, à une extinction rampante.

Lieu de solidarité pour les sociétés arabes, qui ont eu à affronter la résistance à l’oppression qu’elles vivent quotidiennement, la nation palestinienne, souci pour les Etats en raison de leur implication dans des projets en flagrant abandon du sens de la dignité élémentaire, est toujours à la recherche d’un territoire réputé garanti depuis 1947. Après les multiples manœuvres et faux-fuyants, affirmations de droits du peuple palestinien sans conséquences que le statu-quo, revu à la hausse, de domination israélienne, le prétexte à la poursuite de la politique génocidaire, relayée par les puissances occidentales, se résume dans l’islamisme et Hamas. La victoire électorale de cette formation islamiste en 2002 l’inscrit au ban de l’humanité dès lors que selon les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Européenne Hamas est fiché comme organisation terroriste. Cela emporte la suppression de l’aide financière et alimentaire jusque là apportée notamment par l’Europe. Témoignant de l’état politique du monde arabe, Hamas n’est que la preuve vivante de la résistance à l’intérieur des régimes arabes. D’appartenance islamiste, la résistance dans le monde arabo- islamique est criminalisée sous couvert de terrorisme. Elle doit donc être réduite par tous moyens par les maîtres du monde, que ce soit dans son expression pacifique sous forme électorale, ou militaire. Anticipant les événements ultérieurs, Maxime Rodinson soulignait, en 1967, les effets de la domination israélienne ainsi que « les dangers de l’interprétation habituelle de l’hostilité arabe à Israël » : « Ceux qui cataloguent tous les mouvements et tous les régimes arabes automatiquement comme fascistes du seul fait qu’ils s’opposent à Israël répandent une conception erronée et profondément néfaste du problème. De même tous ceux qui s’en tiennent à la légende de la haine des Arabes envers les juifs ou à la thèse du mythe machiavélique élaboré consciemment s’égarent et égarent les autres. S’il y a en effet haine qui souvent dépasse la mesure, si les gouvernants et les idéologues construisent des mythes mobilisateurs autour du fait palestinien, c’est sur la base d’une donnée objective dont les dirigeants sionistes sont responsables, la colonisation d’une terre étrangère…Il est possible que la guerre soit la seule issue à la situation créée par le sionisme. Je laisse le soin à d’autres de s’en réjouir . Mais s’il y a une chance de voir un jour une solution pacifique, on n’y arrivera pas en disant aux Arabes qu’ils ont le devoir d’applaudir leurs conquérants parce que ceux-ci sont européens ou en voie d’européanisation, parce qu’ils sont « développés », parce qu’ils sont révolutionnaires ou socialistes (virtuellement !), encore moins parce qu’ils sont tout simplement juifs !…Obtenir d’un vaincu qu’il se résigne à sa défaite n’est pas facile et on ne facilite pas cette démarche en claironnant combien on a eu raison de le rosser… »(30).
Le fondement politique et moral d’une résistance consciente en vue d’une renaissance de la Palestine dans un ensemble arabo-islamique solidaire, capable de se donner les moyens stratégiques de sa puissance est constamment renvoyé vers le fanatisme, sous prétexte d’islamisme, et apprécié derrière une façade psycho-émotionnelle de l’humiliation et de la frustration.

IV – LES ENFANTS DU 13 MAI –

Dans deux entretiens au Nouvel Observateur, l’auteur du Village de l’Allemand affirme nettement que ses personnages reproduisent la réalité de ce qu’il pense. Le doute présumé que véhicule la soi- disant liberté de création et d’imagination est balayé dans une violence de ton qui porte en elle l’assurance d’une vérité propre à occuper le terrain des certitudes médiatiques. Entreprenons ce voyage au bout de l’horreur :
« – Votre roman propose en somme une nouvelle vision…des rapports entre le croissant et la croix gammée ;
« – nouvelle façon de déconstruire l’histoire de la libération nationale en Algérie ;
« – l’islamisme n’est pas encore le nazisme mais la frontière est mince, il s’en rapproche ;
« – l’Algérie est un camp de concentration à ciel ouvert ;
« -certaines banlieues françaises sont en voie de talibanisation ».
Après cette entrée en matière, nous sommes invités à aller plus loin dans les stéréotypes. Combinés à l’affabulation, les lieux communs restituent la toile de fond du tableau.
« Quand j’ai décidé de faire de l’histoire de cet Allemand la trame du roman, je me suis retrouvé avec beaucoup de questions sans réponses. Je n’ai hélas pas pu me rendre dans ce village pour mener enquête. Tant de choses ont changé en Algérie depuis 1980 qu’il m’est vite apparu inutile de m’y rendre. Durant la décennie noire tout déplacement était suicidaire, le pays sous contrôle des GIA. Et plus tard quand la sécurité sur les routes s’était améliorée j’y ai renoncé, je me suis dit que le village était au mieux sous la coupe d’un notable issu de l’Alliance présidentielle, donc livré à la gabegie et à la corruption, au pire sous la férule d’un émir « résiduel » du GIA et que toute trace de cet Allemand avait du être effacée. J’ai recueilli quelques dires ici et là et puisé dans les livres pour reconstituer la possible trajectoire de cet homme, et d’une manière générale de ces criminels de guerre nazis qui se sont réfugiés dans les pays arabes.
En avançant dans mes recherches sur l’Allemagne nazie et la Shoah, j’avais de plus en plus le sentiment d’une similitude entre le nazisme et l’ordre qui prévaut en Algérie et dans beaucoup de pays musulmans et arabes. On retrouve les mêmes ingrédients et on sait combien ils sont puissants. En Allemagne, ils ont réussi à faire d’un peuple cultivé une secte bornée au service de l’Extermination ; en Algérie, ils ont conduit à une guerre civile qui a atteint les sommets de l’horreur, et encore nous ne savons pas tout. Les ingrédients sont les mêmes ici et là : parti unique, militarisation du pays, lavage de cerveau, falsification de l’histoire, exaltation de la race, vision manichéenne du monde, tendance à la victimisation, affirmation constante d’un complot contre la nation (Israël, l’Amérique et la France sont tour à tour sollicités par le pouvoir algérien quand il est aux abois…), xénophobie, racisme, antisémitisme érigés en dogmes, culte du héros et du martyre,…matraquage religieux… Je me pose souvent la question comment réagiront nos jeunes le jour où ils ouvriront les yeux et que tomberont les certitudes…
Je me suis avisé de quelque chose que je savais mais sans lui avoir jamais accordé plus d’importance que cela : la Shoah était totalement passée sous silence en Algérie, sinon présentée comme une sordide invention des juifs. Le constat m’avait choqué. Le fait est que jamais la télévision algérienne n’a passé de film ou de documentaire sur le sujet, jamais un responsable n’en a soufflé mot, jamais, à ma connaissance, un intellectuel n’a écrit sur ce thème. C’est d’autant plus incompréhensible que nous avons fait de notre drame durant la guerre d’Algérie, l’alpha et l’oméga de notre conscience nationale. Je pense qu’à ce titre nous aurions également du nous intéresser aux drames qui ont frappé les autres peuples, partout dans le monde. Il me semble qu’on ne peut avoir pleine conscience de sa tragédie et s’en trouver plus fort que si on considère aussi celle des autres. Quelle autre façon avons-nous de situer son histoire dans l’histoire humaine une et indivisible ?… ». La conclusion arrive après que B. Sansal se soit répandu en « regrets contre l’affront fait à Enrico Macias» (chez qui sionisme et marketing se conjuguent à merveille) : « L’Algérie est un beau et grand pays, il vient de loin, il a eu une longue et passionnante histoire, ayant fricoté avec tous les peuples de la Méditerranée, il n’est pas né avec le FLN, il n’a rien avoir avec sa culture, ses camps, ses apparatchiks et ses Kapos, un jour il reprendra sa route sous le soleil et sa terre reverdira. J’aimerai être là pour le voir ».(31)

En dehors de la forme possessive « nos jeunes », révélatrice du passif d’une culture politique, (« nos femmes », « nos travailleurs », nos cadres…), tout indique que cette Algérie rêvée n’est qu’un retour au soleil du 13 mai 1958. Pur produit de la falsification historique qu’il investit dans d’autres projets, à l’instar de ces élites choyées par une Armée-Etat au profit de laquelle les compétences reconduites de l’ordre colonial ont été mises à disposition, l’auteur du Village de l’Allemand prétend déconstruire l’histoire en préconisant l’indistinction, l’amalgame et la décontextualisation historiques.
Recherché dans les différentes contrées de la wilaya de Sétif, Aïn Deb n’existe pas. Les natifs de la région connaissent Oued Eddheheb, daïra de Beni Fodha qui n’a jamais abrité d’Allemand déguisé en Cheikh du village. Par contre, Sétif existe bel et bien, non pas uniquement comme chef lieu de wilaya, appellation de cité désincarnée, déshistoricisée. Sétif est le lieu d’un génocide imprégnant pour longtemps, au-delà de la colonie, la société française, habitée par « un type de crime spécifiquement français qui s’est développé et établi comme modèle social »(**), l’arabicide. Immortalisé par les caméras de M6, le 29 septembre 1995, l’arabicide résume, dans le « finis-le finis-le » des gendarmes parachutistes achevant Khaled Kelkal, l’histoire de tous les Arabes abattus dans les commissariats et ailleurs pour nécessité de service.
Sétif rappelle cette volonté d’extermination qui a profondément marqué le colon pour qui l’Arabe ne peut être qu’une menace. Tuer l’Arabe n’est qu’une légitime défense anticipée, comme le campe si bien Meursault, le personnage d’Albert Camus dans l’Etranger. A plus forte raison quand l’Arabe manifeste son sentiment national et son désir d’indépendance. Quelle mémoire oubliera les soldats de la Légion, repère de nazis ayant été de tous les massacres dans les régions de Sétif, Guelma, Madagascar et d’ailleurs ? Quelle mémoire oubliera le chant des Sétifiennes en pleurs :

Allez dire à Abbas, Allez dire à Abbas,
Les corps de tes frères
Ô Abbas, jonchent les trottoirs ?

Sétif, 8 mai 1945, « mon humanitarisme fut affronté pour la première fois au plus atroce des spectacles… Là se cimenta mon nationalisme », écrit Kateb Yacine.
Ce 8 mai, se déchaîne la chasse à l’Arabe aux yeux d’un monde qui ne voit de l’injustice que celle qu’il décode à ses portes, selon les intérêts protégés, au même titre que la créance du même nom.
Du 8 mai 1945 naquit une autre cité, Sétif la Rebelle. Au cœur de la cité, les tracts du FLN sont distribués à visage découvert, dans ses grandes artères, avec cette continuité qui fixe ses combats et ses aspirations. Sétif, avant-scène de novembre 1954, ce n’est pas une usurpation de titre. Sétif, ville symbole et sacralisation des couleurs nationales, se mémorise encore ce pas sanglant que nul ne peut falsifier : Un pas de plus dans la conscience nationale et l’irrigation de la conscience collective. L’instrumentalisation des symboles en vulgaires figures de la vénalité n’autorise pas à insulter le passé au nom du présent. Encore moins enterrer l’avenir.
Ce n’est donc pas par hasard que l’invention du Village de l’Allemand se soit ancrée dans Sétif, retournant contre les lieux-symbole les effets du nazisme, disqualifiant les sources de la résistance
nationale et son aboutissement.
Que la guerre de libération nationale ait été instrumentalisée, au point d’être vidée de son sens, elle ne l’est ni plus, ni moins, que la Shoah. Non content d’avoir bénéficié des dividendes de la rente au sein d’une bureaucratie dont il a porté le parapheur, Boualem Sansal ajuste les sanglots de l’ethnicité à la rencontre d’Arno Klarsfeld(32). Dans un jumelage qui n’a rien d’insolite, les assassins de la mémoire sont à l’œuvre : « Du coup, le génocide des Juifs cesse d’être une réalité historique vécue de façon existentielle, pour devenir un instrument banal de légitimation politique, invoqué aussi bien pour obtenir telle ou telle adhésion politique à l’intérieur du pays que pour faire pression sur la Diaspora et faire en sorte qu’elle suive inconditionnellement les inflexions de la politique israélienne »(33). Ce jeu sur les mémoires reflète les allures de travesti de l’auteur qui nous propose, derrière un humanisme mercantile, d’enterrer une mémoire au bénéfice d’une autre. En toile de fond d’une humanité ouverte sur tous ses crimes et ses souffrances, surgit une figure, celle du colonisé « qui dispose de moins en moins de son passé ». « Le colonisateur ne lui en a même jamais connu ; et tout le monde sait que le roturier, dont on ignore les origines, n’en a pas. Il y a plus grave. Interrogeons le colonisé lui-même : quels sont ses héros populaires ? Ses grands conducteurs de peuple ? Ses sages ? A peine s’il peut nous livrer quelques noms dans un désordre complet, et de moins en moins à mesure qu’on descend les générations. Le colonisé semble condamné à perdre progressivement la mémoire »(34) .
A travers ces élites ayant succédé au colon, leur maître, qui ont peuplé ses casernes, ses administrations, ses sociétés devenues nationales, ses commissariats et centres de recherche, on retrouve le discours nostalgique de la colonisation et le « temps béni des colonies ». Aux postes et aux responsabilités les plus divers, ces élites égrènent les échecs en renvoyant la responsabilité sur un dictateur qu’elles servent pourtant dans la fidélité et la lâcheté quotidienne et dont elles brouillent l’image en masquant la signification d’une déconfiture nationale à laquelle elles sont liées comme actrices et comme co-gestionnaires directes. Le discours ressassé entre soi et qui, de plus en plus franchit les limites du confidentiel, sur « la crasse de ce peuple auquel on ne peut rien apprendre », n’est que la reprise du discours colonial. Loin de s’épuiser, « la force de séduction du discours de mission civilisatrice »(35) s’est réaffirmée en gagnant en assurance dès lors que ce discours est porté par des élites dites nationales qui le dirigent vers le bas. La légitimité d’un tel discours est clairement revendiquée depuis que l’islamisme, apparu comme force politique, a été érigé en repoussoir. Les retrouvailles se célèbrent à coups de manifestations retentissantes sur ce qui est édifié en commun en un ensemble baptisé «les deux rives ». Ajusté, décomplexé mais repensé sans perdre de sa signification hiérarchisante du monde, le discours colonial est réapproprié, sans réserve, dans la célébration d’une fraternisation cimentée par ces proclamations répétées et hautement symboliques de dévoilement des femmes contre leur gré. Un artisan de haute lignée, en la matière, dont la célébrité se décline en crimes impunis à la tête d’une division de parachutistes, où les anciens nazis élèvent la torture et l’extermination à hauteur d’une technologie, apporte son soutien dans les moments difficiles : « Quoique occultés depuis trente six ans, nos espoirs du 13 mai 1958, nés de l’alliance du peuple et de l’armée française d’Algérie, s’étaient concrétisés par des élans de fraternisation des deux communautés, le mouvement de solidarité féminine et aussi par la naissance de la Ve République. Comment l’euphorie d’alors a-t-elle fait place, aujourd’hui en Algérie, à une ambiance d’incertitude peureuse sous le règne de l’assassinat ?… L’armée a toujours participé au pouvoir, à la tête de l’Etat et des wilayas ; elle a servi avec dévouement, hésitant à utiliser des méthodes adaptées à la lutte contre le terrorisme. Terrorisme qui a eu le temps de se développer dans un pays où celui qui hésite assume les torts. La suppression du français dans les écoles primaires et dans l’administration a été accordée au FIS pour satisfaire sa revendication prioritaire. La langue française, facteur d’unité nationale, était très appréciée des gens évolués, en particulier des Berbères, car, en tirant le pays vers le monde francophone et occidental, elle diminuait l’attraction naturelle vers l’Arabie obscurantiste… C’est dans les réformes des mœurs, des mentalités et de la religion que réside la solution dans les prochaines décennies…Le pays devra rompre avec l’Arabie saoudite comme il l’a fait avec l’Iran et se retourner naturellement vers l’Occident, plus particulièrement vers l’espace francophone. Les forces de l’ordre ont la responsabilité capitale du futur de leur pays. Avec l’aide de l’Occident, leurs moyens doivent leur permettre de réussir »(36). On sait quel a été le résultat de ce renfort sur les populations civiles et les massacres ciblés dans des régions où le vote islamiste a été sans équivoque. L’appel à Bernard- Henri Lévy(37) et à André Glucksmann(38), deux figures du sionisme, pour authentifier la marque des GIA dans les massacres de Raïs et de Bentalha, est suffisamment éloquent sur les choix stratégiques du régime des généraux d’Alger et sur les convergences avec le milieu intellectuel. Dans ces appartenances où l’allégeance fait écho à des séances de repêchage culturel sur des bases linguistiques et religieuses se sont constitués des espaces où officient des consciences morales syndiquées à la source et des paroles n’ayant d’éclairée que leur propre servitude. Le propos de Boualem Sansal n’est donc pas isolé, loin de là. Références aux valeurs, à la francophonie, à un islam éclairé ou réformé. Derrière les mots, on n’a pas de peine à situer la filiation des discours ressassés dans les médias. Sur les ondes d’Europe 1, un journaliste algérien déclare, à l’occasion d’une journée de solidarité avec les journalistes : « De l’autre côté, il y a des gens qui défendent les valeurs fondatrices de la société française et il faut faire le nécessaire pour les aider »(39). Slimane Benaïssa, « Auteur, Metteur en scène, Acteur » et dignitaire du « Haut Conseil de la Francophonie » qui, comme on le voit, n’est pas avare de majuscules quand il se présente, souligne avec force et persuasion, en parlant pour tous les Algériens : « En 1962, nous avons récupéré la terre mais nous avons perdu notre âme, parce que le FLN nous propose une histoire toute carrée »(40). Pourtant cette figure géométrique n’a pas été tellement incommode quand elle a fait cause commune avec les subventions de carrière. Au point où elle semble avoir été récupérée pour une falsification où ne change que la perspective. Dans le catalogue de l’Arabe éclairé, Malek Chebel sait adapter une érudition d’emprunt, de consonance orientaliste à une animation franchouillarde et flatter, sur le petit écran, les phantasmes du téléspectateur, guidé par des animateurs adroits, en particulier sur la sexualité(41) en islam.
Soucieux de réformer l’islam dans les espaces sensibles, Abdel-Wahab Meddeb bénéficie d’une double reconnaissance. Imam de statut médiatique et néanmoins laïque, il officie sur France-Culture sans dédaigner les sollicitations annexes. A coups de contre-fatwa, il entreprend d’éduquer les Arabes sur la Shoah au moment où l’entreprise d’extermination du peuple palestinien, prenant comme bouclier l’holocauste, gagne en justifications, superposant crime sur crime. Qui n’a pas relevé la concomitance des agressions israéliennes et la célébration de la Shoah dans les programmes télévisés ? Habile dans le développement du réquisitoire contre « les Arabes qui se réfugient derrière l’émotionnel par le recours à l’image », il occulte les ravages occasionnés sur la population civile lors de la dernière guerre sur Ghaza et ne se soucie guère du nombre des victimes. Comme si le recours à l’émotionnel était absent des médias israéliens et occidentaux, notamment en France, où les séquences télévisées reproduisent la hiérarchie à laquelle nous sommes habitués depuis des années, entre victimes israéliennes et victimes arabes(42). Ce chantre de l’altérité construit son crédo sur « la notion de liberté » et la « notion d’individu », clamant son « amour de l’Amérique » qui, bien sûr, s’épanouit dans le soutien sans nuance à l’administration Bush.
Aussi, faut-il en convenir, « la mise en scène du divers, de l’altérité, n’appartient pas au passé… Ces mises en scène, machines à fabriquer du sens, à la fois efficaces et divertissantes, perdurent. Certes, elles ont changé de forme, se sont faites plus subtiles, elles ne se réfèrent plus au concept de « race » et font parfois appel à des technologies visuelles et sonores dont le côté ludique est si développé que l’on peine à déconstruire l’idéologie qui les soutient »(43).
De fait, si le concept de « race » est gommé, c’est pour y substituer l’islam et les islamistes. Derrière le prétexte de l’islamisme sont reconduits tous les constituants du discours raciste, conquérant, (voir le déferlement de propos racistes faisant office d’analyse en géopolitique sur l’Iraq, l’Afghanistan, l’Iran, la Turquie ) et ses dérivés d’injures, de masse comme de l’individu, sans aucune retenue. Actes et propos racistes renaissent comme nécessité protégée puisqu’il s’agit de faire face à la barbarie et au terrorisme. Interrogé sur les développements de la progression israélienne, en 2006 au Liban, Vincent Hervouet, animateur du « Journal du monde » sur LCI, fait « tinter » ses compétences de spécialiste du Proche Orient en déclarant que « les Israéliens seront obligés d’en venir à l’offensive terrestre pour déloger les combattants du Hezbollah, qu’ils devront aller chercher à la fourchette à escargots »(44).
Interviewé par Christian Barbier sur l’immigration, Jean-Louis Bianco, ségoléniste, ancien ministre de François Mitterrand, délivre cette réponse : « Vous ne pouvez demander à des gens qui arrivent ici et qui n’ont aucune culture de s’exprimer comme avec un Bac + 2 »(45).
Président de la Chambre de commerce française à Alger, Jean François Heugas déclare, à propos du voyage de Jacques Chirac à Alger et de la visite à l’usine Michelin : « La matière humaine est, si on peut dire, ici, disponible »(46). Ce racisme, adossé à une haine de l’islamisme pour cause d’extrémisme et de barbarie, fait revivre tous les types d’assimilationnisme et consacre un aboutissement : l’achèvement de la « conquête morale » des élites.
En 1995, Khalida Messaoudi, en voyage en Israël s’affublant de l’étoile jaune, clame la nécessaire alliance avec Israël contre le Hamas palestinien. Ministre de la Culture dont le magistère épouse en longévité la magistrature de son Président, le créneau qu’elle avait balisé s’en trouve vacant. Il est réinvesti, notamment par Boualem Sansal dont l’humanisme, à ses yeux, ne trouve de sens que dans l’extermination des islamistes, rejetés hors du cercle protecteur d’une humanité dument certifiée. Le discours haineux et raciste, résurgence de « La voix du Bled », véhiculé par ces légionnaires de la plume, cooptés à dessein, pour universaliser les missions de leurs maîtres, nous rappelle, entre autres figures, celle que restitue Maurice Bedel dans Zulfu :
« C’étaient des députés républicains, des sénateurs démocrates. A leur vue, mon cœur s’épanouit, le rouge de l’émoi me monta aux joues. J’approchais donc ces hommes vers qui ma pensée, au temps de mes études, s’élançait chaque fois que les grands noms de Danton, de Gambetta, de Combes, venaient à mes oreilles. Ô principes immortels ! C’étaient là vos champions. Je profitais du mouvement causé par leur entrée pour les toucher du doigt, pour les frôler du coude et de l’épaule. Les temps nouveaux me sont témoins que je flétris les pratiques absurdes des vieilles femmes de mon pays qui vont pincer le pan de veste d’un hadji, les haillons d’un aveugle de mosquée, pour attirer sur elles je ne sais quelles bénédictions, mais il n’est pas un esprit libre qui n’eût approuvé ma dévotion auprès de ces héros de la démocratie.
Quand Mme de Villeneuve-Châtillon me présenta à celui-ci, dont j’avais si souvent rencontré le nom dans les échos de notre presse républicaine ; à celui-là que Mahmoud Chukri tenait pour le maître de la pensée laïque, les paroles d’admiration que je leur destinais s’arrêtèrent sur mes lèvres, la main que je leur tendais fut prise de tremblement.
– Monsieur Ahmed est un républicain turc, disait Mme de Villeneuve-Châtillon en me menant de l’un à l’autre.
– Aussi, ajoutai-je, mon nom de démocrate est Amédée.
Ma voix, hélas ! demeurait étranglée dans le détroit de mon gosier. Aucun de ces personnages ne saisit bien l’accent que je donnais à ce nom d’Amédée. Amédée, sur mes lèvres de Turc évolué, c’était l’occidentalisation de l’Orient, la républicanisation de l’empire des sultans, la laïcisation du khalifat ; Amédée, c’était l’industrialisation, la rationalisation ; c’étaient toutes ces belles finales en tion qui sonnent gravement aux oreilles des amis du progrès ; c’étaient aussi les coiffures à visière, les concours pour la plus belle fille de Turquie, les buildings de ferrociment, le vermouth- citron ; c’était la science, c’était la raison ; c’était le symbole même de la politique que ces messieurs représentaient dans le plus grand des parlements démocratiques : le parlement français. Lorsque je fus remis de mon émoi et que je sentis la voix me revenir, j’allai de groupe en groupe dans l’espoir d’entendre tenir des propos qui exaltassent mon occidentalisme et me permissent de placer quelque déclaration de loyalisme républicain… »(47).

Dans la décomposition qui frappe le monde arabo-islamique, l’islam n’est que l’ultime rempart à l’ethnocide. Ce n’est pas sans liens avec la montée de l’islamisme dont la porosité aux méthodes totalitaires incline aux dérives élevées, sans repères historiques, en autant de repoussoirs. Ce qui ne le prive en rien de ses capacités de résistance à l’oppression. En revanche, cela suffit pour que la mission civilisatrice, renouvelée dans ses modes d’expression, y compris littéraires, recomposée dans ses objectifs, se relégitimant par nécessité hégémonique, redouble d’assauts, à la fois contre l’islam et l’islamisme, fut-ce au nom de la raison et de l’humanisme, assurée de faire partager l’idée que le Barbare c’est l’Autre.

Lyon, le 22 février 2009

NOTES
1 Paris, Gallimard, 2008.

2 Hocine Flicha (petite flèche) de son vrai nom Athmane Khelifi. Tenu en main par la sécurité militaire, cet ancien petit voleur élevé au titre de chef de groupe terroriste opérait à l’Est d’Alger (Bab-el-oued, la Casbah). Comme dans d’autres cas de chefs terroristes (Antar Zouabri notamment), la mort de Flicha fut annoncée en 1995 au milieu d’« un groupe de onze islamistes » (L’Express du 28/9/1995, Sylvaine Pasquier, reprenant la presse algérienne) avant que sa liquidation effective ne soit annoncée en février 1998.

3 Dans le texte, l’auteur utilise la forme interrogative : « la peur aurait -elle changé de camp? ». On est quand même renvoyé sans conteste à la phrase du Premier ministre Redha Malek aux obsèques de Abdelkader Alloula, à Oran, en 1994. Phrase terrible qui enfonçait un peu plus le pays dans la violence, encourageant la création des milices avec la généralisation de la torture et des liquidations individuelles et collectives, dans les quartiers populaires comme en zones rurales, appuyant ainsi « l’œuvre » des escadrons de la mort.

4 Le terme exact est lintikam.

5 Le Nouvel Observateur, Dossier, « Roubaix, Sartrouville, Nanterre…Banlieues : la tentation islamiste », 12-18 novembre 1992, p. 10.

6 « …ceux qui proposent « le dialogue » et le « compromis » ne font, dans les faits, qu’inviter les démocrates et patriotes d’Algérie à un « Munich algérien…Comme en 1938, Hitler a accepté de recevoir les démocrates anglais et français pour « négocier pacifiquement » la disparition de la Tchécoslovaquie… », n° 1, mai- juin 1994, p. 14. Voir, également, « L’histoire nous enseigne. L’Allemagne hier, l’Algérie aujourd’hui : troublantes similitudes… », « L’Algérie au cœur » , numéro double, 2-3, juin 1995, p. 32-33. Ce texte est une réponse à l’appel « Pour la paix et la démocratie en Algérie » lancé par Pierre Bourdieu, Jean Jacques De Félice, François Maspero, Madeleine Rebérioux, Maxime Rodinson, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet (et rassemblant des dizaines de signataires du monde politique, associatif et intellectuel) dans lequel les auteurs soulignent la nécessité « d’en finir (en France) avec les schémas réducteurs qui confondent islamisme et nazisme, appels au dialogue et esprit « munichois » », Texte publié, notamment dans Jeune Afrique, n° 1790, 27 avril -30 mai 1995, p. 26-27. Ce qui vaut aux auteurs une réponse qualificative, « Les apprentis sorciers de l’intégrisme », signée par Andrée Michel, coprésidente de Citoyennes pour la paix, et Michelle Dayras, SOS Sexisme, Jeune Afrique, n° 1794, du 25-31 mai 1995, p. 48. Comme concept exprimant renoncement et défaitisme, « Munich » n’a cessé d’être brandi, depuis 1956 et la crise de Suez, dès lors que s’annoncent les prémices d’une intervention des armées occidentales contre un pays arabe ou appartenant au monde arabo-islamique : Irak, Syrie, Palestine, Liban, Libye, Afghanistan, Iran. Invité sur LCI, un directeur de recherches à l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), lors de la seconde guerre infligée à l’Irak par les forces armées américaines et européennes, ne s’embarrasse pas de nuance en analysant les mouvements et manifestations contre les gouvernements Blair, Aznar, Berlusconi. Faisant valoir « le pacifisme des années Trente », s’appuyant sur « Munich » comme concept d’analyse, ce spécialiste considère la « guerre portée par les Etats-Unis et les gouvernements européens comme une nécessité », pratiquement comme « une guerre juste ». Quant à l’opinion publique, « n’oublions pas que l’opinion publique est munichoise ». Devant les doutes exprimés par l’un des deux journalistes présents sur le plateau, le directeur de recherches renvoie à « la permanence de la référence historique munichois/antimunichois ». LCI, 17 février 2003, Journal, 13 heures trente.

7 Le Monde du 7 juillet 1993.

8 Dont la première édition date de 1992. On y lit : « Ainsi donc Ali Belhadj, petit avorton fulminant et écumant, sorte de Charlot incarnant le rôle d’Hitler dans Le Dictateur », Denoël, Paris, 1994, p. 12. Voir la critique du regretté Saïd Chikhi dans Naqd, n°4, janvier-mars 1993, p. 75, « L’islamisme sous le regard du commissaire du peuple à la modernité ».

9 FIS de la haine, p. 112-113.

10 Les Temps modernes, « Algérie, la guerre des frères », janvier/février 1995, n° 580, p. 213-220.

11 Rabha Attaf, « L’affaire de Ouargla mythe fondateur du discours de l’éradication », dans « L’Algérie en contrechamp », Peuples Méditerranéens n° 70-71, janvier-juin 1995, p. 201-208.

12 Claude Angeli et Stéphanie Mesnier, Sale temps pour la république, 1995-1997, en particulier le chapitre V, « La guerre d’Algérie s’exporte trop bien », Paris, Grasset, , 1997.

13 « Personne n’est mort d’avoir lu mon livre « De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier »…Quel que soit la violence d’un texte, il y a la liberté de celui qui veut l’acheter. Il n’en mourra pas physiquement. Alors je demande aux intégristes : « Nous intellectuels qui ne partageons pas vos idées, prenons la plume contre vous. Mais pourquoi ne répondez-vous pas par la plume, puisque vous êtes assurés que vos idées sont meilleures que les nôtres ? Pourquoi utilisez-vous le seul revolver ? », in La Croix, « Algérie : intellectuels en danger », débat opposant Rachid Mimouni et Mohammed Harbi, 5 aout 1993. « …Sans doute trouverez-vous le parallèle fort. Mais on peut constater qu’Hitler, aussi, est arrivé au pouvoir presque démocratiquement, et pourtant si en 1933 les Allemands s’étaient élevés de façon non démocratique contre la montée d’Hitler, est-ce que cela aurait été condamnable ? » ( R. Mimouni, ibid. ).

14 Lettre de Pierre Bourdieu à la suite d’un appel « Algérie pour que cesse l’horreur », manipulé par Le Nouvel Observateur qui le publie en ajoutant un sur- titre : « Un appel à la solidarité avec les démocrates menacés par le FIS ». Numéros du 24 mars et 1er avril 1994.

* Retenons ce qu’écrit à ce propos Simon Foreman, avocat au barreau de Paris : « Il y a plus de trois semaines que, dans cette caserne de l’Aisne sont détenus des hommes, Algériens pour la plupart, supposés islamistes convaincus, qui ne sont poursuivis pour aucun délit. Depuis trois semaines, le fait que ces hommes soient détenus arbitrairement ( c’est-à-dire par décision du pouvoir exécutif et en dehors des cas prévus par la loi ) ne semble guère émouvoir grand monde. Du ministre de l’intérieur au gendarme qui interdit aux Algériens de sortir, en passant par le préfet de l’Aisne ( en oubliant un garde des sceaux qui se fait oublier ), tous les responsables de cette action médiatique ont-ils médité l’article 432-4 du nouveau code pénal qui punit de trente ans de réclusion criminelle la « rétention arbitraire » lorsqu’elle dépasse sept jours et a pour auteur « une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions » ? Le Monde, 31 août 1994.

15 La Découverte, Paris, 2003, p. 41-42.

 

16 17 avril 2003, « Néo-islamistes. Stratégies pour noyauter la République ».

17 31 mai 2002, « L’intégration contre l’intégrisme ».

18 11-17 novembre 2002, « L’islamisme aux portes de l’Europe ».

19 Jeanne-Hélène Kaltenbach, Michèle Tribalat, La République et l’Islam. Entre crainte et aveuglement, Gallimard, Paris, 2002. René Marchand, La France en danger d’islam. Entre Djihad et Reconquista, L’Age d’Homme, Lausanne, 2002. Frédéric Encel, Géopolitique de l’apocalypse. La démocratie à l’épreuve de l’islamisme, Flammarion, Paris, 2002. Alexandre Del Valle, Le totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Editions des Syrtes, Paris, 2002. Ibn Warraq (pseudonyme d’un américain d’origine indo-pakistanaise), Pourquoi je ne suis pas musulman, L’Age d’Homme, Lausanne, 1999. Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, Paris, 2001. Oriana Fallaci, La rage et l’orgueil, Plon, Paris, 2002.

20 « …Il y a en France cinq ou six millions de musulmans, je ne sais pas exactement, dont une bonne moitié d’Algériens ou de Français d’origine algérienne, et qui ont montré en d’autres circonstances qu’ils étaient parfaitement capables de se manifester. Pourquoi se taisent-ils… Je suis beaucoup moins effrayé par le manichéisme que vous prêtez aux intellectuels que par le lourd et long silence des musulmans de France devant les abominations qui se commettent au nom de l’islam. Eux qui sont libres de s’exprimer, pourquoi ne le font-ils pas ? Passivité ou complicité? …L’islam deviendra une religion respectée quand il aura montré un visage respectable. C’est la responsabilité des musulmans » et, ajouterons-nous selon les paramètres fixés par ceux qui détiennent le pouvoir d’édicter et d’imposer les normes du respect et de la respectabilité. Lettre/réponse de F. Sigaut, professeur à l’EHESS, à F. Burgat, R. Braumann, J.Cesari, G. Grandguillaume et T. Yacine, le 15 février 1998, en réponse à un article des auteurs cités publié dans Libération du 6 février 1998, « Alger vaut bien une explication ».

21 Robert Laffont, Paris, 2003.

22 op. cit., p. 51. Cela se traduit notamment par les poursuites contre Daniel Mermet et son émission « Là-bas si j’y suis » sur France Inter, pour avoir laissé passer dix-huit messages pro-palestiniens sur vingt neuf, simplement parce que les messages pro- israéliens étaient « des interventions envoyés en réseau avec sensiblement les mêmes mots ». Si l’auteur sera relaxé, son émission ne survivra pas. Contre lui défileront à la barre Alain Fienkielkraut, Roger Cukierman et Alexandre Adler, cités par la LICRA auteur de la plainte pour « incitation à la haine raciale ». Fienkielkraut, qui, par ailleurs, anime une émission sur France Culture, portera l’accusation ainsi : « Proférer de tels propos dans le climat d’antisémitisme qui règne actuellement en France ne pouvait que favoriser les violences contre les juifs…Quatre-vingt- quinze pour cent des juifs de France sont sionistes, dans le sens où ils ont une solidarité de destin avec Israël. Mettre au ban de l’humanité cet Etat, en tant que fasciste ou nazi, c’est exclure, sous le masque de l’antiracisme, tous ceux qui, en tant que juifs, le soutiennent » ( Rapporté dans P. Boniface, p. 59 ). Alexandre Adler « qui fait de la défense d’Israël une ligne de conduite absolue quelle que soit la politique de ce pays » ( P, Boniface, ibid. ) présente Daniel Mermet comme « journaliste militant ». Enfin, l’avocat de la LICRA Me Goldnadel assène : « En période de crise, il y a souvent un cheveu entre la détestation de l’Etat juif et l’antisémitisme » ( P. Boniface, p. 60 ).

23 Chapitre 7, « Deux poids deux mesures », p. 169 et suivantes.

24 Les citations qui suivent sont tirées de Est-il permis de critiquer Israël ? ( P. Boniface, p. 169 et suivantes ) et La nouvelle islamophobie ( Vincent Geiser, p. 43 et suiv. ), op. cités.

25 F. Giroud, « Voyage au bout de la haine », Le Nouvel Observateur, 30 mai 2002, cité par Vincent Geiser, op. cit. p. 47-48.

26 Lire, septembre 2001, cité par V. Geiser, op. cit. p. 44.

27 V. Geiser, p. 47.

28 La question de la liberté de création est soulevée par P. Boniface quand il écrit : « Jusqu’où peut aller la liberté de l’artiste ? La création doit-elle avoir des limites ? C’est un débat sans fin où évidemment la subjectivité l’emporte. Encore faudrait-il qu’en la matière les mêmes critères laxistes ou sévères s’appliquent de façon uniforme. Je ne suis pas convaincu – loin de là – que le débat d’idées passe par le tribunal. Je pense que, le plus souvent, ce qui est excessif n’a guère de portée. Mais je me dis aussi que si j’étais musulman, si j’étais arabe, j’aurais la conviction que ma religion ou mon identité peut beaucoup plus facilement et beaucoup plus impunément – juridiquement et moralement – être attaquée que d’autres… », op. cit. p. 177-178.

29 « …Il restait alors au gouvernement ( français de Guy Mollet ), relayé par une formidable campagne de presse, à présenter Nasser comme un nouvel Hitler et sa médiocre philosophie de la révolution comme une réédition de Mein Kampf. L’outrance du propos fait sourire aujourd’hui, mais cette logomachie permettait aux socialistes et aux radicaux de se libérer enfin du complexe de Munich qui les travaillait depuis un quart de siècle », Bernard Droz et Evelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, Paris, éditions du Seuil, Points, 1991, p. 103. Encore moins distancié, le commentaire de Jean et Simone Lacouture réajuste l’uniforme hitlérien à Nasser : « …l’affaire de Suez aura eu deux effets essentiels. Le premier a été de rassembler une véritable et ardente majorité nationale autour du colonel-président. Son geste a en effet séduit les foules non seulement en ce qu’il avait de bon – la récupération d’une richesse au bénéfice d’un peuple misérable – mais peut-être en ce qu’il avait de mauvais – l’esprit de haineuse revanche et de provocation, la brutalité policière du procédé. D’autre part, les réactions étrangères, les menaces proférées à Londres et à Paris ont contribué à rameuter les masses autour de Nasser. Chaque réquisitoire prononcé aux Communes ou à la Chambre était autant de gagné pour le prestige local du colonel et chaque référence à Hitler était accueilli comme un hommage infini par les uns, ou ressenti comme une intolérable insulte pour les autres », L’Egypte en mouvement, Seuil, Paris, 1956, p. 456. On aura remarqué l’association du verbe « rameuter » et « masses » chez les auteurs qui apprécient ainsi l’acte politique du 26 juillet 1956 : « …l’opération même du 26 fut menée avec une maîtrise digne des sections d’assaut de feu le capitaine Roehm… », p. 458. Le 22 octobre 1956 fut scellé le pacte secret contre l’Egypte entre L’Angleterre, la France et Israël.

30 Maxime Rodinson, « Israël, fait colonial ? », Les Temps Modernes, n° 235 BIS, 1967, p. 17-88.

31 Le Nouvel Observateur, propos recueillis par Roger Falicot et Rémi Kauffer, Nouvel Obs.Com et par Grégoire Leménager, Le Nouvel Observateur, 9 janvier 2008.

** Fausto Giudici, Arabicides. Une chronique française, 1970-1991, Paris, La Découverte, 1992.

32 « …les dirigeants arabes ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas de responsabilité même indirecte dans la Shoah, car si les juifs d’Europe avaient pu immigrer librement en Palestine, alors que l’espace pour les accueillir ne manquait pas, sans doute le nombre de juifs exterminés aurait été inférieur à ce qu’il fut », Le Monde, 5 décembre 2001.

33 Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, Paris, La Découverte, 1987, p. 130, cité par Vincent Geisser, La nouvelle islamophobie, op. cité, p. 92.

34 Albert Memmi, Portrait du colonisé. Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1957, 1985, p. 120-121. Souligné dans le texte.

35 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, La République coloniale. Essai sur une utopie, Paris, Albin Michel, 2003, p. 132.

36 Jacques Massu, dans un « Point de vue », « Peureuse incertitude », Le Monde, 2 novembre 1994, à l’occasion de l’anniversaire du 1er novembre 1954. Dans l’offensive tripartite déclenchée contre l’Egypte en 1956, les parachutistes de la 10ème D.P. en sautant sur Port Fouad et Port Saïd n’avaient d’autre objectif, bien sûr, que la fraternisation avec le peuple égyptien. Ce n’est que la répétition d’autres expéditions, quarante ans plus tard, contre l’Irak, puis l’Afghanistan. En attendant Téhéran . Un des subordonnés de J. Massu a décrit, le long de cent quatre- vingt-dix-sept pages les assassinats commis entre 1955 et 1957 comme des actes de gloire, in Général Aussaresses, Services Spéciaux Algérie, S.l., Perrin, 2001.

37 Choses vues en Algérie, Le Monde, 8 et 9 janvier 1998.

38 Qui s’est distingué dans les colonnes du Figaro, 28 octobre 1994 en soutenant que « le foulard islamique est un emblème terroriste ».

39 Sur Europe 1, le 20 octobre 1994, à 19h50. Jean-François Deniau avait déjà sonné le tocsin : « Parlons, n’abandonnons pas nos amis : On tue systématiquement de l’autre côté de la Méditerranée médecins, journalistes, sociologues, professeurs, magistrats, écrivains, assassinés parce qu’ils représentent une élite proche de notre culture ou qui refuse l’extrémisme … » La Croix, 5 août 1993.

40 Dans l’émission « Questions d’Actu », sur LCI, 11h15, France-Algérie, Historique ? À l’occasion de la visite officielle de Jacques Chirac à Alger, le 4 mars 2003.

41 Voir l’observation faite sur une autre spécialiste de l’islam au sein de l’hebdomadaire Marianne, Martine Gozlan, par Vincent Geisser : elle « prétend se référer à l’érudition orientaliste pour développer un imaginaire érotisant sur la frustration sexuelle des « mâles » arabo-musulmans », op. cit. p. 33, mais aussi, Fethi Benslama qui se donne pour ambition de « psychanalyser » l’islam, dans La psychanalyse à l’épreuve de l’islam, Paris, Champs Flammarion, 2002. Adepte du bourguibisme, cet auteur recense parmi les signes de modernité attribués au « Combattant suprême », outre « la laïcité, l’égalité des femmes et des hommes en droit, ses vues sur le plan international, dont le trait marquant sera la proposition, en 1965, de régler le conflit israélo-arabe par la reconnaissance d’Israël. Il se heurta à l’hostilité de la majorité des gouvernants arabes de l’époque, et plus particulièrement à Nasser », note 1, p. 17-18. Les têtes de chapitre programmatique, hors contexte, n’ont rien à voir, bien sûr, avec le tracé de la République tunisienne et ses réalités actuelles.

42 A. Meddeb, sur France Inter, 24 janvier 2009, 8h40.

43 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, La République coloniale, op. cit, p. 133-134.

44 LCI, journal de 19h, 11 juillet 2006.

45 LCI, Interview de 12h10, 4 juillet 2007.

46 LCI, édition Info de 12h30, 4 mars 2003.

47 Maurice Bedel, Zulfu, Paris, Gallimard, 1932, p. 60-61.