-DE A. ALI-YAHIA À N. BENISSAD- Droits de l’Homme et militants sans droits

Dans une lettre ouverte à N. Benissad, aux affaires de la LADDH depuis avril 2012, surchargée d’un exergue accrocheur d’El Watan (1er juillet 2013), Ali-Yahia crève l’abcès, ce dernier dénonce les agissements du président en titre sans oublier les méfaits de son prédécesseur, M. Bouchachi, parti explorer d’autres perspectives de carrière.
Les leçons délivrées selon sa franchise coutumière par le fondateur de la ligue nous inciterait à applaudir avec nombre de lecteurs, d’adhérents, de militants ou de simples observateurs. Cela dénote le souci toujours en éveil de ramener l’association sur ses rails. Encore faudrait-il que ces derniers ne soient pas purement et simplement hors d’usage. Nous mesurons l’apport de ce type d’intervention propre à délivrer des informations demeurées dans le secret, sur l’espace intérieur de la LADDH et son fonctionnement. Il renseigne sur les menées internes d’une direction, suite à des informations rapportées par des responsables ou de simples militants.
Le procédé qu’affectionne Ali-Yahia est mis en œuvre depuis qu’il s’est retiré au profit de Hocine Zehouane à qui la leçon des droits de l’homme a été dûment administrée en 2007. Ce fut ensuite le tour de Mostapha Bouchachi, en 2012, au sujet duquel une précision de taille vient d’être apportée quant à sa conception de la direction d’une organisation des droits de l’homme. Dans sa lettre ouverte, Ali-Yahia souligne les faits suivants : « Mostapha Bouchachi s’est doté, au 3ème congrès de la LADDH, qui s’est tenu les 25 et 26 mars 2010 de tout le pouvoir par la révision des statuts. Aïssa Rahmoune, jeune adhérent à la Ligue, militant du FFS, est propulsé porte-parole du congrès et président de la commission des statuts… Aïssa Rahmoune a fait amender les statuts par la commission qu’il préside, qui stipule que le comité directeur, qui est l’exécutif de la Ligue, n’est plus élu par le conseil national mais désigné par le président …Bouchachi, qui avait la haute main sur l’argent de la Ligue, avec le secrétaire général et le responsable des finances, ne se sont pas soumis à un contrôle financier par le comité directeur et le conseil national. La ligue était pour eux un bien de famille ».
Se faisant tour à tour l’expression de l’éthique kantienne et de l’humanisme des droits de l’homme, Ali-Yahia relate ensuite une chronologie de saisine dont il a été l’objet successivement, de la part de Kamel Eddine Fekhar, Kaddour Chouicha et Salim Mécheri. Les deux premiers sont membres du comité directeur, le troisième président de la section d’Oran.
À Kamel Eddine Fekhar qui « m’a informé de son intention de déposer plainte auprès de la justice pour détournement de fonds de la Ligue par des personnes à leur profit,…je lui ai conseillé de régler le problème à la réunion du comité directeur ». Avec Kaddour Chouicha et Salim Mecheri « qui m’exposent à leur tour la grave situation que traverse la Ligue et les dangers qui la menacent…il a été convenu que Chouicha allait demander une réunion d’urgence du comité directeur…». Enfin, la dernière semaine de juin, « Nourredine Benissad, président de la Ligue, me demande de le recevoir, je le reçois durant 2 heures 15 minutes. Je dois dire que je ne me suis pas rendu au siège de la Ligue depuis son intronisation, parce que, suivant les pas de Bouchachi, il a désigné lui-même les membres du comité directeur. Avec le départ de Bouchachi, il y a eu changement dans la continuité…».
Il est un fait que le président d’honneur, fondateur de la LADDH, tout en étant éloigné de sa gestion directe, n’en conserve pas moins un pouvoir d’évocation aux relents monarchiques qu’il transforme, selon une normativité qui ne se dément jamais, en scoops rageurs. Ce rôle de sage, juge suprême pour lequel les colonnes de la presse sont toujours accueillantes, non sans calcul, se caractérise, chaque fois que nécessaire, par un rappel à l’ordre sous forme de diagnostic de crise et de sa thérapie. Si le diagnostic consiste à chapitrer, à juste titre et sans concession, le président coupable, le rappel des faits soudain exposés selon le cérémonial d’usage est un sujet de stupéfaction.
La thérapie, quant à elle, sonne le rappel de la morale dont les règles de conduite dans leur abstraction, ne peuvent qu’entraîner l’adhésion. La stupéfaction ne disparaît pas pour autant. Car, enfin serions-nous tentés de marquer notre étonnement : durant tout ce temps, au cours de toutes ces violations, coups tordus au sein d’une organisation dont les responsables affirment sonner la charge contre l’arbitraire, que font ses militants ? Où siègent-ils ? Comment se positionnent-ils par rapport aux soubresauts qui animent la vie de leur association ? Quel sens accordent-ils à la notion de contre-pouvoir qu’ils sont prêts à invoquer pour qualifier leur ligue?
La réflexion sur la LADDH mène tout droit à son système de gouvernement qu’elle révèle en toutes ses parties : le président et sa suite ; le comité directeur,
ses composantes et ses clans ; le conseil national où se cristallisent les espérances de sortir d’un anonymat sans lendemain prometteur.
En définitive, la ligue fonctionne à l’obéissance, comme une communauté de frères, en attendant des jours meilleurs. Cultivant ses secrets, elle affermit son code et perpétue ses rites, qui sont ses statuts réels.
Tournée sur elle-même, elle ne semble prêter aucune attention à la société pour laquelle elle prétend s’engager dans la défense et la pédagogie des droits. Ce n’est que lorsque le scandale éclate, parce que le président fondateur juge nécessaire de le porter sur la place publique, que l‘on est invité à mesurer les manquements à une éthique forcément fugitive.
Ce système de société secrète où les violations des règles s’additionnent en une routine interne coiffée d’un pouvoir d’arbitrage et de correction entre les mains d’un parrain, d’un grand frère, d’un sage, porte en lui-même l’échec d’une organisation à laquelle nous avons eu tendance à prêter plus qu’elle ne possède.
En effet, cette culture du secret, marque profonde du parti unique, avec appel à l’arbitrage autour du parrain suprême, révèle la chaîne des inaptitudes et des archaïsmes. La société à laquelle les détenteurs de la ligue sont prêts à arracher tous les alibis, ne reçoit rien en échange. Elle n’est même pas prise à témoin des vicissitudes, des espoirs déçus ou des trahisons en chantier pour neutraliser toute tentative d’élévation au rang de contre pouvoir. C’est la démonstration catégorique que nous offre une ligue qui ne s’intéresse qu’à elle-même. Elle n’est que sa propre raison sociale dans le labyrinthe des gratifications illusoires.
N’est-il pas frappant de constater que pas un seul militant n’ose prendre la société à témoin ? Peut-être que cela n’effleure-t-il même pas l’esprit de quiconque parmi eux. Le recours au parrain/arbitre demeure la procédure privilégiée dans un monde où il est beaucoup question de respect des droits. Ces droits que pourraient posséder individuellement les membres de la LADDH ne seraient donc que des droits virtuels médiatisés par un président d’honneur qui, seul, peut leur donner une consistance. Dès lors qu’il est saisi, il note, suppute et agit en fonction de sa conviction, le moment venu.
Nous avons, en format réduit, une dictature paternaliste qui n’aide pas la LADDH à atteindre l’âge adulte, celui où les militants prennent conscience qu’ils ont des droits et des obligations au sein/envers la société au lieu d’être tournés exclusivement vers l’intrigue interne.
Comment caractériser une ligue des droits de l’homme où l’expression des militants passe exclusivement par le filtre d’un parrain qui décide seul de révéler la nature du litige et sa gravité, ainsi que du moment pour ce faire? Pour les militants des droits de l’homme comme pour le champ politique, ce type de fonctionnement est de nature à conforter tous les acteurs dans la gestion paternaliste renvoyant toujours à une autorité suprême. Cela signifie qu’ils ne construisent nullement par eux-mêmes le processus de direction de leur organisation : ce schéma est celui où la prise en charge des évènements de l’association, du parti ou de la cité est abandonnée au profit du sommet. Ce système façonne le « non citoyen » alors que dans leur sortie médiatique les membres de la ligue se plaisent à reproduire le discours creux sur la citoyenneté. Au contraire, il y a tout lieu de penser que l’on met en place les éléments constitutifs de la dictature d’adhésion.
Variante de la dictature paternaliste, la dictature d’adhésion se traduit par l’abandon du pacte constitutif de la ligue entre les mains d’autorités, chefferies et clans : rien n’est mis dans la transparence, aux yeux d’une société façonnée par ces pratiques au sein des associations, partis et pouvoir politiques. Association d’impulsion clientéliste centrée sur une marchandisation du service la LADDH intériorise l’autoritarisme, l’arbitraire, la négation du droit et des droits, à l’image d’une société dont les membres ne voient d’issue aux injustices quotidiennes que par le recours (au) et le secours du « puissant » ou des « puissances ». Ancré dans les mentalités, ce système ne peut que perpétuer la dictature et l’arbitraire dont tout le monde se plaint et où chacun espère pourtant trouver les moyens d’en tirer profit en y puisant la solution à ses soucis.
Au même titre que pour le pouvoir politique, l’institutionnalisation est une question chargée de leurres masquant les réalités caractérisant les rapports de pouvoir. Les règles ne sont là que pour tenter de crédibiliser des apparences vite démenties par les faits.
Chaque crise nous renvoie à la violation des statuts par les responsables eux-mêmes. Quelle différence avec l’administration et les autorités politiques vis-à-vis desquelles la ligue prétend dénoncer ces mêmes pratiques ?
Comment un Bouchachi peut-il soulever avec quelque pertinence l’application ou non de tel ou tel article de la Constitution? Quelle forme de légitimité peut-il invoquer pour convaincre de sa représentativité au sein d’une assemlée à prétention nationale ? Comment lire les envolées d’un Benissad sur les atteintes aux libertés publiques d’association, de réunion ou de respect de la Constitution? Le jeu de dupes nepeut plus durer. Trichant contre leur propre organisation, la mobilisation des concepts ou des notions juridico politiques n’est pour eux que de la monnaie de singe qu’ils écoulent sans état d’âme vers une société démunie contre les faux monnayeurs. Incapable de faire jouer les ressorts de la légalité à l’intérieur d’elle-même, la LADDH ne saurait être en mesure de renvoyer la question de la légalité dans sa grandeur nature, à l’État et à ses appareils. Prisonnière entre autres choses de l’appétit de pouvoir de ses « historiques » faisant de la ligue un appareil au service de leurs ambitions, la LADDH est loin d’avoir satisfait à l’âge de l’organisation. Celle-ci suppose l’institutionnalisation, synonyme de prévention à l’égard des tentations carriéristes au détriment d’une conscientisation et d’un épanouissement des droits.
L’observation ainsi dégagée de militants sans droits conduit à diagnostiquer l’état réel de la ligue : au même titre que les associations et partis politiques, elle fait l’objet de course aux appareils de représentation en construisant une représentativité factice. Une compétition saine entre tenants de programmes concurrents dans l’intérêt des droits de l’homme est loin de voir le jour. Ankylosée dans ce régime attardé de lieux de pouvoir qu’il faut capter à tout prix, la LADDH est soumise au régime de l’entre-soi et du jeu des équilibres internes à caractère clanique, construits par touches successives, où le marchandage des services chevauche le culte du positionnement. La guerre de tranchées n’est jamais loin. Une organisation dont les responsables sont toujours prompts à donner des leçons de démocratie ne divulgue même pas la composition de son conseil national, pas plus que celle de son comité directeur. La seule donnée dont on est à peu près certain, c’est que les deux instances sont largement dominées par des membres du barreau. Les quatre premiers présidents en sont issus. L’imbroglio Bouchachi-Rahmoune-Benissad renseigne sur l’appartenance des trois au barreau d’Alger. Il faut ajouter une double particularité : Aïssa Rahmoune, secrétaire général nommé par Bouchachi a grandi au cabinet de ce dernier où il a été domicilié ; Benissad, comme président de la ligue est non seulement avocat mais membre du conseil de l’ordre, toujours en compétition pour le bâtonnat. Cet enchevêtrement d’intérêts prenant sa source dans les palais de justice, affluant dans les cabinets d’affaires pour se déverser sur la ligue, méritait d’être amplement souligné. La LADDH est au centre de convoitises qui mobilisent les droits de l’homme pour des objectifs et des ambitions inavoués.
En attendant, quelque soit la nature du congrès dont le déroulement est annoncé, il risque fort de ne pas changer la face de la LADDH. À moins que les militants des droits de l’homme ne se décident à recouvrer tous leurs droits, en refusant d’être les porteurs d’eau de leur propre négation.
Lyon, le 15 juillet 2013